" Mauvais
souvenirs, soyez les bienvenus; vous êtes ma jeunesse lointaine."
Georges Courteline
" La plus belle religion est la science, la plus belle mosquée est l'école, le meilleur imam est l'enseignant et le vrai croyant est le citoyen. "
Farhat Abbas
" * كـادَ المعلّمُ أن يكونَ رسولا "
أحمد شوقي
Enfant, j'ai aimé mon école franco-arabe située face au vieux port de pêche
de Bizerte, d'autant qu'elle était tout près de la rue où nous habitions dans le bel immeuble de style italianisant situé
rue de Tunis dans la partie européenne de la ville, tout en étant à un jet de
pierre de la Médina, de la Kasbah dite " Houmet l’And'lus "
(quartier des andalous) et d' " El Ksiba " (La petite Kasbah),
quartier de pêcheurs bizertins, italiens et maltais. Autrement dit, mon école
portait bien son nom ; puisqu'elle était au carrefour des quartiers "
arabes " et " occidentaux ". Pour moi, elle était le centre
du monde, ou du moins de mon monde.
"Pont sur le canal" - Albert Marquet (1875-1947)
Le pont avait disparu puisque dans les années 50 il n'existait plus, mon école franco-arabe étant face au vieux port de Bizerte.
Sous Ben Ali, un pont plus important sera édifié un peu plus loin pour rallier Sidi Salem par la route de la plage. La Ksiba de Bizerte avec son air de Burano de Venise
Terrasse du restaurant Le Sport Nautique, où nous avions une cabine de plage.
Photo prise vers 1954
En arrière-plan, la construction du Bâtiment des Aviateurs Français
Ce que j'ai aimé pardessus tout, c'était ma première institutrice. Une Française jolie et très douce avec nous. En nous apprenant l'alphabet, elle
nous apprenait aussi comment calligraphier ses lettres en les dessinant sur le
grand tableau noir en insistant sur le plein et le délié de chacune d'elles.
J'ai le souvenir d'avoir été fasciné par cette calligraphie. Avec ma plume Sergent Major je m'appliquais à reproduire ce que je voyais au tableau. Je
prenais plaisir à le faire, d'autant que cela semblait plaire aussi à notre maîtresse.
Elle montrait mon cahier aux élèves pour les inciter à en faire de même. Du
moins c'est ce que j'en avais déduit, ne parlant pas encore le français ni moi
ni mes petits camarades. Mais une chose est certaine, elle m'a donné le goût de l'école et celui de cette langue dont j'apprenais avidement l'alphabet et dessinais déjà bien les
lettres. Je me rappelle même m’être vanté de "
parler " français auprès de mes sœurs plus jeunes que moi, auxquelles je
" racontais " les petits illustrés de mon frère aîné ; alors que
je ne faisais que raconter une histoire sortie de mon imagination donnant sens
aux dessins, ce que mes sœurs admiratives, prenaient pour une " maîtrise
" du français.
Souvent en accompagnant ma mère au marché pour faire ses courses, je lui
demandais de m'acheter un bouquet de fleur (souvent des jonquilles ou des narcisses) pour
l'offrir à mon institutrice.
J'avais pour voisin de bureau d'écolier, Ahmed D. que l’institutrice avait placé à côté de moi et qui va devenir mon meilleur ami durant toute ma scolarité à l'école franco-arabe. N'habitant pas loin de chez moi, il avait la gentillesse de passer me prendre en bas de chez moi pour faire les quelques pas qui nous séparaient de notre école. Ses parents le plaçaient comme commis chez le coiffeur en bas de mon immeuble durant les vacances d'été, histoire de l'empêcher de traîner dans les rues. En récréation, il me protégeait des élèves turbulents, voir violents quand leur meneur voulait me faire dire des gros mots " initiatiques " et que je refusais de répéter. J'ai le souvenir de sa touchante invitation pour la cérémonie de sa circoncision que certaines familles pratiquaient tardivement.
C'était mon premier ami d'école. Je l'ai perdu de vu mais j'en ai gardé un très bon souvenir.
Lors des récréations, des vendeurs ambulants venaient proposer devant le portail de l'école, des friandises en guise de goûter pour les élèves. Mon choix s'était arrêté sur le marchand de millefeuilles. Il faut dire qu'ils étaient produits par le meilleur pâtissier de Bizerte, Salah J'mili, qui envoyait son commis vendre tout un plateau de millefeuilles encore chauds avec leur glaçage caramel encore mou. Son plateau est très vite pris d'assaut par les enfants à raison de 10 millimes le millefeuille entier et de 5 millimes la moitié d'un millefeuille pour les moins nantis. Le succès de cette pâtisserie est tel que le commis-vendeur repartait toujours avec son plateau vide.
Il faut rappeler aussi que Salah J'mili était l'ouvrier d'un pâtissier français dont la boulangerie-pâtisserie bien placée au carrefour des deux mondes franco-arabe, face à mon école, était courue par la colonie française mais aussi par les autochtones pour la qualité de ses pains, de ses croissants, de ses viennoiseries, de ses pâtisseries et de ses glaces.
A l'indépendance, il l'avait cédée à son ouvrier qui a maintenu la qualité des produits qui faisaient le succès de cette pâtisserie auprès des Bizertins; et depuis 1962, auprès des Tunisiens. Enfant, à la question de mon père de ce que je voudrais faire plus tard, ma réponse le faisait rire quand je lui disais " pâtissier, pour faire des millefeuilles ". De cette passion, me reste le goût si particulier de ces millefeuilles, devenus ma référence, une sorte d' " étalon-millefeuilles " ; qu'adulte, je recherche dans les millefeuilles goûtés à travers mes pérégrinations aussi bien en Tunisie qu'à l'étranger. C'est en quelque sorte, ma madeleine de Proust.
Bizerte - l'école franco-arabe
J'aimais l'école et progressais bien, jusqu'à ce qu'en 5éme, je tombe sur un
instituteur français qui louchait d'un œil. Il venait souvent en classe presque
ivre. Quand il passait dans les rangs pour réclamer le silence menaçant de
jeter l’élève bruyant par la fenêtre, il sentait l'alcool. Il nous terrorisait.
Il lui arrivait souvent de malmener violemment les élèves qui chahutaient. Je
ne l'ai pas aimé cet instituteur et je n'ai plus aimé aller à l'école. Je
prétextais des maux de tête, de ventre ... pour ne pas aller à l'école. Au bout
de quelques jours de " maladies ", j'ai fini par en raconter à ma
mère les vraies raisons.
Mon père qui tenait à ce que ses enfants soient bien scolarisés, et devant
mon refus de retourner à mon école franco-arabe, m’a inscrit à l’école
Stephen Pichon fréquentée alors essentiellement par les enfants de la colonie
française de Bizerte et où étaient déjà inscrits mes frères. Je n’y suis pas
resté plus d’un mois : je n’ai aimé ni l’école ni ses élèves. A nouveau je
ne voulais plus aller à l’école. Il faut dire que je ne connaissais personne et
j’étais moqué par les petits " arabes " qui me rejetaient, parceque
je ne parlais pas encore français.
Désespéré, mon père a demandé à son ami Mhamed Essersi directeur d'école
s'il pouvait me prendre dans son école. Evidemment il a accepté. Sauf que
j'arrivais plus de deux mois après la rentrée scolaire dans une classe où je ne
connaissais personne. La maîtresse m'a placé au fond de la classe et m'a
complètement ignoré. Elle s'est désintéressée de moi, alors je me suis
désintéressé d'elle et rêvassais en attendant la récréation où on nous servait du lait chaud au chocolat dans le cadre de la politique " un verre de lait à l'école " instaurée en 1954 par Pierre Mendès France pour pallier aux carences en calcium chez les enfants.
Et ce qui devait arriver, est arrivé :
je redoublais ma 5éme !
Enfants, moi et mes frères allions souvent jouer dans l’arrière-cour du
magasin de mon père, occasion pour nous de prendre un goûter " chaud
", chez le marchand de beignets d’à côté. C’est dans ce magasin, sur le
bureau de mon père que j’avais commencé à dessiner; laissant libre cours à mon
imagination.
