mardi 20 mai 2014

Discours d'Amel Karboul de clôture du pelerinage à la Ghriba de Jerba

Après la polémique suscitée par des constituants illégitimes, qui veulent faire les intéressants,  en se faisant les "champions" de la cause palestinienne par pur populisme, reprochant au ministre du tourisme son "laxisme" d'avoir laisser entrer en Tunisie des juifs de nationalité israélienne lors de leur croisière, il était bon que Amel Karboul rappelle les traditions d'hospitalité tunisienne ! 
Et, au passage, elle donne une leçon magistrale aux islamistes obscurantistes en citant opportunément des versets du Coran. 
Pas étonnant que cette femme cultivée soit la bête noire d’islamistes imbéciles et de leurs amis abrutis d'un CPR moribond !
R.B

Ministre du Tourisme de la République Tunisienne 

Mr le grand Rabbin de Tunis, 
Mr le Président de l'Association de la Ghriba
Messieurs les ministres 
Excellences, 
Chers amis, 
Mesdames et Messieurs. 

Pourquoi le pèlerinage ? 

Beaucoup d’entre nous y cherchent l'inspiration. 
Ils y voient de nouveaux horizons, les perspectives d’un changement. Ils cherchent la voie dans la foi. 
Certains y trouvent matière à méditation. Ceux-là mêmes qui s'interrogent profondément sur le sens de la vie, veulent purifier leurs cœurs et cherchent la sérénité après le doute et la confusion. 
Certains ne savent même pas pourquoi ils vont en pèlerinage, mais suivent leurs intuitions et inspirations. 
Certains veulent mettre en pratique les rituels religieux qu'ils ont reçus en héritage. 
Ils, elles, sont riches et pauvres, instruits et non instruits,…Ils sont cuisiniers, chauffeurs, médecins, PDG, ministres, écrivains, enseignants, soldats, …et il y’en a même, qui accompagnent une autre personne le temps d’un pèlerinage. 
Il y en a qui marchent, méditent, observent et sont en quête d’une harmonie avec la nature. 
D’autres sont curieux de se découvrir et découvrir l’autre. 

Ils ont besoin d’échapper à leur routine. 
Ce sont des aventuriers spirituels cherchant tout simplement leur chemin. Dans la paix de l’esprit, ils cherchent l’apaisement 
Qui êtes vous? Peut être ces tous et un réunis 

Mais au juste qu’est ce qu’un pèlerinage ? 

Est-ce la communion entre un espace physique et un autre spirituel ? 
Aujourd’hui, c’est Djerba et la fête du Lag Ba'omer pour des citoyens du monde de confession juive 
Dans le monde musulman/ c’est le Hadj après la grande fête (El Aïd el Kébir)  
Dans le livre saint des musulmans, le Coran, la sourate El Hajj évoque le pèlerinage dans les versets 22, 67 et 78 : 

 22:67

 « À chaque communauté, nous avons institué un ensemble de rites qu’elle doit observer. Qu’ils 
cessent donc de discuter avec toi l’ordre reçu ! Implore plutôt ton Seigneur, car tu es assurément 
dans le droit chemin. » [67] 

22:78

« C’est Lui qui vous a élus, sans vous imposer aucune gêne dans votre religion, qui est la religion de 
votre père Abraham. » [78] 

Les rites peuvent être religieux : comme le hadj à la Mecque, le pèlerinage de la Ghriba, ou celui de Lourdes. 

Chacun de nous célèbre aussi ses petits pèlerinages personnels. 
Mon amie Lesley m’a racontée, que chaque fois qu’elle va à New York, elle fait un pèlerinage - Le sien - Au MOMA pour admirer une peinture de De Kooning (Pirate: Untitled II) qui l’inspire et lui donne envie de danser - à la grande consternation des agents du musée-. Le tableau n'étant pas toujours en exposition, elle quitte le musée, profondément déçue, lorsqu’il n’y figure pas. Et rapidement écrit encore et encore une lettre au MOMA, la même, les priant de le sortir des caves et de le réexposer. Parfois, ils le font. 

