Parcours
d'un journaliste d'investigation brillant, qui s'est laissé piéger par les
Frères musulmans. A l'insu de son plein gré ? Devenu l'ami de Tariq Ramadan, il
s'attaque à tous ceux qui l'attaquent et dénoncent l'islamisme, les accusant
d'islamophobie. Créant ainsi un amalgame entre islam et islamisme au nom
d'un communautarisme aveugle;
puisque les Frères musulmans prennent en otage l'islam de France et les Français de confession musulmane.
Or le Qatar finance les Frères musulmans et finance aussi son
journal Médiapart.
Ceci expliquerait-il cela ?
R.B
L'ombre d'un doute
Edwy Plenel, enquête sur l'enquêteur
La raison a cédé début novembre dans un café de Hanoï. Edwy Plenel venait
d’atterrir avec son épouse, la sociologue Nicole Lapierre, pour
quelques jours de vacances. « C’était un cadeau pour mon anniversaire,
confie-t-elle d’une voix douce. Nous avions prévu de souffler un peu. » Qu’il
est dur parfois de partager depuis quarante ans la vie d’un homme qui
entend secouer la presse et porter la vérité, combat de chaque instant, des
premiers scoops au Monde dans les années 1980
jusqu’aux affaires Karachi, Cahuzac, Bettencourt révélées
par son site Mediapart. Le journaliste est encore dans les
brumes du décalage horaire quand il se découvre, sur son téléphone, en
couverture de Charlie Hebdo. Il est là, réduit à un petit singe
savant, sa célèbre moustache masquant tour à tour la bouche, les yeux, les
oreilles avec ce titre ravageur sur fond rouge : « Affaire Ramadan. Mediapart révèle
: on ne savait pas. » Et bam, Plenel accusé d’avoir négligé ou,
pire, couvert les agissements de l’islamologue. La caricature est évidemment
injuste : aucune enquête menée sur Tariq Ramadan n’avait
évoqué de violences envers les femmes jusqu’aux deux plaintes pour viol
déposées à l’automne. Mais l’hebdo satirique a choisi de se payer le fondateur
de Mediapart, ou plutôt ce qu’il représente à ses yeux : un journaliste
d’investigation devenu donneur de leçons, procureur idéologue jouant avec les
lignes jaunes.
Charlie n’a jamais oublié cette sentence plénélienne prononcée le 22 janvier 2015,
après le massacre de ses journalistes : « La haine ne peut pas avoir l’excuse
de l’humour », avait déclaré le grand Edwy au Petit Journal.
Alors, d’un coup de crayon, la dessinatrice Coco se venge. Et
Plenel suffoque dans la chaleur de Hanoï. Il dégaine ce tweet insensé : «
L’affiche rouge de Charlie contre Mediapart. “Ils
peuvent me haïr, ils ne parviendront pas à m’apprendre la haine”. »
Porté par ces mots du pacifiste Romain Rolland, le journaliste
s’identifie carrément aux résistants traqués par le régime de Vichy. Et il
enrage encore sur France Info contre une « gauche égarée (...) qui trouve
n’importe quel prétexte, n’importe quelle calomnie pour en revenir à une
obsession : la guerre aux musulmans ». Flambée sur les ondes : Manuel Valls veut
que Plenel et son site « rendent gorge » ; Franz-Olivier Giesbert,
l’ex-patron du Point, le traite de « troisième frère Kouachi »
avant que L’Express ne l’accuse de « diviser la France ».
C’est beaucoup pour un seul homme mais
c’est ainsi : Plenel met le feu, même du bout du monde. Il y a toujours eu
autour de lui de l’ambiguïté et des tensions. Ses ennemis le jugent dangereux ;
ses fidèles le disent victime d’un complot fomenté par tous ceux qu’il
dérange : les puissants, les réacs, les jaloux du succès de Mediapart.
Chacun veut qu’on le sanctifie ou qu’« enfin, on le démasque ». Mais il a tant
de visages : Edwy l’enquêteur, idole des écoles de journalisme ; Edwy
l’humaniste, frère cathodique adorateur de Péguy et Césaire ;
Edwy le start-upper, marathonien des tables rondes jusque dans la France
profonde ; Edwy la menace, bête noire et parfois complice des politiques.
Aucun journaliste ne suscite, depuis plus
de trente ans, autant d’admiration et de haine. Les années filent, lui ne
bouge pas. La moustache reste noire, implacable.
Il paraît qu’on en rit à Mediapart de
ces bacchantes devenues presque un logo marketing. Certains se demandent si des
teintures ne préservent pas la couleur d’origine. De petits dazibaos
s’affichent dans les couloirs avec un Edwy disant : « J’aurais voulu être Paul
Newman. » On ne verra rien sur place ; Plenel nous attend à la porte devant ce
petit immeuble du passage Brulon, non loin de la Bastille. Doudoune sans
manches sur chemise bleue, son uniforme, il file avec un trousseau de clé à la
recherche d’une salle de réunion vide. Il ne propose même pas un tour de la
rédaction. Ici, ça bosse : on a fait tomber Cahuzac en attendant de coincer ce
« bandit » de Sarko – ça
devrait arriver à force de chercher les preuves de ses financements libyens. On
dénonce des prédateurs sexuels, l’écologiste Denis Baupin (l’enquête
judiciaire a été classée sans suite), le député Jean Lassalle, mais
aussi un entraîneur de motocross de Loire-Atlantique. On épingle des ministres
de la Macronie, comme Florence Parly qui a gagné plus de 315
000 euros en 2017 pour cinq mois à la SNCF – rien d’illégal mais « honteux ».
Et que dire de la secrétaire d’État Marlène Schiappa, redevable de
1 156 euros aux impôts, une taxe d’habitation non payée avant d’entrer au
gouvernement ? « On trouve ce qu’on cherche », rappelle le général Moustache,
comme le surnomment ses troupes. Dans l’ascenseur, il les salue d’un discret
signe de tête. Ses petits yeux sont aux aguets, de tous les côtés, jamais
vraiment en face. « Ici, il y a un côté village d’Astérix. On est indépendants
et on en paie le prix. On fait tout nous-mêmes », glisse-t-il en ouvrant une
salle. Voici un coin paisible. Edwy Plenel s’installe sur une
chaise en plastique, front soucieux, mains sur la table, prêtes à l’interrogatoire.