C’est là que j’avais dessiné pour mon chien Boby sa niche que nous avons
réalisée mes frères et moi avec les planches de bois des caisses des
marchandises du magasin. La niche construite, j'ai rajouté pour touche finale
le nom de BOBY, en lettre d’or au-dessus de l’entrée de la niche avec des clous
de tapissier en laiton à tête ronde.
Les vitrines des magasins voisins m’inspiraient aussi, plus
particulièrement lors des fêtes de Noël et
de Pâques et devant lesquelles je m’attardais souvent. Je me souviens plus
particulièrement de la crèche de Noël et de la profusion de neige à force de
coton qui me fascinait bien que je n’en eusse jamais vu à Bizerte au climat
tempéré. J’aimais dessiner et colorier le
nouveau-né dans la crèche, entouré de ses parents, de l’âne, du bœuf, des rois
mages et des anges … que mon père appréciait modérément, me rappelant
qu’ils ne font pas partie de notre culture religieuse.
Cependant, mes dessins plaisaient à mon père ainsi qu’à son employé qui
m’encourageait par des bonbons. Employé très dévoué à mon père, lui étant reconnaissant
pour l’avoir embauché quand beaucoup de commerçants refusaient de l’employer,
parce que " révolutionnaire ". Car qui mieux qu’un militant,
pour aider un autre militant !
En effet, cet homme était comme beaucoup d’autres à cette époque coloniale, sympathisant du panarabisme perméable aux
discours enflammés de Gamal Abdel Nasser, leader du panarabisme d’alors. Il
s’apprêtait même à le rejoindre pour aller libérer la Palestine et
répondre ainsi à l’appel du président Egyptien aux "
arabes " pour secourir leurs frères Palestiniens. Mon père
avait du mal à le retenir. Pour le raisonner, il lui demande de commencer par libérer la
Tunisie.
La bataille de Bizerte qui fut un drame pour des milliers de jeunes Tunisiens
venus " libérer " Bizerte, souvent à mains nues, sera pour moi ma
chance pour me sortir de l’impasse où je m’étais mis à cause d’un instituteur
ivrogne et violent ! Comme beaucoup de familles fuyant la guerre, mon père a
décidé le 20 juillet 1961 d'amener la sienne à Tunis, où il avait déjà acheté une villa à
Mutuelle-Ville, en perspective de la poursuite des études secondaires et
universitaires de ses enfants dont il souhaitait poursuivre la scolarité dans les meilleurs établissements.
Il nous a inscrits mes sœurs et moi à l'école mixte de Mutuelle-Ville, place
Mendès France. Il nous a recommandés à sa directrice Mme Halima Chehata, à laquelle il
confiait sa couvée, disait-il ; comme elle s'en rappellera des années plus
tard.
C'est une toute petite école. Il n'y avait que quatre classes. Nous
n'étions pas nombreux. Et ma chance était d'avoir Mme Chehata comme
institutrice. J'ai le souvenir encore du timbre de sa voix. Une voix chaude et claire.
Assez forte. Elle aimait la discipline et l'obtenait naturellement rien que par
la voix. Elle m'a redonné le goût de l'école et à nouveau celui du
français.
Mme Halima Chehata
J'ai le souvenir en apprenant la conjugaison, de la fascination qu'exerçait
sur moi l'imparfait du subjonctif. En cours de conjugaison, Mme Chehata avait
l'habitude d'écrie au tableau noir à la craie blanche le verbe, qu'elle faisait
suivre par le temps où il est conjugué, à la craie rouge ; et ce, depuis la
première personne du singulier jusqu'à la troisième personne du pluriel.
Je me suis passionné pour la conjugaison ; et pour le montrer à mon
institutrice, lors des dictées, je m'appliquais à écrire en rouge le temps de
conjugaison des verbes que, eux, j’écrivais à l'encre noire. Passant dans les rangs, Mme Chehata s'en est aperçue. Elle me tira l'oreille
et me demanda comment pourrait-elle corriger ma copie si j'utilisais l'encre
rouge qu'elle utilise pour les corrections ? Je pense qu'elle comprit,
cependant, mon amour pour la conjugaison.
En cours de lecture, elle nous donnait de beaux textes et de jolis poèmes à
lire. Elle impliquait les parents en nous demandant de faire signer par eux un
petit carnet attestant le nombre de fois que nous les avions lus, pour que leur
lecture soit aisée lors du contrôle qu'elle ne manquait pas de faire en classe.
Pour lui montrer que je les comprenais, je les illustrais de dessins richement
coloriés, parfois en reliefs, dans un cahier confectionné à sa demande avec des
feuilles de papier Canson, noires. A la fin de l'année, elle a conservé mon
cahier. Je lui en ai voulu de m'avoir " confisqué " mon cahier que
j'aimais feuilleter. Le gardait-elle en souvenir de moi ou de l’élève appliqué que
j'étais alors ? Je ne sais.
Cette année-là, j'étais parmi les premiers de la classe et mon père était
content que je passe en 6éme; et surtout rassuré que je reprenne goût à
l'école.
A cette école j'ai eu pour ami, un garçon drôle et plein d'imagination puisqu'il affirmait en récréation aux camarades d'école, qu'il est fils d'Elisabeth II; ce qui faisait rire tout le monde dont certains le traitaient de menteur. Et pour se défendre, il les provoquait en duel et bagarre. S'il m'appréciait, j'imagine, c'est parce que je ne relevais pas cette incongruité ni le traitais pour autant de menteur. Ce garçon est le futur champion des échecs de Tunisie : Slim Bouaziz.
L'année d’après, Mme Chehata m'a recommandé à une autre institutrice : Mme
Rejiba, une Française mariée à un Tunisien. J'en ai gardé un très bon souvenir
et j'ai continué à progresser en français avec elle.
D'ailleurs devant mon goût retrouvé pour l'école, mon père m'a demandé si je pouvais aider mon neveu à lire; car le nouveau directeur de l'école de Mutuelle-ville refusait de l'inscrire n'ayant pas tout à fait 6 ans à la date de la rentrée des classes. Ce que mon père contournera en proposant que son petit-fils entre à l'école en janvier quand il aura ses 6 ans révolus, me chargeant de lui faire rattraper le retard par rapport à ses petits camarades de classe. Ce dont je me suis acquitté avec plaisir en jouant à " l'instit " avec mon neveu en lui confectionnant même un " livre " en reproduisant sur un gros cahier, textes et dessins d'un vieux livre déchiré ; puisqu'en janvier il savait parfaitement tout l'alphabet et savait lire aisément tout le livre, alors que le reste de la classe ânonnait encore les premières lettres de l'alphabet.
Ainsi, grâce à ces deux institutrices, j'ai pu passer le certificat d'étude
haut la main d'autant que j'étais le seul élève cette année-là à l’avoir eu et
à réussir l’examen d’entrée en secondaire avec une très bonne moyenne. Ce qui
m'a permis de postuler pour le Collège Sadiki et d'intégrer ce prestigieux
vivier de cadres et d’élites de la Tunisie nouvelle que voulait Khair-Eddine Pacha ainsi que Habib Bourguiba; et qui fut une pépinière de futurs nationalistes, dont il était issu lui-même avec bon nombre de ses compagnons de lutte pour
l’indépendance; alors que depuis le protectorat, le gouvernement français les
destinait à seconder l'administration coloniale française dans ses rapports aux
indigènes tunisiens !
Mon père en était fier comme si je corrigeais le destin qui n'avait pas
voulu qu'il y poursuive ses études à cause d'un frère aîné qui a préféré
retirer l'orphelin qu’il était de l'école, pour le placer commis d’épicier pour gagner sa
vie ; alors que son maître d'école voulait que ce brillant élève y poursuive ses
études grâce à une bourse accordée par le gouvernement français !
Mon désir de parler français et d'enrichir mon vocabulaire, passait par tout ce qui me tombait sous la main, faute de disposer d'une bibliothèque chez moi.
