samedi 20 décembre 2014

Un militant idéaliste qui demeure dans ses rêves

Aziz Krichen développait déjà, la thèse décrite dans son article sur sa page Facebook courant 2011. A l'époque, étant mon e-ami, j'ai attiré son attention sur le fait qu'il "oubliait" que les Frères musulmans et les islamistes en général ne sont pas fiables puisque le mot Démocratie ... leur est étranger car il ne figure pas dans le Coran, vous assurent-ils; et que leur Vérité ils la détiennent d'Allah et que leur programme Coran + chariâa est immuable et indiscutable !  
C'est ce qu'il va découvrir tant du côté de Ghannouchi mais aussi du côté de Marzougui dont il découvre la réalité : un crypto islamiste qui va laisser libre court à son islamisme, en s'entourant des plus radicaux des salafistes d'Ennahdha et autres barbus de la pire engeance !

Malheureusement, et malgré l'échec, il continue à espérer de voir les islamistes fonctionner comme un parti ordinaire ... ce que les Frères musulmans ne seront jamais, car leur idéologie est insoluble dans la démocratie ! Puisque Aziz Krichen rêve que Nahdha soit associé au pouvoir par Nidaa Tounes !!


R.B


Voilà pourquoi j'appelle à voter massivement pour Béji Caïd Essebsi

J’ai exercé les fonctions de ministre-conseiller de Moncef Marzouki durant deux ans, de début 2012 à début 2014. Beaucoup de personnes ne comprennent pas pourquoi j’ai accepté de le faire, et, l’ayant fait, beaucoup, parfois les mêmes, ne comprennent pas pourquoi je me démarque de lui aujourd’hui. On me reproche, par conséquent, une chose et son contraire.

Je veux revenir ici sur les raisons de mon comportement. Non pour me justifier – ce serait dérisoire –, mais parce que ces raisons sont de nature à éclairer les vrais enjeux de la transition démocratique, que j’estime de mon devoir de rappeler en cette dernière semaine de campagne électorale.

Je me suis engagé en politique voilà longtemps, comme militant et comme intellectuel. Ce qui signifie que je n’ai jamais séparé l’action de la réflexion. Dans nos années de jeunesse, nous considérions que l’essentiel de l’effort théorique devait consister à copier et transposer chez nous des modèles et des schémas élaborés ailleurs, au nom d’une conception aliénée de l’internationalisme et de l’universalisme. Devant le peu de résultats d’une telle démarche, la maturité aidant, j’ai commencé à comprendre qu’un tel effort ne pouvait être valable que s’il procédait d’une pensée personnelle, organiquement liée aux spécificités réelles de notre société et de notre culture. En d’autres termes, j’ai fini par saisir que l’universel émanait de la fidélité au particulier et pas de son occultation.

Etant donné les circonstances – la dictature et la répression –, l’apprentissage fut long et pénible, et le plus souvent solitaire. Au bout du compte, l’entreprise devait déboucher sur deux constats fondamentaux et sur une conviction. Faute de temps, je suis obligé de résumer au maximum le propos. Les deux constats se rapportent à des réalités observables, que les événements ont amplement confirmé depuis le soulèvement de décembre 2010. La conviction est le fil rouge qui donne leur unité et leur cohérence à mes différentes prises de position politiques.

Le premier constat porte sur la caractérisation de notre système économique et social. Celui-ci fonctionne selon une logique implacable de division et d’exclusion. Cette espèce d’apartheid intérieur a été poussée si loin ces dernières décennies que la Tunisie apparaît désormais séparée en deux univers distincts. Le pays s’est scindé en deux pays différents, très éloignés l’un de l’autre.

Nous avons d’un côté un pays minoritaire, concentré dans la capitale et les villes du littoral, rattaché de manière subordonnée à l’économie mondialisée, reproduisant de façon embryonnaire les groupes sociaux constitutifs des formations capitalistes-bourgeoises modernes, s’efforçant d’imiter leurs modes de vie et de reproduire leurs échelles de valeurs – avec son administration, ses entreprises, ses partis, ses syndicats, ses médias, ses associations … C’est la Tunisie dite « structurée ».