« D’accord pour vous parler, mais pas de vie privée, pas de petites phrases.
Vous aimez les portraits, mais moi, je m’en méfie. » Les mots roulent,
martèlent, précis, en quête de théorie : « C’est devenu une forme de
fainéantise du métier, la personnalisation. Je suis contre. À force de psychologiser,
on oublie la culture de l’enquête, on perd le sens. » Il voudrait nous
rééduquer, « il faut lire mes livres », une vingtaine d’ouvrages auxquels il
renvoie sans cesse. Le Droit de savoir (Don Quichotte, 2013)
par exemple, dans lequel il professe son engagement de journaliste au service
d’une « radicalité démocratique ». Pas besoin de discuter, en somme : la pensée
plénélienne, gravée dans le marbre, est cohérente ; la pratique, c’est autre
chose. Il tient à commencer par les chiffres, sortis d’un petit dossier.
« Voilà les derniers résultats : 140 000 lecteurs payants, plus de 1 3 millions
d’euros de chiffre d’affaires, près de 2 millions de bénéfices. » Un modèle
unique qui lui a valu, au printemps 2017, une invitation à l’université de Chicago.
Enfin un demi-sourire : « Pas mal non ? »
« Qu’est-ce
qu’il est beau, Villepin ! »
Mediapart, c’est
l’histoire d’un succès bâti sur un échec. Fin 2005, Edwy Plenel part
du Monde qui fut durant vingt-cinq ans sa maison, sa passion.
Adieu sans discours, sans pot de départ, avec un gros chèque – 450 000 euros
d’indemnités – obtenu, de son propre aveu, en menaçant de publier les salaires
du comité de direction. « Ce fut d’une grande violence, lâche-t-il, avant de
préciser avec ce souci méticuleux des dates : j’étais entré au Monde le
2 mai 1980. » La belle époque, percée dans la grande presse à 30 ans, après une
décennie à la Ligue communiste révolutionnaire où Krasny – son pseudo – avait
brillé par son intelligence vive et sa plume en lutte dans les colonnes
de Rouge, le journal du parti. Déjà, il avait la moustache et
Nicole, son roc. Cette fille de médecin juif polonais, rencontrée à la Ligue, a
cinq ans de plus, un petit garçon et un joli cursus de sociologue forgé à
l’ombre du grand Edgar Morin. Edwy Plenel, lui, n’a pas poussé loin
les études – une année de mathématiques, deux de sciences politiques –
interrompues par la passion militante. Mais il possède la première qualité d’un
journaliste : une curiosité vorace pour les choses du monde, née d’une enfance
tristement éclose à Nantes avec la mort d’un petit frère, poursuivie au soleil
brûlant de la Martinique et de l’Algérie postcoloniale. Ces exils l’ont marqué
à jamais. Edwy veut tout comprendre et démonter le système qui a détruit son
père, Alain, dégradé de son titre de recteur pour avoir défendu, en 1959, les
indépendantistes de Fort de France.
Peu après
son arrivée au Monde, en1983, le fiston transmet le dossier au
conseiller élyséen afin d’obtenir une réhabilitation. L’honneur du père sera
rétabli mais les plaies familiales sont indélébiles. « Les femmes ont trinqué
dans cette histoire », souffle Plenel puis, d’une voix blanche : « Ma mère est
morte d’alcoolisme, ma sœur s’est suicidée. » Pour survivre, il faut lutter. Le
journaliste se fait vite remarquer dans les milieux du pouvoir, en rejoignant
la rubrique police du quotidien après des débuts à l’éducation. « Edwy est
fasciné par les complots, les histoires de l’ombre, se souvient un ancien
du Monde. Il pense la police comme un instrument politique. » Il se
nourrit, lit, sympathise avec de grands flics comme Bernard Deleplace qui
dirige la FASP, principal syndicat de police à l’époque, et restera un ami pour
la vie. Échanges de services et d’infos, les beaux coups tombent
naturellement : l’affaire des Irlandais de Vincennes, le dossier Farewell et
puis ce scoop magistral sur le Rainbow Warrior, le bateau de
Greenpeace coulé le 10 juillet 1985 en Nouvelle-Zélande. Le journaliste démarre
tard et mal, comme le montre la rigoureuse biographie de Laurent
Huberson (Enquête sur Edwy Plenel, 2008). Mais il a de la
chance : un ancien copain de la Ligue, Jean-Paul Besset, est au
cabinet du premier ministre, Laurent Fabius, et un autre,
Georges Marion, travaille sur le sujet au Canard enchaîné.
Plenel et lui font équipe et c’est Marion qui obtient l’aveu d’un commissaire :
le Rainbow Warrior a bel et bien été dynamité par les services
secrets français. Mais puisque la direction du Canard freine,
il laisse son ami sortir le scoop dans Le Monde. C’est ainsi :
Plenel œuvre souvent en tandem mais il prend toute la lumière.
À
l’époque, François Mitterrand a déjà décidé de le placer sur
écoute. Il s’inquiète de ce journaliste trop bien informé qui révèle des
secrets d’État et menace au téléphone d’« assassiner politiquement » un de ses
ministres. Que veut-il au juste ? Pourquoi cherche-t-il toujours à le
déstabiliser, à fouiller son passé et celui de son entourage ? Plenel est l’un
de ces « chiens » que le président dénoncera aux obsèques de Bérégovoy et
le journaliste lui répondra dans Un temps de chien (Stock,
1994). Seule Mazarine échappe à sa plume inquisitrice. Il
sait, bien sûr, mais ne dit rien. Pas touche à la vie privée, principe
plénélien, même si l’enfant coûte cher à la République. Le scandale des écoutes
finira par éclater en 1993. Toute la vie d’Edwy, jusque dans son intimité, a
été retranscrite. Il est meurtri, mais la légende décolle.