Ma sœur avait l'habitude d'emprunter à sa copine des livres de " la bibliothèque rose " (pour enfants) et de " la bibliothèque verte " (pour adolescents) que je tentais de lire; puisque nous nous les disputions mes sœurs et moi et que ma soeur souvent restituait à sa copine sans que j'aie pu finir de les lire.
Car les seuls livres dont nous disposions à la maison, étaient un gros Larousse et autres dictionnaires arabe et franco-arabe. Et c'est le Larousse que je feuilletais souvent. J'aimais m'y plonger au hasard des mots, dans l'explication de leur origine, de leur définition et de leurs synonymes.
Grâce à elle, j'ai découvert les chansons à texte et
leurs interprètes. Je découvrais ainsi Louis Aragon, Jacques Prévert, Charles Trenet, Georges Brassens, Charles Aznavour, Jean Ferrat, Jacques Brel, Léo Ferré, Edith Piaf,
Yves Montant, Barbara, Juliette Greco, Georges Moustaki, Henri Salvador, Gilbert Becaud, Salvatore Adamo, Christophe, Françoise Hardy ...
dont j'apprécie les poèmes et les chansons qui complétaient mon apprentissage
du français.
J'ai depuis, pris l'habitude de transcrire le texte des chansons qui me plaisaient parmi les sélections de Faïka, dans des cahiers numérotés. Plus tard, il m'arrivait de les relire et je me rendais compte que certains mots nouveaux pour moi ou certaines expressions que j'ignorais, je les transcrivais phonétiquement. Je souriais de tant de fautes par ignorance. Mais indulgent, je pardonnais l'adolescent qui tentait de s'approprier cette langue dans laquelle il pense exprimer mieux sa pensée et ses sentiments.
Le fils d'un voisin à qui j'avais montré mes cahier de chansons, a eu la gentillesse de me prêter les magazines " Salut les copains " et " Mademoiselle âge tendre " que lui et sa sœur empruntaient à leurs copains, pour que je puisse copier les textes des chansons qui me plaisaient ... moyennant un service : lui faire ses devoirs de math et de français !
En étais-je conscient déjà ? Je n'ai pu progresser qu'avec des enseignants
qui me donnaient envie de leur faire plaisir. Ceux qui ne m'aimaient pas, je ne
les aimais pas. Et par conséquent je n'avais aucune envie de leur faire plaisir
!
Ainsi mon cursus dans le secondaire sera comme celui dans le primaire : je
n'aimais une matière que si celui qui l'enseignait savait la faire aimer et
savait se faire aimer.
En réalité, et je n'en découvrirai la
vraie cause qu'en France quand un médecin ORL me diagnostique une baisse auditive
consécutive aux otites fréquentes de mon enfance et de mon adolescence. Ce que mes parents ignoraient, puisqu'aucun médecin ne l'avait diagnostiquée.
D'où mon désintérêt pour les enseignants que je n'entendais pas et l'attrait pour les matières dont les enseignants parlaient d'une voix haute et claire.
Je découvrirais plus tard lors de mon exercice de la
médecine vétérinaire, l'erreur dans laquelle ce sont fourvoyés les médecins
(généralistes et spécialistes compris) qui me soignaient depuis mon enfance
pour mes " otites " et mes " migraines "; puisqu'aucun n'a fait
le bon diagnostic pour connaître leur cause, se contentant d'en soigner les
symptômes !
En remontant le film de " mes maladies ", j'ai découvert que leur
origine est une déviation de la cloison nasale " en verre de montre "
qui obstrue le passage et favorise un foyer infectieux dans la fosse nasale et
dans les sinus par manque d'aération, m'occasionnant une méningite sévère dans
ma prime enfance, dont j'en ai réchappé grâce à une hospitalisation en
urgence à l'hôpital militaire de Ferry-ville (actuel Menzel Bourguiba) avec un
traitement lourd à base de pénicilline qui fragilisera mon système immunitaire
en formation; mais aussi des sinusites aigues avec des maux de tête horribles que
les médecins confondaient avec des migraines; et des infections de l’oreille
interne transitant par les trompes d’Eustache provoquant des otites quasi
chroniques.
Les médecins se contentaient alors de para synthèse (perforation du tympan)
pour l'évacuation du trop-plein de pus des oreilles internes; et un autre
préconisait même l'ablation des amygdales, pourtant nécessaires dans la
formation du système immunitaires, que j'avais subie enfant. C’est lors de
cette opération que le chirurgien provoquera un affaissement du voile du palais
du côté droit, obstruant l’orifice d’aération de la trompe d’Eustache … rajoutant des otites aux otites, du cotés droit.
Plus tard dans ma prime jeunesse, d'autres professeurs de médecine ORL du CHU de Lille puis de celui de Paris, avaient entrepris de " réparer " les dégâts
provoqués par l'excès de para synthèses pratiquées par leurs confrères durant mon enfance, en me
greffant des tympans, les miens étant trop abîmés d’un côté et ayant disparu de
l’autre ... greffons qui n'avaient pas pris au bout de cinq interventions.
Un autre professeur ORL à Paris, le Dr
Gandon plus " malin " que ses confrères, a jugé nécessaire de
retirer tous les osselets des oreilles internes, trop abîmés selon lui par les
fréquentes otites ; et de les jeter avant la pose d'un greffon pour tympan.
Les greffons des tympans ayant pris cette-fois-ci, il
restait à corriger la perte auditive consécutive au retrait des osselets.
Dr Causse, un chirurgien ORL qui faisait des miracles
à Bézier, m'a été recommandé par un ami. Je le consulte et son verdict me
met en colère contre les médecins dont l’errance diagnostique m’a handicapé à vie. Ce chirurgien aurait pu restaurer jusqu'à 80 %, voire 90% dans mon cas, la perte
auditive si les osselets avaient été conservés, qu'il aurait nettoyés et remis
en place. En m’opérant, il a installé une prothèse en guise de marteau et d’enclume,
mais qui n’a pas tenu longtemps ; puisque le peu de gain que j’ai obtenu en
audition, je l’ai très vite perdu.
Formé aux EU, il venait d'introduire en
France cette méthode qu'il avait développée en Amérique, avec beaucoup de
succès. Ce qui faisait sa réputation à l'internationale; puisqu'on venait du
monde entier le consulter pour recouvrer l'audition, mais qui lui value cependant, la jalousie de ses confrères ... le conseil de l'ordre des médecins
refusant même de lui reconnaître cette technique.
Pour les migraines, une amie médecin m'avait recommandé à une grande spécialiste de la migraine à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Ce professeur me demandait de noter toutes les causes qui déclenchent mes migraines pour apprendre à les éviter, car il n'y a pas d'autres traitement plus efficace, m'assurait-elle !
Un jour à la suite d’une " migraine " atroce, je me suis
demandé si tous mes ennuis ne venaient pas simplement de sinusites jamais
diagnostiquées par des médecins qui ne voyaient pas plus loin que le bout de
leur nez !
Je me suis adressé à 3 médecins ORL, pour demander une
IRM. Les deux premiers avaient refusé avec dédain la demande d'un vétérinaire
qui veut se mêler de médecine humaine. Le troisième, le Dr Pétriat, avait
accepté de me prescrire une IRM des sinus, sans trop y croire.
Et pourtant l'IRM " a parlé " et la déviation
de la cloison nasale était suffisamment importante pour expliquer les sinusites
par manque d'aération des sinus. Après correction de la cloison nasale, le
chirurgien Petriat avait du mal à croire qu’à la suite de l'opération, mes
migraines avaient disparu comme par enchantement !
Voilà comment par la faute de tous ces médecins, j'ai accumulé les
handicaps depuis mon enfance, auditif mais aussi immunitaire ; et qui ont
impacté ma scolarité, ma vie sociale et ma vie professionnelle; avec pour
séquelle, plus tard avec l'âge, la maladie de Ménière; alors qu'il aurait suffi
d'un examen approfondi de la sphère ORL, pour en identifier l'origine !
Mon père me disait souvent qu'il m'avait racheté à la médecine, à cause de
tous les soucis que j'occasionnais à mes parents depuis l'enfance, entre
médecins, hospitalisations et traitements.
