HISTOIRE TUNISIENNE : Moncef Bey le nationaliste ! Un Bey très aimé par les tunisiens dont beaucoup ont donné son nom à leurs enfants. Il y a eu un boom d'enfant portant le nom de Moncef ou de Mohamed Moncef, après l'arrestation de Moncef Bey par le Maréchal Pétain; témoignant de l'attachement et du grand amour des tunisiens, pour ce monarque.
R.B
Khlil Mestiri *
R.B
Khlil Mestiri *
1er septembre 1948, décès de
Moncef Bey : L’odyssée du souverain
C’est en 1881 qu’est né Mohamed Moncef
Pacha Bey, l’année où la France a imposé son protectorat à la Tunisie. Drôle de
coïncidence quand on sait qu’il a été le bey le plus récalcitrant et hostile aux autorités françaises.
Fils du premier souverain nationaliste
Naceur Bey, petit-fils de M’hamed Bey, qui avait promulgué le Pacte Fondamental
(«Ahd El Amen»), première constitution dans le monde arabe, en 1857, et arrière-petit-fils
de Hussein II Bey, créateur du drapeau tunisien en 1831, il avait donc de qui
tenir.
La démarche
nationaliste du jeune Moncef sous le règne de son père Naceur Bey
Vingt ans avant son accession au trône,
le jeune Moncef s’est distingué par le rôle déterminant qu’il avait joué lors
des événements d’avril 1922, où il avait manifesté son grand intérêt et soutien
aux revendications nationalistes des membres du Destour.
Il avait servi d’intermédiaire permanent
et zélé, entre son père, le souverain régnant Naceur Bey, et le peuple
représenté par le Destour.
Le 5 avril 1922 fut
une journée mémorable au cours de laquelle le peuple de Tunis parcourut à pied
la route menant de Tunis à La Marsa, dans une marche impressionnante, jusqu’au
palais beylical de Ksar-Ettaj, pour venir à l’appui de Naceur Bey qui, atteint
dans sa dignité, menaça d’abdiquer suite au piège médiatique tendue par le
résident général français Lucien Saint. Ce dernier avait suggéré au ‘‘Petit Journal’’, auquel Naceur Bey accorda un
entretien, de détourner les déclarations du souverain de sorte que celui-ci
paraisse désapprouver les revendications nationalistes du Destour.
Ce jour-là, Moncef, audacieux et
déterminé et passant outre les instructions du Premier ministre de l’époque,
Taieb Jellouli, avait fait recevoir chaleureusement, par son père Naceur Bey,
les membres du Destour nouvellement constitué, dont plusieurs étaient ses
condisciples au collège Sadiki et qui étaient à ses yeux les représentants
légitimes du peuple.
Malheureusement cet épisode prit fin
quelques jours plus tard avec la visite en Tunisie du président de la république
française Alexandre Millerand, lorsque Naceur Bey fut contraint de renoncer à
ses sympathies nationalistes suite aux menaces faites par le pouvoir du
protectorat d’abolir le drapeau tunisien et de le remplacer par celui de la
France et d’annexer la Tunisie à l’Algérie.
Humilié et souffrant, Naceur Bey décéda
trois plus tard, laissant derrière lui une tentative échouée de réformes
nationalistes.
Deux décennies passèrent, deux
souverains se succédèrent sur le trône husseinite, Habib Bey et Ahmed II Bey,
et en comparaison avec l’expérience du défunt Naceur Bey, leurs règnes furent
marqués d’une atmosphère d’indifférence et de résignation au protectorat
français.
L’accession au trône
de Moncef Bey et son règne avant l’occupation allemande
Le 19 juin 1942, Ahmed
II Bey s’éteint, et c’est Moncef Bey qui accéda au trône husseinite. Jamais une
intronisation beylicale n’eut autant rallumé les espoirs et suscité un
enthousiasme populaire intense. Dans son ouvrage ‘‘Évolution politique de l’Afrique du Nord musulmane 1920-1961’’, l’historien
français Roger Le Tourneau écrit sur Moncef Bey : « Avec lui, c’est sur le trône qu’allait s’affirmer le
nationalisme tunisien. En quelques semaines, le Bey était devenu le chef du
nationalisme tunisien ; nul ne doute que, si Bourguiba avait été là, il se
serait effacé devant lui comme tout le monde. »
Dès son investiture,
Moncef Bey jouissait d’une notoriété incomparable à celle de ses prédécesseurs,
réputé pour sa droiture et son sacrifice envers son peuple, il commence par
abroger le rituel du baisemain traditionnel en s’adressant directement à ses
sujets : « J’exige qu’on me serre la main, car je ne suis pas seulement
votre souverain, je suis plutôt votre père et vous êtes mes enfants. Soyez des
hommes, des hommes étroitement unis », dit-il.
Quelques jours plus tard, lors d’une
cérémonie officielle, Moncef Bey invite une personnalité juive tunisienne
Albert Bessis, qu’il fait asseoir à ses côtés, une démarche considérable de la
part du souverain pour condamner les lois raciales décrétées par le Régime de
Vichy. Il déclare solennellement aux délégations des communautés juives venues
lui rendre obédience qu’il ne fera aucune distinction entre ses enfants
musulmans et juifs.
Cette déclaration suscite l’espérance
chez la population juive et jette la consternation dans les milieux racistes et
le doute dans l’administration coloniale Vichyste. Moncef Bey est intervenu
personnellement auprès du résident général français, l’amiral Esteva, en
manifestant clairement son opposition à l’application en Tunisie des lois
raciales iniques de Vichy, instaurées sous le règne de son défunt cousin Ahmed
II Bey.
Par cette prise de position, le Bey
Moncef souhaitait surtout protéger et secourir une communauté tunisienne
exposée aux dangers de la politique vichyste mais aussi redorer le blason
husseinite, puisque son prédécesseur avait avalisé l’injustice infligée par
Vichy à l’encontre des juifs de Tunisie.
Le Mémorandum de 16
revendications nationalistes, adressé au Maréchal Pétain
Avec Moncef Bey, le Vieux-Destour de
Thaalbi allait revenir au-devant de la scène politique nationale et reprendre
son éclat des années vingt, aux dépens de son rival le Néo-Destour de Bourguiba
qui avait pris le dessus durant les années précédentes. En effet, on s’y
attendait de la part de Moncef Bey, lui qui avait côtoyé les dirigeants du
Vieux-Destour et les avait soutenus durant sa jeunesse, d’autant que la plupart
étaient ses anciens amis et camarades, tels que Salah Farhat, Ali Kahia, Chedli
Khaznadar, Chedli Khalladi, Ezzedine Cherif.
