Un grand artiste tire sa révérence :
Charles Aznavour s'en va …
Il a aimé la France qui a accueilli ses
parents réfugiés venant d’Arménie. Il a adoré la langue française : ses
chansons en témoignent. C’est grâce à ses chansons et à bien d’autres, qu’adolescent, j’enrichissais mon français. Il se trouve que les chanteurs que j’aimais et
dont les chansons m’ont aidé à aimer d’avantage la langue française, sont pour
la plupart issus de l’immigration : Charles Aznavour, Georges Brassens,
Léo Ferré, Georges Moustaki, Yves Montand, Serge Reggiani, Adamo …
Est-ce un signe ? Comme eux j’aime
la France, sa langue et sa culture.
Merci l'artiste !
R.B
Charles Aznavour
Philosopher avec Charles Aznavour
L’instant présent, la nostalgie, la
puissance du sentiment face aux idées… Charles Aznavour, chanteur réaliste, a
bâti plusieurs de ses succès sur ces thèmes universels, qui invitent à la
réflexion.
Il est des artistes dont la seule
existence crée un pont entre les générations. Charles Aznavour, qui nous a
quittés à l’âge de 94 ans, était de ceux-là. Plus « populaire », plus
« international » que les autres chanteurs éminents de sa
génération (Brassens, Brel, Moustaki et tant d’autres), il
partageait avec eux un même souci du texte, une même exigence dans l’exploration
des possibles de la langue française.
On s’est beaucoup moqué de l’homme,
d’abord de son physique, puis de sa voix un peu chevrotante, de ses prises de
position en politique, de son exil fiscal, de son
« dernier » tour de chant qui durait depuis plus de vingt ans… Mais
nul ne lui a jamais contesté son art de l’écriture. Il est parti en nous laissant
plus de 1 400 chansons, dont des dizaines qui comptent parmi les plus
grands succès du XXe siècle. Avec quelques thèmes récurrents,
qui peuvent fournir une bonne matière à réflexion.
Comme Brassens,
Aznavour chante le quotidien, le banal, les petites choses. Si la majorité de
ses textes est consacrée à la question de l’amour, ce n’est presque jamais
pour faire de grandes déclarations, mais bien plutôt pour
examiner ce qu’il a de concret. Utilisant le plus souvent le
« je » et le « tu », il « incarne » le sentiment
dans des personnages qu’on peut presque visualiser : un homme qui boit
pour oublier la rupture (Je bois), le quotidien d’un
travesti (Comme ils disent), le comportement d’un couple au
lit (Après l'amour). Aznavour est un chanteur
« réaliste », au sens littéraire du terme.
Cette prééminence de
ce que peut ressentir une personne dans son existence concrète
peut relever d’une philosophie selon laquelle les principes
abstraits, valables théoriquement, n’ont de valeur que s’ils peuvent
s’appliquer dans la vie « réelle » (plus exactement
« matérielle »). C’est ce qu’illustre la chanson Il faut
savoir, dans laquelle le personnage, après avoir décrit tout ce
qu’il est impératif de faire au moment de rompre, conclut en disant qu’il
en est tout simplement incapable :
Il
faut savoir rester de glace […]
Il faut savoir garder la face
Mais moi je t’aime trop
Mais moi je ne peux pas
Il faut savoir mais moi
Je ne sais pas
Il faut savoir garder la face
Mais moi je t’aime trop
Mais moi je ne peux pas
Il faut savoir mais moi
Je ne sais pas
A cet instant, tout
s’effondre, les bons conseils, les « recettes », les prescriptions.
Tout s’efface devant le constat nu et définitif : peut-être que les autres
le peuvent, mais pas moi, donc cela perd toute valeur à mes yeux. In fine,
cette chanson pourrait illustrer la pensée de Nietzsche : les
idées, les principes, les valeurs ne sont que des manières
« d’habiller » les passions, de légitimer son propre
comportement à ses yeux ou aux yeux des autres, de faire taire en soi
ce qu’il y a de vivant, c’est-à-dire d’insaisissable, de
« puissant ».
Le temps qui
passe : « Sa jeunesse » (1956)
La tragédie de la
condition humaine, c’est probablement la fuite inexorable du temps, selon le
paradoxe bien connu d’Augustin : le passé n’est plus, l’avenir n’est pas
encore, et le présent se perd dans le passé. Peut-être que seule la poésie est
capable de « dire » quelque chose de cette fuite, et Aznavour s’est
rangé à ce sujet au côté des plus grands, tels Aragon (Il n’y a pas
d’amour heureux) ou Léo Ferré (Avec le temps).