Le jour où je lui avais annoncé ma " surdité ", mon père avait
pleuré ; et c'était la première fois que je le voyais pleurer. Les larmes
de mon père étaient-elles l’expression de sa colère contre les médecins
auxquels il m’avait confié ou de son soulagement que je n'étais pas un enfant
attardé comme il avait fini par le croire ?
Je ne sais pas, car il ne m’en avait rien dit.
" Surdité " due à l'incompétence de tous ces médecins et à leur
paraisse intellectuelle à examiner la sphère ORL dans son ensemble, eux qui se
sont toujours contentés de soigner les symptômes sans en chercher la cause !
Au Collège Sadiki, j'ai eu droit à plusieurs professeurs. Si certains m'ont
donné le goût du savoir, d'autres m'ont dégoûté de la matière qu'ils enseignaient.
Le bagage que j'ai eu dans la petite école de Mutuelle-Ville, va beaucoup me
servir ; puisque dans les trois premières années du collège je serais
souvent le premier de la classe en français sinon le second, tour à tour avec un
autre qui était bon en français lui aussi. Ainsi le premier et le deuxième prix du français nous revenaient, tour à tour, à lui et à moi, lors de la remise des prix de fin d'année.
Si j'ai appris la grammaire et la conjugaison avec Mme Chehata, au collège
Sadiki je vais apprendre à coordonner les temps entre eux. Et je prenais
plaisir à jongler avec les temps. Cela deviendra même un jeu pour moi de reprendre un passage d'un texte et d'en changer les temps : présent, passé, futur ...
Les professeurs qui ont formé une belle élite tunisienne. ***
J'ai eu deux professeurs de français que j'ai beaucoup aimés et qui
appréciaient ma participation en classe : Mr Pinson et Mr Alexandropoulos.
Grâce à eux, j'ai enrichi mon vocabulaire en français et progressais en
conjugaison et en grammaire. Souvent ils lisaient, ou me faisaient lire, ma
copie en classe. Dont la toute première dissertation qui avait plu et amusé notre professeur Alexandropoulos. Je me souviens encore de son étonnement que j’aie
pu inventer une histoire si horrible et qu’il fut rassuré qu'elle n'était que le produit de
mon imagination.
Le sujet de la dissertation était de raconter une histoire (bonne ou
mauvaise) vécue et de conclure par l'impression qu'elle nous aura
laissée.
J'ai imaginé un séjour à la campagne dans la ferme d'un parent. Il avait des
poules et des poussins. Mon frère avait eu l'idée de fabriquer une boîte à
musique en enfermant les poussins dans un petit tonneau qu'il faisait rouler
pour les faire piailler. La boite à musique avait bien fonctionné. Et plus il
faisait rouler le tonneau et plus le " chant " des poussins
s'amplifiait ... jusqu'à s'éteindre. Il voulait savoir pourquoi ? Ce n'est
qu'en retirant le bouchon du tonneau que mon frère réalise la catastrophe : tous
les poussins sont morts. Une fin tragique, conséquence d’un jeu sadique
d'enfants de la ville qui découvrent la campagne, la nature et les
animaux. Mon frère et moi étions tristes mais le châtiment était
grand de la part de notre père : une flagellation mémorable pour le
coupable !
En sciences naturelles, j'ai eu Mr Mangani dont l’enseignement va éveiller
en moi une soif de savoir encore plus grande pour le monde animal et végétal.
Ses cours étaient pour moi une évasion dans un monde magique. J'y prenais
plaisir au point que les dessins qu'il nous demandait de faire, je m'appliquais
à les rendre aussi réalistes que possible pour ressortir les "
particularités " et autres détails anatomiques sur lesquels il attirait
notre attention.
Mais voilà, lui aussi à la fin de l'année, m'a " confisqué " mon cahier. Pour le
conserver en souvenir de moi ou parce qu'il était très bien tenu et surtout bien
illustré ? Je ne sais.
C'est avec lui que nous étions quelques-uns à bénéficier de cours de
sexualité avant-gardistes. En effet à la fin du cours, quand tout le monde
sortait en récréation, il avait la gentillesse et la patience de continuer à
discuter avec certains qui le harcelions de questions trahissant notre avidité
de comprendre les choses ... et gentiment il nous faisait le plus naturellement
des leçons de choses avec simplicité et pédagogie pour assouvir notre
curiosité. Certains des élèves gênés, pouffaient de rire dès qu'il parlait
sexualité mais très vite comprenaient qu'il n'y avait aucune obscénité dans ses
propos qui demeuraient scientifiques. Il était pédagogue et savait éveiller la
curiosité sans tomber dans la vulgarité.
Une chose est certaine : ce professeur m'avait donné le goût des sciences au
point de projeter de devenir moi-même professeur de sciences naturelles ! J’ai
appris de sa pédagogie que je m’appliquais à reproduire en " donnant " des cours à ma sœur et à ma nièce en jouant
au professeur ou à d'autres camarades de classe lors de nos révisions chez les
Pères Blancs qui mettaient à notre disposition des salles avec tableaux
noirs et craies, ainsi qu'aux enfants de nos voisins à Mutuelle-Ville, à la demande de leurs parents.
L’année d’après j’ai eu pour
professeur de sciences naturelles Mr Levy qui moquait gentiment notre classe
sciences-ex, pépinière de futurs savants, en désignant notre classe de " classe
de savon palmolive ".
Collège Sadiki - Classe de 3éme ****
En musique j'ai eu pour professeur Mr Noureddine Annabi. Un être très sensible et très doux. Il manquait d'autorité. Il avait du mal à obtenir le silence pour dispenser son cours. Quand le chahut devenait insupportable, il appelait à l'aide Mr Sarfati, notre professeur de dessin, de la salle d'à côté, qui par sa seule présence, obtenait le silence de la classe.
J'ai aimé le voir jouer du piano dont il se servait pour illustrer ses cours. J'avais de bonnes notes en musique et j'aimais bien ce professeur. Un jour je lui ai dit mon désir d'apprendre à jouer du piano. Il m'a dit qu'il veut bien me donner des cours à condition que j'en ai un piano chez moi pour m'exercer. Or à cette époque, il se trouvait que nos voisins partaient en Algérie rejoindre leur fille mariée à un journaliste à radio Alger. Ils cherchaient à se séparer de son piano.
J'ai demandé à mon père de le leur racheter. Sa réaction a mis un terme à mon désir de piano : " Je t'envoie à l'école pas pour faire l'artiste ! ".
Pour m'en consoler, Mr Annabi m'a proposé de rejoindre la chorale du collège. Ce que j'ai fait et ne le regrette pas car j'ai découvert le malouf, cette musique "savante" et traditionnelle tunisienne venue d'Andalousie. Et que j'ai adorée évidemment.
Si la mixité s'est généralisée dans les écoles primaires depuis l'indépendance, ce n'était pas le cas, encore dans le secondaire. Pour les voix féminines de la chorale, Mr Annabi faisait appel à son homologue du lycée de la rue du Pacha dont les choristes venaient répéter avec nous au collège Sadiki. Cette année-là, les deux établissements ont organisé en commun, un spectacle de fin d'année au théâtre municipal de Tunis lors duquel Mr Annabi nous a demandés aux choristes et aux musiciens, de nous habiller en blanc. J'ai gardé un bon souvenir de ce spectacle auquel assistaient les enseignants et les élèves des deux établissements mais aussi les parents d’élèves.
En mathématique, j'ai eu pour professeur un autre Annabi, Hédi Annabi qui nous incitait à raisonner et non à apprendre par cœur des formules mathématique toutes faites. Pour illustrer son propos, il moquait ceux qui retenaient par cœur des formules mathématique sans les comprendre, les comparant à celui qui au lieu de retenir logiquement le plan de la Médina, se réfère uniquement à sa mémoire visuelle; et le jour où la porte verte qui lui servait de repère, devenait rouge, il passe devant sans la reconnaître. Pour dire que les mathématiques, sont une science qui exige logique et raisonnement.