Dans les jours qui suivent, Moncef Bey
accorde une audience à la commission exécutive du Vieux-Destour conduite par
Salah Farhat, où il a été convenu de préparer un mémorandum au souverain fixant
de profondes réformes politiques et revendications nationalistes, qu’il
adressera dans les plus brefs délais au gouvernement français du Maréchal
Pétain.
L’audience accordée aux leaders du
Vieux-Destour provoque quelques réticences parmi les cadres du Néo-Destour, ce
qui parvient aux oreilles de Moncef Bey, qui fera tout pour y mettre de l’ordre
par son savoir-faire politique.
Le souverain accorde alors une audience
à la délégation du Néo-Destour accompagnée par Hassen Guellaty en tant
qu’avocat de Bourguiba. Il lui affirme qu’il fera tout son possible pour la
libération des prisonniers détenus en Tunisie et à l’étranger et ne manque pas
l’occasion pour condamner avec force la scission du Destour de 1934 en deux
partis, et de qualifier cette rivalité entre les deux Destours d’ «
enfantillages ». A ses hôtes, il dit que les deux formations politiques doivent
désormais travailler ensemble sous son autorité pour un objectif commun.
Moncef Bey forme un comité restreint
composé de vieux-destouriens, Salah Farhat, Moncef Mestiri, Chedli Khalladi et
M’hamed Ali Annabi pour l’élaboration dudit mémorandum, qui a pour base le
programme revendicatif originel du Destour de 1920.
Le 10 août 1942, le mémorandum est remis
au résident général français l’amiral Esteva qui à son tour le remet au chef de
l’Etat français, le Maréchal Pétain.
Le mémorandum comporte seize
revendications dont l’instauration d’un conseil consultatif de législation
préconisant une monarchie constitutionnelle correspondant à un souhait
personnel de Moncef Bey et la tunisification de l’administration, revendication
nationaliste fondamentale.
Sur le plan religieux, Moncef Bey
sollicite le Cheikh El Islam, Mohamed Salah Ben M’rad, afin de réformer et de
moderniser le Diwan, le conseil religieux autour du souverain.
En attendant la réponse du gouvernement
français, Moncef Bey entame sa tournée des villes et ses visites des saints
protecteurs. Ses déplacements s’enchaînent d’août à septembre : Radès, Ariana,
La Goulette, Le Kram, La Manouba où, dans un grand rassemblement populaire,
Moncef Bey prête serment sur le Coran et enflamme la foule venue en liesse des
campagnes environnantes.
Durant le mois de ramadan, le souverain
visitera en permanence La Médina. Il sera présent dans toutes les conférences
religieuses des grandes mosquées de Tunis, notamment à la cérémonie officielle
de la Nuit du Destin à la Zitouna. Il ira aussi se recueillir aux mausolées de
Sidi Ben Arous, Sidi Brahim Riahi et Sidi Mehrez, le protecteur de Tunis.
L’incident de l’Aïd
entre Moncef Bey et le résident général l’amiral Esteva
En l’absence de
réponse de la part du gouvernement de Vichy aux revendications de Moncef Bey,
la tension monte d’un cran, le 12 octobre 1942, lors de l’incident de l’Aïd. A
l’occasion de la cérémonie officielle de l’Aïd Esseghir, le Rrésident général,
l’amiral Esteva, en compagnie de cadres et fonctionnaires français venus au
palais beylical d’Hammam-Lif présenter des vœux à Moncef Bey, le souverain
exalté lui fait plusieurs remarques et reproches sur l’absence de Tunisiens au
sein de l’administration, ce qui provoque ces propos fermes chez l’amiral
Esteva : « Ils y sont et y resteront ». Moncef Bey lui répond
alors calmement avec le sourire pour clore l’incident.
A la fin de la séance,
le général Barré informe l’amiral Esteva qu’il avait pris toutes ses
dispositions pour arrêter Moncef Bey, mais Esteva lui répond qu’il n’en était
pas question pour le moment. Le lendemain, le souverain demande au gouvernement
de Vichy le rappel de l’amiral, expliquant l’impossibilité de collaboration
avec lui dans de telles circonstances.
Pierre Lafont, délégué à la résidence générale de France, est envoyé à Vichy et reviendra à Tunis le 20 octobre afin de remettre la réponse verbale du Maréchal Pétain : « Je réaliserai les vœux du souverain dès le retour de temps meilleurs ».
Pierre Lafont, délégué à la résidence générale de France, est envoyé à Vichy et reviendra à Tunis le 20 octobre afin de remettre la réponse verbale du Maréchal Pétain : « Je réaliserai les vœux du souverain dès le retour de temps meilleurs ».
La réponse de Vichy était ferme et
mettait fin à l’épisode du mémorandum sans satisfaire aucune des revendications
nationalistes du souverain.
Le début du règne sous
l’occupation allemande
Moncef Bey avait planifié une visite à
Kairouan pour le mois de novembre avec un discours tout préparé, sauf que les
circonstances internationales allaient changer toute la donne.
Avec le lancement de « l’opération Torch », le 8 novembre 1942, par le
débarquement des troupes alliées anglo-américaines en Afrique du Nord, suivi
immédiatement par l’invasion des troupes de l’Axe germano-italien en Tunisie.
Cette situation installa le pays dans un
climat de guerre, qui empêcha toute intention et velléité de réforme et
revendication nationaliste, puisque la Tunisie était sous occupation allemande
et que même le pouvoir du protectorat français était soumis aux autorités
allemandes.
La majorité du peuple
tunisien avait une sympathie pour l’Allemagne, et considérait les Allemands
comme des libérateurs puisqu’ils avaient vaincu les colonisateurs français.
Mais, de son côté, le chef du Néo-Destour, Habib Bourguiba, alors détenu au
Fort Saint-Nicolas en France, avait adressé ses directives aux dirigeants de
son parti par une lettre : « L’Allemagne ne gagnera pas et
ne peut gagner la guerre. L’ordre est donné aux militants d’entrer en relation
avec les Français Gaullistes en vue de conjuguer notre action clandestine.
Notre soutien doit être inconditionnel. C’est une question de vie ou de mort
pour la Tunisie ».
Face à cette situation critique, Moncef
Bey allait faire preuve de son habilité politique, il refuse l’offre proposée
par l’ambassadeur italien Bombieri d’abroger le traité du Bardo de 1881 signé
avec la France et d’en conclure un autre avec l’Italie mussolinienne.
Dans les jours qui suivent, le président
des Etats-Unis, Franklin Roosevelt, envoie une lettre à Moncef Bey afin
d’obtenir le libre passage des troupes américaines à travers le territoire
tunisien. Conseillé par ses amis M’hamed Chenik et Mahmoud El Materi, le Bey
Moncef renvoya une lettre au président Roosevelt par l’intermédiaire du consul
général américain Hooker Doolittle, à travers laquelle il exprimait l’attitude
officielle de la stricte neutralité de la Tunisie et son souverain vis-à-vis de
l’ensemble des puissances et affirmant son souci majeur de protéger son peuple
des malheurs d’un conflit international imminent. Plus tard, un deuxième
message moins officiel fut transmis à Doolittle, exprimant le penchant de
Moncef Bey, qui est plus favorable aux alliées qu’aux troupes de l’Axe.
