Un constat amère de tourner en rond, imputable aux Frères musulmans qui sont un boulet pour la Tunisie. Ce qui désespère les tunisiens qui n'ont plus confiance dans la classe politique d'autant que le désespoir est à la hauteur de l'espoir qu'ils avaient fondé dans Béji Caïd Essebsi et son parti Nidaa Tounes, censés les débarasser de Ghannouchi et ses "Frères" !
Les Tunisiens continueront à avoir le blues, tant qu'ils ne se seront pas débarrassés des Frères musulmans qui plombent la Tunisie.
Les Tunisiens continueront à avoir le blues, tant qu'ils ne se seront pas débarrassés des Frères musulmans qui plombent la Tunisie.
R.B
DÉCRYPTAGE. Les espoirs étaient immenses
au lendemain de la révolution. L'année qui s'éteint aura été celle des
désillusions économiques et sociales. Néanmoins, la jeune démocratie ne manque
pas d'atouts.
Le changement sera venu de Berlin. Après
trois jours de scrutin, les Tunisiens résidant au pays d'Angela Merkel ont
violemment giflé la classe politique de Tunis lors de l'élection législative
partielle du 17 décembre, parachevant dans les urnes une année de
ressentiment populaire envers toute la classe politique.
Une gifle venue d'Allemagne
Au soir du scrutin, l'abstention a
enregistré un score à la Ben Ali (le dictateur était élu avec plus de 90 %
des voix) : 94,8 %. Mettant K.-O. les deux principaux partis qui
cogèrent la Tunisie depuis la fin 2014 : Nidaa Tounes et Ennahdha. Cette
déroute façon Waterloo électoral (« une branlée démocratique », selon
un diplomate de passage) a le mérite de réveiller un vivier politicien qui se
complaît dans des alliances très éloignées du quotidien des gens. Nidaa Tounes
a divisé par douze son score de 2014 en Allemagne, passant
de 3 000 et quelques à moins de 250 voix. Quant aux
islamistes, ils avaient appelé à voter pour le candidat Nidaa. Peine perdue.
Les 2 500 électeurs de 2014 se sont volatilisés.
Résultat : un cyberactiviste, Yassine Ayari, emporte la circonscription.
Et prêtera serment le 22 janvier prochain à l'Assemblée des
représentants du peuple. Il a été élu avec 264 bulletins. Ce résultat
contraint les partis au pouvoir à réagir. La légitimité d'Hafedh Caïd Essebsi
(le fils du président de la République) à la tête de Nidaa Tounes semble de
plus en plus contestée en interne. Et l'alliance avec Ennahdha, considérée
comme la grande trahison de 2014, est pointée du doigt.
Corruption
Telle la Roumanie laminée par la
contrebande et les mafias au lendemain de la chute du bloc soviétique, la
Tunisie n'en peut plus de ce phénomène qui concerne plus de 50 % de son
économie. Et qui étouffe son développement. Le chef du gouvernement a décidé en
mai dernier de faire incarcérer, sous le régime de la justice militaire,
quelques barons de l'informel, suscitant un élan d'espoir parmi la population.
Espoir qui retombe petit à petit. Chawki Tabib, président de l'INLUCC (instance
de lutte contre la corruption), ne cesse de demander qu'on s'attaque au
« système ». 25 % des marchés publics sont concernés par ce
fléau.
Besoin d'espoir
L'homme, la cinquantaine, dirige une
agence de location de voitures. Depuis plusieurs mois, il est de plus en plus
morose. Les prix des voitures augmentent (les taxes bondissent) alors que le
prix de location journalier demeure le même depuis 2008… Il pense aux deux
jeunes qui travaillent avec lui. Quel avenir pour eux ? Il n'a pas envie
de le dire, mais il le dit quand même : « Sous Ben Ali, on avait une
vision à cinq ans ; maintenant, c'est au mieux au jour le jour. » Il
n'a pas de mots assez rudes pour ceux qui président le pays. Et surtout, il
pointe le manque d'espoir. « Gandhi ou Mandela donnaient de l'espoir à
leurs peuples malgré une situation économique très mauvaise. Nous, on nous dit
que 2018 sera une année très difficile, akao » (c'est
ainsi ! en dialecte tunisien). Si le tourisme a repris – plus
de 6 millions de visiteurs cette année –, cela ne suffit pas à
susciter une embellie. L'inflation affiche une hausse de 6,3 % et le
chômage se maintient à de très hauts niveaux : 15,3 % au niveau
national, près d'un tiers des diplômés du supérieur. « Avec vingt dinars,
on ne fait pas les mêmes courses qu'il y a quatre ans », poursuit-il. Le
pouvoir d'achat est devenu la principale préoccupation des Tunisiens, qui ne
comprennent pas la flambée des prix de produits comme la pomme de terre, le
poulet ou la tomate. Les importations (Chine, Turquie, Italie…) ainsi que la
corruption sont avancées comme des explications.
