La lecture de la chronique, mardi dernier, de mon collègue Luc Le
Vaillant, au sujet des animaux et du choix de ne pas les manger, m’a poussé à
réagir. Loin d’y voir une «
cause annexe », j’estime qu’il est utile que j’y réponde point
par point.
Sur
la philosophie. « Expier », « christique », « ascèse », « apôtre » … Diable, – si
j’ose dire – je ne m’attendais pas à un tel enthousiasme à aborder ce
sujet sous l’angle religieux. On croit déceler chez l’auteur comme un regret de
voir ainsi vaciller son statut de «
maître de l’univers ». Qu’il se rassure, nul ne convoite son
trône. Et certainement pas ceux que mon collègue décrit comme une cohorte
d’ascètes en pleine autoflagellation et fascinés par les privations. En vérité,
aborder le végétarisme ou le véganisme en ayant le sentiment de se priver n’aurait
guère de sens en matière d’engagement animaliste (où seraient les
convictions ?) et serait le meilleur moyen de ne pas suivre longtemps ce
régime alimentaire. La plupart d’entre nous ont plutôt le sentiment, il me
semble, de faire bombance sans infliger de souffrance, ce qui ne nous prive
guère. Que nous puissions être « culpabilisateurs » ?
C’est bien possible, et peut-être est-ce là l’un de nos défauts. Mais pour
quelle raison mon confrère devrait-il donc culpabiliser ? Aurait-il
contribué, pour reprendre son expression, à « saloper la supposée beauté de
la nature » ?
Sur
la politique. A la gauche prométhéenne vantée par Luc, tournée vers un
progrès sans fin – vers quoi ? Comment ? A quel prix ?
– je préfère une gauche égalitaire, tolérante, qui ne tourne pas le dos au
progrès technique mais ne compte pas y sacrifier ses principes ni la compassion
pour ceux qui en seraient les rouages involontaires. Darwin et ses travaux sur
la façon dont les espèces s’adaptent et évoluent en fonction de leur environnement
n’ont pas grand-chose à faire dans ce débat. J’inclus évidemment dans ces
rouages les animaux que nous élevons à dessein pour en faire usage. Pourquoi
les exclure ? Parce qu’ils sont plus éloignés de nous que « le tiers état, les Juifs, les Noirs, les femmes,
les gays » ? Terrain glissant… Je préfère pour ma part
supprimer tout curseur, de peur qu’on me demande un jour d’en fixer
l’emplacement. Disséminons les droits ! Et non, il ne s’agit pas de donner
le droit de vote aux poules, là n’est pas l’objectif du mouvement animaliste,
qu’on se rassure. Quant aux bêtes qui ne « demandent rien à personne », je
réponds : eh bien oui, et alors ? Elles n’ont en effet pas demandé à
naître et vivre en batterie, ni à finir sous nos couteaux. Et pour ce qui est
des droits que nous devrions leur octroyer (celui de vivre en paix, d’avoir les
relations sociales qu’elles entendent, de ne pas être exploitées…), devons-nous
attendre qu’elles puissent les formuler explicitement pour y réfléchir ?
Si tel est le cas, je tremble pour les humains qui pour telle ou telle raison
ne sont pas en mesure d’exprimer leurs aspirations légitimes. Pourvu que le
curseur ne bouge pas dans le mauvais sens…
Sur
la légèreté. Ah, la rude campagne honnête que nous autres citadins
amollis avons oubliée… Je l’avoue, je n’ai jamais vu égorger de cochon, ni
plumer d’oie. J’ai en revanche un peu vécu à la campagne, j’y ai visité des
étables, aux vaches alignées derrière des grilles de fer. Mais pas les
abattoirs où elles finissent (visite déjà complexe à effectuer pour un député
de la République, je plaide donc la circonstance atténuante). Pour être tout à
fait honnête, je n’ai jamais vu non plus guillotiner personne. Ça ne m’empêche
pas d’être contre la peine de mort. Faut-il avoir vu enfreindre un droit pour
avoir envie de le défendre ? Nul besoin en tout cas d’en porter les
victimes « aux nues ». La simple
considération suffira.
1) « Choisir le régime désincarné est une manière
de s’imaginer ange, elfe ou sylphide. Vous voilà esprit fugace et taureau ailé,
pensée dégagée des servitudes physiologiques et grain de poussière balayé par
la vacuité de l’existence », écrit Luc Le Vaillant. Je peine
vraiment à m’imaginer en « ange, elfe ou sylphide » transformé
par un « régime désincarné »… Six ans de
végétarisme n’ont guère réduit mon tour de taille, et nulle révélation mystique
n’est venue bouleverser ma nature.
2) Ce même régime « témoigne aussi d’un refus de
mordre dans le jarret de l’adversité ». Voilà un point que je
ne contesterai pas : dans l’animalisme tel que je le pratique, je ne me
livre en effet pas à l’action directe. Le militantisme suit divers chemins,
celui de l’action en est un, et indispensable. Celui d’exercer son choix en
fonction de ses convictions plutôt que des traditions en est un autre. C’est le
mien.
3) «
Ce souci d’humaniser l’animal est aussi une manière de désanimaliser l’homme,
au risque d’affadir l’époque. » A nouveau nous sommes
d’accord. « Humaniser l’animal » et « désanimaliser l’homme » n’ont,
ni l’un ni l’autre, aucun sens. Cessons de jouer avec les étiquettes,
d’humaniser ou désanimaliser tel ou tel. « Frères de sang » comme
le dit mon confrère, mais aussi de conscience de soi et de sentiments, les
animaux, humains ou non, méritent bien qu’on leur fiche la paix. Et tant pis
– puisque nous chutons sur la corrida – si la liberté de se pavaner
de la « courageuse poupée » des
arènes doit en pâtir : vivons et laissons !
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