Le 18 novembre, Moncef Bey recevait au
palais d’Hammam-Lif la visite de dignitaires allemands, conduits par Rudolph
Rahn, le représentant plénipotentiaire d’Adolf Hitler, et le général Nehring,
premier chef d’état-major des forces allemandes et en la présence du résident
général français, l’amiral Esteva.
Franc et sans dissimuler son opinion, le
Bey fait savoir aux dignitaires du troisième Reich combien leur présence sur le
territoire tunisien lui était indésirable et insupportable, dans la mesure où
elle risquerait de faire de la Tunisie un champ de bataille. Heureusement
l’absence d’un diplomate allemand maîtrisant la langue arabe a permis d’éviter
le pire des conflits entre le souverain et ses visiteurs allemands. C’est le
directeur du protocole du bey, Sadok Zmerli, qui, en des termes diplomatiques,
avait sauvé la mise, en donnant satisfaction au souverain et en calmant les
appréhensions des dignitaires allemands, en leur expliquant que le souverain
aurait aimé les recevoir dans d’autres circonstances plus joyeuses.
Du fait que le pouvoir du protectorat
français était soumis aux autorités allemandes, Moncef Bey avait saisi
l’occasion pour faire pression sur l’amiral Esteva et ainsi demander aux
Allemands la libération des militants destouriens.
Lors d’un entretien entre les deux
hommes, le souverain fait savoir au résident général, qu’il irait par lui-même
sur son carrosse à la prison libérer les détenus, si ces derniers ne seront pas
libérés le lendemain.
Le 2 décembre une partie des prisonniers
tunisiens sont libérés, notamment le militant Hassine Triki et ses compagnons
qui iront directement au palais d’Hammam-Lif remercier le souverain.
Moncef Bey impose le
ministère Chenik
Le 31 décembre 1942, Moncef Bey congédie
son Premier ministre, Hedi Lakhoua, hérité de l’ancien Bey Ahmed II.
Le lendemain le 1er janvier 1943, au cours d’une cérémonie spéciale du Sceau, à la surprise générale, Moncef Bey impose un nouveau ministère conduit par M’hamed Chenik.
Le lendemain le 1er janvier 1943, au cours d’une cérémonie spéciale du Sceau, à la surprise générale, Moncef Bey impose un nouveau ministère conduit par M’hamed Chenik.
C’était une première, depuis
l’installation du protectorat français qu’un Bey désigne unilatéralement et
librement ses ministres, sans la moindre consultation, ni le consentement et
l’aval de la France.
M’hamed Chenik est désigné Premier
ministre, le Docteur Mahmoud El Materi ministre de l’Intérieur, Salah Farhat
ministre de la Justice, Aziz Djellouli ministre des Habous, et Hamadi Badra
chef de cabinet du Premier ministre.
Le souverain tunisien avait fait preuve
de courage et détermination en constituant son nouveau ministère, mais avait
aussi satisfait les attentes de la plupart des milieux tunisiens en formant un
gouvernement composé de tous les courants politiques du pays : son ami Chenik,
un indépendant libéral, vice-président du Grand Conseil dont il appréciait les
idées de gouvernance économique; maître Farhat, le secrétaire général et numéro
un du Vieux-Destour, Docteur El Materi le président du Néo-Destour et
Djellouli, le Maire de Tunis «Cheikh El Médina», qui était aussi une
personnalité indépendante.
Cette équipe ministérielle gagnera
beaucoup en popularité lorsque le gouvernement tunisien obtient l’annulation du
décret du 30 janvier 1898 concernant l’acquisition des terres habous
particulièrement favorable aux colons français, l’égalité de traitement entre
fonctionnaires tunisiens et français, et la libération des militants
destouriens emprisonnés en Tunisie et à l’étranger notamment Habib Bourguiba.
Le 10 mars 1943, La Marsa fut ravagée
par les bombardements aériens des troupes alliées contre l’Axe, qui ont fait
plus de deux cents victimes. Craignant le même sort pour Hammam-Lif, où il
résidait avec toute la Cour beylical, Moncef Bey décide d’adresser une requête
au commandement des troupes anglo-américaines à Alger afin de délimiter une
zone de sécurité qui échapperait à toute menace aérienne et où résideraient le
souverain et sa cour.
Saisissant l’occasion, le consul général
d’Allemagne, Moelhausen, informe le souverain que les autorités allemandes lui
fourniraient tous les moyens techniques de radiodiffusion et propagation pour
qu’il condamne les bombardements anglo-américains devant l’opinion mondiale à
laquelle ils seraient très sensibles.
Considérant l’opportunisme des
Allemands, Moncef Bey refusa de céder à leurs exigences, répétées à trois
reprises par le consul général allemand. Cet épisode marqua le refus du
souverain de dénoncer les bombardements alliés conformément à la propagande
allemande, et il prouva, encore une fois, qu’il voulait se tenir à l’écart de
toute collaboration avec l’Allemagne.
Les détenus libérés du Fort
Saint-Nicolas n’arrivent en Tunisie qu’au mois de février à l’exception de
Bourguiba qui ne débarque que le 8 avril. Il ira à son tour au palais
d’Hammam-Lif exprimer ses remerciements au souverain tunisien.
Bourguiba visiblement
affecté, s’incline devant Moncef Bey pour éventuellement lui faire le baisemain
traditionnel, mais instantanément le souverain retire sa main et lui répond en
lui serrant la main : « Non, je ne veux plus de ça,
c’est main dans la main, que nous marcherons ensemble vers l’avant».
Durant l’occupation allemande, suite à
la décision de Moncef Bey de protéger la communauté juive tunisienne, le
gouvernement Chenik utilisera tous les moyens possibles afin d’entraver les
décisions de l’amiral Esteva et les injustices commises par les autorités
allemandes à l’encontre des juifs.
Le Bey Moncef a réussi à retirer
l’Etoile jaune, qu’avait imposé l’Allemagne Nazie aux juifs tunisiens comme
signe de marquage et discrimination. Le souverain ne souhaitait aucun signe de
distinction entre les différentes communautés de son peuple, tous étaient pour
lui des citoyens égaux qu’il devait défendre et protéger. Il est vrai que le
souverain a été dans l’incapacité d’empêcher quelques injustices infligées aux
juifs, tels que les réquisitions, les rackets, et les travaux forcés, mais ce
qui est surtout à retenir c’est que grâce à Moncef Bey, les juifs tunisiens ont
échappé au pire, et que, mis à part le Danemark, la Tunisie a été le seul pays
sous occupation nazie (1942-1943), dont la communauté juive s’en est sortie
presque intacte, sans être déportée aux camps de concentration et
d’extermination d’Auschwitz.