Et nous trouvons de l’autre côté un pays majoritaire, celui des laissés-pour-compte qui peuplent les régions de l’intérieur et les périphéries urbaines, tous issus d’un monde rural asphyxié et saccagé, acculés au chômage de masse et au travail précaire, enfermés dans des stratégies de survie. Des stratégies de désespoir, qui les condamnent à chercher refuge dans l’économie souterraine, avec ses trafics en tout genre, marqués par l’illégalité, qui se conjugue parfois avec la criminalité et la violence… C’est la Tunisie dite « informelle » ou « parallèle ».

Ce qui réunit par endroits ces deux mondes divergents – reproduction actualisée de l’ancienne opposition entre bled makhzen et bled siba –, ce n’est plus l’Etat central, mais des réseaux mafieux occultes, dont la montée en puissance a commencé sous Ben Ali, et qui ont littéralement proliféré au long des quatre années de transition chaotique que nous venons de traverser. Lorsqu’on laisse l’anarchie s’installer à l’intérieur d’une partie du corps social, elle finit par le gangrener tout entier.

Mon premier constat concerne donc le principal problème de fond du pays, sa fracture économique et sociale. Cette fracture est à l’origine de notre révolution (et elle est d’ailleurs à l’origine des soulèvements qui se sont produits en 2011 dans les autres pays arabes, les mêmes causes entraînant les mêmes effets). Seule sa résorption permettra à nos compatriotes d’obtenir la dignité qu’ils réclament et pour laquelle des centaines de nos enfants ont donné leur sang. Elle seule est en mesure d’ouvrir devant nous les portes de l’avenir et de pérenniser notre jeune et fragile démocratie, parce que les libertés ne peuvent être durablement protégées sans un réel développement économique et sans un minimum de sécurité matérielle pour le plus grand nombre.

Le deuxième constat se rapporte à une autre division, mais celle-ci ne concerne que les élites politiques et culturelles, pas l’ensemble de la société. Il s’agit de la fameuse bipolarisation identitaire, qui oppose les partisans du Destour et les partisans de Nahdha et, plus génériquement, les «modernistes» et les «islamistes».

D’une certaine façon, cette seconde division n’est rien d’autre que le reflet de la première, la manifestation de la fracture économique et sociale dans le domaine de l’idéologie. La difficulté pour nous tous vient de ce que ces deux expressions antagoniques sont également partielles et unilatérales, et qu’elles ne proposent, ni l’une ni l’autre, de projet d’ensemble capable de rassembler la population et de sortir le pays des contradictions où il se débat.

Leur commune incapacité s’explique par plusieurs raisons ; je n’en retiendrai que deux, qui cumulent leurs conséquences négatives. La première raison a trait aux standards de croissance dont ils se réclament. Il suffit aujourd’hui de comparer les programmes économiques de Nahdha et de Nidaa Tounes pour s’en convaincre. Ces programmes sont quasiment identiques et reprennent les choix ultralibéraux – et les pratiques clientélistes dont ils sont le paravent – appliqués en Tunisie depuis les années 1980, qui sont précisément au départ de l’éclatement structurel du pays.

Voilà deux partis importants, prétendument ancrés dans des référentiels diamétralement opposés, qui partagent néanmoins les mêmes options de base en matière d’économie – des options dont l’expérience a montré qu’elles étaient objectivement antinationales et antipopulaires. Comment pourrait-on attendre d’eux qu’ils apportent de vraies réponses aux défis que pose la masse des exclus et de marginalisés ? En dehors du verbiage habituel sur la « nécessité d’intensifier les investissements dans les régions défavorisées », leur logiciel partisan est vide, en effet. Dangereusement vide.

La deuxième raison est d’une portée plus grave encore, parce qu’elle entraîne un effet de paralysie qui interdit toute possibilité de renouveau effectif de la vie publique. La bipolarisation identitaire a pour conséquence automatique de figer la confrontation des idées et des politiques en la réduisant à un tête-à-tête exclusif entre les deux termes de l’équation.