Avant-hier soir, j’ai rencontré à l’hôtel, un couple juif qui m’a révélé qu’après plusieurs années d’absence, plus émus que jamais, ils sont rentrés, cette année en Tunisie, pour célébrer le pèlerinage de la Ghriba. J’ai eu le sentiment que c’est un double pèlerinage : un à la Ghriba et un autre pour renouer avec leurs racines tunisiennes. 

Je visite le cimetière familial à chaque fois que je suis ici à Djerba. Je me recueille sur la tombe de mon grand-père, je le salue et lui dis : cher grand-père, je te remercie du plus profond de mon cœur pour cet endroit magnifique que tu nous as légué, ce lieu de paix et de sérénité. 
Un pèlerinage est fort probablement ce qui rattache une personne à un endroit, qui raconte l’histoire de nos origines, qui nous éclaire sur notre identité…Il peut être même, l’expression de notre identité. 
Alors la prochaine question qui m’interpelle est : 
Quelle identité tendons-nous à exprimer tous ensemble ici aujourd’hui ? 
Notre histoire commune ne répond à toutes les interrogations, mais je peux nous donner des pistes de réflexions. 

Il était une fois ... La Convivencia 

La Convivencia. (Ou la coexistence) est le terme utilisé pour décrire la période de l'histoire de l'Espagne comprise entre 711 et 1492 (coïncidant avec la Reconquista). C’était quand les Musulmans, Chrétiens et Juifs vivaient dans une paix relative, où le vivre ensemble avait pour essence la tolérance religieuse et le respect, une époque où les cultures ne s’entrechoquaient pas mais coexistaient. 

La Convivencia a été considérée comme l'âge d'or d’Al Andalous - et de la civilisation islamique. Il ne fait aucun doute que lors du règne musulman dans le Sud de l’Espagne, et jusqu'à l’arrivée d’Isabella en 1492 qui a expulsé d'abord tous les Juifs et puis/ 30 ans plus tard/ tous les musulmans, de grandes réalisations ont vu le jour. 
Médecine, astrologie, astronomie, mathématiques, philosophie, sciences, chimie, architecture et arts ont permis des avancées considérables dans l’histoire de l’humanité. 
Et c’est grâce à ce brassage culturel, intellectuel et spirituel entre peuples de différentes confessions que la prospérité de l’Andalousie d’antan, fût. 
Le Zohar - un des ouvrages majeurs de la Kabbale – fût diffusé au 12ème siècle en Espagne. Il en est de même des œuvres des grands mystiques religieux et philosophes comme Salomon ibn Gabirol (Suleiman ibn Jabirul) au 11ème siècle. 
Et bien sûr, n’oublions pas le grand savant et médecin Maïmonide (Musa bin-Maymûn, alias Moïse ben Maimon, alias le Rambam). 

Dans le Coran, la Sourate 2, (La Vache), Verset 62 incarne cette convivencia religieuse: 

2:62

“ Ceux qui croient (dans le Coran) et ceux qui observent (les Écritures) des Juifs, des Chrétiens et des 
Sabéens, et ceux qui croient en Dieu, et au Jour Dernier, et ceux qui agissent avec droiture, ils 
recevront leur récompense de leur Seigneur, ils n’auront rien à craindre, ils ne seront pas affligés. » 
[62] 

Où en sommes-nous ? Nous Tunisiens/ des siècles plus tard ?

Nous Tunisiens du 21ème siècle avons résisté à bien de changements, et d’invasions depuis plus de 3000 ans. Aujourd’hui, nous espérons, que la Tunisie qui s’est révoltée il y a plus de trois ans, celle que nous sommes en train de réédifier, renaisse libre, novatrice et juste. 
Apaisée, notre patrie a retrouvé la voie. 
Beaucoup parlent du miracle tunisien !
Aujourd’hui, la Tunisie qui unit en son sein toutes les religions, qui tolère toutes les idéologies, souhaite vivre une nouvelle Convivencia. La Convivencia du vingt-et-unième siècle. 
J'ai foi en la capacité de la Tunisie d’avoir son âge d’or/ pas seulement elle/ mais toute la région. 
Elle ne sera pas une exception, elle montrera la voie. 

