vendredi 29 décembre 2017

Tunisie : 2017, une année de blues ?

Un constat amère de tourner en rond, imputable aux Frères musulmans qui sont un boulet pour la Tunisie. Ce qui désespère les tunisiens qui n'ont plus confiance dans la classe politique d'autant que le désespoir est à la hauteur de l'espoir qu'ils avaient fondé dans Béji Caïd Essebsi et son parti Nidaa Tounes, censés les débarasser de Ghannouchi et ses "Frères" !
Les Tunisiens continueront à avoir le blues, tant qu'ils ne se seront pas débarrassés des Frères musulmans qui plombent la Tunisie.
R.B
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DÉCRYPTAGE. Les espoirs étaient immenses au lendemain de la révolution. L'année qui s'éteint aura été celle des désillusions économiques et sociales. Néanmoins, la jeune démocratie ne manque pas d'atouts.

Le changement sera venu de Berlin. Après trois jours de scrutin, les Tunisiens résidant au pays d'Angela Merkel ont violemment giflé la classe politique de Tunis lors de l'élection législative partielle du 17 décembre, parachevant dans les urnes une année de ressentiment populaire envers toute la classe politique.

Une gifle venue d'Allemagne

Au soir du scrutin, l'abstention a enregistré un score à la Ben Ali (le dictateur était élu avec plus de 90 % des voix) : 94,8 %. Mettant K.-O. les deux principaux partis qui cogèrent la Tunisie depuis la fin 2014 : Nidaa Tounes et Ennahdha. Cette déroute façon Waterloo électoral (« une branlée démocratique », selon un diplomate de passage) a le mérite de réveiller un vivier politicien qui se complaît dans des alliances très éloignées du quotidien des gens. Nidaa Tounes a divisé par douze son score de 2014 en Allemagne, passant de 3 000 et quelques à moins de 250 voix. Quant aux islamistes, ils avaient appelé à voter pour le candidat Nidaa. Peine perdue. Les 2 500 électeurs de 2014 se sont volatilisés. Résultat : un cyberactiviste, Yassine Ayari, emporte la circonscription. Et prêtera serment le 22 janvier prochain à l'Assemblée des représentants du peuple. Il a été élu avec 264 bulletins. Ce résultat contraint les partis au pouvoir à réagir. La légitimité d'Hafedh Caïd Essebsi (le fils du président de la République) à la tête de Nidaa Tounes semble de plus en plus contestée en interne. Et l'alliance avec Ennahdha, considérée comme la grande trahison de 2014, est pointée du doigt.

Corruption

Telle la Roumanie laminée par la contrebande et les mafias au lendemain de la chute du bloc soviétique, la Tunisie n'en peut plus de ce phénomène qui concerne plus de 50 % de son économie. Et qui étouffe son développement. Le chef du gouvernement a décidé en mai dernier de faire incarcérer, sous le régime de la justice militaire, quelques barons de l'informel, suscitant un élan d'espoir parmi la population. Espoir qui retombe petit à petit. Chawki Tabib, président de l'INLUCC (instance de lutte contre la corruption), ne cesse de demander qu'on s'attaque au « système ». 25 % des marchés publics sont concernés par ce fléau.

Besoin d'espoir

L'homme, la cinquantaine, dirige une agence de location de voitures. Depuis plusieurs mois, il est de plus en plus morose. Les prix des voitures augmentent (les taxes bondissent) alors que le prix de location journalier demeure le même depuis 2008… Il pense aux deux jeunes qui travaillent avec lui. Quel avenir pour eux ? Il n'a pas envie de le dire, mais il le dit quand même : « Sous Ben Ali, on avait une vision à cinq ans ; maintenant, c'est au mieux au jour le jour. » Il n'a pas de mots assez rudes pour ceux qui président le pays. Et surtout, il pointe le manque d'espoir. « Gandhi ou Mandela donnaient de l'espoir à leurs peuples malgré une situation économique très mauvaise. Nous, on nous dit que 2018 sera une année très difficile, akao » (c'est ainsi ! en dialecte tunisien). Si le tourisme a repris – plus de 6 millions de visiteurs cette année –, cela ne suffit pas à susciter une embellie. L'inflation affiche une hausse de 6,3 % et le chômage se maintient à de très hauts niveaux : 15,3 % au niveau national, près d'un tiers des diplômés du supérieur. « Avec vingt dinars, on ne fait pas les mêmes courses qu'il y a quatre ans », poursuit-il. Le pouvoir d'achat est devenu la principale préoccupation des Tunisiens, qui ne comprennent pas la flambée des prix de produits comme la pomme de terre, le poulet ou la tomate. Les importations (Chine, Turquie, Italie…) ainsi que la corruption sont avancées comme des explications.