La plupart de ses
succès sont d’ailleurs des chansons emplies de nostalgie : La
bohème (paroles de Jacques Plante), Hier encore,
et même Mes emmerdes. Ces succès disent bien le soin qu’accordait l’artiste
à ses textes ou au choix de ses paroliers à ce propos, mais aussi
l’universalité du thème. Mais, à mes yeux, c’est Sa jeunesse qui
décrit le mieux ce sentiment mêlé de joie et de regrets à l’évocation du passé.
Et elle prend un relief tout particulier dans les enregistrements les plus
récents.
Lorsque l’on voit loin
devant soi rire la vie
Brodée d’espoir, riche de joies et de folies
Il faut boire jusqu’à l’ivresse
Sa jeunesse
Car tous les instants de nos vingt ans nous sont comptés
Et jamais plus le temps perdu ne nous fait face
Il passe
Souvent en vain on tend les mains et l’on regrette
Il est trop tard, sur son chemin rien ne l’arrête
On ne peut garder sans cesse
Sa jeunesse
Brodée d’espoir, riche de joies et de folies
Il faut boire jusqu’à l’ivresse
Sa jeunesse
Car tous les instants de nos vingt ans nous sont comptés
Et jamais plus le temps perdu ne nous fait face
Il passe
Souvent en vain on tend les mains et l’on regrette
Il est trop tard, sur son chemin rien ne l’arrête
On ne peut garder sans cesse
Sa jeunesse
En quelques phrases,
tout le problème du passage du temps est résumé : quand on est jeune, on
se projette, on regarde l’avenir et on peut en oublier
de vivre l’instant présent. Or on ne peut revenir en
arrière et on risque de regretter quand il sera trop tard.
Ce que je trouve aussi
formidable dans ce texte, c’est que ce n’est pas un énième
« conseil » d’un grand-père à ses petits-enfants. Comme on l’a vu
plus haut, ce genre de prescription n’a pas de valeur tant qu’on n’en a pas
fait l’expérience. Autrement dit, cette chanson est un avertissement :
invariablement, nous finirons tous par ressentir de la nostalgie. Nous ne
pouvons jamais vivre pleinement, il nous manquera toujours quelque chose, il
est « toujours déjà trop tard », et c’est cela qui est
tragique et beau à la fois.
La disparition de
Charles Aznavour signifie-t-elle la fin d’une époque ? N’était-il pas le
dernier représentant de la grande chanson réaliste d’après-guerre ?
Concluons, plutôt, sur cette magnifique chanson qu’il avait composée sur des
paroles de Robert Gall en 1963, La Mamma :
Y a tant d’amour, de
souvenirs
Autour de toi […]
Y a tant de larmes et de sourires
A travers toi […]
Que jamais, jamais, jamais
Tu ne nous quitteras !
Autour de toi […]
Y a tant de larmes et de sourires
A travers toi […]
Que jamais, jamais, jamais
Tu ne nous quitteras !
* Thomas Schauder est
professeur de philosophie en classe de terminale à Troyes (Aube).
Emmanuel Macron :
RépondreSupprimerProfondément français, attaché viscéralement à ses racines arméniennes, reconnu dans le monde entier, Charles Aznavour aura accompagné les joies et les peines de trois générations. Ses chefs-d’œuvre, son timbre, son rayonnement unique lui survivront longtemps.
Un homme en tous points vraiment remarquable.
RépondreSupprimerAprès l'avoir vu à la télévision la veille de sa mort, avec des projets de tournée mondiale, si "petite chose"... il était temps qu'il disparaisse. Comme sa vie il a parfaitement réussi sa fin.
AZNAVOUR, UN POÈTE DEVENU FRANÇAIS PAR LA LANGUE
RépondreSupprimerAussi français que Kessel et Gary, qu’Apollinaire et Ionesco ...
Aznavour a adoré la France ce qui ne l'a pas empêché d'adorer le pays de ses parents : l'Arménie !
Comme disait Joséphine Baker : " J'ai deux amours, mon pays et Paris ".
Français de cœur mais ouvert sur le monde; sa femme est d'origine suédoise, sa fille est mariée à un français d'origine algérienne.
https://www.huffingtonpost.fr/2018/10/05/macron-salue-en-aznavour-un-poete-devenu-francais-par-la-langue_a_23551845/
https://www.youtube.com/watch?v=0lLly_oHvSo