Femmes
L'année s'achève sur un début de crise
diplomatique avec les Émirats arabes unis qui ont décidé, sans prévenir leurs
homologues tunisiens, d'interdire abruptement les Tunisiennes non résidentes
sur les avions en provenance de Tunis. Officiellement, il s'agirait d'une
mesure de sécurité, « des informations sur des projets d'attentats »…
La décision a révolté l'opinion publique. Les autorités tunisiennes ont
répliqué en interdisant les avions émiratis d'exercer en Tunisie. Et ce,
jusqu'à que les Tunisiennes puissent de nouveau se rendre librement à Dubaï
& Co. La diplomatie tunisienne, dans la ligne droite de la ligne fixée par
Habib Bourguiba, a refusé cet été de prendre part aux règlements de comptes qui
se jouent entre des pays du Golfe et le Qatar. La visite du président Erdogan,
honni par les EAU pour sa proximité avec les Frères musulmans,
les 26 et 27 décembre à Tunis, pourrait être une
explication au geste indélicat des Émiratis. Une loi très importante a été
votée par l'Assemblée des représentants du peuple. Elle veut lutter contre
toutes les violences faîtes aux femmes, offrant tout
un arsenal, de la sanction jusqu'à la pédagogie. Dans la foulée, une circulaire
datant de 1973 interdisant aux Tunisiennes de se marier avec un
non-musulman a été abrogée par le gouvernement. Puis le président de la
République a lancé une commission chargée de réfléchir à l'égalité homme-femme
sur la question de l'héritage. Une réalisatrice s'est distinguée sur la scène
internationale. Kaouther Ben Hania a vu son nouveau film, La Belle et
la Meute, projeté en sélection officielle au Festival de Cannes. Une
reconnaissance méritée. Son film raconte en une poignée de plans-séquence
l'affaire Meriem. Cette jeune femme avait été violée par des policiers en 2012.
La question du statut de la femme tunisienne demeure très vivace dans les
débats.
La prise de conscience
de l'Afrique
Après des années de sommeil politique,
le lobbying du secteur privé a payé, faisant inscrire l'Afrique à l'agenda
gouvernemental. Si l'Europe demeure le premier partenaire économique de la
Tunisie, de très loin, les relais de croissance se trouvent désormais au Sud.
Depuis de nombreuses années, les entrepreneurs veulent que l'État mette en
place un environnement propice au développement des relations économiques avec
les pays africains. C'est désormais sur les rails. Youssef Chahed, le chef du
gouvernement, a fait plusieurs visites officielles. Des liens diplomatiques
sont renforcés. Et la diplomatie itinérante s'ébroue. De son côté, la compagnie
étatique Tunis air a ouvert plusieurs lignes d'Abidjan à Cotonou. Si le Maroc a
pris des années d'avance sur le sujet, la Tunisie a enfin pris conscience qu'on
pouvait se développer en Côte d'Ivoire, au Burkina Faso et dans d'autres pays.
Le chantier de la
décentralisation
2018 sera une année économiquement âpre.
La loi de finances votée en novembre a recours à la pression fiscale pour
colmater les brèches. Taxes et impôts vont augmenter. Sur un budget
de 34 milliards de dinars, il faudra cependant recourir à l'emprunt
pour plus de 25 % du total. FMI, Banque mondiale et Union européenne
demeurent des contributeurs vitaux pour les finances publiques (sous forme de
prêts, de dons, d'aides…). Sans réussite économique, l'unique démocratie du
monde arabe pourrait connaître une transition de plus en plus chaotique. Une
bonne nouvelle, quasi inespérée, est apparue le 18 décembre. Après
trois années d'hésitations et de jeux politiciens, le président de la
République a enfin signé le décret convoquant les électeurs aux urnes
le 6 mai prochain, date des premières élections municipales libres en
Tunisie. L'enjeu est vital. Les électeurs choisiront leurs édiles
dans 350 communes. Et poseront le premier jalon d'une
décentralisation inconnue à ce jour dans le pays. Le Code des collectivités
locales devrait être adopté à l'ARP au premier trimestre 2018. Ce sera le mode
d'emploi des mairies (budget, prérogatives, périmètre juridique…). Une
révolution politique s'amorce.
Tunis et ses ministères devront accepter
de céder une partie de leurs pouvoirs (et de leurs budgets) à des élus locaux.
Pour l'ISIE, l'autorité indépendante chargée des élections, ce sera l'occasion
d'ouvrir le paysage politique à de nouvelles têtes. Une parité horizontale et
verticale est exigée. Au vu de l'insatisfaction des Tunisiens, on peut s'attendre
à une très forte abstention. Aux partis politiques de proposer une offre
attractive aux potentiels électeurs. Déçu par les promesses faites
en 2014 (Nidaa Tounes affirmait créer des dizaines de milliers
d'emplois), le Tunisien a un rapport quasi paranoïaque avec la classe
politique. Et les élections législatives et présidentielle de 2019 se
préparent déjà dans les états-majors. Alors que le citoyen pense à son pouvoir
d'achat et à l'avenir de ses enfants. « On ne transige pas avec le
quotidien. »
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