La fatale remise de
décorations aux Allemands
Les combats font rage au pays, les
forces anglo-américaines avancent victorieusement, les Allemands sont battus
sur tous les flancs, vaincus et pourchassés des régions du sud jusqu’au
nord-ouest tunisien, ils seront encerclés à Tunis.
Conscients qu’ils touchaient à leurs
fins, et que leur départ était très proche, en guise de souvenir de leur séjour
en Tunisie, les officiers civils et militaires allemands demandent à se faire
décorer par le Bey de Tunis par l’intermédiaire du chef du cabinet du Résident
général français, le lieutenant-colonel de Jonchay, qui était dévoué corps et
âme aux autorités allemandes. Cette décoration devait se faire sans l’aval
préalable, ni écrit, ni oral de la résidence de France, malgré les conseils
apportés par le chef du protocole du Bey, Sadok Zmerli, et l’homme de lettre
Hassen Hosni Abdelwahab au frère du Bey et cerveau de la famille, le Prince
Hassine, afin de le convaincre d’exiger l’aval écrit du résident général
français concernant la décoration des Allemands, ce qui confirmerait la
fidélité du souverain tunisien à la nation protectrice française et atténuerait
sa responsabilité dans cet acte de décoration imposé par les Allemands et qui
était incompatible avec la neutralité de la Tunisie, ouvertement et
internationalement déclarée par Moncef Bey depuis novembre 1942.
Malheureusement le résident général
français, l’amiral Esteva, simple marionnette entre les mains du dirigeant
allemand Rudolf Rahn et son collaborateur français, le Lieutenant-colonel de
Jonchay, officialise les exigences allemandes, en rejetant le souhait du
gouvernement tunisien d’obtenir un aval écrit de la part de la résidence de
France et en annonçant qu’il n’y avait pas d’incompatibilité entre la remise de
décorations aux Allemands et la neutralité reconnue de la Tunisie.
Le 11 avril, à contre
cœur, Moncef Bey recevait à son palais les dignitaires allemands, italiens
ainsi que leurs collaborateurs français conduits par de Jonchay, et le
souverain y est contraint de les décorer du « Nichan Al Iftikhar».
Il est vrai que cette remise de décoration s’est faite ni sur l’initiative du
souverain, ni sur celle de son gouvernement, mais ce qui est à retenir c’est
que l’amiral Esteva y a participé activement, comme le soulignent dans leurs
mémoires l’historien Charles Saumagne et l’ex-chef de la police française,
Roger Casemajor, qui confirment l’implication d’Esteva dans cette affaire, et
prouvent son zèle incontestable, puisque ce jour-là, contrairement au protocole
de la cour, Esteva rapporta par lui-même les insignes avec lesquelles le
souverain décorera les Allemands, alors que d’habitude c’est le Bey qui
apportait les insignes lors des cérémonies de remise de décoration. Ce qui
prouve l’entière responsabilité d’Esteva dans cette affaire, certainement pour
dégrader l’image nationaliste de Moncef Bey, symbole de l’union nationale, et
ainsi préparer sa future destitution.
Bien que les autorités allemandes et
italiennes eussent instauré une zone neutre comprenant Hammam-Lif et ses
environs, le 7 mai, suite à l’avancée irrépressible des troupes
anglo-américaines, l’état-major allemand est obligé de battre en retraite vers
le Cap Bon, et pour le bon déroulement de l’opération, il décide de faire de
Hammam-Lif la dernière ligne de défense de l’Axe en Tunisie avant d’abandonner
vers l’Italie.
Immédiatement, un officier général
allemand est envoyé au Bey, lui communiquer la décision du Grand état-major
allemand, et lui demander de quitter Hammam-Lif et d’aller se réfugier à La
Marsa ou à une autre localité sécurisée afin d’éviter les risques de
l’éventuelle bataille qui se préparait.
Moncef Bey lui répond
: « Général, je n’aurais jamais supposé qu’un grand pays comme le
vôtre déchirerait de sa propre initiative l’engagement formel et écrit que, par
la voix de son représentant ici, il avait pris de s’interdire toute action
militaire dans la ville d’Hammam-Lif et de sa zone. En agissant ainsi, votre
commandement contrevient tout à la fois aux lois de l’hospitalité et à celle
des convenances internationales. Quant à abandonner mes sujets et quitter ma
résidence pour un asile plus sûr, je n’y veux pas songer, ni les délais que
vous m’avez accordés pour ce déplacement hâtif, ni la conscience de mes
responsabilités à l’égard de tous ceux qui ont cherché refuge auprès de moi, ne
me permettent de l’envisager. Puisqu’il y a risque à demeurer, je veux le
partager avec la population que la décision imprévue et injustifiable de votre
commandement l’a condamnée à subir ».
Moncef Bey décide de
rester à Hammam-Lif, où plus de 100.000 Tunisiens ont trouvé refuge fuyant la
capitale, le souverain se contente de s’abriter dans le « damous », les galeries souterraines de son palais,
accompagné de la cour beylical, ses ministres et leurs familles.
La destitution de
Moncef Bey et son départ vers l’exil
Durant plus de vingt-quatre heures,
Hammam-Lif connaîtra une bataille acharnée qui se terminera par la défaite des
troupes germano-italiennes face aux troupes anglo-américaines.
Le 9 mai 1943, à la libération de la
ville par les troupes alliées et la fuite des Allemands, les forces armées
britanniques envahissent le Palais d’Hammam-Lif, désarment la garde beylicale
et conduisent Moncef Bey manu militari à l’ambassade de France à Tunis, où le
Bey connaîtra une indigne humiliation, durant une longue attente sous les
huées, les insultes et les crachats de la foule européenne et de jeunes juifs
rassemblés devant l’établissement français.
Suite à la fuite de l’amiral Esteva avec
les Allemands vers la Sicile et l’Italie, le général Alphonse Juin arrive la
veille à Tunis afin d’assurer l’intérim de la résidence générale, il demeure
indifférent quant à la maltraitance subie par le Bey, c’est le secrétaire
général de la résidence, Jean Binoche qui vient saluer respectueusement le
souverain, lui demande des excuses pour ce mauvais traitement, lui déclare
qu’il s’agit d’une erreur et ordonne à l’escorte française de ramener le Bey à
son palais. Le lendemain Moncef Bey décide de quitter son palais violé par les
soldats britanniques la veille et de rejoindre sa demeure à La Marsa.