Jean-Marie
Colombani le nomme à la tête de la rédaction du Monde. « Edwy
était un formidable animateur d’équipe », se souvient l’ancien directeur du
quotidien, qui fut aussi son témoin de mariage. Ensemble, ils fréquentent le
Tout-Paris des affaires et de la politique. Plenel tombe sous le charme du
secrétaire général de l’Élysée, Dominique de Villepin, alors
gardien des dossiers chauds de la Chiraquie. Tout le séduit : son pouvoir, son
panache, son goût de la poésie, notamment celle de leur ami commun Édouard
Glissant. « Qu’est-ce qu’il est beau, Villepin ! » confie Edwy à
quelques confrères éberlués de le voir si tendre avec un aristo de droite. Il
faut « penser contre soi-même », répète Plenel. Il bosse comme un fou, crée une
rubrique « argent », ce poison qu’il déteste parce qu’il corrompt tout. Il
s’intéresse à l’art, aux sciences, à la littérature, un peu moins à la religion
puisqu’il ne croit pas en Dieu.
Pieds sur
la table avec son gros cigare, Plenel refait Le Monde sous les
yeux fiévreux de sa « garde noire » : des hommes, souvent vêtus de sombre comme
lui, admiratifs de son énergie, des PV de police qu’il obtient comme par magie.
Avec les femmes de la rédaction, il est plus distant. Un jour, Plenel demande à
une journaliste très enceinte de couvrir une grève. Ses collègues s’offusquent
gentiment, pointent le ventre. « Enfin, vous auriez pu me dire qu’elle
attendait un enfant ! » s’agace-t-il. On lui passe tout, il est génial. Il
pleure en brassant l’histoire de son père et celle des Damnés de la
terre de Frantz Fanon. Il canarde à tout-va, Chirac,
Jospin... Qu’il aille au diable ce socialiste qui refuse d’assumer son
passé trotskyste ! Trouvons les preuves de son adhésion à l’OCI, ordonne
Plenel. Lui, il ne renie rien, raconte les années à la Ligue dans ses Secrets
de jeunesse qui lui vaudront le prix Médicis. La vérité, il n’y a que ça de
vrai. Mais l’enquêteur parfois s’emballe. En 1991, lors d’un reportage sur les
traces de Christophe Colomb, il écrit que le Panama de Noriega a
financé le parti socialiste français, en s’appuyant sur des faux. Il se laisse
encore embarquer, en 2003, quand son camarade Besset, entre-temps
embauché au Monde, promet des révélations sur l’affaire Baudis.
Besset aurait enfin des éléments matériels attestant que l’ancien maire de
Toulouse tremperait dans une histoire de pédophilie. « Méfiance », conseillent
plusieurs journalistes. Plenel persiste. « Ces petits messieurs ont les fesses
sales », lui a glissé son ami Villepin, qu’il vénère depuis son récent discours
à l’ONU. L’article sort le 17 juillet 2003. Il relate les « soirées suspectes »
qui ont eu lieu dans une maison où serait passé Baudis, les « anneaux fixés à
hauteur d’enfant » sur les murs. Un film d’horreur, mais tout est faux.
Scandale. Plenel couvre son journaliste avant de commander, en bon
dialecticien, « une contre-enquête ». Ce soir de décembre, dans la petite
salle de Mediapart, il dit : « On m’a fait un faux procès avec
cette affaire Baudis. J’en ai discuté avec son fils. J’ai été parrain de sa
promo du CFPJ [en 2013]. Il m’a même appelé après la mort de son père. » Pierre
Baudis n’a pas tout à fait ce souvenir : « Je n’ai jamais rien
pardonné à Plenel, s’indigne-t-il. Je lui ai dit que j’avais voulu devenu
journaliste par réaction à lui, à ce qu’il nous a fait. »
Cette année
2003 sort le brûlot de Pierre Péan et Philippe Cohen, La
Face cachée du Monde (Fayard). Plenel est visé, lui et ce journalisme
qui « ne fait que recopier des PV négociés dans le bureau des juges ».
Ignominie, répond-il aux côtés de ses co-accusés, Alain Minc et Jean-Marie
Colombani. Il dénonce un complot, annonce une « plainte pour diffamation »
déposée par son avocat, Jean-Pierre Mignard, qui le défend depuis
ses premières turpitudes à l’armée, en 1979, quand l’indiscipline le menait au
gnouf. Mais la guerre est perdue. Les ventes du Péan-Cohen s’envolent et Paris
se moque de Plenel caricaturé en commissaire politique dans « Les Guignols ».
Il est temps de partir.
Sauvés
par Liliane Bettencourt
Désormais,
Edwy boit du whisky au Select en plein après-midi. Les rides creusent son
visage : il ressemble de plus en plus à Georges Brassens, sans
l’humour ni la pipe. Il a arrêté le cigare. Ses copains se font du souci en
cette année 2006. Ils sont nombreux à l’entourer, souvent des anciens
camarades de lutte. Au premier rang, Michel Broué, grand mathématicien,
directeur de l’Institut Poincaré, mari de l’actrice Anouk Grinberg,
qui fut formé à l’OCI dans les traces d’un père proche de Trotsky. « Edwy et
moi, dit-il, c’est une amitié faite de réactions tripales partagées. » Il vient
soutenir Plenel durant le procès des écoutes de l’Élysée qui s’ouvre alors. Il
l’initie aussi à Internet : « Je lui montre comment on fait une page Web, il
pige que couic. » Un ancien de la Ligue, Paul Alliès, professeur de
droit à Montpellier, pousse Edwy à enseigner et crée pour lui, dans sa fac, un
master de journalisme. Le Parisien s’exile alors quelques jours par semaine et
surveille ainsi les travaux de son joli mas acheté à Pézenas, au milieu des
vignes de l’Hérault. Jean-Pierre Mignard lui conseille aussi
d’écrire un livre avec son ami Hollande en vue de la
présidentielle : « Il me paraissait bien que François pose ses idées avec celui
qui avait ardemment combattu la Mitterrandie, précise l’avocat. Ça lui
permettait de solder le passé de cette gauche-là. » Les entretiens ont lieu au
siège du PS. Le journaliste vient avec des textes de politologues et de
philosophes comme Jürgen Habermas. « C’était passionnant, se
souvient François Hollande, enjoué dans ses nouveaux bureaux silencieux.
