mardi 8 mars 2016

L'islamophobie, cheval de Troie de l'islamo-gauchisme !

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Mezri Haddad

L'affaire Kamel Daoud me rappelle le scandale Robert Redeker, cet agrégé de philosophie qui, pour avoir subi l'anathème ensuite l'excommunication, n'a plus jamais évoqué l'islamisme et ses déviances. Elle me rappelle aussi l'autre scandale provoqué par la conférence du Pape Benoît XVI à Ratisbonne. "Malheur à l'homme par qui le scandale arrive", enseignent les Evangiles ! Elle me renvoie encore plus loin dans l'histoire récente de l'obscurantisme contre les Lumières, à la polémique universelle autour de Salman Rushdie qui, pour vivre heureux vit caché depuis bientôt vingt sept ans.
Dans chacune de ces polémiques qui ont ponctué l'histoire de la défaite de la République face à l'intégrisme, j'avais plaidé la fermeté contre le laxisme, essayé la raison contre les passions, tenté le dialogue contre le radicalisme. Dans le cas de Redeker, j'avais fait un "Plaidoyer pour une éthique de la responsabilité" (Le Figaro du 15/10/2007). Dans le cas de la conférence de Benoît XVI sur la foi et la raison, si j'avais rappelé qu'il fut un temps où la Raison parlait arabe et l'Inquisition parlait latin, c'était pour tout de suite préciser que "l'ennemi mortel de l'islam, c'est le fanatisme, et le mal qui le ronge depuis des années, c'est l'intolérance." (Libération du 26/09/2006).
Dans mon soutien critique à Robert Redeker, j'avais averti qu'"Il n'y a pas que les fatwas à menacer la liberté d'expression. Il y a également cette autre épée de Damoclès que certains apôtres du droit-de-l'hommisme manient à tort et à raison, à savoir l'islamophobie". Dans le cas de Kamel Daoud, je dirai exactement la même chose, et davantage encore, à savoir qu'il y a des auteurs de fatwa "scientifiques" comme il y a des jihadistes républicains, ces enfants de la diversité sanctifiée et de l'altérité sacralisée, qui ont quitté les cités autarciques à la périphérie de la République pour aller conquérir des pays à la civilisation millénaire.
Si nos jeunes anthropologues, sociologues et historiens emploient des arguties qui relèvent plus de la casuistique que de la neutralité axiologique chère à Max Weber, les seconds utilisent des arguments frappants et explosifs au vrai sens du terme. Si, pour faire taire les libres penseurs, les premiers agitent l'islamophobie comme le tyran de Syracuse suspendait son épée sur la tête de Damoclès, les seconds n'hésitent pas à trancher de leur glaive criminel les têtes des innocents pour faire triompher leur idéologie mortifère et barbare.
L'islamophobie, car c'est essentiellement de cela qu'il s'agit en réalité dans l'affaire Kamel Daoud, est l'arme redoutable et redoutée de la nouvelle police de la pensée. C'est le soft power de l'islamisme "modéré" en France et plus généralement en Europe. C'est aussi le parangon de vertu de l'islamo-gauchisme, qui n'est pas qu'un concept mais aussi un esprit, une moraline, une pratique politique dénoncée, mieux vaut tard que jamais, par Elisabeth Badinter selon laquelle "La laïcité, devenue synonyme d'islamophobie, a été abandonnée à Marine Le Pen. Cela, je ne le pardonne pas à la gauche". Et d'ajouter : "À partir du moment où les gens auront compris que c'est une arme contre la laïcité, peut-être qu'ils pourront laisser leur peur de côté pour dire les choses." (Marianne, 6 janvier 2016).
Comme l'avait déjà si bien décrit Pascal Bruckner, ce néologisme d'islamophobie est un terme multifonctionnel : "nier pour mieux la légitimer la réalité d'une offensive intégriste en Europe, attaquer la laïcité en l'assimilant à un nouveau fondamentalisme. Mais surtout faire taire les musulmans qui osent remettre le Coran en cause, en appellent à l'égalité entre les sexes, au droit à l'apostasie et aspirent à pratiquer paisiblement leur foi sans subir le diktat de doctrinaires ou de barbus" (Libération du 23 novembre 2010). L'islamophobie "a pour but de faire de l'islam un objet intouchable sous peine d'être accusé de racisme".
Cette fonction normative et dissuasive du néologisme d'islamophobie, c'était déjà ce que redoutait l'un des plus grands érudits de l'islam, l'égyptien Georges Chehata Anawati. Dès 1976, il redoutait l'infâme accusation que l'on jetterait sur un exégète musulman coraniquement incorrect, à plus forte raison sur un islamologue juif, chrétien ou athée, qui serait "obligé, sous peine d'être accusé d'islamophobie, d'admirer le Coran en totalité et de se garder de sous-entendre la moindre critique sur la valeur du texte".