Le mardi 11 mai, le
général Juin demande à Moncef Bey d’abdiquer, ce qu’il refuse sur les conseils
de son frère Hassine et de son Premier ministre M’hamed Chenik. Coriace, le Bey
répond : « J’ai juré de défendre mon peuple jusqu’à mon dernier souffle. Je
ne partirai que si mon peuple me le demande ».
Sur ordre du commandant en chef civil et
militaire de l’Afrique française, le général Giraud basé à Alger, le général Juin
dépose le Bey Moncef, le 14 mai à six heures du matin, les généraux Jurrion et
Morreau se présentent au domicile du souverain et lui demandent de les
accompagner à la résidence de France pour d’urgentes affaires. Mais en cours de
route, le cortège dévie vers l’aérodrome de Laouina, le souverain est forcé de
prendre l’avion, trois heures plus tard, Moncef Bey atterrit en plein désert
algérien à Laghouat, première escale d’un interminable et pénible exil.
Le lendemain a eu lieu la cérémonie
d’investiture de Lamine Bey au trône devant le général Juin, événement
désapprouvé par le peuple tunisien, pour l’illégitimité du nouveau monarque
husseinite.
Détrôné par le lobby colonial d’Alger
autour du général Giraud, accusé de collaboration avec l’Allemagne par Marcel
Peyrouton, qui n’est autre que l’expert du dossier tunisien et ancien résident
général en Tunisie durant les années trente, qui avait trouvé un prétexte pour
régler son compte au Bey Moncef. Inconcevable, sachant que Peyrouton même fut
le ministre de l’Intérieur du premier gouvernement collaborationniste de Vichy.
Le 3 juin 1943, de son
exil à Laghouat, Moncef Bey adresse une lettre argumentée au général Juin,
plaidant contre son injuste destitution, il avait écrit : «Au moment du débarquement anglo-saxon en Afrique du Nord,
l’Amiral Esteva m’apporta un ultimatum du président Roosevelt, me demandant le
libre passage de ses troupes en Tunisie, l’Amiral ajoute que, d’autre part, la
France ayant été envahie par les troupes allemandes, il pensait que demain nous
aurions les Allemands en Tunisie, j’ai demandé à l’Amiral ce qu’il comptait
faire et il m’a dit qu’il gardait sa neutralité en attendant les événements. Je
lui ai dit que je ne pouvais rien faire de moi-même et que je comptais sur la
France et son gouvernement. Vers le 10 novembre, les Allemands et les Italiens
ont commencé à débarquer en Tunisie. J’ai voulu n’avoir aucun rapport avec les
représentants des troupes de l’Axe, j’ai demandé que toutes les communications
me soient faites par l’intermédiaire de la résidence, comme le protocole
l’exigeait. Le ministre italien a demandé de me voir sans l’intermédiaire de la
résidence, l’Amiral m’a dit que je pourrais le voir seul, le ministre italien
m’a demandé d’annuler le traité du Bardo avec la France et d’en faire un avec
l’Italie, j’ai refusé et, le jour même, j’ai prévenu la résidence de cette
demande. L’Axe m’a demandé de parler à la radio, j’ai également refusé et
prévenu la Résidence. L’Amiral Esteva m’a demandé de remettre des décorations
aux autorités de l’Axe, j’ai refusé, il insista à nouveau et il me dit qu’il me
dégageait de toute responsabilité, je lui ai demandé de bien vouloir me
l’écrire, ce qu’il a fait immédiatement. L’Axe a voulu m’emmener en Allemagne
ou en Italie, j’ai refusé et j’ai prévenu la Résidence. Enfin ce que j’ai fait
c’est pour garder ma neutralité et n’avoir à m’entretenir qu’avec la France ».
Le gouvernement français demeure
indifférent à la lettre envoyée, et compte tenu des conditions de vie
difficiles du Sahara, Moncef Bey est transféré dans la ville de Ténès au nord
d’Algérie, avant de rejoindre en octobre 1945 la ville de Pau en France, où il
sera placé en résidence surveillée, accompagné de Chedli Caïd Essebsi, son aide
de camp et compagnon d’exil de toujours.
Le Moncefisme
Par son patriotisme, son engouement pour
son peuple et sa générosité, Moncef Bey avait acquis une popularité énorme, à
son départ pour l’exil, le chagrin et la douleur des Tunisiens étaient sans
égal.
Une chanson populaire fut même composée
par le célèbre poète Arbi El Kabadi, en la mémoire du souverain exilé, chanson
émouvante qui témoigne de la fidélité du peuple tunisien au Bey.
Tous les agissements politiques et
initiatives nationalistes de Moncef Bey, allaient faire de lui le symbole de
l’union nationale, dont le terme consacré est le Moncefisme.
Entre temps, De Gaulle avait nommé un
nouveau résident général français à Tunis, le général Mast qui a mené une
politique de répression contre le peuple tunisien, pour avoir collaboré et
manifesté de la sympathie envers les Allemands durant les sept mois
d’occupation allemande.
La vengeance et les représailles
françaises étaient d’une extrême violence, plus de 9500 Tunisiens ont été
arrêtés en mai 1943, environ 150 condamnés et fusillés et 3000 gardés en prison
jusqu’à la fin de l’année.
Par ailleurs, le mouvement Moncefiste se
concrétisait, avec l’adhésion de toutes les classes politiques et de la
population, et pour revendication fondamentale, le retour sur son trône du
souverain légitime Moncef Bey.
Durant les années
1944, 1945 et 1946, plusieurs actions concrètes seront élaborées par les
dirigeants du Vieux-Destour qui s’était autoproclamé «le parti de la fidélité», Salah Farhat, Chedli
Khaznadar et Ali Kahia seront les ardents revendicateurs du Moncefisme; Moncef
Mestiri et Mohieddine Klibi seront les théoriciens qui y consacreront plusieurs
articles sur leur journal ‘‘Al Irada’’, opérant
ainsi en concordance avec les grands fidèles Moncefistes, ses anciens
ministres, Chenik, Djellouli, El Materi, Badra, et le Prince Hassine Bey.
Parmi les partisans du Moncefisme,
figuraient aussi les dirigeants du Néo-Destour, Salah Ben Youssef et Mongi
Slim. Les Zeitouniens étaient aussi de grands tenants de la fidélité, à leur
tête le Cheikh Fadhel Ben Achour, qui avait célébré, à la mosquée Zitouna,
l’anniversaire de l’accession au trône de Moncef Bey, le 19 juin 1943, alors
que ce dernier était déjà en exil depuis plus d’un mois.
C’est dans ce contexte que, le 20
janvier 1946, émanera l’Union générale tunisienne du Travail (UGTT), présidée
par le Cheikh Ben Achour et fondée par le leader syndicaliste Farhat Hached,
qui ira à Pau présenter les hommages de la nouvelle organisation au souverain
exilé et solliciter sa présidence d’honneur.
