Le 9 septembre 2021, Taoufik Aloulou nous a quittés. Je perds un grand ami qui accompagna mon adolescence. Il a été l'un de mes rares amis du Collège Sadiki puis du Lycée Montfleury.
Au collège Sadiki nous nous sommes rencontrés en 5éme année pour préparer le probatoire du baccalauréat que lui et tout un groupe pour ne pas dire une bande d'amis, avait raté et se retrouvaient redoublants dans ma classe. Une bande de jeunes qui deviendront plus tard de grands médecins et de bons chirurgiens, je pense notamment au Dr Abdel Jelil Zaouach, un autre disparu prématurément suite à une longue maladie lui aussi; et qui fut un grand chirurgien et doyen de la faculté de médecine de Tunis.
En réalité mon amitié pour Taoufik est née lors de notre service militaire à Ain Draham. Service étant un gros mot pour désigner un "stage" en caserne; d'abord à celle de l'Aouina à Tunis chaque samedi après midi durant l'année scolaire, puis un mois à celle de Ain Draham durant les vacances scolaires d'été, que certains assimilaient à une colonie de vacances.
Bourguiba ayant besoin de cadres pour la Tunisie qu'il modernisait, ne voulait pas perturber notre scolarité par un service militaire long; d'où cette trouvaille de Béhi Ladgham alors son ministre de la Défense, du "stage en caserne" pour apprendre les rudiments de l'art militaire et le maniement des armes et dispenser ainsi les jeunes d'un service militaire long et de demandes renouvelées de sursis à chaque sortie du territoire pour ceux qui poursuivaient leurs études à l'étranger. Ce qui en dit long sur l'importance qu'accordait Bourguiba à l'éducation. Stages qui nous amusaient beaucoup car nos instructeurs étaient souvent d'un niveau du primaire, que nous étonnions de vite comprendre ce qu'ils peinaient à nous expliquer ...
Nous étions Taoufik et moi, dans la même chambrée et nous partagions le même lit superposé : lui occupant le lit supérieur et moi celui d'en bas. Déjà j'étais comme beaucoup d'autres, séduit par son sourire charmeur dont il ne se départissait jamais; même quand il était en colère.
J'ai le souvenir de sa fascination pour notre sergent instructeur qui, ayant quitté top tôt l'école, avait résolu cependant le planning familial dans sa propre famille pour ne pas engrosser sa femme à chacune de ses permissions : il calculait les périodes du cycle de son épouse pour ne prendre ses congés qu'en s'assurant que leurs retrouvailles ne tombent pas au mauvais moment. Ce qui intriguait Taoufik, c'était le sens de l'observation de cet homme qui pratiquait la contraception de façon naturelle rien qu'en "étudiant" la chose de façon empirique, pour éviter des grossesses non désirées à son épouse.
C'était ça Taoufik : curieux de tout et des gens. Il admirait chez les autres leur savoir et leurs connaissances, furent-ils empiriques. Il respectait les gens sans distinction de classe et admirait spontanément leur originalité.
Puis en terminale, Taoufik a changé d'établissement scolaire abandonnant le collège Sadiki pour s'inscrire au lycée Monfleury dirigé alors par la fille de Mahmoud Messadi ministre de l'éducation nationale de Bourguiba; profitant du démarrage de la mixité dans les collèges et lycées du pays. Inscription, j'imagine, facilitée par sa soeur, professeur d'anglais dans ce lycée.
Pour d'autres raisons, moi aussi je me suis inscrit au lycée Monfleury, au grand dam de mon père qui voulait que je poursuive mes études au collège Sadiki. Pour mon inscription, Mme Hachemi professeur de dessin dans ce lycée, avait intercédé pour moi auprès de la directrice, avançant mes "qualités de dessinateur". J'apprendrais par la suite que Mme Hachemi faisait partie du réseau secret des résistants destouriens de Bizerte, de mon père. C'est dire la discrétion de ces authentiques résistants qui militaient pour leur pays et ne faisaient pas étalage de leur militantisme et encore moins le monnayaient aux Tunisiens, comme ces prétendus militants islamistes & arabistes sortis de leur trou à la faveur du fumeux "printemps arabe", pour leur faire payer leur prétendu militantisme !