J'ai foi en cela, et je m’y engage. Je le fais précisément pour ne jamais renoncer, me résigner, baisser les bras et me retirer en silence. Parce que nous projetons notre désespoir autour de nous lorsque nous perdons la foi. Quand à moi, je refuse de perdre la foi. 

Comme la plupart d'entre nous, que nous soyons musulmans, juifs ou chrétiens, ce qui nous pousse à avancer est que malgré nos doutes, et même grâce à nos doutes, nous rejetons le nihilisme du désespoir. Nous revendiquons la foi en l'avenir et en chacun de nous. 

Appelez cela de la naïveté si vous le voulez. Dites que c'est impossible et idéaliste si vous le pensez. 
Mais une chose est sûre : Reconnaissez que c'est humain. 

La Tunisie a besoin de vous, de nous tous pour réaliser le rêve d’une Convivencia du 21ème siècle. 
La Tunisie a résisté aux invasions, aux guerres, à la division. Sa capacité de pardon et de tolérance l’ont protégé de la haine et du rejet de l’autre. Notre pays est le votre, vous Tunisiens qui êtes partis pour y revenir un peu plus souvent, un peu plus longtemps, peut être pour tout le temps. 

La Tunisie d’antan est également celle d’aujourd’hui, ses valeurs sont les mêmes, celles de la tolérance et de l’amour d’autrui. 

Pour finir je voudrais vous dédier ce poème, de Muhammad Shirin Maghribi, soufi persan du 14ème siècle : 

Cet ami spirituel frappa à ma porte la nuit dernière. 
« Qui est là?" : Demandai-je. 
Il répondit: «Ouvre la porte. C'est toi! " 
"Comment peux-tu être moi?" : Demandai-je. 
Il répondit, «Nous sommes un, Mais le voile de la dualité nous a caché la vérité. 
" Nous et moi, lui et toi, nous sommes tous devenus le voile, Et combien cela t’a voilé à toi même ! 
Si tu souhaites savoir comment nous et lui et toi ne formons qu’un, alors passe au-delà de ce «je», de ce «nous», et de ce « toi». 

Je souhaite à nous tous de passer au-delà de ce «moi», de ce «nous», et de ce «toi». 
Je vous remercie de votre attention. 

Mme. Amel Karboul 
Ministre du Tourisme de la République Tunisienne


  Rappel : l'Article 6 de la constitution du 26 janvier 2014 : 
L'État est le gardien de la religion. 
Il garantit :
- la liberté de conscience et de croyance, 
- le libre exercice des cultes et 
- la neutralité des mosquées et des lieux de culte de toute instrumentalisation partisane. 

L'Etat s'engage à diffuser les valeurs de la modération et la tolérance 
et à la protection du sacré et l'interdiction de toute atteinte à celui-ci. 

Il s'engage également à l'interdiction et la lutte contre les appels au 
takfir* et l'incitation à la violence et à la haine.


* Takfir : Juger autrui d'apostasie et le condamner en tant qu'apostat à la peine de mort ... selon la chariaa que les islamistes, dont les Frères musulmans nahdhaouis, avaient tenté en vain d'imposer aux tunisiens. 
 




1 commentaire:

  1. Amel KARBOUL DÉRANGE !
    Parcequ'elle bouscule les réactionnaires ...
    mais aussi les pseudo progressistes modernistes
    qui diraient à la tunisienne : "Sois libre, mais tais-toi " !

    Comme quoi il y a d'autres révolutions à faire ... dont celle des mentalités du tunisien !

    http://www.leaders.com.tn/article/le-syndrome-karboul?id=14020

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