Toutes ces honorables personnes citées
seront la cheville ouvrière du Moncefisme, leurs visites à Pau se succédaient
afin de porter soutien a Moncef Bey exilé, ce dernier recevaient aussi
constamment la visite des comités d’étudiants tunisiens en France et en Europe,
ainsi que des dizaines de courriers par jour provenant de Tunisie envoyés par
la population qui lui exprimait son soutien.
Tous ces efforts seront concrétisés par
la constitution du Front national et à la tenue du Congrès de la Nuit du
Destin, le 23 août 1946, où l’on verra l’union de tous les courants politiques,
Vieux-Destour, Néo-Destour, Zeitouniens et UGTT, sous un seul et principal mot
d’ordre, la réhabilitation de Moncef Bey sur le trône Husseinite.
Ce congrès fut une première
démonstration de consensus démocratique, dans la mesure où il affirma l’unité
nationale autour de deux revendications charnières, le retour du souverain
exilé et l’autonomie gouvernementale.
Dès la fin du congrès, le résident Mast
organise une rafle monstre et procède à l’arrestation de la plupart des
participants. Face à cette tension populaire, la France se trouvera dans
l’obligation de rappeler le général Mast et de nommer, le 3 février 1947, un
nouveau résident général à Tunis, Jean Mons, qui aura pour mission d’introduire
des réformes substantielles afin d’apaiser les tensions des nationalistes.
Le résident Mons proposera à M’hamed
Chenik, Aziz Djellouli et Mahmoud El Materi de faire partie de son nouveau
gouvernement, proposition déclinée par ces derniers devant le refus de la
France d’autoriser le retour de Moncef Bey. Mons se rabattra alors sur Mustapha
Kaak qui sera nommé au poste de Grand vizir sous Son Altesse Lamine Bey.
La tentative d’évasion
échouée de Moncef Bey de Pau
La volonté et l’obstination des
Tunisiens de faire revenir le souverain exilé en Tunisie ira jusqu’à programmer
une opération d’évasion de Moncef Bey de Pau. Les instigateurs de ce projet
sont quatre jeunes hommes, deux d’entre eux étaient les fils des Moncefistes,
Aziz Djellouli, ancien ministre de Moncef Bey, et de Mohamed Salah Ben M’rad,
Cheikh El Islam sous Moncef Bey, respectivement Hedi Djellouli et Bechir Ben
M’rad, épaulés par leurs amis Lamine Bellagha et Mondher Ben Ammar.
L’opération d’évasion était programmée
pour le 14 juillet 1947, jour de fête nationale pour la France, où la police
française serait plus préoccupée par l’organisation des festivités que par la
surveillance de Moncef Bey. Le cerveau de la bande, Hedi Djellouli avait réussi
à obtenir deux faux passeports de la part d’une amie française qui occupait un
haut poste au ministère de l’Intérieur à Paris, l’un était destiné à Moncef Bey
sous un faux nom et une fausse profession de commerçant, et l’autre a été
envoyé à Bourguiba réfugié au Caire, par l’intermédiaire de l’ambassade de
Syrie via les Affaires étrangères égyptiennes.
Bourguiba a été
sollicité par Lamine Bellagha pour une aide du Néo-Destour afin d’organiser
l’évasion de Moncef Bey, la proposition a été rejetée par Bourguiba, ainsi,
d’après l’interview datant du 30 août 1986, de Harry Blank, agent de la CIA
chargé du dossier tunisien: «Bourguiba n’était pas du
tout favorable à la fuite de Moncef Bey de Pau, et il avait aussi envoyé son
conseillé libano-anglais Cecil Hourani à Genève rencontrer Lamine Bellagha afin
de contrôler les opérations et maîtriser les évènements», voire à
faire capoter l’évasion.
D’ailleurs, Bourguiba, bien que
titulaire d’un faux passeport depuis 1947, il l’avait mis de côté, et ne s’en
est servi que deux années plus tard pour rentrer à Tunis, en septembre 1949,
avec l’accord du résident Mons, un an après la mort de Moncef Bey.
Passons et reprenons le fil de
l’histoire, les préparatifs de l’évasion commencèrent après avoir obtenu
l’accord de Moncef Bey, cette opération avait coûté 1 million de francs, Bechir
Ben M’rad allait se charger du déplacement de Moncef Bey de Pau vers Biarritz,
où Hedi Djellouli avait affrété un avion qui fera le trajet jusqu’à un
aérodrome aux frontières suisses près d’Annecy, où les attendaient Lamine
Bellagha et Mondher Ben Ammar à bord d’une voiture Delahaye, achetée pour
l’occasion, et qui par la suite effectueraient le chemin jusqu’à Genève, pour
prendre la fuite vers l’Egypte, grâce aux billets achetées du vol Genève/Le
Caire et au faux passeport délivré à Moncef Bey.
Malheureusement, l’opération n’aura pas
lieu, Moncef Bey refusera de partir et s’excusera auprès de Bechir Ben M’rad,
en lui rétorquant qu’il n’était pas apte physiquement pour risquer une telle
aventure, Hedi Djellouli prendra seul l’avion de Biarritz à Annecy pour
expliquer les raisons de l’échec de la tentative à ses camarades.
C’est le Prince Hassine, frère de Moncef
Bey, qui par son intervention hâtive avait empêché l’évasion de son frère, en
le convainquant de ne pas les suivre, et le mettant en garde contre
l’irresponsabilité de ces jeunes stratèges et au risque qu’il courait si jamais
il se faisait capturer durant sa fuite par les autorités françaises, qui
pourraient être informés par une taupe.
Cet épisode avait pris fin par l’échec
de la tentative d’évasion sans que jamais le gouvernement français ni encore
moins le peuple tunisien ne doutent de l’existence d’une telle initiative pour
faire évader le souverain exilé.
Plaque commémorative
apposée par Mr Bayrou,
sur la maison où le Bey
était prisonnier à Pau
Les promesses du
Résident Mons sur le retour de Moncef Bey
Avec les événements et heurts qui
opposèrent les manifestants tunisiens aux autorités françaises, durant les
grèves organisées par l’UGTT à Sfax et Gafsa, faisant 30 morts et plus de 150
blessés du côté des grévistes, la tension s’intensifia dans le pays, et afin de
calmer les agitations populaires et d’essayer de trouver un terrain d’entente
avec les Tunisiens, le résident général Jean Mons avait compris que l’affaire
tunisienne ne pouvait être résolue que par le retour de Moncef Bey sur son
trône, information que Mons avait rapportée plus tard dans ses mémoires.
