jeudi 7 juin 2012

Reconduction tacite du pacte Roosevelt-Ibn Saoud de 1945

GEOSTRATEGIE N°03 de Janvier 2007.
Interview d'Antoine Sfeir, par Samir MEHALLA :

Le pacte entre Roosevelt et le roi Ibn Saoud :
Le 14 février 1945, Roosevelt rencontre le roi d’Arabie saoudite à bord du croiseur américain, Quincy, afin de mettre définitivement un terme à la domination européenne sur place. Inflexible sur certains points, tels que le sort des juifs de Palestine, qui, à ses yeux, doivent rentrer dans leurs pays d’origine, IbnSaoud trouve de nombreux terrains d’entente avec le Président Roosevelt.
Un pacte qui comportait plusieurs aspects décisifs dans la région était né.
Les USA garantissaient la protection du régime saoudien à la fois contre l’Egypte, le vieil ennemi jordanien, le Shah et l’Iran… en somme contre tout danger provenant du Monde arabe, moyennant un approvisionnement en pétrole à prix modérés.

Quelle a été la durée de ce pacte ?
Les compagnies américaines pouvaient s’installer en louant les terrains contre le versement d’une prime
reversée au roi Ibn Saoud, et ce, pour une durée de 60 ans. Ce pacte a été renouvelé récemment, lors de la visite du roi  Abdallah d’Arabie aux EtatsUnis en avril 2005.

Quels sont les aspects décisifs de ce pacte dont vous parliez à l’instant ?
Le Pacte de Quincy avait prévu un partenariat économique commercial et financier. Il amena l’Arabie saoudite à acheter de grandes quantités d’armes aux Américains (35 milliards de dollars de contrat à l’issue de la guerre du Golfe, puis une livraison d’une valeur de plus de 28 milliards de dollars en 1993-2000 selon le rapport annuel sur les transferts d’armes du Congressional Research Service).
Un autre exemple : en 1994, la monarchie saoudienne confia aux Etats-Unis le contrat de modernisation du réseau téléphonique sans même considérer aucune autre proposition. L’ensemble des fonds saoudiens, publics comme privés, investis aux USA, notamment en bons de  Trésor, est estimé à 350 milliards de dollars. Aujourd’hui, tous les établissements bancaires ont créé des filiales pour «traiter» la finance islamique. Les Américains ont été sans aucun doute les premiers dans la course. Les liens entre la famille Bush et celle de Ben Laden consolident l’alliance…

Un pacte de coopération politico-économique essentiellement ?
Les Etats-Unis et l’Arabie saoudite ont toujours fait évoluer des liens étroits de coopération, économique ou
politique. Parmi les circonstances favorables se trouve la Révolution iranienne de 1979. En cette année, la
Mosquée de La Mecque a été attaquée et révéla une Arabie saoudite incapable de garantir la sécurité des Lieux Saints. En décembre, de la même année, l’URSS envahit l’Afghanistan.
C’est dès lors que Washington devint un acteur clé dans la région. Nassif Hitti, ambassadeur de la Ligue arabe à Paris, ironise aujourd’hui encore sur cette situation qui perdure, qualifiant les Etats-Unis de «vingt-deuxième membre de la Ligue».
Mais c’est surtout dans la relation avec Israël que le poids des Etats-Unis est perceptible.
Certains dirigeants, à l’image de Théodore Roosevelt, avaient promis de ne pas soutenir le projet du sionisme naissant, à l’époque. Il y a entre autres l’histoire de la Shoah qui a renversé la donne.
L’Occident s’est senti coupable. Cette reconnaissance, même tardive des Etats-Unis de l’Etat hébreu, a fait que le soutien des Etats-Unis est comme une obsession, surtout dans l’esprit des populations arabes. Mais l’histoire est beaucoup plus complexe. Au sein de la Maison Blanche, les réticences étaient présentes en 1947 et le Président Truman n’apporta son appui à l’Etat hébreu qu’au dernier moment.
Ses conseillers, parmi lesquels le secrétaire d’Etat à la Défense George C. Marshall, s’opposèrent fermement à toute reconnaissance. Truman avait des préoccupations de politique interne plus que des considérations géostratégiques. C’était le poids du lobby juif, actif déjà sous Truman. Il justifiait ses positions pro-israéliennes en disant à ses ambassadeurs en poste dans les pays arabes : «Je suis désolé, messieurs, mais j’ai à répondre à des centaines de milliers d’Américains qui se soucient du sionisme, je n’ai pas des centaines de milliers d’arabes parmi mes électeurs». 

Revenons à l’histoire de l’invasion américaine de Irak, quelle en est votre analyse ?
A tous points de vue, les Irakiens sont écartés du grand projet de la reconstruction et la libération est
aujourd’hui synonyme de paupérisation et de frustration. Les bruits de bottes américains, envahissant l’Irak, se faisaient sentir dès la guerre d’’Afghanistan. Il ne faut pas se leurrer sur cette guerre et on peut en discuter. Si elle s’est révélée désastreuse, à bien des égards, certaines entreprises privées américaines
ont su tirer leur épingle du jeu. Pour s’en rendre compte, il faut s’attarder sur les plans politique et économique.
C’est au cœur des populations elles-mêmes, et sur les sociétés arabes en général, que les effets de cette guerre se font le plus ressentir. La paix dans l’avenir aura bien du mal à s’installer dans la région. Revenons au discours du président américain du 29 janvier 2002 où il plaçait l’Irak dans l’«axe du mal», aux côtés de l’Iran et la Corée du Nord. A aucun moment il ne fut question de l’Arabie saoudite, pourtant mère patrie des 15 sur les 19 terroristes du 11 septembre et financièrement bien connue des mouvements islamistes les plus radicaux dans le monde. Ainsi, alors que la Corée du Nord jouait la provocation, en se moquant des menaces américaines, et que l’Iran faisait savoir que son programme nucléaire avançait, c’est l’Irak qui a porté la casquette de la guerre “préventive”. 