Edwy m’a fait parler de ma conception du pouvoir, avec ces sujets qui lui
tiennent à cœur : le passé colonial, la transparence de l’État, le rapport aux
puissances d’argent... » Au passage, Plenel demande de l’aide : il pense à
monter un journal. Les discussions ont débuté avec le magnat du luxe François
Pinault. Mais voilà que Libération est à prendre. Plenel a
déjà constitué sa petite équipe avec des fidèles du Monde, François
Bonnet, ex-chef respecté de l’international, Laurent Mauduit,
plume du service économie ainsi qu’un ancien pilier de Libé, Gérard
Desportes. Tous ont été trotskystes, à des degrés divers, et partagent la
même vision du monde et d’un journalisme offensif. L’actionnaire d’alors, Édouard
de Rothschild, reçoit Edwy Plenel. Mais Alain Minc le
dissuade de l’embaucher. « J’ai passé un coup de fil, confirme le grand manitou
des affaires. J’ai dit à Édouard : “Plenel a de nombreuses qualités mais il va
t’embarquer trop loin.” »
Décidément,
les ennemis sont partout. Pourquoi, dès lors, ne pas monter un nouveau
journal ? Dans la petite bande, tous ont la même certitude : la « vieille
presse » est minée par le conformisme, la connivence, le manque
d’investigation. La gratuité sur Internet, alors unanimement prônée, ne fera
que précipiter sa perte. Seul un site payant peut garantir une information de
qualité et une communauté de lecteur pérenne. « Nous allons créer le journal
de référence du XXIe siècle », lance François Bonnet, futur
directeur éditorial. Edwy, qui ne veut plus de la gestion quotidienne, sera
l’ambassadeur, le crieur, « la tête de gondole », comme il dit. Dans son bel
appartement tapissé d’ouvrages, ciel dégagé sur le Jardin des plantes, le
projet avance. Nom de code : Mediapart, pour son côté participatif.
La ligne est claire : de gauche, évidemment, antisarkozyste. Plenel, qui a
fait campagne pour Ségolène Royal, hait l’hyperprésident qu’il
traite volontiers de délinquant.
Il le
connaît bien ce Sarko qui jadis le recevait au ministère de l’intérieur pour le
nourrir et balancer quelques boules puantes sur la Chiraquie. Mediapart ne
le lâchera pas. Encore faut-il démarrer. Aucun financier ne mord sauf un
certain Christian Ciganer qui se trouve être, par sa
sœur Cécilia, le beau-frère de Sarkozy. « Le projet m’amusait, se
souvient-il. J’ai proposé de donner un coup de main et j’ai rencontré Edwy qui
ne m’a posé aucune question sur mes liens familiaux. » Ciganer met à
disposition sa berline avec chauffeur pour aller rencontrer des investisseurs.
« Je vous rejoins à pied », décline Plenel. Il se méfie. De toute façon,
personne ne veut investir dans Mediapart. Michel Broué organise
alors un dîner avec une amie fortunée, Marie-Hélène Smiejan. Elle
ne connaît rien à la presse mais c’est une excellente gestionnaire, diplômée
de l’Essec, formée chez IBM avant de gagner beaucoup d’argent chez Econocom, un
groupe de services informatiques. Elle a bourlingué en Chine, roule dans une
vieille Jaguar et possède un château dans l’Yonne. « Je cherchais un nouveau
défi, indique cette brune élégante, teint pâle et col Mao strict. J’ai dit à
Edwy : “Trouvons le premier million, après ça ira tout seul.” » Plenel est prêt
à mettre 500 000 euros, qu’il emprunte en hypothéquant un appartement hérité
par sa femme. Smiejan engage la même somme, en vendant un tableau de Jules Dupré, Les
Environs de Southampton, offert par son ancien patron d’Econocom, Jean-Louis
Bouchard. L’entrepreneur, proche du nouveau mari de Cécilia
Sarkozy, Richard Attias, veut bien contribuer à hauteur d’un million pour
commencer. « Marie-Hélène m’a donné le livre de Péan et Cohen pour savoir où je
m’embarquais, se souvient Bouchard. Elle m’a présenté Edwy, que j’ai trouvé
intéressant et touchant. »
La machine
est lancée, d’autres investisseurs suivent : des pirates du Web un peu libertaires, Thierry
Wilhelm, l’ex-roi de la téléphonie gay, et celui du Minitel rose, Xavier
Niel, devenu magnat de Free, mais pas encore actionnaire du Monde.
Emmenés par Michel Broué, 87 amis mettent la main à la poche : le
sociologue Edgar Morin, la styliste Agnès B, Jean-Pierre
Mignard, avocat de tant de causes, des victimes de l’Erika à
l’émirat du Qatar. Il y a aussi des grands patrons, celui de Publicis, Maurice
Lévy, partant pour 5 000 euros symboliques et celui de Havas, Stéphane
Fouks, qui emploie l’épouse d’un des fondateurs de Mediapart.
Cela le protège peut-être d’une enquête sur ses réseaux au cœur du pouvoir. Le
journal aura ses angles morts, c’est humain, c’est normal. Mais Plenel promet
la lune : « Nous n’épargnons personne, nous sommes le seul média totalement
libre et indépendant », martèle-t-il, en oubliant souvent de mentionner Le
Canard enchaîné.
Es-tu prêt
à prendre des coups ? demande-t-il à un débutant prometteur nommé Fabrice
Arfi. Le Lyonnais n’a pas fait de grandes études, mais il a la niaque et un
sésame en or : son père, policier à la brigade financière, fut un proche du
bien-aimé Deleplace. Plenel l’engage pour épauler Fabrice
Lhomme, l’un des rares journalistes d’investigation ayant rejoint Mediapart.
C’est l’aventure. Il faut visser les chaises Ikea dans un premier local sans
ordinateurs et sans fenêtres. Edwy, qui n’a pas le permis, débarque en Vélib.
Il est payé 6 100 euros nets, le plus gros salaire d’un journal dont l’échelle
des rémunérations varie d’un à trois, et il ne fait pas de note de frais.
