UOIF, Frères
musulmans, salafisme : le dessous des cartes
A l'occasion de la 9ème Rencontre Annuelle des Musulmans du
Nord, Mohamed Louizi, ancien frère musulman, décrypte les liens entre l'UOIF et
la confrérie qualifiée dans certains pays d'organisation terroriste.
Alexandre Devecchio (FigaroVox) : La 9ème Rencontre
Annuelle des Musulmans du Nord organisée par l'UOIF (Union des Organisations
Islamiques de France) a lieu ce dimanche. Trois orateurs étrangers prêchant
ouvertement la haine ont été déprogrammés. Cependant beaucoup dénonce la
proximité de l'UOIF avec les Frères musulmans … Comment définir l'idéologie de
ces derniers ?
Mohamed Louizi : Hassan Al-Banna, le fondateur des Frères Musulmans avait
défini son islam globalisant, son idéologie politique, comme étant, je cite : «
une organisation complète qui englobe tous les aspects de la vie. C'est à la
fois un état et une nation, ou encore un gouvernement et une communauté. C'est
également une morale et une force, ou encore le pardon et la justice. C'est
également une culture et une juridiction, ou encore une science et une
magistrature. C'est également une matière et une ressource, ou encore un gain
et une richesse. C'est également une lutte dans la voie d'Allah et un appel, ou
encore une armée et une pensée. C'est enfin une croyance sincère et une saine adoration.
L'islam, c'est tout cela de la même façon ».
En 1924, le califat Ottoman, « l'homme malade », avait fini par
chuter. Dans l'esprit d'Hassan Al-Banna, ce dernier représentait le symbole
politique de l'unité des musulmans face aux occidentaux. En 1928, il décida de
créer sa mouvance islamiste, premièrement, pour libérer l'Egypte de la
colonisation britannique et lutter par tous moyens contre la présence juive et
l'établissement d'Israël en terre sainte des trois monothéistes, et
deuxièmement, pour établir un nouveau califat/état islamique mondial et
atteindre le «Tamkine» global, qui signifie la suprématie de l'islam
frériste sur tous les autres islams et sur toutes les autres religions, et
l'application de ses règles juridiques et lois pénales pour gérer les rapports
à l'intérieur de la société et avec l'extérieur de ce califat.
Théoriquement, dans ses écrits, se rêve est inscrit dans un
processus stratégique partant d'abord et essentiellement de l'éducation de
l'individu - d'où la priorité accordée aux « jeunes musulmans » par les frères
lors de ce 9ème RAMN à Lille, entre autres. Ensuite de l'individu, il faut
former le foyer musulman, puis le peuple musulman, puis atteindre le
gouvernement islamiste, puis établir le califat, puis reconquérir l'Occident
puis atteindre le Tamkine planétaire. Ça paraît fou comme
idéologie et projet politique, mais force est de constater que depuis 1928,
cette vision globalisante demeure opérante et présente, non seulement en
Egypte, mais partout ailleurs, y compris en France.
La définition que j'ai donnée ci-dessus, est extraite du livre :
20 principes pour comprendre l'islam, formalisés par Hassan Al-Banna,
développés par Youssef Al-Qaradawi et traduit en français par Moncef Zenati.
Celui-ci est membre du bureau national de l'UOIF, chargé de l'enseignement et
de la présentation de l'islam. Pis, ce livre idéologique est enseigné à des
jeunes adultes, depuis au moins deux ans à « l'Institut Al-Qods » (Jérusalem),
créé par des frères cadres de l'UOIF au CIV (Centre Islamique de Villeneuve
d'Ascq) et à la mosquée de Lille-Sud où professe Amar Lasfar. La personne qui
s'est chargée de délivrer toutes les semaines ses 20 principes idéologiques à
la jeunesse est un professeur, payé par les deniers de l'Etat, au Lycée
Averroès.
Alexandre Devecchio : Les Frères musulmans sont considérés
comme une organisation terroriste dans certains pays. Pourtant lorsqu'il était
ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy a fait de l'UOIF l'un de ses
principaux interlocuteurs et a qualifié ce mouvement d' «orthodoxe». Qu'en
est-il réellement ?
Mohamed Louizi : Effectivement, les Frères musulmans sont désormais classés
comme organisation terroriste par plusieurs pays. Par exemple, l'Arabie
Saoudite l'a fait en mars 2014. En novembre de la même année, c'est au tour des
Emirats Arabes Unies de classer la mouvance et ses ramifications
internationales, y compris l'UOIF, sur sa liste. L'UOIF avait déclaré dans un
communiqué publié le 17 novembre 2014 qu'elle « étudie toutes les voies et se
réserve le droit d'agir afin d'obtenir réparation », chose qu'elle n'a jamais
faite !