En 3éme année, année d’orientation cruciale, j’avais mes moyennes aussi bien en
français, en arabe, en mathématique qu’en sciences. Chacun de mes professeurs
voulait m’orienter vers sa matière : lettres modernes, lettres classiques,
mathématiques ou sciences. Ce furent les sciences que j’ai choisies pour l’amour
que m’en avait donné Mr Mangani.
Cette année-là, si j’ai pu obtenir une bonne moyenne
en arabe, ce qui était exceptionnel, c’est que j’ai eu pour professeur Mr Mohamed
Remadi qui a pu m’intéresser à l’arabe. Il m’aimait bien et je le lui rendais
bien, puisque je me suis un peu appliqué cette année en arabe. Cependant, je
dois rappeler un petit incident lors d’un cours où un monsieur important était
présent pour assister au cours que devait donner un candidat au professorat. Ce
jour-là, j’étais au fond de la classe et rêvassais en regardant un oiseau qui a
fait son nid dans la fenêtre. Quand tout à coup ce monsieur m’interpella et me
demanda de répéter ce que venait de dire le professeur en devenir. C’est alors
que s’est approché de moi Mr Remadi, en essayant de m’aider; mais devant ma
distraction évidente, il a vite clos l’incident en m’ordonnant
de m'asseoir, accompagné de sa formule rituelle et sonore : اجلس، حيوان
! " ijliss, hayawan ! " (Assieds-toi,
animal !). Il m’a, ce jour-là, sauvé d’un drame qu’aurait pu m’occasionner
le monsieur qui m’a interpellé; puisque Mr Remadi m’apprendra que j’ai eu
affaire à Mr Mahmoud
Messadi, ministre de l’éducation nationale, en personne, cet
homme de lettres, auteur d’ " Essoud " (Le barrage)
et auquel le président Habib Bourguiba avait confié la difficile et lourde
mission de généraliser l’enseignement dans tout le pays et d’assurer la
formation d’une élite et de cadres de haut niveau pour prendre vite la relève
des Français. Ce dont il s’était bien acquitté ; puisqu’il recrutait pour
le collège Sadiki les meilleurs enseignants du moment, n’hésitant pas à
débaucher certains professeurs du Lycée Carnot cet autre phare du savoir à
cette époque; ou du moins de leur demander d’officier aussi au collège
Sadiki. Ce fut le cas pour Mr Mangani, pour Mr Pinson et bien d’autres.
J'ai aussi le souvenir d'une professeur de philosophie, Melle Grenier, sœur
Jeanne Lucie de Sion, qui avait la réputation outre de bonne enseignante, d'être très exigeante avec ses élèves. Ce qui se traduisait par des notes rarement au-dessus de la moyenne. Un jour, tout le collège bruissait d'une grande première : un de ses élèves a eu une note au-dessus de la moyenne ! Cet élève n'était autre que Abdel Fattah Mourou qui se faisait remarquer déjà à l'époque par son physique disgracieux, ses discours anti-modernité et ses tenues traditionnelles : jebba & chéchia. Celui-là même qui fondera avec Ghannouchi le premier parti islamiste en Tunisie " Mouvement de la tendance islamique ", qui sera très vite débordé par cet ambitieux et qui finira par rejoindre l'organisation internationale des Frères musulmans ... Frères musulmans qui abhorrent la philosophie !
Ce qui démontre le manque de personnalité de Mourou; puisque l'inculte Ghannouchi prendra l'ascendant sur lui jusqu'à lui faire avaler couleuvres sur couleuvres et lui faire admettre le wahhabisme, lui qui avait poursuivi ses études à la Zitouna, fief du malékisme. Ghannouchi exploitera sa notoriété de zeitounien pour berner les Tunisiens : il sera sa vitrine de l'islam modéré pour amadouer les Tunisois, attachés à leur Zitouna, phare du malikisme qui rayonnait en Afrique du Nord jusqu'en Andalousie.
La suite des rapports entre ces deux hommes, les Tunisiens l'ont vécue en directe depuis que Ghannouchi s'est invité dans leur fumeuse révolution, transformant Mourou en caméléon, comme ils disent; puisque ces deux-là, ne dupent plus personne !
En 4éme année, en physique, j’ai beaucoup aimé les cours de Mr Cohen : les
démonstrations qu’il faisait en cours pour nous expliquer le courant électrique
et ses effets, me fascinaient. Il était méthodique, calme et son cours se
passait vite à mon goût. Il savait nous captiver par les démonstrations
qu’il réalisait devant nous. Et les formules magiques qui en découlaient, nous apparaissaient logiques, du moins pour moi. C’est dire qu’il rendait le savoir
accessible et nous rendait intelligents. N’est-ce pas cela que d’être
pédagogue ? Et il l’était.
En 5éme année, année du baccalauréat probatoire, je suis tombé sur
un professeur original. Nous attendions en classe que notre professeur d’arabe
arrive. Il arrive enfin avec du retard. C’était Mr Ali Channoufi. A peine
entré, il s’est adressé à nous en français. On se regardait pour savoir s’il ne
s’était pas trompé de classe. Pourtant il poursuivait ses directives toujours
dans un français impeccable. Il nous donnait une liste des poètes et des
écrivains que nous aurions à étudier. En sortant de classe, beaucoup d’élèves
étaient vent debout contre ce professeur d’arabe qui faisait son cour en
français. Moi je jubilais. Car à part quelques professeurs comme Mr Remadi,
j’ai gardé un mauvais souvenir des autres professeurs d’arabe qui ne savaient
pas capter mon attention pour m’intéresser à cette langue qu’ils semblaient
pratiquer juste pour nous impressionner et s’écouter parler dans un arabe
littéraire parfait. L'un deux avait l'habitude de passer dans les rangs et
d'envoyer au tableau un élève pour réciter les vers d'un poème qu'il nous
demandait d'étudier et de mémoriser. Je me souviens du stratagème développé par
mon ami Hammouda M. pour échapper à cette torture de récitation face à la classe
: il répétait avec ferveur en son for intérieur une prière : رجع وتولى، ورجع أعمى " Fasse que dans son va et
vient, le professeur ne me voit pas " ! Il croyait beaucoup en sa prière; et
jubilait en récréation qu’elle fut exhaussée.
Or il m’a suffi de croiser le chemin de Mr Channoufi, pour prendre goût à la littérature arabe et aux poètes anté-islamiques. J’ai le
souvenir qu’en perspective des examens du probatoire, il nous donnait une sorte
de cours accéléré de culture arabe, mais toujours en français, nous rappelant les
éléments biographiques à retenir des poètes et des écrivains arabes au programme ;
et en résumé, ce dont nous devons nous souvenir le jour " J ", et
évidemment les vers les plus célèbres de chaque poète, pour illustrer son œuvre
… et notre copie par la même occasion.
Ce fut un régal pour moi : je découvrais à la fois la
culture arabe et ses poètes.
Ce professeur était coquin et ne s’en cachait pas. Lors de passages
érotiques dans un poème de " ghazal " (art raffiné de la poésie courtoise arabe) ou d'un autre texte, il faisait des œillades complices aux plus " âgés " en leur demandant de ménager les plus " jeunes ",
qui ne comprendraient pas ! Ce qui aiguisait la curiosité des " jeunes " et flattait les plus " âgés " pour complicité entre " adultes ".
Cette année-là, importante pour nous en mathématique pour cause de fort
coefficient pour le probatoire, j’ai eu pour professeur Mr Chakroun, un jeune étudiant à
peine sorti de l’université. Ce sera le cauchemar pour moi qui étais déjà moyen
en mathématique.
Dès le premier jour où j’ai été dans sa classe, il y eut un incident :
il écorchait mon nom et semblait le faire exprès. J’ai beau corrigé, il
persistait à écorcher mon nom.
Très vite il a proposé à tous les élèves de leur donner des cours
particuliers. C’était la première fois qu’une telle proposition nous fut faite
par un professeur de notre collège. A chaque cours, il insistait auprès des
élèves qui ne se sont pas encore inscrits à ses cours particuliers pour le
faire. Il nous harcelait pour que nos parents acceptent ses cours payants. La
plupart des élèves de milieu aisé ont fini par s’inscrire à ses cours
particuliers. Ceux qui ne le pouvaient pas, seront sanctionnés de façon injuste
et choquante : il les privait du corrigé au tableau des épreuves d’examen,
qu’il réservait à ses " clients " du cours particulier !