« C’était fou de voir toutes ces anciennes stars du Monde redémarrer
à zéro, se souvient Marine Turchi, alors débutante avant de se
distinguer par ses enquêtes sur le FN. Je me disais : “Ils ont la foi.” » Les
débuts sont durs. Pas de ruée sur les abonnements, lancés à 9 euros par
mois. Martine Orange et Laurent Mauduit font
de longues enquêtes économiques, notamment sur les Caisses d’épargne, Tapie,
Kerviel... Les séries d’été sur les maths ou le climat sont bonnes, mais les
scoops manquent. Le seul, sur l’affaire Karachi, passe inaperçu. « Tenez bon,
cherchez », martèle Plenel qui, en symbiose avec Bonnet, colle la pression. Il
y aura quelques cas de burn-out à Mediapart, et même un psy mandaté
pour remédier à la souffrance au travail. Plenel ne lâche rien ; il sait que
les jours du site sont comptés. Une seconde levée de fonds est nécessaire. Les
copains remettent au pot. Le fonds Odyssée venture, spécialisé en
défiscalisation ISF, investit un million d’euros en échange de 22 % du capital
(il sortira en 2014 avec une plus-value de 1,5 million d’euros). Il faut faire
vite, d’autant qu’un redressement fiscal pend au nez de Mediapart qui,
avec quelques sites, refuse de payer la TVA à 19,6 % imposée à la presse numérique,
contre 2,1 % pour les journaux papiers.
Le salut
vient d’une milliardaire : Liliane Bettencourt, ou plutôt de ses
conversations secrètes, enregistrées par son majordome. Au départ, Plenel se
fiche des histoires de la famille L’Oréal qu’il considère comme un mauvais vaudeville
entre riches. C’est un ancien disciple du Monde, Hervé
Gattegno, alors au Point, qui écrit les premiers articles
sur la riche héritière entourée de vautours. La fille Bettencourt a
saisi la justice mais rien ne bouge. Son avocat, Olivier Metzner,
entend la réveiller avec les enregistrements. Il les a donnés au Point mais
veut, pour plus de retentissement, un second média. Le Monde refuse, Le
Nouvel Observateur aussi. Gattegno recommande Mediapart,
tout comme l’ami Villepin que Metzner défend dans l’affaire Clearstream.
L’ancien ministre est resté proche d’Edwy, ce journaliste qui croit toujours en
son destin politique et collectionne aussi les Arts premiers. Villepin reçoit
souvent les fins limiers de Mediapart. « C’était dingue, rapporte
l’un d’eux. Il nous racontait durant des heures sa vision du monde et des tas
d’histoires croustillantes sur la vie privée de Sarko. » Aucun ne songe à
enquêter sur la reconversion du ministre en avocat d’affaires perfusé à
millions par le Qatar. Villepin a toute confiance en « Edwy » ; il le présente
à Metzner. Mediapart récupère ainsi les enregistrements du
majordome. Voilà la « source au cœur de l’appareil d’État » dont parle le site,
toujours soucieux d’entretenir sa légende. Des écoutes, dont lui-même a été victime,
Edwy se délecte. Il politise immédiatement l’affaire. « Il y a du lourd dans
les bandes », lui avait promis Metzner. Le nom de Sarkozy revient,
comme celui de son ex-trésorier de campagne Éric Woerth, alors
ministre du travail. « C’est une affaire d’État », clame Plenel. À ses yeux,
tout est là dans cette folle histoire : l’argent sale, la fraude fiscale, les
conflits d’intérêts, la pourriture des politiques... Au lendemain de l’article,
publié le 16 juin 2010, il demande, sans égard pour la présomption d’innocence,
la démission de Woerth. Les enregistrements sont disponibles en ligne, à
condition de payer. Coup de maître : les abonnements s’envolent, Mediapart est
sauvé. Durant tout l’été, Edwy feuilletonne ; même pas le temps d’aller marcher
au bord des volcans, sa passion, sur l’île de Stromboli notamment. Woerth sera
finalement blanchi en 2015, mais le site n’aura de cesse de critiquer la
décision des juges.
Selon les
affaires, la vérité judiciaire plaît ou déplaît au grand chef. Il s’appuie sur
les magistrats ou les dézingue en fonction de ses convictions, de son intérêt.
Certains s’en plaignent, d’autres l’estiment comme Renaud Van Ruymbekequi
prend la peine de nous envoyer ce SMS : « Compte tenu de mon obligation de
neutralité, je ne peux m’exprimer sur M. Plenel pour lequel j’ai la plus grande
considération. » Edwy les connaît tous ou presque. Il maîtrise leurs codes,
leur psyché, adore les aiguiller. Le juge Marc Trévidic s’est
saisi de l’affaire Karachi après un article de Mediapart. À partir
de là, le journal en ligne a déposé une autre bombe entre les deux tours de la
présidentielle de 2012 : une note, attribuée aux services libyens, dans
laquelle le régime de Kadhafi s’engageait à financer la
campagne de Sarkozy de 2007 à hauteur de 50 millions d’euros.
Et c’est la plainte en faux et usage de faux* de l’ancien président qui a
conduit la justice à s’emparer du dossier. Les policiers travaillent, Mediapart révèle
en temps réel les avancées de leur enquête incroyablement longue et complexe.
« C’est l’affaire des affaires, promet Plenel. La plus lourde de la
Ve République. »
Reçu
comme une vieille maîtresse
François
Hollande n’en croit pas ses yeux. Mi-décembre 2012, un SMS d’Edwy
s’affiche sur son portable. Il s’indigne de l’absence de réaction du président
après le scoop de Mediapart révélant que son ministre des
finances, Jérôme Cahuzac, aurait détenu un compte en Suisse.
Il dit que l’heure est grave, l’info béton, propose de venir en parler à
l’Élysée. L’ami Mignard plaide aussi en coulisses. « On m’a
fait rentrer par une porte dérobée comme une vieille maîtresse », s’indignera
Plenel. Mais Hollande est dans l’embarras. L’enregistrement de Cahuzac lui
semble insuffisant pour sanctionner son ministre. « Je demande à Edwy : “As-tu
d’autres éléments ?” se souvient Hollande. Il me répond : “Crois-moi, Cahuzac
est coupable même si je n’ai pas toutes les pièces du puzzle.” » C’est un
classique : le journaliste n’attend pas, autrement rien ne sortirait,
insiste-t-il. Il faut secouer le cocotier, en espérant un faux pas du mis en
cause, sans relâcher la pression. Sur ce coup-là, il joue gros. Les critiques
pleuvent au gouvernement, à l’Assemblée nationale, dans la presse. Les
communicants de Cahuzac contre-attaquent. Plenel est mal : l’enregistrement est
de mauvaise qualité, malgré les efforts coûteux pour le restaurer. Et il ne
peut pas dire que la source principale de Mediapart est
l’épouse de Cahuzac qui, assistée d’un détective, se venge d’avoir été trompée.