De l'autre côté de la Manche, le Premier ministre britannique
David Cameron avait prévenu, suite à une enquête très fouillée, dans une lettre
adressée le 17 décembre dernier aux députés, que tout lien avec les Frères
musulmans pourrait être considéré comme « un éventuel signe d'extrémisme ». Il
avait écrit : « Certaines sections des Frères musulmans ont une relation
ambiguë à l'extrémisme violent ». Il est parti encore plus loin en affirmant qu'
« être membre, associé ou influencé par les Frères musulmans devrait être
considéré comme un signe d'extrémisme ». Depuis, il semblerait que les Frères
en Grande-Bretagne sont mis sous surveillance.
Le communiqué du ministre de l'intérieur, Bernard Cazeneuve,
publié le 2 février, avertissant l'UOIF au sujet de son 9ème RAMN, utilise une
terminologie nouvelle et inhabituelle dans le rapport avec l'UOIF, je cite : «
totale vigilance », « poursuites immédiates » et « sanctions appropriées ». Il
me semble que c'est la première fois depuis la création de cette mouvance en
1983 que l'Etat puise ses mots d'un champ lexical très particulier. Quelque
chose commence sérieusement à changer dans le rapport entre l'Etat et l'UOIF.
Quant au qualificatif « orthodoxe », utilisé par Nicolas Sarkozy avant la
création du CFCM, je crois qu'il n'y a que lui qui pourrait, peut-être, le
définir. Pour ma part, je comprends cette orthodoxie comme une fidélité absolue
à l'idéologie d'Hassan Al-Banna dans sa dimension politique comme dans sa
dimension jihadiste.
Alexandre Devecchio : Les Frères musulmans se disent
légalistes et non violent…
Mohamed Louizi : Ce n'est pas vrai. Il n'y a qu'à lire l'intégralité de «
du jihad », écrite par Hassan Al-Banna que j'ai traduite dans mon essai
autobiographique : Pourquoi j'ai quitté les Frères musulman, et qui
circule toujours dans des cercles fermés des frères de l'UOIF en France. Son
contenu n'a aucune différence avec la matrice idéologique jihadiste de toutes
les organisations terroristes : Al-Qaïda, Al-Nosra, Daesh, etc. L'on y trouve,
les mêmes textes violents, la même rhétorique jihadiste et les mêmes
préconisations à recourir, par obligation religieuse, à l'usage des armes. La
différence entre les Frères et les autres, c'est une différence de degré et non
de nature. Il y a ceux, comme les groupes qui usent de la violence maintenant
et ici. Les Frères les soutiennent, directement ou indirectement, et peuvent y
recourir le moment venu. Je rappelle que l'appel au jihad en Syrie a été lancé,
depuis le Caire, le 13 juin 2013, par une coalition composée de Frères
musulmans et de salafistes. Le président de l'Egypte à cette époque s'appelait
Mohamed Morsi. Les frères actuellement à la tête de la confrérie à
l'internationale comme ici en France font parti du courant de Sayyid Qotb, la
référence de tous les jihadistes contemporains, qu'il soit frères ou pas.
Alexandre Devecchio : Certains évoquent un double discours.
Est-ce établi ?
Mohamed Louizi : Lors de l'éclatement de l'affaire qui avait opposé
le lycée Averroès à un professeur de philosophie, en février 2015, Amar Lasfar,
le président de l'UOIF avait déclaré face à la caméra de France Télévision que
l'UOIF n'a aucun lien avec les Frères musulmans. Un an plus tard, presque jour
pour jour, Mohamed Karrat, l'un des lieutenants fidèles d'Amar Lasfar et qui
est aussi recteur de la mosquée de Villeneuve d'Ascq, cadre responsable de la
Ligue Islamique du Nord et professeur au lycée Averroès, a déclaré lors d'un
court discours, en français, devant des fidèles, ce vendredi 5 février, que
derrière l'attaque qu'a subi le 9ème RAMN prévu à Lille, « c'est l'UOIF qui est
visé ». Il a dit : « L'UOIF est accusée d'être des Frères musulmans, et ça,
personne ne s'en cache. Nous ne cachons pas notre identité. Nous en sommes
fiers …» Ainsi, l'un dit qu'il n'y a pas de lien entre l'UOIF et les Frères
musulmans et se permet d'attaquer en justice ses contradicteurs pour
diffamation. Un an plus tard, l'UOIF affirme son identité frériste
publiquement. Voici un exemple éclatant de ce double-discours presque banal. Je
considère qu'au-delà du double discours, il y a un discours « en arabe » et un
autre « en français ».
Alexandre Devecchio : Peut-on parler de stratégie globale
d'islamisation en France et Europe ?
