mercredi 21 mai 2014

Amel Karboul * fait sa révolution : celle des mentalités

Elle bouscule les réactionnaires ... 
mais aussi les pseudo progressistes modernistes qui voudraient bien que la tunisienne soit libre ... mais pas trop !
R.B


Mohedine Bejaoui : 

Le syndrome Karboul
L’arrivée intempestive, tempétueuse de Mme Karboul au gouvernement provisoire, a causé dès les premières heures une agitation névrotique  politico-médiatique.


La «Karboul-mania» se le dispute depuis à  la  «Karboul-psychose»,dans un délire qui s’apparente aux troubles bipolaires maniaco-dépressifs qui se seraient emparés de l’humeur politique. Il est bien connu que les maniaco-dépressifs oscillent par alternance entre  euphorie et mélancolie.
Un syndrome qui semble décrire en épiphénomène les symptômes de l’inconséquence d’une société bousculée  qui se cherche sur le chemin chaotique d’une démocratie en genèse. En creux, le malentendu  persiste à produire entre modernité et réaction, la cacophonie  des dérangés du changement. En crête culmine,  la figure symbolique de la femme en «nue -propriété» pour l’éternel masculin, en «sainte-ni- touche» pour les pas francs du collier.
Mme Karboul, est décriée jusqu’à l’insulte par  les uns, adulée jusqu’à l’idolâtrie par d’autres. Pourquoi ? 
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Amel Karboul, ministre du tourisme

Rappelons qu’à la  veille de  sa prise de fonction au ministère du tourisme elle  a été mise en cause. Le procès d’intention était bien là.Plusieurs débarqués du néo-ancien régime  ont été assaillis par  «la tourista» à en vomir. Sitôt nommée,  une polémique éclata autour d’un voyage en Israël où elle s’est rendue en 2006. Certains députés de l’ANC l’accusèrent d’agir pour la normalisation avec les sionistes. Il ne fallait pas plus d’arguments pour que les mêmes députés empruntent la voix criarde  et insolente de Gassas  appelant à sa démission des suites de la visite de croisiéristes israéliens en Tunisie. Comme un seul homme  81 députés - dont des femmes-  déposent une motion de censure  prévue pour le 9 Mai à son encontre en raison de l’entrée en Tunisie de pèlerins israéliens à destination de la Ghriba. Faut-il rappeler que sous le gouvernement de la Troïka des israéliens ont pu faire ce pèlerinage sans  que cela ne remue ni ménage, ni  méninges : Un manège.


Il faudra donc chercher ailleurs ce qu’on lui reproche. Elle est une femme, diplômée, jeune, avec de la prestance, a dirigé une entreprise internationale, n’a pas froid aux yeux, bouscule les codes guindés de la baronnie politique jusqu’aux signes vestimentaires, parle sans langue de bois et s’est autorisée dès sa prise de fonction de congédier un homme: le directeur de l’office du tourisme.Elle a été à la tête d’une délégation à Djerba pour initier une campagne de propreté  en jean et tee shirt. Elle se permit  en plus d’interpeller les responsables locaux,  dont le gouverneur  venus l’accompagner en costards et  cravates en leur disant: «Vous êtes habillés pour un mariage ou pour nettoyer ?». Une insolence de trop, encore une, à l’ encontre des  hommes.L’humour, la vivacité d’esprit ne sont synonymes ni de frivolité ni,d’irrévérence, ils sont compatibles avec la gravité de la fonction si tant est la compétence disponible. Personne n’a encore entamé un procès en incompétence à Mme Karboul. L’on ne pourrait pas en dire autant des autres ministres qui l’ont précédée.

Le femme qui dérange

C’en est trop pour des député(e)s conservateurs (trices) qui n’ont pas gobé sa sortie remarquée  lors du festival «libertaire» de musique électronique de Nefta aux coté de Jacques Lang. Elle représente tout ce que l’imaginaire conservateur abhorre: l’insolence de la liberté incarnée par une femme tunisienne alors que d’autres victimes «consentantes» se soumettent au Jihad Ennikah (prostitution halal) en Syrie. La contradiction est intenable, donc : comportement condamnable. La piste antisioniste est bien balisée depuis des lustres dans les pays arabes où la liberté de blâmer se limite à désigner Israël comme unique source de tous nos maux. Un fonds de commerce que tous les dirigeants arabes ont fructifié sans vergogne sous l’empire de leur indigence, incurie,  incompétence,duplicité, corruption et autoritarisme. Que les nahdhouis s’offusquent de la prétendue «Normalisation» avec Israël conduite en sous-main par Karboul, c’est "Normal ", en omettant de dire que la Turquie leur référent islamo-Califal a normalisé ses relations avec Israël. M. Erdogan très proche de M. Ghannouchi sera en visite officielle  dans les prochaines semaines  à Tel Aviv, invité par  la colombe Netanyahou. Faut-il aussi déposer une motion de censure contre le 1 er ministre Jomaa qui est allé  déguster un «Fricassé» à Belleville, fief des juifs tunisiens  chez Gabin (un restaurant tenu par un juif tunisien à Paris). Dans le même sillage,  aussi paradoxalement que cela puisse paraître des femmes tunisiennes modernes et supposées progressistes n’ont pas cessé de critiquer le style Karboul, trop décontractée, trop «m-a-t-on-vue». Cela ne se fait pas quoi !