Femmes

L'année s'achève sur un début de crise diplomatique avec les Émirats arabes unis qui ont décidé, sans prévenir leurs homologues tunisiens, d'interdire abruptement les Tunisiennes non résidentes sur les avions en provenance de Tunis. Officiellement, il s'agirait d'une mesure de sécurité, « des informations sur des projets d'attentats »… La décision a révolté l'opinion publique. Les autorités tunisiennes ont répliqué en interdisant les avions émiratis d'exercer en Tunisie. Et ce, jusqu'à que les Tunisiennes puissent de nouveau se rendre librement à Dubaï & Co. La diplomatie tunisienne, dans la ligne droite de la ligne fixée par Habib Bourguiba, a refusé cet été de prendre part aux règlements de comptes qui se jouent entre des pays du Golfe et le Qatar. La visite du président Erdogan, honni par les EAU pour sa proximité avec les Frères musulmans, les 26 et 27 décembre à Tunis, pourrait être une explication au geste indélicat des Émiratis. Une loi très importante a été votée par l'Assemblée des représentants du peuple. Elle veut lutter contre toutes les violences faîtes aux femmes, offrant tout un arsenal, de la sanction jusqu'à la pédagogie. Dans la foulée, une circulaire datant de 1973 interdisant aux Tunisiennes de se marier avec un non-musulman a été abrogée par le gouvernement. Puis le président de la République a lancé une commission chargée de réfléchir à l'égalité homme-femme sur la question de l'héritage. Une réalisatrice s'est distinguée sur la scène internationale. Kaouther Ben Hania a vu son nouveau film, La Belle et la Meute, projeté en sélection officielle au Festival de Cannes. Une reconnaissance méritée. Son film raconte en une poignée de plans-séquence l'affaire Meriem. Cette jeune femme avait été violée par des policiers en 2012. La question du statut de la femme tunisienne demeure très vivace dans les débats.

La prise de conscience de l'Afrique

Après des années de sommeil politique, le lobbying du secteur privé a payé, faisant inscrire l'Afrique à l'agenda gouvernemental. Si l'Europe demeure le premier partenaire économique de la Tunisie, de très loin, les relais de croissance se trouvent désormais au Sud. Depuis de nombreuses années, les entrepreneurs veulent que l'État mette en place un environnement propice au développement des relations économiques avec les pays africains. C'est désormais sur les rails. Youssef Chahed, le chef du gouvernement, a fait plusieurs visites officielles. Des liens diplomatiques sont renforcés. Et la diplomatie itinérante s'ébroue. De son côté, la compagnie étatique Tunis air a ouvert plusieurs lignes d'Abidjan à Cotonou. Si le Maroc a pris des années d'avance sur le sujet, la Tunisie a enfin pris conscience qu'on pouvait se développer en Côte d'Ivoire, au Burkina Faso et dans d'autres pays.

Le chantier de la décentralisation

2018 sera une année économiquement âpre. La loi de finances votée en novembre a recours à la pression fiscale pour colmater les brèches. Taxes et impôts vont augmenter. Sur un budget de 34 milliards de dinars, il faudra cependant recourir à l'emprunt pour plus de 25 % du total. FMI, Banque mondiale et Union européenne demeurent des contributeurs vitaux pour les finances publiques (sous forme de prêts, de dons, d'aides…). Sans réussite économique, l'unique démocratie du monde arabe pourrait connaître une transition de plus en plus chaotique. Une bonne nouvelle, quasi inespérée, est apparue le 18 décembre. Après trois années d'hésitations et de jeux politiciens, le président de la République a enfin signé le décret convoquant les électeurs aux urnes le 6 mai prochain, date des premières élections municipales libres en Tunisie. L'enjeu est vital. Les électeurs choisiront leurs édiles dans 350 communes. Et poseront le premier jalon d'une décentralisation inconnue à ce jour dans le pays. Le Code des collectivités locales devrait être adopté à l'ARP au premier trimestre 2018. Ce sera le mode d'emploi des mairies (budget, prérogatives, périmètre juridique…). Une révolution politique s'amorce.


Tunis et ses ministères devront accepter de céder une partie de leurs pouvoirs (et de leurs budgets) à des élus locaux. Pour l'ISIE, l'autorité indépendante chargée des élections, ce sera l'occasion d'ouvrir le paysage politique à de nouvelles têtes. Une parité horizontale et verticale est exigée. Au vu de l'insatisfaction des Tunisiens, on peut s'attendre à une très forte abstention. Aux partis politiques de proposer une offre attractive aux potentiels électeurs. Déçu par les promesses faites en 2014 (Nidaa Tounes affirmait créer des dizaines de milliers d'emplois), le Tunisien a un rapport quasi paranoïaque avec la classe politique. Et les élections législatives et présidentielle de 2019 se préparent déjà dans les états-majors. Alors que le citoyen pense à son pouvoir d'achat et à l'avenir de ses enfants. « On ne transige pas avec le quotidien. »

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