Évidemment, ce serait moins moral, moins politique. Mais les lecteurs n’ont-ils
pas le droit de savoir ? On lui pose la question un après-midi de décembre,
dans notre habituelle petite salle froide de Mediapart. Regard
noir, ton cinglant : « On ne fait pas la morale aux sources, peu importe leurs
motivations, pourvu que l’on fasse émerger la vérité. » Alors, au lendemain de
Noël, Plenel va jusqu’à interpeller publiquement le procureur de la République,
du jamais-vu. Et le parquet décide, quinze jours plus tard, d’ouvrir une
enquête préliminaire. « Edwy nous a lu le communiqué en frémissant, se souvient
une journaliste. On l’a applaudi avant d’improviser un grand apéro. On avait la
boule à l’estomac depuis trois mois. Si on perdait ce coup-là, Mediapart était
mort. » La bande sonore est officiellement authentifiée, l’enquête dûment menée
avec des faits précis. Triomphe du site. Cahuzac passe aux aveux et quitte le
pouvoir. Plenel l’invitera à se confesser dans un live, sans succès.
Mais déjà
un autre ministre est sur le gril : Laurent Fabius, soupçonné
d’avoir lui aussi un compte en Suisse. Arfi va l’interroger un
week-end au Quai d’Orsay. En réalité, le compte appartient à un autre Fabius,
son fils. Le ministre des affaires étrangères, qui connaît Edwy depuis
trente ans, est furieux. Un an plus tard, Mediapart croit
tenir une autre proie* : le conseiller du président, Aquilino Morelle, accusé
de se faire cirer les pompes à l’Élysée et d’avoir autrefois flirté avec
l’industrie pharmaceutique. Un journaliste de l’équipe a passé sa vie au
scanner. Le symbole Morelle est édifiant dans un gouvernement de gauche, mais
l’homme n’a rien fait d’illégal, jugeront les magistrats. Pas grave, Mediapart est
fier d’avoir eu la peau d’un « salopiaud » pareil. Edwy le confesse un soir,
tout doucement : « J’aime la petite dague très fine qui rentre dans la chair et
juste une petite goutte de sang. Les meilleurs papiers, c’est ça. »
Dans la rue
désormais, les gens l’arrêtent, le félicitent pour son courage. Mais son père,
« papa » comme il l’appelle encore, s’est éteint en 2013. Immense vide. Il faut
reprendre le flambeau, être à la hauteur de ce « juste », dont la mémoire est
maintenant célébrée en Martinique. Edwy regarde l’état du monde. Tout est si
triste. Le printemps arabe, qui l’a fait vibrer, a perdu les peuples. L’Europe
de Bruxelles l’accable. La droite est pourrie par essence, la gauche a trahi.
Ne parlons pas de Hollande, « un naufrage », juge Plenel. Il le
voit encore avant la sortie du livre vengeur de Trierweiler,
l’incite à écouter le vent des frondeurs et à considérer, au passage, ce lourd
redressement fiscal – 3,3 millions d’euros – infligé à Mediapart.
Mais Hollande n’entend rien. Il laisse Valls et sa bande
prendre le pouvoir. Plenel les exècre, pour leurs idées, leur « laïcisme
univoque et guerrier », proche à ses yeux de l’extrême droite.
Au cœur de
l’été 2013, il prend la plume et s’inquiète dans Mediapart de
la crispation identitaire, de cette « injonction faite à nos compatriotes
musulmans à devenir invisibles, en effaçant tout signe extérieur de leurs
croyances, pourtant minoritaire, qu’il s’agisse d’un vêtement (le voile), d’un
aliment (le halal) ou d’un lieu (la mosquée). » Leur sort lui rappelle ce que
vivaient les juifs il y a un siècle. Zola avait alors écrit un
texte sublime, Pour les juifs. Plenel intitule son article « Pour
les musulmans », afin que cesse « la peur de l’autre, les fantasmes contre les
ennemis de l’intérieur ». Hugues Jallon, alors PDG de La
Découverte, lui demande d’en faire un livre. « Edwy Plenel est le seul à
pouvoir porter haut et fort cette cause-là », indique-t-il. Le journaliste
hésite. Il songe à ces Marocains qui font les vendanges autour de son mas de
Pézenas. Il repense à l’une de ses étudiantes, venue d’un petit village de
Bourgogne, qui s’est convertie, couverte d’un voile, avant de devenir
porte-parole contre l’islamophobie. Ceux-là ont le droit d’être défendus. C’est
ta « mitzvah », une bonne action en hébreu, souffle Nicole Lapierre.
Les copains de Mediapart sont d’accord. C’est décidé, Edwy
sera la voix de ces musulmans, quitte à faire ce qu’il dénonce, les
« essentialiser ». Et tant pis ou tant mieux s’il prend des coups ; il ne
craint rien, comme papa.