Mohamed Louizi : Dans tous les pays où se trouvent des Frères musulmans,
en Orient comme en Occident, le projet islamiste est le même depuis la création
de la mouvance par Hassan Al-Banna en 1928. Il s'agit de rétablir le califat
islamique aux frontières historiques, y compris là où l'islam avait une
présence en Europe. Ce projet a un nom : le projet Tamkine. Dans le monde
arabo-musulman, les expériences de cette mouvance passent par des hauts et des
bas. Ils arrivent à percer un temps. Ensuite, ils sont mis en difficulté. Mais
ils ne disparaissent pas. Eux-mêmes décrivent leur influence comment étant une
succession de phases et de cycles : naissance, puis ascension, puis apogée,
puis déclin, puis latence, puis ascension à nouveau et ainsi de suite.
Ici, en Europe et en Occident, les choses se présentent
autrement. Car si le monde arabo-musulman est considéré déjà comme un «
territoire » acquis, en Occident, cela n'est pas le cas. Les Frères musulmans
s'emploient depuis le début des années 1980, sur le vieux contient à acquérir
divers « territoires » privés pour inscrire, dans la durée, leur récit
islamiste comme élément du récit national de chaque pays de l'Europe. Cette
opération s'appelle le « Tawtine ». Elle est exécutée par la
construction de mosquées-cathédrales, d'acquisitions immobilières diverses et
variées, de construction d'établissements scolaires privés, etc. Car sans le
« Tawtine », le projet Tamkine ne peut être mené efficacement. Si le Tawtine est l'objectif territorialiste d'une
étape, le Tamkine est le but ultime pour
que la loi d'Allah, telle qu'elle est comprise par les idéologues et oulémas
des frères, domine l'Europe et l'annexe à l'Etat Islamique tant rêvé par les
Frères.
Chakib Benmakhlouf, ex-président de la FOIE (Fédération des
Organisations Islamiques en Europe), avait déclaré, dans une interview au
journal londonien arabe Asharq
Al-Awsat (Moyen Orient), le 20 mai 2008, je traduis : « Au sein de la FOIE,
nous avons un plan d'action, nous avons un plan d'action sur 20 ans; sur le
court terme, le moyen et le long terme. Certains événements, malheureusement,
se déroulant de temps en temps, influent négativement sur l'avancement de notre
action. Certains musulmans se sont vite sentis attirés vers des combats
marginaux et cela perturbe notre plan d'action global. »
Alexandre Devecchio : Vous accusez l'UOIF d'être «une base
de réserviste»…
Mohamed Louizi : Lorsqu'on lit et analyse l'«Épître du jihad»
d'Hassan Al-Banna et les écrits de Sayyid Qotb, notamment son interprétation de
la Sourate 8 et 9, entre autres, ainsi que son livre : Jalons sur la route, on déduit une constance
idéologique chez les Frères : Le frère musulman, par définition, ne peut être
que jihadiste, en opération, ou réserviste caressant le rêve de faire le jihad
armé un jour. Lorsqu'il est au stade de réserviste, il doit soutenir par tous
les moyens ceux qui partent faire le jihad : soutien financier, soutien
médiatique, soutien par les prêches, par les invocations, etc.
Hassan Al-Banna avait construit cette idée fondamentale sur des textes
religieux attribués au Prophète Mohammad : « Quiconque meurt sans avoir
combattu et sans en avoir jamais eu le désir, meurt sur une branche
d'hypocrisie »! C'est plutôt Hassan Al-Banna qui considère les Frères, en
général, et l'UOIF en particulier, comme étant une base de réservistes.
Alexandre Devecchio : Quelle est la différence entre frères
musulmans et salafistes ? Un frère musulman est-il forcément un salafiste ? Un
salafiste forcément un terroriste ?
Mohamed Louizi : Ce que je peux confirmer, c'est que la matrice
idéologique salafiste et jihadiste est la même pour les trois cités. Et ce,
nonobstant les quelques disparités et variances de langages constatées, par-ci
ou par-là. Ceci étant, un frère ne peut être que jihadiste ou réserviste. Le
réserviste peut ne jamais porter des armes. Il peut se rendre compte de la
supercherie et quitter. Il n'y a pas d'automaticité de passage d'un stade à
l'autre. L'humain est imprévisible. Il peut être quiétiste et basculer ensuite
dans le jihadisme le plus abjecte. Il peut être jihadiste et se repentir. Mais
une chose est sûre : pour rompre avec tout ceci, il faut un traitement des
racines de la violence, religieuse ou pas, à la source. L'idéologie des Frères
Musulmans ne doit être exclue de cette lutte contre la radicalisation et les
facteurs idéologiques qui la sous-tendent.