Reprenant une légende journalistique attribuée à Caroline Fourest, Pascal Bruckner s'est donc trompé sur l'ontologie du néologisme d'islamophobie en imputant son premier usage aux Iraniens en 1979. Dans sa recherche en paternité, Caroline Fourest s'est égarée sur l'origine du mot mais pas sur sa finalité subversive : "c'est Tariq Ramadan qui a apporté au Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP) le concept de lutte contre l'islamophobie pour faire condamner le blasphème et les critiques de l'islam en France". Elle n'avait pas tort. Mieux encore, l'esprit saint du prédicateur genevois plane sur cette fatwa enrobée dans la cire de l'humanisme et de l'académisme.
Amis ou en empathie intellectuelle avec ce prédicateur, les anthropologues, sociologues, historiens et "politistes", pétitionnaires et je ne dis pas auteurs de la fatwa contre Kamel Daoud, connaissaient sans doute l'utilité idéologique et politique du mot islamophobie, mais insuffisamment son origine historique. Car cette notion remonte en réalité à l'aube du XXème siècle, avec les travaux des anthropologues ( !) et des ethnologues "humanistes" de l'ère coloniale, à l'instar de Paul Marty, éminent spécialiste de l'islam subsaharien, ou de l'africaniste et ethnologue Maurice Delafosse. Dans sa thèse de doctorat éditée en 1910, ce dernier définissait déjà l'islamophobie comme étant "un préjugé contre l'Islam répandu chez les peuples de civilisation occidentale et chrétienne. Pour d'aucuns, le musulman est l'ennemi naturel et irréconciliable du chrétien et de l'Européen..."
De facto, le sens premier de l'islamophobie d'aujourd'hui se nourrit de ce terreau culpabilisateur de l'occidental et renvoie aux colonialistes qui abhorraient l'islam et méprisaient les indigènes musulmans. A moins d'admettre implicitement que le colonialisme a changé d'histoire, de généalogie et de géographie, passant d'Alger à Calais, ou de Damas à Cologne, en quoi l'algérien Kamel Daoud serait-il un islamophobe ? A ma connaissance, il n'est ni un occidental, comme la moitié des pétitionnaires, ni un franco-maghrébin comme l'autre moitié.
Je relève ce paradoxe parce que dans leur diatribe, les pétitionnaires ont cru bon d'ajouter à la batterie des adjectifs qui interpellent la rationalité occidentale (culturalisme, essentialisme, racisme, humanisme, altérité...), l'attribut qui galvanise la passion arabo-musulmane : ce qu'ils appellent le paternalisme occidental. Nous savons, nous autres, intellectuels Arabes affranchis des dogmes de l'islamisme comme des gnoses de l'eurocentrisme, ce que devient cette épistèmê pasteurisée dans la doxa épicée arabe. Intrinsèquement stigmatisante et culpabilisante, elle devient "suppôt de l'Occident" ! L'on sait l'effet qu'une telle accusation peut avoir sur les neurones atrophiée d'un apprenti djihadiste ou d'un candidat au martyr !
Si paternalisme occidental il y a, il n'est pas du côté d'une tribune libre et objective, rédigée par un écrivain solitaire et "indigène", comme diraient les précurseurs de l'ethnologie, mais d'une pétition cosmopolite, au fond relativiste et au ton assertorique. Un ton péremptoire et inquisitorial, qui flique les arrière-pensées faute d'analyser, et au besoin, critiquer les pensées. C'est à se demander si la pensée libre ne s'est pas recluse à Alger, à Tunis, à Damas et au Caire, et si le soleil d'Allah ne brille pas vraiment sur l'Occident, pour paraphraser l'historienne des religions, Sigrid Hunke, en 1963.
La pétition socio-anthropo-historico-politiste à laquelle Manuel Valls a eu l'audace de répondre, ne mesure point le degré d'islamophobie atteint en France, mais l'état intellectuel de certaines universités françaises. Ces universités desquelles, nous autres "suppôts de l'Occident" parce qu'ennemis de l'islamo-fascisme comme M.Valls (!), sommes exclues aussi bien sous le règne de Nicolas 2 que celui de François 1er.

1 commentaire:

  1. Edwy Plenel-Tariq Ramadan, entre démocratie et charia

    https://www.marianne.net/societe/edwy-plenel-tariq-ramadan-entre-democratie-et-charia

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