Lorsque les « modernistes » (PSD puis RCD) étaient au pouvoir et qu’ils assignaient aux « islamistes » le rôle de l’ennemi principal, cette désignation équivalait à une légitimation de fait. Elle refoulait le gros des mécontents vers Nahdha, dès lors perçu comme la véritable alternative au régime, ce qui disqualifiait en retour les autres formations d’opposition qui ne pouvaient plus accéder au rang d’acteurs politiques de premier plan.

De la même façon, lorsque Nahdha se retrouva aux commandes et qu’il signala Nidaa Tounes comme l’adversaire à abattre – cela juste après la création de ce parti en 2012 et alors qu’il ne pesait pas plus lourd que d’autres groupes hostiles à la troïka –, cette mise en avant délibérée contribua fortement à faire de lui le chef de file de l’opposition, reléguant rapidement les autres mouvements à une place subalterne.

La bipolarisation identitaire fonctionne, par conséquent, comme une machine de verrouillage implacable. Elle permet aux « destouriens » et aux « islamistes » d’exister, avec un statut de protagonistes majeurs ; elle prive d’espace et d’initiative tous les autres intervenants, ne leur laissant de choix qu’entre devenir une force d’appoint ou végéter et disparaître.

C’était mon deuxième constat. Si l’on juxtapose maintenant les deux analyses, on obtient le tableau suivant : on a d’un côté un pays déchiré, fracturé dans ses structures fondamentales ; en vis-à-vis, on trouve une classe politique composée de deux partis dominants et rivaux, dont aucun ne dispose d’un projet national adéquat pour régler les questions économiques et sociales, mais dont la surenchère idéologique provoque un tel clivage dans l’opinion qu’elle bloque la constitution d’un troisième pôle politique, éventuellement capable de répondre aux attentes réelles de la population.

Ce tableau proprement démoralisant renvoie à une sorte de rupture, de décalage considérable entre le peuple et ses élites actuelles, qui donnent un aperçu de l’écart immense qui sépare ce que celui-là demande de ce que celles-ci ne peuvent pas lui donner. Nous en avons eu de nombreuses illustrations accablantes depuis décembre 2010.

Comment sortir d’une impasse aussi radicale ? Comment, malgré tout, se frayer un chemin ? Comment déverrouiller le cadenas bipolaire ? La conclusion que j’ai tirée de mon double constat est qu’il fallait coûte que coûte, pour espérer entreprendre la construction de l’alternative politique dont le pays a besoin, qu’il fallait coûte que coûte parvenir d’abord à tempérer, à apaiser, à pacifier l’antagonisme identitaire divisant les élites – cette modération n’étant pas une fin en soi, mais un préalable indispensable avant de pouvoir s’attaquer enfin aux vrais problèmes.

C’est cela la conviction intime à laquelle je suis parvenu il y a près de vingt ans ; et c’est cette conviction qui fonde depuis lors tous les engagements successifs que j’ai pu prendre.

Comment atténuer la bipolarisation, comment la réduire ? La seule méthode envisageable était d’amener progressivement les « islamistes » et les « modernistes » à travailler ensemble, en les poussant à faire prévaloir leur intérêt politique sur leurs préventions idéologiques.

M’engageant dans cette voie, je savais d’avance que la bataille serait longue et rude et que je m’exposais à devoir subir les doutes et l’incompréhension de tous ceux qu’une pareille démarche risquait de perturber. Et ils étaient – et restent – nombreux. Mais je ne voyais pas d’autre issue et j’étais sûr, en ce qui me concerne, que la main tendue à l’égard de Nahdha n’entraînerait jamais que je m’aligne sur ses positions et me mette à sa remorque.

Avant 2011, il n’était évidemment pas question de pactiser avec le régime en place, qui s’était transformé en tyrannie mafieuse. La pacification idéologique qui me semblait indispensable ne pouvait concerner que les forces d’opposition. C’est ainsi que j’ai appelé, en 2002, à la constitution d’un large rassemblement, incluant les islamistes, pour faire barrage à la quatrième candidature de l’ancien dictateur.