Le livre
sort en septembre 2014. Plenel reste sur le plan des principes, ouverts,
généreux, humanistes. Il se vit en intellectuel, en lutte dans une France en
guerre contre l’islam. Rien sur les mariages mixtes et l’intégration réussie,
sans bruit de 5 millions de musulmans. Rien non plus sur la montée de
l’intégrisme et de l’antisémitisme chez une minorité déterminée. Le
journaliste aurait-il tendance à oublier le réel ? « Relisez Hannah
Arendt, élude-t-il. La question c’est : comment la barbarie peut
surgir dans une société où l’on écoute Mozart ? Il faut toujours être
vigilant. »
Edwy
Plenel fait partout la promo de son ouvrage, dans les associations de
Lille et Roubaix, à la radio, sur les plateaux de télé. Il le faut, pour lui,
pour Mediapart. « Un passage à BFM ou chez Ruquier, c’est autant
d’abonnements en plus », martèle-t-il dans la rédaction. Ses vieux compagnons
de lutte se demandent si Edwy n’est pas revenu à ses premières amours, sur la
ligne des trotskystes anglais du SWP qui préconisent une alliance avec les
musulmans, la nouvelle classe populaire. Alain Krivine, son ancien
mentor à la Ligue, cherche à comprendre : « Enfin, je vois bien, moi, les
filles voilées de la tête aux pieds, les librairies intégristes qui pullulent
comme des champignons. Moi, je vis à Saint-Denis, non loin de la mosquée
de Tariq Ramadan. »
Plenel, lui, pense qu’il faut cesser de diaboliser ce penseur adulé dans les
quartiers. Il l’a dit dès le début des années 2000, lors de tables rondes à la
Ligue des droits de l’homme. Il plisse ses yeux vifs quand une amie, qui a
interviewé l’islamologue avant son ascension, conseille : « Méfie-toi. Ce type
prône un moratoire sur la lapidation des femmes. »
Pour Edwy
Plenel, Ramadan, le professeur à Doha et à Oxford, avec sa chaire financée
par le Qatar, est un « intellectuel respectable ». Il est séduit, comme
d’autres, Franz-Olivier Giesbert qui prend Ramadan comme
chroniqueur dans son émission, Edgar Morin qui publie avec lui
un livre d’entretiens. L’islamologue, toujours en quête d’alliés, apprécie
l’homme fort de Mediapart. Ce journaliste est ouvert, il accepte de
recevoir un prix des mains de Nabil Ennasri, le président du
collectif des musulmans de France, proche de Youssef Al-Qaradaoui, le
téléprédicateur vedette d’Al-Jazeera. La chaîne qatarie peut l’interviewer
sans manières, sur les toits de Paris, avec son anglais hésitant. Et banco
aussi pour une version arabe de Pour les musulmans, distribuée
gratuitement à 15 000 exemplaires par Al-Doha magazine, la revue du
ministre de la culture qatari, relais officiel des Frères musulmans. « Ça s’est
fait un peu comme ça, explique Plenel. Un enseignant de Grenoble m’a sollicité
à la fin d’une conférence et j’ai accepté. » Version confirmée par ledit
professeur d’histoire-géo, Hakim El Korchi : « Je me suis dit
qu’il serait bon que le livre soit lu dans le monde arabe. J’ai tout géré avec
l’éditeur et Edwy a pris peu pour lui, 18 centimes par ouvrage, à ma
connaissance. » El Korchi, avec son association grenobloise, Interstices, est
connu des services de renseignements pour son appartenance à la mouvance des
Frères musulmans. Plenel dit l’ignorer. Un fidèle blogueur de Mediapart, Mohamed
Louizi, ex-Frère musulman, réagit aussitôt. Ce n’est pas la première
fois que la ligne de son site préféré l’inquiète. « Je leur ai souvent écrit
pour m’étonner de leur manière de traiter l’islamisme comme si ça n’existait
pas, comme si c’était une fabrication de l’Occident, confie-t-il. Je n’ai
jamais eu aucune réponse. Rien, jusqu’à ce que je parle du Qatar. Alors Edwy a
enfin répliqué, en demandant une mise au point à son traducteur publiée
sur Mediapart. »
C’est
décidé, il ira. Le 17 janvier 2015, dix jours après le massacre de Charlie
Hebdo, Edwy Plenel se rend à Brétigny-sur-Orge, en
banlieue parisienne, pour une rencontre autour de son livre organisée
avec Tariq Ramadan. « Ne pas y aller, dans ce climat de peur, c’eût
été participer aux amalgames, renoncer à la fraternité que je prône », dit-il.
La rencontre sera filmée, il le sait, il a même passé, de son propre aveu, un
coup de fil aux « copains d’Essonne Info ». Plenel prend ainsi place à la table
blanche, derrière un voile oriental scintillant de lumières : « Je viens ici
dire “nous”, je viens ici au nom de nos causes communes. » Pull parme, peau
hâlée, Ramadan sourit en regardant Edwy prêcher. Longue introduction sur Charles
Péguy, qui disait « On ne réforme aucune culture sur la dérision » et
Plenel insiste, comme un message subliminal aux anti-Charlie : « La
dérision, le sarcasme et l’injure sont des barbaries. » Il n’a d’ailleurs pas
été à la grande marche républicaine. Puis c’est Jaurès qu’il
convoque, rappelant que le socialiste n’avait aucun mépris pour ceux qui
croient, au contraire : « Brandissez Jean Jaurès en
talisman. » Il en a les larmes aux yeux, prie le public de « pardonner
l’émotion... c’est l’émotion de l’empathie, de la fraternité ». Ramadan le
saisit, d’une main reconnaissante. Il n’en demandait pas tant. À son tour au
micro, il confie avoir des doutes sur l’origine des attentats et ose : « Je
veux une enquête indépendante qui puisse me rassurer sur les faits, comme je
l’ai fait pour le 11-Septembre. » Le journaliste ne réagit pas.
Le lendemain,
à Mediapart, il est prié de s’expliquer : « Comment peux-tu
fraterniser avec Ramadan alors que les mecs de Charlie sont
morts ? » l’interpelle un salarié. Ça chauffe aussi sur la toile, où de
nombreux abonnés s’interrogent. Alors, comme d’habitude, Edwy le tacticien
lance : « Laissons parler le journalisme. » Il demande une enquête sur Tariq
Ramadan au journaliste Mathieu Magnaudeix. Un long travail
en cinq volets est publié en avril 2016. « La meilleure enquête sur Tariq
Ramadan », se vante Plenel en oubliant un peu vite les confrères qui ont
décortiqué le personnage, comme Ian Hamel ou la pionnière, Caroline
Fourest. « Mediapart ne m’a même pas passé un coup de fil,
s’indigne-t-elle. À l’époque, j’étais en contact avec des femmes violentées,
j’aurais pu les mettre sur la voie. » La parole de Fourest est sans doute
suspecte aux yeux du site qui consacrera une longue enquête à celle qu’il
considère comme « une croisée de la laïcité », dans la lignée d’Élisabeth
Badinter. « Penser contre soi-même », rappelle encore et toujours
Plenel, mais il y a des sources qu’on n’écoute pas. Et le journaliste persiste
sur le plateau d’« On n’est pas couché » à l’automne 2016 : pourquoi voir
Ramadan comme un « croque-mitaine », parce que « c’est un intellectuel suisse,
parce qu’il est brillant, parce qu’il est beau, parce qu’il parle bien ? » Il
propose un débat car « le chemin des ressentiments peut être celui de la
perdition ».