Pire encore, il poussait le vice jusqu’à faire travailler ses " clients " sur les devoirs et autres examens qu’il soumettait à la
classe, pour les avantager sur le reste de la classe.
Je découvrais l’injustice ! Ce qui m’a révolté.
Mon père ayant refusé que je m’inscrive à ses cours, estimant que le niveau
des études du collège Sadiki est bon, ce professeur n’a cessé depuis de me
chercher noise. Lors de l’appel, il continuait à écorcher mon nom,
comme pour me vexer en m’invitant à m'asseoir en écorchant à
nouveau mon.
A la veille des examens du probatoire, il jouait à l’oracle auprès de nous : rassurant
ses " clients " de la réussite et me prédisant l’échec pour avoir
refusé ses services payants ! J'ai obtenu mon bac probatoire contrairement à ses prédications. A la rentrée scolaire d'après, à nouveau je me retrouvais avec ce professeur. Pour échapper à ses sarcasmes et son harcèlement, j'ai préféré changer d'établissement pour mon année du bac, au grand dam de mon père. Pour cela, mon frère a demandé à Mme Hachemi son professeur de dessin,
d’appuyer ma demande d’inscription au lycée de Montfleury auprès de sa directrice Mme Dordena Masmoudi, où démarrait
timidement la mixité. Ce qu’elle va faire avec plaisir, d’autant que mon frère
lui avait dit que je suis doué pour le dessin ; elle, dont elle appréciait
le talent de dessinateur. Elle était contente d’accueillir un
nouvel " artiste " pour remplacer celui qui avait
quitté cette année-là le Lycée, le bac en poche. En réalité, c’était moi qui
faisais les devoirs de dessin de mon frère, en échange de résolutions de mes
devoirs de mathématiques. D’ailleurs elle avait beaucoup apprécié la commande
qu’elle lui avait passée de reproduire Saint Gérôme de José De Ribera ... que j’avais réalisée pour lui, avec gouache et crayons de couleur, faute de
mieux.
Elle n'avait pas perdu au change; puisqu'elle
m'invitait souvent à animer " l’atelier dessin &
peinture " dans sa classe, pour susciter de nouvelles vocations
artistiques parmi ses élèves; atelier auquel mon frère avait toujours
refusé de participer.

Saint Gérôme peint par José De Ribera
Je pense que Mr Chakroun fut le précurseur d’un système de corruption que d’autres
enseignants peu scrupuleux, aussi bien dans le primaire, que dans le secondaire et jusqu’en
facultés, vont développer et systématiser ; puisque sous Ben Ali, épreuves d'examens, thèses et diplômes se vendaient sous le manteau. Enseignants qui ont dénaturé cette noble fonction; et dont le soucis premier est l'enrichissement personnel et non la formation et l'éducation des nouvelles générations.
C’est au lycée Montfleury que je ferai ma première
expérience " politique ". Et c’est là que je vais
découvrir la lâcheté des " contestataires " face
au pouvoir …
Nous étions en terminale et nous nous apprêtions à
passer le baccalauréat. En physique-chimie nous avions un professeur Français
venu enseigner en Tunisie dans le cadre de la coopération instaurée par Bourguiba avec la France.
Or une majorité des élèves se plaignaient de ce
professeur qui passait l’heure de son cours à s’occuper d’un petit groupe de
filles, auxquelles il donnait des cours particuliers ignorant le reste de la
classe … flatté que des filles le courtisent, bien que pas beau, chauve et de
petite taille.
Le coefficient de cette matière étant important pour
la section sciences du bac, beaucoup d’élèves se plaignaient du comportement de
ce professeur et craignaient de rater leur examen de fin d’année, à cause de
lui.
J’ai proposé qu’on en informe la directrice pour
qu’elle nous change de professeur …
Je me suis trouvé malgré moi le meneur de cette bronca contre ce professeur ; qui plus est, certains me demandaient de rédiger
une lettre pour la directrice, sous prétexte que j’étais bon en français. Ce
que j’ai fait.
J’ai lu la lettre en classe. Elle fut approuvée par
l’ensemble des élèves. J’ai remis cette lettre à la surveillante générale, pour
la transmettre à la directrice.
La directrice a convoqué notre classe pour régler
cette question. Après préambule et lecture de ma lettre, elle a demandé aux
élèves de lever le doigt pour ceux qui approuvent ma demande. Etant assis dans
la première rangée, face à la directrice, je me suis retourné, persuadé que tous
les doigts ou du moins une large majorité, seraient levés.
Quel ne fut mon étonnement et ma déception de ne voir
aucun doigt levé ; et pire, la majorité des élèves baissaient les
yeux et regardaient leur pupitre.
J’ai compris ce jour-là ce que lâcheté, voulait
dire !
La directrice avait conclu qu’agitateur, doublé de
meneur puisque personne hormis moi, ne réclamait le départ de notre professeur,
je serai sanctionné. Et la sanction fut lourde : une exclusion du lycée
durant 3 semaines.
Mon père était en colère contre moi pour m’être laissé
embarqué dans cette aventure. Cependant, Mme Hachemi à laquelle j’ai raconté
cette mésaventure qui m’a value des remontrances de la part de mon père, m’a
rassuré qu’il ne doit pas être peu fier de moi … occasion pour elle de
m’apprendre qu’elle fut une résistante qui
avait collaboré avec mon père à la lutte pour l’indépendance de la
Tunisie. Et qu’en tant qu’ancien résistant et militant du Néo Destour, mon père pouvait
comprendre que j’aie voulu dénoncer l’abus d’un enseignant, m’assurait-elle !
Ce qui prouve la modestie de ces authentiques militants qui ne faisaient
pas étalage de leur militantisme et encore moins ne réclamaient de le monnayer aux
Tunisiens; comme l’ont fait Ghannouchi et ses Frères musulmans d’Ennahdha, ainsi que
les panarabistes, à la faveur de la fumeuse révolution du 14 janvier 2011.
Et pour me " consoler " de cette injustice, Mme Hachemi
m’avait offert une toile, des tubes de peinture à l’huile et des pinceaux pour " m’occuper "
durant les " vacances imposées " par la directrice du
lycée.
La seule matière
où j’étais toujours premier de ma classe, c’était le dessin. J’ai eu pour
professeur Mr Victor Sarfati, que ses collègues appelaient amicalement Anthony
Perkins à cause d’une certaine ressemblance avec
l'acteur. Très vite il a vu que j’étais doué pour le dessin. Un jour il nous
avait proposé comme thème, le portrait d’après photo. Une photo en noir et
blanc dans Jeune Afrique qui consacrait un article à Houari Boumediene et à l'Algérie socialo-communiste d'alors, attira mon attention. Si la photo m'avait
plu, c'est que ce visage anguleux me semblait facile à dessiner, le contraste
des noirs et des blancs étant assez net. Ce n'était pas l'avis de mon père qui
craignait que j'aie des sympathies pour le communisme, en vogue alors chez les
universitaires et les "intellectuels", lui qui le juge dangereux.
Mon père m'avait dit alors ce qu'il en pensait : " Un communiste qui ne possède rien, veut tout partager; mais le jour où il possède un vélo, il ne le partagera avec personne ". D'une phrase lapidaire, il a fait mon éveil politique en faisant le distinguo entre communisme et capitalisme.
Sa méfiance du
communisme rejoint celle de Bourguiba contre lequel les étudiants "
gauchistes " s’étaient soulevés en mars 1968, devançant le fameux " mai 68 " de ceux de France qui se sont soulevés
contre le général De Gaulle. Ce qui faisait Bourguiba se demander ce qu'il a pu
rater pour que la jeunesse tunisienne tombe dans le panneau du communisme, cet opium des intellectuels d'alors, comme le décrivait Raymond Aron !