Mme Karboul dérange  certaines femmes parce qu’elle va là où elles n’ont pas pu aller, là où elles ont composé avec la domination masculine, là où il ne faut pas transgresser les codes phallo-misogynes. Libres !  
D’accord, mais point trop n’en faut. Le compromis qu’ont trouvé certaines de nos compatriotes avec leurs maris, grands frères, fiancés pour compromettant, il permet néanmoins  de sauver les apparences d’une modernité biaisée par une liberté  admise et non totalement acquise. Mme Karboul  est de trop dans une transition bégayante qui n’est pas que politique, elle est profondément sociale, sociétale, psychologique. Mme Karboul est le reflet d’un  miroir déformant, contredisant une image trop belle  qui se devait  de rester dans l’intimité privée, privative des hommes, cloîtrée de l’autre côté  noir du miroir. Il n’était pas convenable  de parader dans l’espace public où une fille voilée se cache un peu, une femme niqabée n’existe pas, engloutie dans le noir. Dans l'hystérie « anti-Karboul » on retrouve les mêmes accents des vociférations qui ont voué la nudité d’Amina Sboui aux gémonies. Le corps de la femme, ses cheveux, sa voix, sa parole au-delà d’un certain seuil, dérangent les conservateurs, irritent certaines  femmes qui se veulent -sincèrement- modernes  tout en étant acculées au  respect des limites acoustiques acceptables. Qui a dessiné ces limites du  convenable? Les hommes qui ont progressé, mais pas trop non plus. Alors il est naturel de prendre siennes ces contraintes pour atténuer l’inconfort  des dissonances qui susurrent dans l’oreille de l’otage le syndrome de Stockholm: «Soit libre, mais tais-toi. Soit libre mais dis-le en sourdine».  Où est-ce qu’on met le curseur du progrès? Se mesure-t-il par la longueur de la jupe? Où se place  la décence? S’évalue-t-elle par le  voile intégral, le niqab, ou un habit compromis entre deux «cache-sexes»? Quel est le bon ton pour les bonnes manières? A combien de décibels une voix de femme est tolérable ?

Gare à la peopolisation !

D’autres femmes plus téméraires ont choisi une autre voie. De l’autre côté du miroir, Mme Karboul a ses fans,  des pages FB et Hashtags Twitter lui sont dédiées, alimentant une «peopolisation» qui ne lui rend pas service parce qu’elle ne  s’adresse pas  à ce qu’elle fait, elle relate plutôt sur le mode  «story Teller»  ce qu’elle est. Les   photos «selfies» que Mme Karboul a diffusées  elle -même sur twitter participent de cette «Karboul-mania»,  passant  au second plan les performances techniques qu’elle entend réaliser.Les groupies de Mme Karboul ont trouvé leurs icône, après avoir un temps couru derrière Maya Ksouri, Besma Khalfaoui ... 
Elles ont fini par rencontrer celle qui correspond à leur l’idéal féminin, l’idéal féministe pour certaines. Mme Karboul est au pouvoir, une image positive à l’opposé de celle de Mme M. Labidi ou de S. Badi ou A.Sboui. Mme Karboul est au pouvoir,   elle l’exerce sans complexe. Une étoile est née me dit une copine tombée sous le charme glamour de cette ministre hors normes conventionnelles. Je lui ai répondu: «ce n’est pas le concours the Voice, la politique c’est plus sérieux.»

Le ton, l’apparence, le discours, les mots sont des éléments constitutifs de la forme qui est signifiante, il serait néanmoins dommageable de la sacraliser au détriment de l’essentiel du travail fécond qu’elle entend mener. Le propos ne vise en aucun cas de décrédibiliser la substance en raison de sa forme, Mme Karboul serait bien avisée de ne pas donner des arguments à ceux qui l’attaquent injustement, ses aficionados devraient relayer, discuter ses idées, ses actions sur le terrain pour éviter de la noyer dans des polémiques stériles, épuisantes.
En tout état de cause, Mme Karboul ne laisse pas indifférent, elle apporte une brise  de fraîcheur dans cette atmosphère morose accoutrée de vieux apparats qui sentent  la naphtaline. A l’évidence, elle a asséné un coup de vieux aux professionnels de la politique, mais cela ne suffira pas à convaincre les incrédules. 

La « starification »  est un couteau à double tranchant, l’opinion ne retient des actions des célébrités que leurs erreurs parce que leurs travers les humanisent, rendant l’identification plus accessible.
Elle  semble bien consciente qu’elle est attendue au tournant, les faits sont têtus, ils lui donneront raison ou tort. Seules ses réalisations politiques compteront dans un court laps de temps, l’été est à nos portes. 
Les résultats des examens arrivent début juillet. 

Bonne chance Madame.

* Fille de Mohamed Karboul, neveu de Haj Boubaker Barnat.

1 commentaire:

  1. Je trouve en effet deplorable que nous la ramenions systematiquement sur sa particularite de femme moderne, independante et surtout active. L'essentiel est dans la teneur de sa mission. Quand bien même les chiffres ne seraient pas en sa faveur pour cette année 2014, elle aura contribué à une chose essentielle : changer l'image de la Tunisie en secouant le palmier. En cela et en avance, bravo Mme Karboul, bravo Mr Jomaa.

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