Entre 2005 et 2007, dans le même esprit, j’ai soutenu l’Initiative du 18-Octobre – un accord de coopération politique avalisé par le PDP, le POCT, Nahdha, Takattol et le CPR –, tout en ne me faisant pas trop d’illusions quant aux arrières pensées de la plupart des signataires.

Au lendemain du 14 janvier 2011, j’ai tout de suite demandé la formation d’un front commun regroupant toutes les formations et les personnalités qui s’étaient démarquées du système Ben Ali.  Au mois de mai suivant, j’invitais ces formations et personnalités à aller ensemble aux élections, pas seulement avec un programme commun, mais avec aussi des listes communes, précisant que tout le monde devait sortir victorieux de l’épreuve des urnes, et prévenant qu’au cas contraire, les gagnants et les perdants passeraient leur temps à se quereller, au lieu de s’occuper du pays et de réaliser les tâches de la transition . Comme chacun sait, ces avis restèrent lettre morte. Pourtant, l’avenir devait rapidement confirmer mes craintes…

Vinrent les élections du 23 octobre 2011, la victoire de Nahdha, la mise en place de la coalition tripartite avec le CPR et Takattol et l’installation de Moncef Marzouki à Carthage. Pouvais-je me dérober lorsqu’il me demanda de rejoindre son cabinet fin décembre ? Je savais l’affaire mal engagée. Les anciennes victimes de la répression n’étaient plus réunies, mais divisées en opposition et majorité. A l’intérieur de la troïka, Nahdha avait déjà commencé à manifester un hégémonisme dangereux et les deux partis alliés, au lieu de lui résister, faisaient de la surenchère dans la soumission. La menace de la bipolarisation planait de nouveau sur nos têtes.

En dépit de cela, j’ai accepté d’intégrer le staff présidentiel. Parce que le moment était crucial. Et que les discussions menées avec Moncef Marzouki – que je ne connaissais pas directement avant 2011, contrairement à ce que prétend la rumeur qui fait de nous d’autres « amis de trente ans » – m’avaient conduit à penser qu’il existait une grande convergence de vue entre nous. Il m’avait affirmé, en effet, qu’il entendait exercer ses fonctions en restant au-dessus des partis et de leurs clivages, et qu’il voulait faire de la charge qui était la sienne le symbole de l’unité du pays, de façon à toujours indiquer un horizon politique qui dépasserait les conflits identitaires.

Avec ces assurances, je n’avais plus de motif pour refuser les responsabilités qui m’étaient proposées. Si le chef de l’Etat rejetait lui aussi la bipolarisation, son combat rejoignait le mien et j’étais dans l’obligation de le soutenir du mieux que je pouvais. Ceci pour dire qu’en devenant ministre-conseiller, je ne me mettais pas au service d’un homme mais au service d’une politique, sur la foi d’un accord de principe qui ne souffrait aucune ambiguïté.

Je ne m’attarderai pas sur les divers événements qui se produisirent ensuite. Je dirai simplement que l’accord fut globalement respecté durant l’année 2012 et jusqu’au printemps 2013. A ce moment-là – approximativement depuis son voyage au Qatar en mars –, Moncef Marzouki commença à changer d’attitude et à s’aligner sur les positions de Nahdha dans son conflit avec les forces « modernistes » d’opposition. Ce conflit était devenu celui du président de la République. Ce dernier n’était plus extérieur à la bipolarisation, mais un acteur de plus en plus actif dans son exacerbation.

Le contrat était rompu. Et il n’était pas rompu par moi. Fin juin, je pris des dispositions pour préparer mon départ. Sur ces entrefaites éclata la crise de l’été 2013, consécutive au putsch militaire en Egypte (3 juillet) et à l’assassinat du député Mohamed Brahmi (25 juillet). La conjoncture était explosive. Les débordements insupportables de Nahdha, l’incompétence de la plupart des ministres, le laxisme dans la lutte contre la terreur, la dégradation accélérée des conditions d’existence des gens, tous ces faits avaient soulevé un vent de colère sans précédent dans l’opinion. La crispation était partout palpable. Dans les deux camps, l’opposition et la majorité, les partisans de la manière forte donnaient de la voix, les uns s’imaginant qu’ils pouvaient répéter à Tunis ce qui était arrivé au Caire, les autres voulant étouffer dans l’œuf la matérialisation d’un tel scénario. Bref, l’incendie couvait et ne demandait qu’à s’étendre.