Le chemin
d’Edwy est-il devenu périlleux pour Mediapart ? À bas bruit, la
rédaction qui compte aujourd’hui 80 journalistes s’interroge. « Il faut se
réinventer, reconnaît la sage Martine Orange. On est des moines
soldats, un peu cisterciens. À trop vouloir démonter, on est un peu
procureurs. » Les débutants, jadis inconditionnels d’Edwy, ont pris de la
bouteille. Ils le bousculent. Son fils spirituel, Fabrice Arfi,
n’épargne plus Villepin et révèle son jeu trouble dans les marécages libyens.
Les femmes de la rédaction ne prennent plus de pincettes pour enquêter sur les
violences sexuelles. À 65 ans, Plenel évolue, gagne même un peu d’humour :
« Je suis devenu le grand chef à plumes qu’on malmène », sourit-il, tête
baissée. On dirait même qu’il s’assagit. Pas de tapage durant la campagne,
l’affaire Penelope Fillon comme celle de Richard Ferrand ont
été sorties par Le Canard. Plenel, soutien affiché de Hamon,
a même appelé à voter pour Macron entre les deux tours. Et la toute dernière
interview du candidat d’En marche ! avant son sacre fut pour Mediapart,
à la fureur des nombreux abonnés mélenchonistes. Le contact a été établi lors
d’un déjeuner organisé par l’actionnaire Jean-Louis Bouchard. Il
s’en félicite : « J’ai présenté Edwy à Édouard Philippe,
que je connais bien. C’est lui qui a convaincu Macron de se rendre à Mediapart. »
L’actionnaire était fier, la Macronie ravie, si bien que le premier ministre
est venu à son tour pour une émission en direct de trois heures. Plenel avait
promis qu’il passerait la main après les élections. Personne n’y a cru. Le chef
cite souvent cette phrase de Bette Davis : « La vieillesse, c’est
pas pour les mauviettes ! » Alors il continuera ses combats. Pour la vérité,
tout du moins sa vérité, en quête de petites perles de sang.
* Ces deux
points ont été corrigés de la version papier parue dans le numéro
54 de Vanity Fair France en
février 2018.
Nous avons
reçu un droit de réponse de Jean-Pierre Mounet, coprésident de l’association
Interstices.
Je tiens à
préciser que notre association n’a rien à voir, ni de près, ni de loin, avec la
mouvance des Frères musulmans. Pour nous, il est infondé et invraisemblable que
notre administrateur, Mr El Korchi, traducteur en arabe du livre d’Edwy Plenel
« Pour les musulmans », appartienne à ce mouvement. Comme cela est indiqué sur
notre site http://asso-interstices.fr, nous sommes une association laïque et
citoyenne opposée à tous les extrémismes et dont les objectifs statutaires et
les activités sont axés sur l’interculturalité, le renforcement des liens
franco-marocains et la lutte contre les discriminations, notamment de genre.
Je suis
profondément choqué que cette association soit assimilée à un mouvement
considéré comme très loin de la tolérance et des valeurs républicaines et
laïques qui nous portent.
Réponse de la
rédaction : Dont acte, nous maintenons l’intégralité de nos informations sur
les liens entre Mr El Korchi et le Qatar. SdD
Sophie Des Déserts : Après 15 ans passés
au Nouvel Observateur, elle est grand reporter au
service Enquêtes de Vanity Fair.
PLENEL DÉFENSEUR DE LA DÉMOCRATIE : on aura tout vu !
RépondreSupprimerIl tente de nous convaincre des dérives autoritaires de Macron, qui finiront par une dictature à la manière de celle d'Erdogan, assure-t-il avec ses yeux plissés !
Curieux ce trotskiste, ami notoire de Tariq Ramadan et soutien des Frères musulmans qu'il faut laisser s'exprimer au nom de la démocratie et de la pluralité, affirme-t-il ... alors que tout le monde voit leur réalité à travers leur "Frère" Erdogan !
Lui qui soutient l'islamisme, celui-là même qui fait des ravages en Iran et dont les iraniens ne savent plus à quel saint se vouer pour dégager les islamistes au pouvoir depuis plus de 30 ans; et dont les turcs commencent à découvrir le totalitarisme à travers les Frères musulmans au pouvoir !
Ce défenseur de la démocratie, en aurait-il une notion à géométrie variable pour faire un tel procès à Macron ?
Ou est-ce sa haine pour le président qui le pousse à de tels excès, lui qui l'appelle par son nom comme pour lui refuser le statut de président, lors de son interview télévisée ??
Le plus étonnant, ce sont les journalistes et autres spécialistes du plateau "C-Politique", qui semblent tétanisés par ce beau parleur; puis qu’aucun ne le critique ni dénonce sa démagogie !
Tout comme avec Tariq Ramadan qui fascinait les journalistes et savait les embobiner ou les intimider pour empêcher toute critique de l'islamisme; se réfugiant tous les deux, derrière l'islamophobie prétendue, de leur contradicteurs !
Dangereux personnage qui sait aussi utiliser les médias pour se faire la pub pour son journal, dont il a cité le nom presque à chacune de ses phrases !
Il faut se méfier des beaux parleurs à la dialectique vicieuse !!
PLENEL DÉNONÇAIT "LES ÉCOUTES" SAUVAGES PAR MITTERRAND, MAIS NE SE GÊNE PAS DE RECOURIR AU MÊME PROCÉDÉ ... POUR NUIRE A MACRON !
RépondreSupprimerJean-Pierre Ryf :
J'étais mal à l'aise avec la position de Mediapart qui a obtenu ou utilisé des enregistrements réalisés dans des condition très douteuses et qui se drape dans la posture de donneur de leçon de morale.
Voilà que maître Dupont-Moretti dit ce qu'il faut dire, lui qui est en guerre contre tous les donneurs de leçons.
Je rajoute que je me pose bien des questions sur cet enregistrement qui n'a pu être fait par les deux intéressés.
Par qui alors et pourquoi le faire fuiter ? A qui veut-on nuire ?
Il y a là du mystère. Et pourquoi pas les russes voulant nuire a Macron. Car cet enregistrement pue les services secrets.
Il faut un John Le Carre pour éclaircir tout cela !
https://www.ozap.com/actu/affaire-benalla-eric-dupond-moretti-juge-les-methodes-de-mediapart-indignes-degueulasses-et-staliniennes/574589?fbclid=IwAR1gUrlPef4hwMaxUm8Wb50fAQq9HsdLlL6hbUX9yOmFNVxO87Fu4gQa56Q