Lorsque le Gouvernement français prit connaissance des desseins de Jean Mons et
ses intentions de ramener Moncef Bey en Tunisie, le président français Léon
Blum par le biais du lobby colonial d’Alger fera pression sur le résident Mons
et lui ordonnera de faire avorter le projet de restauration de Moncef Bey au
trône.
Par ailleurs, à Pau, l’état de santé du
souverain exilé commençait à se détériorer peu à peu, et cela coïncidait en
même temps avec la volonté de Jean Mons de faire revenir Moncef Bey à Tunis.
Quelques mois plus tard, cette
coïncidence soulèverait des doutes sur les circonstances de la mort prochaine
du Bey Moncef, surtout qu’à la veille de sa mort, M’hamed Chenik était parti à
Paris afin d’obtenir l’autorisation pour le retour du souverain exilé à Tunis.
La mort de Moncef Bey
Le 1er septembre 1948, Moncef Bey décède
à Pau à l’âge de 67 ans, après cinq années d’exil, une mort tragique et
énigmatique qui demeure injustifiée jusqu’à nos jours par l’absence d’une
autopsie.
Son corps est rapatrié à Tunis pour être
enterré au cimetière du Djellaz au milieu de son peuple, comme il l’avait
demandé jadis et non pas aux côtés de ses ancêtres inhumés au mausolée de
Tourbet El Bey à la Médina.
Son enterrement fut un jour de deuil
national, jamais auparavant la Tunisie n’avait connu de pareils rassemblements
populaires et d’aussi importantes affluences, même plus tard le retour de
Bourguiba du 1er juin 1955 n’était pas de la même envergure ni de la même
ferveur populaire.
Dans une profonde émotion, les Tunisiens
étaient par dizaines de milliers dans les rues, conduits par Farhat Hached et
les ardents Moncefistes, du port de Tunis-Marine à la colline sacrée de Sidi
Belahssen Chedli pour suivre le cortège funèbre du Souverain Martyr Moncef Bey.
Révélations sur les
raisons de sa destitution et les circonstances de son décès
Des années plus tard,
Roger Casemajor, ex-chef des services de renseignements de la police française
à Tunis, écrit dans un rapport : « Par cette attitude de bascule
entre les diplomates étrangers et les autorités du protectorat, le Bey de Tunis
fit preuve d’une grande souplesse politique qui lui permit de servir les
intérêts de ses sujets et la cause de son pays. »
En 1959, le général
Juin qui avait destitué Moncef Bey en 1943, c’est lui qui rétablira une grande
part de la vérité historique dans ses mémoires, en confirmant que les
directives qui lui ont été données exigeaient la déposition de Moncef Bey «pour de prétendus faits de collaboration avec les puissances de
l’Axe au cours de l’occupation et aussi pour les complaisances un peu trop
marquées qu’on lui prêtait envers les agissements du Destour, parti
nationaliste militant ouvertement hostile au protectorat». Il ajoute
: « Je me livrai donc, à une rapide enquête afin de savoir si le Bey
ou d’autres personnages de la Cour beylicale s’étaient vraiment compromis avec
les autorités occupantes. Je ne découvris aucun grief sérieux. Le Bey avait
vécu replié dans son palais, prenant prétexte de sa situation de souverain
protégé pour détourner vers le résident général toutes discussions se
rapportant aux affaires de la régence. » Il note :« Pouvait-on reprocher au Bey Moncef d’avoir, sur l’insistance du
résident général ou de quelqu’un de son entourage, apposé son sceau sur un
firman conférant des distinctions de son ordre, le Nichan Al-Iftikhar, à des
personnalités ennemies. Il avait toutefois refusé formellement de les remettre
lui-même. (…) Restaient les sympathies pro-destouriennes, invoquées comme
griefs, et qui risquaient de faire prendre au procès intenté au Bey un tour
tendancieux. Mais les instructions avaient, encore une fois, un caractère
impératif et l’on insistait d’Alger pour que l’opération eût lieu à chaud afin
de profiter du désarroi des esprits et du choc produit par la défaite des
puissances de l’Axe. Je ne pouvais qu’obéir ». Il conclut : « Il m’est souvent
arrivé depuis ces événements de regretter, en pensant aux circonstances qui les
déterminèrent, que dans sa précipitation, et disons aussi dans son ignorance
des données exactes de la situation politique en Tunisie, le
pseudo-gouvernement d’Alger m’eût imposé l’exécution d’un acte impolitique, au
détriment d’un souverain auquel il n’y avait rien de grave à reprocher. »
Après la fin de la 2e guerre mondiale,
des archives du Troisième Reich ont été retrouvées à Berlin sur la question de
Moncef Bey : une lettre du ministre plénipotentiaire allemand résidant en
Tunisie, Rudolf Rahn, adressée à Adolf Hitler, a révélé l’obstination de Moncef
Bey et son refus de collaboration avec les Nazis, soulignant le fait qu’ils
avaient eux aussi envisagé de le déposer.
Ces correspondances dévoilées avaient
suscité la réaction des journaux français et de l’opinion publique qui ont dénoncé
cette dérive et l’injustice à l’encontre du monarque tunisien déchu.
Le témoignage du général Alphonse Juin
aurait pu suffire pour réparer l’énorme injustice commise par la république
française à l’encontre de Moncef Bey, de son peuple et de la Tunisie.
Certes le règne de onze mois de Moncef
Bey fut le plus court en durée mais en revanche le plus riche en événements et
en péripéties de toute la Dynastie Husseinite.
L’histoire retiendra que par son
dévouement pour son peuple, Moncef Bey a affirmé sa personnalité politique et
ses qualités d’homme d’Etat en illustrant la souveraineté et le patriotisme
tunisien, ce qui le fera bénéficier de tout le respect, l’affection et la
fidélité du peuple tunisien.
L’histoire retiendra aussi, qu’en raison
de ses intérêts nationalistes, la France coloniale avait essayé par tous les
moyens possibles d’écarter Moncef Bey du trône et de ne plus jamais songer à
son retour à sa mère patrie, afin de laisser place éventuellement à un nouveau
leader national qui lui serait plus favorable et plus malléable pour la
question de la décolonisation à venir.
Bien que les circonstances de la mort du
Souverain Martyr demeure une énigme, nombreux sont ceux qui soutiennent la
thèse de l’empoisonnement par son médecin franco-algérien.
Cependant, le médecin,
professeur et historien Said Mestiri, auteur d’un ouvrage intitulé ‘‘Moncef Bey’’, dans lequel il évoque les antécédents
de santé physique du Bey, qui possiblement pourraient avoir causé son décès,
mais il n’écarte pas toutefois la thèse de l’implication de la France dans sa
mort, surtout après avoir pris connaissance de certains rapports du lobby
colonial d’Alger, qui révèlent l’intensité de leurs rancœur envers le Bey
Moncef, leurs acharnement à le maltraiter et leurs détermination à le garder en
exil et à l’écart du pouvoir, ce qui prouve qu’ils pourraient être capables du
pire pour arriver à leurs fins.