Je faisais partie du comité de liaison politique de la troïka, une structure informelle regroupant une dizaine de personnes, les trois présidents, les trois chefs de partis,  les trois responsables des groupes parlementaires et moi-même. Transformé en cellule d’urgence – la session restera pratiquement ouverte de fin juillet à fin août –, ses membres devaient définir une réponse collective adaptée à la gravité de l’instant.

Invité à donner mon avis, je déclarais dès le premier jour que la sortie de crise exigeait deux décisions fortes : la démission immédiate du gouvernement Larayedh et l’ouverture de pourparlers avec les forces d’opposition, pour le remplacer par un gouvernement de large coalition, avec une représentation paritaire des principaux partis, Nidaa Tounes compris.

Ma proposition fut enregistrée, sans provoquer de commentaires. Le choc était trop brutal. L’indécision du comité se prolongea plusieurs jours. Début juillet, après en avoir donné copie aux trois présidents, je publiais un texte  où je développais longuement mes arguments. En franchissant ce pas, je cherchais à faire bouger les lignes.

Les lignes commencèrent enfin à bouger environ une semaine plus tard, grâce à Rached Ghannouchi, qui affirma qu’il fallait soutenir l’initiative du Dialogue national et que la question du changement de gouvernement ne devait plus être considérée comme taboue. A partir de quoi le rapport de force au sein du comité de liaison allait rapidement basculer en faveur d’une sortie de crise négociée et pacifique. On avait frôlé le désastre, mais on était finalement parvenu à l’éviter.

Je ne reviendrai pas sur les différentes phases de cette sortie de crise, qui se termina par la mise en place du gouvernement Mehdi Jomâa après son investiture le 29 janvier 2014. Je dois cependant préciser que c’est lors des semaines fatidiques de l’été 2013 que ma route se sépara définitivement de celle de Moncef Marzouki.

L’ouverture de négociations avec les partis d’opposition, notamment avec Nidaa Tounes, était une nécessité absolue pour restaurer le calme dans le pays. En même temps, le refus du passage en force et la recherche d’une formule de compromis signifiaient que la troïka – Nahdha en premier lieu – prenait désormais en compte les nouveaux équilibres du paysage politique. Moncef Marzouki, au lieu de s’en réjouir, en tira au contraire la conclusion qu’un tel dénouement jouait contre ses intérêts.

La chose devint manifeste après la rencontre « parisienne » de Rached Ghannouchi et de Beji Caïd Essebsi. Il estima qu’il serait inévitablement marginalisé si ces deux hommes, à la tête des principales formations politiques, parvenaient à tisser des rapports de collaboration entre eux. Il en sortirait des arrangements qui ne lui laisseraient plus qu’une place mineure, correspondant à son poids véritable dans le nouveau contexte partisan.

Or Moncef Marzouki tenait à préserver un rôle d’acteur central dans la distribution, ce qui passait par le maintien du soutien de Nahdha à sa personne . Si Rached Ghannouchi commençait à regarder ailleurs, c’en était fini de ses ambitions concernant les prochaines élections présidentielles (celles qui se déroulent actuellement). La stratégie de riposte qu’il imagina fut de passer des accords de soutien mutuel avec les ultras de Nahdha et divers courants de la mouvance salafiste, pour mettre en échec la ligne de conciliation que Rached Ghannouchi et d’autres autour de lui voulaient maintenant imposer à l’islam politique tunisien.

Il y avait d’une part les intérêts du pays et ceux de la poursuite du processus de transition pacifique, qui réclamaient de faire baisser les tensions. Et il y avait de l’autre les intérêts de Moncef Marzouki tels qu’il les comprenait, qui exigeaient de faire l’inverse. Il choisit les siens, sans scrupules excessifs. La sécurité de l’Etat, la stabilité du pays, cela ne comptait pas devant son désir de pouvoir.