Alexandre Devecchio : Vous avez vous-même été un «frère»
actif parmi les Frères musulmans. Quelles sont leurs méthodes de recrutement et
d'embrigadement ?
Mohamed Louizi : Le couple prédateur/proie permet d'assurer
l'équilibre des pyramides alimentaires d'un écosystème. Le prédateur choisit sa
proie selon des critères dictée par la nature. La
pyramide des Frères musulmans, celle décrivant les étapes du Tamkine, a aussi ses «
prédateurs » qui sélectionnent leurs proies selon des critères dictés par
l'idéologie et par les besoins en ressources humaines du projet Tamkine global. Chez les Frères musulmans,
l'adhérent ne choisit pas l'association. C'est elle, telle une secte obscure,
qui le choisit, et ce sont ses anciens membres qui le cooptent au terme d'un
parcours initiatique très particulier.
Le projet Tamkine a besoin, en plus d'un territoire, d'une «
base » humaine solide. Je fais remarquer le mot « base » se traduit en arabe
par « Qaïda ». Il s'agit d'un concept idéologique souvent
utilisé dans les écrits de Sayyid Qotb, surtout dans son exégèse des sourates 8
et 9. Le même terme est utilisé par Al-Qaïda pour désigner son organisation
terroriste internationale. Selon Sayyid Qotb, la création d'un état islamique
sur un quelconque territoire a un préalable éducatif, idéologique et organique
majeur. Celui de se constituer, avant toute autre chose, une base humaine
solide composée de personnes, frères et sœurs, hautement éduqués et convaincus
par l'idée et la nécessité de cette création en étant prêts, à tout moment, à
tout sacrifier, y compris leurs vies, pour la concrétiser et la défendre contre
vents et marées. Sayyid Qotb cite l'exemple du prophète Mohammed et sa réussite
à se constituer à la Mecque une « base » humaine, de compagnons convaincus,
avant d'immigrer et de s'établir à Médine, son nouveau territoire pour y
instituer le premier état islamique conquérant selon l'interprétation politique
de cet idéologue frériste.
Les frères-prédateurs s'emploient à cibler des recrues pour
constituer cette « base » solide et ce noyau dur dans chaque pays. Au terme
d'une initiation idéologique, durant laquelle les 10 piliers de l'allégeance
sont expliqués, à savoir : « la compréhension, la sincérité, l'action, le jihad
(armé), le sacrifice, l'obéissance totale, la persistance, la fidélité à
l'engagement, la fraternité et la confiance totale placée à l'endroit de la
direction et du commandement », le/la candidat(e), répondant au standard
idéologique passent à l'étape du serment d'allégeance où il/elle s'engage
expressément en répétant l'attestation suivante : « Je m'engage devant Allah,
le Tout-Puissant, à observer rigoureusement les dispositions et préceptes de
l'islam et de mener le jihad pour défendre sa cause. Je m'engage devant Lui à
respecter les conditions de mon allégeance aux Frères musulmans et accomplir
mes devoirs envers notre confrérie. Je m'engage devant Lui à obéir à ses
dirigeants dans l'aisance comme dans l'épreuve, autant que je le pourrai, tant
que les ordres qui me sont donnés ne m'obligent pas à commettre un péché. J'en
atteste allégeance et Allah en est témoin. ». Dès lors la nouvelle recrue est
missionnée pour œuvrer pour le projet Tamkine,
éclairé par la devise mythique de la mouvance : « Allah est notre ultime but,
le Messager est notre exemple et guide, le Coran est notre constitution, le
jihad est notre voie, mourir dans le sentier d'Allah est notre plus grand
espoir » !
Alexandre Devecchio : Qu'est-ce qui vous a poussé à rompre ?
Mohamed Louizi : Lorsque j'ai compris que la voie des frères est la voie de
deux sabres pour imposer un Coran, j'ai tiré ma révérence et j'ai choisi le
chemin apolitique et non-violent de mon grand-père maternelle et de mon père
spirituel : Jawdat Saïd, le Ghandi du monde arabe.
* Ex-président des Étudiants musulmans de France
(Lille), Mohamed Louizi est ingénieur.
MEDIAPART : Au service des Frères musulmans ?
RépondreSupprimerMohamed Louizi :
" Que l'islam politique ait le droit de cité, dans une quelconque démocratie, par ses propres instruments de propagande, cela est son droit. Mais que Mediapart devienne, par le fait d'une minorité dirigeante un instrument de cette propagande frérosalafiste anti-laïcité et anti-République, cela me parait inadmissible et insoutenable à tout point de vue.
" Lorsque’on reprend les éléments de langage des « frères musulmans » (islamophobie) pour empêcher tout débat serein, on est plutôt au service des « frères » contre les intérêts communs de la communauté nationale et aussi des citoyens de foi et/ou de culture musulmane.
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