Et le hasard va faire que Taoufik et moi, nous nous retrouvions sans nous être concertés, dans le même lycée et dans la même classe, ayant pour professeur d'anglais sa soeur. Notre joie était partagée de poursuivre une amitié naissante depuis notre "service militaire".
Il faut dire que nous étions une poignée de garçons dans un lycée de jeunes filles; et quelles filles ! Cependant, nous étions un peu jaloux de Taoufik qui avait un charme fou, qui faisait tomber les filles; et il ne s'en privait pas.
J'ai gardé un très bon souvenir de cette année du baccalauréat : souvent en sortant du lycée, nous étions quelques uns dans la bande à Taoufik à l'accompagner, bien sûr avec sa petite amie, pour rentrer chez nous; avec parfois une halte chez "Ben Yedder", le salon de thé à la mode, de la rue Charles de Gaulle, repère de la jeunesse dorée d'alors où Taoufik faisait des fois le prince en invitant ses amis.
Lui comme moi, adorions le cinéma. Comme moi, il était cinéphile et nous fréquentions les cinéclubs de la capitale de façon assidue. J'ai le souvenir de longues discussions souvent passionnées à propos du dernier film vu, des acteurs, de leur jeu, de l'histoire, de la mise en scène. Il aimait la musique et jouait du piano. Il m'a fait aimer le rock et le jazz ...
Son autre dada, était la politique. Taoufik ne cachait pas sa sympathie pour le communisme très en vogue alors chez les étudiants et les intellectuels, de Tunisie aussi.
Dans notre groupe, un certain Ahmed B.C était militant communiste convaincu; et bien que d'une famille riche et en opposition à son père avocat dont il renvoyait chez eux les clients qui venaient à leur maison de campagne, une offrande à la main destinée au père, en les sermonnant qu'ils étaient plus nécessiteux que lui, me taxait de bourgeois ! Suprême insulte de la part d'un communiste; qui plus est, vivait confortablement et bourgeoisement, ce qui me faisait sourire. Heureusement que Taoufik était là pour modérer ses propos parfois agressifs à mon égard; d'autant que j'étais anti communiste et ne cachais pas mon nationalisme destourien. Car Taoufik était toujours concilient et bon camarade avec ses amis.
Puis, nos études supérieures nous ont séparés : lui, ayant choisi la médecine à la faculté de médecine de Tunis et moi, la médecine vétérinaire à l'école nationale vétérinaire d'Alfort.
Cependant, nous sommes restés en contact souvent épisodique; et j'avais de ses nouvelles régulièrement par ma sœur Hamida secrétaire du Dr Hassen Gharbi au service de radiologie de l'hôpital des Enfants Malades où officiait Taoufik qui l'appréciait et qu'elle appréciait beaucoup. Et nous avions plaisir à nous retrouver et à poursuivre une discussion restée en suspens ... comme lors de notre adolescence.
J'étais heureux pour lui qu'il ait pu faire ce qu'il voulait : chirurgien pédiatre lui allait comme un gant, lui qui est la douceur et la gentillesse mêmes. D'ailleurs quand mon neveu était en âge d'être circoncis, j'ai proposé à ses parents inquiets, de le recommander à mon ami le Dr Taoufik Aloulou, ce qu'il a accepté avec plaisir en me fixant de suite un rendez-vous pour lui amener mon neveu en me permettant gentiment de rester en salle d'opération pour le voir opérer.
Repose en paix mon cher ami.
Ton sourire charmeur va beaucoup manquer à ceux qui t'ont connu et aimé.
Ton ami Rachid Barnat
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