L'Histoire leur a donnés raison. A propos, je me souviens de mon professeur de philosophie du lycée
Montfleury, Mme Vatinel. J’étais parmi les premiers de sa classe. C’était elle qui nous
signalait des conférences intéressantes pour notre culture générale et me
réservait parfois une place à côté d’elle à la maison de la culture d'Ibn
Rachiq, pour écouter par exemple Louis Leprince-Ringuet nous parler des sciences sans conscience …
Elle
était chahutée par les filles de la classe qui se désintéressaient de ses cours ;
et ne trouvait d’auditeurs sérieux que parmi la poignée de garçons qui étions
dans sa classe. A la fin de la classe, elle aimait poursuivre des discussions
entamées lors du cours avec quelques garçons. J’ai le souvenir de débats
houleux avec deux camarades de classe communistes convaincus, auxquels elle
recommandait de conserver leur libre arbitre et d’aiguiser leur sens critique pour
ne pas tomber dans le dogmatisme idéologique et l’aveuglement qu’il induit.
Elle a beau leur dire que la
philosophie de Hegel et de Marx, aussi belle et généreuse soit-elle, elle
a été dévoyée par les hommes politiques, comme le sont souvent les idéologies
et les religions sensées faire progresser les hommes vers plus d’humanité et de
justice … et pour cela, elle a beau leur rappeler les atrocités du léninisme
comme celui du stalinisme, mes camarades refusaient de l’entendre et la
jugeaient trop bourgeoise pour les comprendre ! Insulte que le plus extrémiste des deux a à la bouche pour ceux qui rejettent le communisme, lui qui vit bourgeoisement chez son père, un
grand avocat au barreau de Tunis qui vit dans un petit palais
dans la médina de Tunis et possède une grande " sénia " (maison de campagne) dans les plus beaux vergers des environs de Tunis !
En cours, nous étions une poignée d’élèves que Mr Sarfati dispensait de travailler nos dessins en classe. Il nous autorisait à consacrer notre heure de cours à finir d’autres devoirs pour le cours d’après. Ce qu’il interdisait au reste de la classe. Il me faisait confiance et me laissait quelquefois choisir le thème du dessin à remettre pour être noté en tant que devoir d’examen. Ce qui faisait rager certains élèves.
Ce professeur avait pour habitude d’afficher sur des tableaux noirs au fond de la classe les meilleurs dessins de ses élèves, faisant de sa classe un salon d’exposition ouvert pour les professeurs du collège. Et les miens figuraient toujours en bonne place dont le portrait de Houari Boumediene qui est resté longtemps accroché et qui m’a valu la reconnaissance de certains professeurs qui m’ont passé " commande " pour des portraits d’un enfant ou d’un parent …
Esquisse inachevée d'un cavalier noir sur son cheval arabe noir ...
Il va sans dire, je raflais régulièrement le premier prix de dessin en fin d’année lors de la cérémonie de remise des prix dans la cour d'honneur du collège Sadiki.
Si j’en étais fier, ce n’était pas le cas pour mon père qui aurait voulu me
voir briller dans des matières plus importantes, me disait-il !
Des années plus tard, en déambulant place des Vosges à Paris, j'ai été agréablement surpris de voir le nom Sarfati sur une affiche d'une galerie d'art qui exposait ses aquarelles " équines ". J'ai laissé ma carte de visite à la galeriste dans l'espoir qu'il me téléphone. Et il m'a téléphoné et nous nous sommes retrouvés avec une joie partagée : moi retrouvant un professeur que j'aimais tant et lui retrouvant son élève qui faisait sa fierté au collège Sadiki. Nous avons passé un moment agréable à évoquer nos souvenirs du collège Sadiki mais aussi nos projets respectifs.
A tous ces enseignants qui m'ont fait progresser, je dis ma gratitude.
A Mutuelle-ville où j'habitais alors, nous avions pour voisin le président Habib Bourguiba qui habitait à cette époque au Belvédère, rue du 1er juin 1955, le palais présidentiel de Carthage n'étant pas encore achevé. Il nous arrivait aux enfants du quartier de le voir faire sa promenade autour de sa résidence, devenue depuis celle de l'ambassadeur de Belgique.
En croisant son chemin, il aimait nous interpeller et bavarder un moment avec nous. Il s’intéressait à notre scolarité et demandait à chacun le nom de l'école qu'il fréquentait et la classe où il était. Il ne manquait pas aussi de nous demander notre avis sur les enseignants et sur les matières qu'ils enseignaient. De tous les jeunes de mon quartier, étant le seul à fréquenter le collège Sadiki, les autres pour la plupart fréquentant le lycée Carnot, j'ai le souvenir d'avoir eu droit à plus de questions sur cet établissement qu'il avait fréquenté. Il nous gratifiait chaque fois de petites tapes paternalistes sur la joue, en nous recommandant de bien étudier et de consacrer tout notre temps à l'acquisition du savoir. Il nous disait " étudiez, ne faites pas de politique ", avant de reprendre sa promenade.
A cette époque, venait d'ouvrir la première maison de la culture en Tunisie, idée reprise par Bourguiba à André Malraux, sachant l'importance de la culture dans la formation des nouvelles générations pour bâtir la Tunisie moderne. Elle était au Belvédère, dans un bâtiment moderne avec de grandes baies vitrées. Tous les arts y étaient représentés : peinture, poésie, théâtre, cinéma, musique, danse ... sous formes d'ateliers dont le travail était couronné d'expositions et de spectacles publics le soir. On y donnait souvent aussi des conférences.
J'y allais de temps en temps les week-end ou durant les vacances scolaires. Une fois il y eut une visite surprise du président Bourguiba, venu en voisin. J'ai le souvenir qu'il fut interpellé par un jeune passionné de théâtre qui lui exposait avec fougue, ce dont il rêvait pour le théâtre tunisien. Bourguiba l'écoutait admiratif. A la fin, il lui dit une chose dont je me souviens encore : " J'ai besoin de gens comme toi, passionnés et désireux de faire évoluer la société ". Il lui demanda de lui noter sur un bout de papier son nom, son adresse, en lui promettant de le recommander au ministre de la Culture.
Le jeune en question c'était Ali Ben Ayed. C'est sûrement à la suite de cette entrevue impromptue, qu'il va connaître le succès dont celui d'assurer son rayonnement à la troupe de théâtre nationale. Il s'est vu très vite promu directeur adjoint du théâtre national de l'avenue Habib Bourguiba. Il s'est distingué dans des rôles comme Hamlet, Caligula, L'École des femmes, Othello, L'Avare, Mourad III ...
Il fut aussi remarqué à l'internationale; puisqu'il a joué dans des films comme Angélique et le Sultan de Bernard Borderie, tourné à Sidi Bou Saïd entre autres décors naturels. Lui-même ayant collaboré avec la RTT (Radio Télévision Tunisienne) pour des fresques historiques que je regardais souvent en feuilletons à la TV nationale.
C'est dire l'avant-gardisme de Bourguiba et son désir sincère de cultiver les Tunisiens et de les instruire de tout !
Boby
Une fois le bac en poche, j'avais choisi de faire des études de vétérinaire. Mon père aurait voulu que je fasse médecine ou chirurgie dentaire ...
Pourquoi ce choix ? C'est une blessure d'enfance qui m'aurait inconsciemment poussée à le faire.
Enfant à Bizerte, j'avais adopté un lapin que ma mère m’avait
acheté au marché où je l’accompagnais souvent pour ses courses. Elle m’avait
bien prévenu qu’il ne faut pas que mon père le sache. Ce que l’enfant que j’étais
avait compris " qu’il ne faut pas que mon père le voie ". Or ce lapin était discret : il se cachait, mangeait fanes, feuilles
de salade et carottes sous mon lit et faisait ses besoins dans une caisse à
l’abri des regards. Un jour je rentre de
l’école pour jouer avec mon lapin : plus de lapin ! Ma mère me dit
que mon père l’avait trouvé bien gras et avait décidé qu’il passera à la
casserole. J’étais en colère et refusais de manger les plats qu’avait faits ma mère
de mon lapin. Pour me consoler, elle avait conservé et nettoyé la peau de mon
lapin en guise de doudou … que j’avais refusé !
