La valse aux adieux
Le même jour, ou presque, j’ai appris la disparition
de Jellal Ben Abdallah et de Azzedine Alaïa.
Ils étaient
partants, ils sont partis, ils ne s’arrêteront pas de partir. Comme ils nous
ont tout apporté, on ne peut pas les laisser seuls au moment du départ. Tout de
suite après Françoise Héritier, il y a eu Robert Hirsch. Nous les avons bien
connus. Ils vivaient dans la beauté et dans la vérité. Que demander de
plus ? Mais cette semaine c’est le cas pour d’autres amoureux de la vie.
Le
même jour, ou presque, j’ai appris la disparition de Jellal Ben Abdallah et de
Azzedine Alaïa, deux artistes tunisiens qui ne se sont jamais demandé ce qu’ils
devaient faire d’autre que de fréquenter la beauté et de nous rendre la vie
plus désirable.
Le
premier, mon cher Jellal, miniaturiste au départ, ne voulut rien entendre
ensuite de la "modernité" dont les audaces lui paraissaient être des
dérives. Et puis il se voulait tunisien et même, à force de conviction et de
passion, il s’est voulu non seulement tunisien mais tunisois, pour découvrir la
sève populaire la plus authentique, la plus fraîche, la plus onirique. Ses
portraits de femmes, ou plutôt de la femme, on les repérait dans
les hôtels – pour un peu j’allais écrire dans les autels, Après les miniatures,
ce fut une uniformité volontaire, obsessionnelle.
Jellal,
je t’ai présenté Michel Foucault un jour de mai 68. Tu lui as furieusement
opposé l’authentique à la révolution. Et puis après, tu lui as offert des
fleurs que tu avais achetées en pensant à la peine que tu lui ferais. Tu as
cherché à faire connaître en toutes les capitales de la peinture le secret des
Tunisois. Mais alors qu’on te croyait banal, on découvre que tu avais ta
philosophie de la primitivité. Et cela, c’est une victoire comme celle des
longs cous soyeux et raides, Immobiles et pourtant sensuels. Cela ne t’a pas
détourné des grands peintres qui vivaient près de Latifa et toi en exil, comme
Paul Klee par exemple, dont je suis resté aujourd’hui encore un admirateur
inlassable.
Et Azzedine ! Alors Azzedine Alaïa, c’est tout à fait autre chose, une autre
affaire, un autre rêve. Tête de Gavroche, regard de génie, la sève populaire,
sans doute prétendait-il la trouver sur les femmes, mais en les couvrant de
rêves, selon la noblesse des lignes et selon la tradition des couturiers les
plus sophistiqués. La gloire d’Azzedine Alaïa, c’est la chevauchée dans un
parcours toujours surprenant et toujours identique vers une forme de plus en
plus épurée. Il y avait un tel éclat et en même temps une telle sobriété que,
pour nous, il résumait l’élégance. Il faut absolument lire le merveilleux texte
de Michel Tournier sur la magie avec laquelle Azzedine a tranché le débat entre
les partisans du « collant » et les partisans du
« flottant ».
J’ai
écrit qu’avec la Tunisie, mais aussi avec ce petit village de Sidi Bou Saïd
dont vous étiez, Jellal et Azzedine, tous les deux amoureux, j’avais noué des
liens qui ressemblaient à des racines. Eh bien, me voilà déraciné.
Rachid Merdassi :
RépondreSupprimerSiliana doit célébrer son fils prodige Azzedine Alaïa et lui ériger une statue pour que les générations futures n'oublient jamais que le talent, l'ambition et la gloire sont possibles même quand on est issu de régions pauvres !
Adieu l'artiste !
Le studio Azzedine Alaïa, écrin des collections nées de l'imagination du couturier, ouvert désormais au public.
RépondreSupprimerhttps://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/le-studio-azzedine-alaia-ecrin-des-collections-nees-de-l-imagination-du-couturier-ouvert-desormais-au-public_5649116.html