Mon implication à ses côtés n’était plus possible. Si je suis pourtant resté plusieurs mois encore à Carthage, c’est sur l’insistance expresse des dirigeants de Nahdha et de Takattol (ainsi que de plusieurs responsables dans l’opposition et parmi le quartet) qui me demandèrent de rester à mon poste pour tenter de contrecarrer les actions de sabotage du Dialogue national qu’il n’allait manqué de faire, directement ou par le biais du CPR. Et ils ne se sont pas trompés. Les manœuvres n’ont pas manqué, en effet, et cela sans répit. Je suis donc resté encore plusieurs mois par devoir, dans un rôle étrange, comme une sorte de sapeur-pompier politique. Lorsque l’investiture fut accordée à Mehdi Jomâa, après une ultime mise en garde, j’ai enclenche la procédure de démission, en en informant mes principaux partenaires dans les partis et les syndicats.

Je passe rapidement sur les événements marquants de 2014 : l’entre en fonction du gouvernement non partisan, l’atténuation sensible de la conflictualité idéologique qui en a résulté et, enfin, les dernières élections législatives. J’ai commenté leurs résultats de façon très positive, en indiquant :

1) que c’était une bonne nouvelle pour Nahdha, qui ne pouvait plus se laisser aller à ses penchants hégémoniques ;
2) que c’était une bonne nouvelle pour Nidaa Tounes qui, même s’il était arrivé en tête et même s’il le voulait, ne pourrait pas se permettre de reproduire les pratiques d’exclusion de l’ancien régime :
3) que c’était aussi une bonne nouvelle pour l’avenir du mouvement démocratique. En précisant que l’effondrement électoral des partis se réclamant de ce mouvement ne marquait pas la mort du projet, il annonçait au contraire que la voie était maintenant libérée pour construire une alternative politique mature, capable de transcender les clivages identitaires.

C’est dans ce contexte de relatif apaisement que se situe l’actuelle élection présidentielle. Chacun sait que Moncef Marzouki ne s’est qualifié au second tour qu’en réactivant à son profit la bipolarisation, sur la base d’une alliance avec les cadres les plus rétrogrades de Nahdha et certaines franges extrémistes de la nébuleuse salafiste.

On dira que c’est son choix. Il est aux antipodes du mien. C’est la raison pour laquelle je le combats. Il n’y a dans mon attitude à ce niveau aucune volonté de vider un contentieux personnel, parce qu’il n’y a jamais eu ce genre de contentieux entre lui et moi. Il y a simplement une profonde divergence politique. Et j’ai fait ce que je fais toujours lorsqu’il me semble que le sort du pays est en jeu : je me sers des seules armes que je m’autorise, la parole et l’écrit. Que cela soit bien ou mal interprété par certains est une autre question : je ne peux pas grand-chose pour ceux qui projettent sur moi leurs préjugés et leurs frustrations.

Nous sommes à la veille du second tour. En politique, comme dans la vie réelle, quand on est amené à trancher, on le fait en fonction de ce qui existe et non pas selon ce que l’on aurait souhaité voir exister.

Entre voter Moncef Marzouki ou voter Beji Caïd Essebsi, il m’est interdit de céder aux états-d’âme. Le second représente objectivement aujourd’hui la possibilité d’un progrès dans la stabilité et la réconciliation nationale. Le premier s’est inscrit de manière irréversible dans une trajectoire d’outrances populistes et de division. On ne peut pas, on ne doit pas hésiter.


Je demande que l’on vote massivement en faveur de Caïd Essebsi. J’ajouterai qu’il est souhaitable qu’il devance nettement Moncef Marzouki. L’écart qui les séparera risque, en effet, d’avoir une incidence immédiate sur l’éventualité de la participation de Nahdha au futur gouvernement. Une participation que j’appelle de mes vœux. Parce qu’elle va dans le sens de l’intérêt général. Et parce que je milite toujours contre la bipolarisation.

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