Certains, y compris en Europe, continuent de qualifier cette invasion comme une action libératrice et/ou d’opération de démocratisation, qu’en pensez-vous ?
C’est une occupation.  A ce jour, pour mesurer le degré de la résistance irakienne, plus de 100.000 Irakiens
sont morts, en plus d’une situation, sociale et économique catastrophique.
Les deux administrateurs, Jay Garner et Bremer, se sont vite empressés de quitter l’Irak. Ceci dit, il est clair que le coût de cette guerre d’occupation est faramineux, mais toujours est-il que ce sont les entreprises privées américaines qui en tirent le plus grand profit : l’exclusivité de la reconstruction de l’Irak. 
Rien pour les Irakiens et à titre d’exemple, à ce jour, l’Etat américain n’a attribué qu’un seul milliard (de
don) sur les sept promis à l’Irak pour 2004. Certains ministres se sont plaints de cette situation et des
contrats faramineux attribués aux entreprises américaines. De nombreux cas avérés de corruption dans les cotations de projets attribués par les Américains ont également été dénoncés. Rappelons que c’est à
Halliburton, premier équipementier mondial d’installations pétrolières (et dont Dick Cheney fut le président),
que les contrats pétroliers ont vite été attribués. A tous points de vue, les Irakiens sont écartés du grand projet de reconstruction et la libération est aujourd’hui synonyme de paupérisation et de frustration. 
Face à cette situation, il y a la «rue arabe» qui se réveille de jour en jour. Pourra-t-elle inspirer un vrai mouvement libérateur ? 
Parlons premièrement des dirigeants arabes. La rue les accuse de ne pas avoir fait honneur à l’héritage. Ils se sont contentés de discours, parfois même contraires à leurs actes. La rue a manifesté son désaccord et sa colère. Les sociétés arabes, après toutes ces humiliations, semblent ne faire qu’une.

Mais, finalement, l’invasion de l’Irak est-elle une guerre pour le pétrole ?
“Les Etats-Unis planifient une nouvelle redistribution des cartes dans la région, afin d’être moins dépendants de l’Arabie saoudite, d’établir une nouvelle zone d’influence américaine et de réduire l’influence de l’OPEP”
L’attaque israélienne du 12 juillet 2006 a fait tomber les masques... On parle de l’éclatement communautaire
de l’Irak en créant plusieurs Etats «croupions» fondés sur des appartenances ethniques.
En 2001, le Proche-Orient produit 30,6% de la production mondiale et détient 65,54% des réserves connues.
L’OPEP souffre d’un manque de cohésion et de lignes directrices. En 2000, l’Asie (hors-Japon) est devenue le premier client du Moyen-Orient avec 117 milliards de dollars. De nouveaux clients apparaissent et la demande en hydrocarbures se renforce. 
Dans ce cadre, loin des intentions démocratiques, les Etats-Unis planifient une nouvelle redistribution des
cartes dans la région, afin notamment d’être moins dépendants de l’Arabie saoudite, d’établir une nouvelle zone d’influence américaine et de réduire l’influence de l’OPEP. Il s’agit d’accéder à de nouvelles réserves à moindre coût de production, de maîtriser les prix et de sécuriser certaines voies d’acheminement de gaz et de pétrole.
L’Irak, deuxième réserve mondiale en hydrocarbures, leur permettait leurs plans. Deux mois après le renversement de Saddam, les objectifs affichés étaient d’amener la production à 3 millions de barils/jour avant la fin 2004, puis de 3 à 6 Mb/j dans les cinq ans. Ils n’ont toujours pas réussi à atteindre leur objectif. Je pense que le peuple irakien ne le permettra pas. 

La problématique de l’Etat hébreu y est-elle pour quelque chose ?
C’est une hypothèse qui ne manque pas de pertinence. Depuis la première guerre du Golfe, les Etats-Unis
ont obtenu les accords d’Oslo et surtout l’accord militaro-économique de 1996 entre Israël et la Turquie. Après la neutralisation de la région, l’affaiblissement de la Syrie, seul l’Irak demeurait dangereux pour Israël. 
L’attaque israélienne du 12 juillet 2006 a fait tomber les masques de la combine qui se mijote dans la région.
On parle ouvertement de l’éclatement communautaire de l’Irak en créant plusieurs Etats «croupions» fondés sur des appartenances ethniques :
- un Etat kurde au nord de l’Irak ;
- un Etat arabo-sunnite dans le «triangle sunnite» irakien ;
- un Etat Chiite au centre et au centre-sud 
- un Etat chrétien fondé sur les bases de l’ancienne wilaya d’Alep, à Moussoul
- un Etat druze dans le djebel, le Golan et la Bekaa-ouest
- un Etat pour les alaouites syriens
- une enclave arabo-sunnite autour de Damas  
- un Etat chrétien dans les montagnes libanaises
- un Etat chiîte au Sud-Liban 
Le comble est que ces populations accepteraient cette division, sauf peut-être les alaouites sunnites.
Les Etats «croupions» auront pour gendarme Israël et les forces américaines placées en Irak.

Samir MEHALLA.

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