Un rapport des médecins traitants de
Sidi Moncef Bey, datant du 3 octobre 1947, soit un an avant sa mort, confirme
l’indifférence et le désintéressement intentionnel des autorités françaises par
rapport à la détérioration de la santé physique du souverain exilé.
Conséquences menant à son décès.
Rapport médical : « Les médecins soussignés, Docteur Simian, médecine générale, Le
Blay, cardiologie, Tachot, urologie, médecins traitants de son Altesse Moncef
Pacha Bey, estiment de leur devoir d’attirer l’attention des pouvoirs publics
sur les faits suivants : son altesse vient de faire au cours d’une crise
d’hypertension paroxystique un ictus avec séquelles de parésie de la jambe et
de la vessie. Cette crise dont les suites évoluent favorablement s’est
développée sur un état permanent grave d’hypertension et d’insuffisance rénale.
Le retour des accidents est à craindre dans un délai plus ou moins rapproché.
Il est certain qu’ils sont les conséquences du tourment moral et de l’état de
réclusion du malade. De plus, le climat européen, l’immobilité, ont aggravé
progressivement son état comme nous avons pu le constater au cours des examens
cliniques et de laboratoires pratiqués régulièrement depuis deux ans.
L’équilibre souhaitable pour la santé du malade pouvant seul conjurer le retour
d’accidents qui peuvent être des plus graves et même entraîner une issue fatale
serait obtenue, si le malade était placé dans son climat d’origine et son
milieu habituel. Quant à nous, médecins traitants, nous dégageons notre
responsabilité, si les mesures nécessaires ne sont pas prises dans le sens que
nous indiquons. »
Cet avertissement des médecins restera
sans réponse et nous connaissons la suite de l’histoire.
Par cette occasion, je tiens à lancer un
appel aux autorités concernées et à la société civile tunisienne, afin de
dédier un Mémorial en hommage au Souverain Marty Moncef Bey, et qui
consisterait à la restauration du Palais beylical d’Hammam-Lif, délabré et
abandonné depuis des décennies, et à sa réhabilitation en un Musée national
portant le nom de Moncef Bey, qui accueillerait une exposition relatant toute
l’histoire et le parcours nationaliste du Bey Moncef et ainsi que les règnes
des différents monarques qui ont résidé dans ce palais.
Par cette démarche, nous aurons remédié
un tant soit peu à la mémoire oubliée de notre Souverain Martyr, et par la même
opportunité, cette initiative participera activement à la création d’une réelle
dynamique culturelle et touristique dans la ville d’Hammam-Lif. **
* Etudiant.
**Sources : ‘‘Moncef Bey’’, de Said
Mestiri; ‘‘Témoignages et Mémoires des héritiers de Sadok Zmerli, chef du
protocole de Moncef Bey’’; ‘‘Mémoires d’Alger, Tunis, Rome, du Général Alphonse
Juin’’; ‘‘Évolution politique de l’Afrique du Nord musulmane 1920-1961’’, de
Roger Le Tourneau ; ‘‘L’action nationaliste en Tunisie: du pacte fondamental de
M’hamed Bey à la mort de Moncef Bey : 1857-1948’’, de Roger Casemajor.
Olivier Jamil
: Très rare photo de Charles Albert vers 1887 de 4 jeunes princes, 4 Cousins, 4 Bey M'hal, dont le dernier Bey de la Dynastie Husseinite ...De gauche à droite, Si Lamine Bey en uniforme, Si Tahar Bey assis, Si Béchir Bey, et Si Moncef Bey assis ...
La hiérarchie selon l'âge dynastique husseinite est respectée dans cette photo : le plus âgé Si Tahar est le Bey El Korsi (trône) sur cette photo car né en 1877, Si Béchir à sa droite en Bey M'hal né le 1er février 1881, ensuite Si Moncef assis en Brinji Bey né le 4 mars 1881 et Si Lamine à gauche, le 4e dans l'ordre de succession car né le 4 septembre 1881.
Faiza Bey :
RépondreSupprimerLe partage du monde et celui de l'empire ottoman, a été décidé par les puissances occidentales à la conférence de Berlin tenue du 15 novembre 1884 au 26 février 1885.
Les Husseinites bien que d'origine turque, se sont tunisianisés et ont défendu la Tunisie contre les ottomans.
Ce sont les Beys Husseinites qui ont créé et organisé :
- l’armée pour défendre le pays,
- l’administration Tunisienne,
- le JORT, (journal officiel)
- le drapeau national ( créé par Ali Bey II le 20 octobre 1827),
- l’école de guerre,
- la première flotte de guerre,
- les musées,
- les représentations diplomatiques et consulaires,
- la première constitution dans un pays arabe,
- l’abolition de l’esclavage,
- la sadikia pour l’enseignement moderne,
- etc etc ...
jusqu’à la signature de l’indépendance et la promulgation du CSP par Lamine Bey !
http://www.espacemed.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=137:la-dynastie-husseinite-en-tunisie-monarchique&catid=38:espace-culturel&Itemid=27
http://tunisie.co/article/1426/actus/informations/histoire-du-drapeau-de-la-tunisie-252122
Destitution du Bey de Tunis en 1957
RépondreSupprimerhttps://harissa.com/news555/fr/destitution-du-bey-de-tunis-en-1957?fbclid=IwAR0LVnBQJR4HZrNR6RLJwSqdC0v3jph68gVon3Q93li6KdmBrdqyQ2Xkg4M
VISITE DE PALAIS BEYLICAUX : mélange d'art arabo-mauresque et d'art italianisant.
RépondreSupprimerLa communauté italienne était forte en nombre par rapport aux autres colonies occidentales présente en Tunisie ... dont la française, qui était la moins importante.
Ceci explique cela : l'introduction de l'art italien dans les palais et les résidences bourgeoises s'est faite "naturellement", grâce à cette communauté italienne qui va influencé le goût des tunisiens de l'époque.
PS : Trésors artistiques, qui méritent d’être conservés et réhabilités !
Mohamed Khaled Hizem :
Dans la Tunisie du XIXe siècle, les splendeurs méconnues des palais beylicaux au Bardo...
https://www.huffpostmaghreb.com/entry/dans-la-tunisie-du-xixe-siecle-les-splendeurs-meconnues-des-palais-beylicaux-au-bardo_mg_5c90f6e7e4b0d50545004df4?ncid=other_facebook_eucluwzme5k&utm_campaign=share_facebook&fbclid=IwAR3h9TmpCy8US6SIY1jrtKsoYNQb0cWD3JahN0YSbtYY5oRm6YDRb_4ldHE