Puis un jour un camarade de classe de l'école
franco-arabe, m’avait parlé de sa chienne qui attendait des bébés. J'en avais
parlé à ma mère et lui avais dit mon souhait d'en adopter un. Avec réticence,
elle avait fini par accepter pour me consoler de la perte de mon lapin. Ce
chiot je l'avais aimé avant même sa naissance. De suite j'avais demandé à mon
copain de me réserver un chiot. Et depuis, je n'avais cessé de le questionner
sur l'état de la mère puis de celui de sa portée, trahissant mon impatience
d'avoir mon chiot.
Le jour J je suis allé chez mon copain, voir la mère
et ses petits pour prendre mon chien âgé d'à peine 3 mois. Je l'ai baptisé
BOBY.
Bébé, il était le chouchou de ma fratrie, mais très
vite il devenait grand et fort et je comprenais la réticence de ma mère qui
m'avait prévenu qu'un chien a besoin d'espace ...
A cette époque, mon frère aîné venait d'emménager à
Mutuelle-ville pour son travail à Tunis, dans la villa nouvellement acquise par
mon père. Sans me demander mon avis, mes parents avaient convenu que Boby sera
mieux en cette villa, où il servira de chien de garde, me disaient-ils pour me
convaincre. Une deuxième séparation douloureuse, imposée par les
adultes.
Durant un an, je ne verrai Boby qu'épisodiquement. Puis mon frère est revenu à Bizerte s'installer dans une villa face au Lycée Stephan Pichon, avec une courette derrière la maison et un petit jardin devant, conservant Boby comme " chien de garde ".
N'habitant pas loin, je voyais régulièrement Boby chez mon frère.
Boby était vif et toujours aussi joueur.
Ces retrouvailles vont connaître une fin tragique.
Un jour, le portail du jardin resté ouvert, Boby courut à la rencontre de mon frère interne au lycée Carnot, rentré de Tunis pour le week-end, qui l'appelait depuis la rue. Dans sa précipitation et son exubérance, Boby avait traversé la rue où un taxi l'avait heurté violemment, le faisant rouler sur plusieurs mètres.
Très vite j'avais ramassé le corps inerte et ensanglanté; et avec mon neveu, avions cherché un vétérinaire en vain. Car à cette époque il n'y avait pas de vétérinaire à Bizerte.
On nous avait indiqué l'adresse d'une vieille dame qui faisait office de " vétérinaire "; et qui en réalité avait transformé sa maison en refuge pour animaux abandonnés ou maltraités. Devant notre chagrin, elle nous assurait qu'elle fera tout pour sauver Boby.
Le lendemain matin, plein d'espoir nous retournions voir cette dame. Avec beaucoup de douceur elle nous expliquait que Boby est mort de ses multiples blessures. Elle tentait de nous consoler comme elle pouvait dans un sabir, mélange de russe, d'arabe et de français que je ne comprenais pas encore.
Cette dame vivant seule et petitement, consacrait bénévolement le peu qu'elle avait, à aider plus malheureux qu'elle : chiens, chats ...
Elle faisait partie de ces Russes blancs qui avaient fui la Russie bolchévique pour trouver refuge à Bizerte.
Inconsolable de cette perte, j'avais raconté plus tard " Boby " à Mme Hachemi, mon professeur de dessin, qui m'avait suggéré alors de faire le portrait de mon chien où j'exprimerai à la fois mon amour pour Boby et la douleur de l'avoir perdu. Une sorte de thérapie par le dessin ...
Effectivement, j'avais peint un portrait de Boby que Mme Hachemi avait aimé et exposé quelques temps dans sa salle de classe, avant de me le rendre. Cette "exposition" m'avait value une double commande de la part de la directrice du lycée : le portrait de ses deux enfants (dont un inspiré de jeunes filles au piano d'Auguste Renoir) et de celui de son chien ... un berger allemand.
Plus tard, lors de mon exercice de la médecine vétérinaire, ce souvenir douloureux me revenait dans des cas similaires à celui de Boby, de chiens accidentés de la route quand je m'appliquais à les sauver; puisque je n'avais pas su ni protéger ni sauver mon ami Boby.
Rachid Barnat
PS : Ce texte est mon hommage à Habib Bourguiba et à Haj Boubaker Barnat, mon père, qui l'a rejoint très tôt dans la lutte pour l'indépendance et contre l'obscurantisme.
Mon père croyait beaucoup en l'école. Il a incité ses proches et ses voisins à laisser leurs filles aller à l'école en donnant lui-même l'exemple en inscrivant ses filles à l'école et même au Boy Scouts de Bizerte qu'il a créé avec son ami Mhamed Essersi, avec une section consacrée aux filles.
Il a aidé autour de lui proches et amis dans le besoin, à instruire leurs enfants; et plus particulièrement les orphelins de leur père dont il a assuré la scolarité jusqu'à l'obtention d'un diplôme.
Lui qui a lutté contre la colonisation et a été souvent emprisonné pour son activisme politique, a eu l'intelligence de ne pas confondre la France avec ses gouvernants.
Il a découvert la littérature française et ses grands auteurs dans les geôles françaises et pris goût à la culture française qu'il a transmise à tous ses enfants.
* L'enseignant aurait pu être le messager de dieu, disait le poète Ahmed Chawki.
** Un immeuble délimité par
3 rues, dont l'actuelle rue de Tunis, avec une très belle terrasse et une
vue panoramique sur 360 °, à une centaine de mètre de la plage. C'est là
que je suis né. Il est en train de tomber en ruine faute de budget d'entretien
de la part de ses occupants et de celui de ses propriétaires.
Le rez-de-chaussée fut durant quelques années le siège et la salle d'entraînement de l’équipe du " Club Athlétique Bizertin ", le fameux CAB aux couleurs jaune et noir dont mon père était un fervent supporter, et pour cause : ses dirigeants tout comme lui, avaient en commun le nationalisme; et luttaient pour l'indépendance de la Tunisie.
Juste en face, il y avait la première fabrique de " Boga Cidre ", une toute petite fabrique artisanale ... cette boisson gazeuse au goût unique qui a marqué mon enfance et dont je raffole encore !
Dommage qu'un si beau patrimoine, que ce soit à Bizerte ou à Tunis comme dans d'autres villes de Tunisie, tombe en ruine et disparaisse dans l'indifférence générale et plus particulièrement celle de l'Etat !
*** COLLEGE SADIKI : Les professeurs qui ont formé une belle élite tunisienne.
J'y reconnais quelques professeurs comme :
- Mr Pinson (Prof de français),
- Mr Alexandropoulos (Prof de français),
- Mr Noureddine Annabi (Prof de musique), - Mr Hédi Annabi (Prof de math),
- Mr Chakroun (Prof de math),
Mais j'ai du mal à reconnaître :
- Mr Mangani ? (Prof de Sciences naturelles),
- Mr Sarfati ? (Prof de dessin) ....
- Mohamed Larbi ? (Prof d'arabe)
Et je n'y vois pas :
- Mr Ali Channoufi (Prof d'arabe)
- Mr Remadi (Prof d'arabe)
Qui peut mettre un nom sur les autres professeurs ?
Est-il possible d'avoir une photo mieux scannée et plus lisible que celle-là ?
**** Photo de ma classe de 3éme, avec : Mohamed RABHI, Ali SOUALHI, Raouf Rouffa MAHAT, Hassen TAYACHI, Abdallah KAÂBI, Mekki NOUIOUA, Salem TEMTAEM, SAMEM TEMTEM, Salem KRIMI, Ferid ABBADI, Said CHAMAKHI, Mehdi GHBARA, Abderrazak ROUAHI, Mohamed GRIBAA, SEGHAYER, Mohamed GHOUMADI, Jalel eddine FARHAT, Mohamed Ali HAFSIA, Habib ERRAIS, HOUSAINI, Khaled MOUHLI, Kais MRAD, Rachid BARNAT et l'américain Lawrance MICHALAK, notre prof d'anglais.