De plus
en plus de pays tombent sous le contrôle des "religieux", les plus
actifs voir agressifs, étant les wahhabistes et les évangélistes, n'importe qui
pouvant s'improviser imam ou pasteur ! Ce qui est arrivé au Brésil est en train
de se produire en Algérie comme en Tunisie par la faute d'une classe politique
dite progressiste mais laxiste ... si elle n'était pas opportuniste !!
R.B
Comment les évangélistes
ont conquis le Brésil
Correspondante de plusieurs médias
français au Brésil pendant près de dix ans, Lamia
Oualalou a vu l'ascension des évangéliques dans ce pays. Dans son
livre Jésus t'aime. La déferlante évangélique, elle analyse la manière
dont fonctionnent et se développent ces églises, qui ont su se rendre
indispensables aux exclus.
Le Point : Le Brésil est-il
encore catholique ?
Lamia Oualalou : Il est toujours le plus grand pays catholique au
monde, mais depuis les années 70, le catholicisme recule nettement devant la
poussée évangéliste. À l'époque, 92 % des Brésiliens se disaient
catholiques. En 2010, ils n'étaient plus que 64 %. D'après les démographes,
les deux courants devraient s'équilibrer en 2030. On n'a jamais vu nulle part
un basculement aussi rapide dans un pays aussi important.
Existe-t-il une spécificité de l'évangélisme brésilien ?
Dans un pays qui
compte 210 millions d'habitants, c'est un mouvement de masse. Et
c'est un mouvement autochtone. Il a beau avoir été importé des États-Unis dans
les années 1910, il n'est pas une franchise de l'évangélisme américain, comme
en Amérique centrale, mais un produit local.
Mais il relève toujours du pentecôtisme ?
Oui, c'est un courant du
christianisme fondé sur l'importance de la réception de l'Esprit saint, d'où
son nom, par référence à la Pentecôte où les apôtres ont reçu le don de parler
en langues pour pouvoir évangéliser le monde. Pendant les cérémonies, les
fidèles peuvent être pris de transes et se mettre à parler une langue inconnue,
quant aux pasteurs, ils prétendent pouvoir guérir en imposant les mains. Ceci
étant, chaque pasteur est libre d'inventer sa propre liturgie.
Vous écrivez
que n'importe qui peut être pasteur…
Oui, au Brésil en tout
cas, n'importe qui peut transformer un salon de thé en temple de la pivoine.
Dans les faits, les pasteurs ne sont pas obligés de se former, mais suivent en
général une formation de deux ou trois mois pour apprendre les rudiments de la
Bible, connaître le vocabulaire et les bases de la liturgie. C'est tout. Le
seul point commun des pasteurs évangéliques, en fait, c'est leur forte
personnalité et leur bagout. Ce sont souvent des personnalités charismatiques,
des meneurs d'hommes. À une autre époque, ces tribuns auraient pu être
syndicalistes.
Est-ce la religion des pauvres ?
Plutôt celle des exclus.
À Rio, les gens qui habitent une favela de Copacabana sont pauvres, mais ils
restent catholiques. Pourquoi ? Parce que l'Église catholique, l'emploi,
les loisirs, l'aide de la société, tout est à deux pas. Il existe de vraies
relations et un dialogue entre les classes aisées et les pauvres, même si c'est
sur le modèle paternaliste. La situation est différente à la périphérie :
l'emploi est quasiment inaccessible, sauf à passer 5 heures dans les
transports. Celui qui travaille n'a plus de loisirs, plus le temps de s'occuper
de ses enfants et de sa famille. Et surtout, la relation paternaliste n'existe
plus. Le patron ne voit plus les enfants de la bonne. Il n'a plus de raison de
leur faire de cadeaux, de payer un cartable… Souvent, l'Église catholique est
absente, faute de prêtres et d'églises. Or les pasteurs évangéliques, eux, sont
là, et proposent des services et une idéologie de la réussite qui est positive.
La théologie de la prospérité ?
Toutes les églises
évangéliques ne sont pas sur ce créneau, qui est essentiellement celui des
néopentecotistes, comme l'Église universelle du royaume de Dieu, mais il est
vrai que ce sont ces églises-là qui ont le plus de succès. Le principe de cette
théologie de la prospérité est que tout le monde a le droit à la réussite
matérielle et au bonheur sur cette terre. Dieu te le doit. Mais si tu ne l'as
pas, eh bien, c'est que tu n'as pas su t'y prendre avec lui, tu as mal
exigé. Et si tu commences à douter, c'est que tu n'y crois pas, donc c'est
normal que tu n'obtiennes rien. Pour réussir, tu dois prier... et donner.
Soit 10 % de ses revenus à l'Église ?
Exactement, c'est la
somme traditionnellement exigée, chaque mois, mais pas seulement. Le fidèle
doit aussi donner de son temps. Pour les très pauvres, cette exigence peut se
révéler salvatrice. Au lieu de s'enivrer avec les copains, l'adepte boit moins,
ne bat plus sa femme, travaille mieux et dépense moins d'argent. Résultat, il
peut enfin espérer améliorer sa vie, même petitement. Enfin, il n'est plus
seul : non seulement il a moins de risque de perdre sa femme et ses
enfants, mais il est inséré dans une communauté d'entraide qui le soutient.
Ce sont des églises de service, d'où un certain « consumérisme »
des fidèles, non ?
Ces églises permettent
de trouver des emplois, des logements, elles prétendent même guérir le cancer
par l'imposition des mains. Quand obtenir un rendez-vous à l'hôpital
exige 8 mois d'attente, même si on ne croit pas au miracle, on va quand
même essayer les dons du pasteur, face au désespoir, c'est la seule solution.
Ceci étant, le pasteur est comme un marchand : il doit développer sa
clientèle, lutter pour la conserver et éviter les dissidences. Il faut que
l'offre soit à la hauteur, particulièrement au niveau musical. J'ai vu des
femmes quitter une église parce qu'on leur reprochait leurs jupes trop courtes.
Rien n'est stable. Les gens sont évangéliques, mais à la veille du carnaval, et
sans état d'âme, ils se remettent à l'alcool et aux matches de foot, jusqu'au
prochain coup dur où ils reviendront au temple.
Le spectacle joue toujours un rôle important dans la liturgie ?
C'est l'une des
caractéristiques des églises évangéliques en général. Elles ont été les
premières à comprendre l'influence des médias. Longtemps, l'Église imposait la
messe en latin, le prêtre tournant le dos aux fidèles, alors que les
évangéliques ont investi dès les années 50 les radios brésiliennes.
Et si les fidèles doivent donner 10 % de leur revenu, c'est aussi parce
qu'il faut financer les shows télévisés. Aujourd'hui, tout est pensé pour la
caméra : la liturgie, les chants, la transe. C'est joyeux, vivant,
émotionnel.
C'est pourtant un univers très conservateur qui tranche avec la sensualité et l'épicurisme brésiliens ?
C'est vrai, et c'est
paradoxal, mais ces églises ont su aussi adapter leur conservatisme à la
culture locale. Prenez la mode. Jusqu'aux années 80, pour aller au temple, les
femmes évangéliques devaient porter une jupe en jean très longue, des manches
grises ou noires, très longues elles aussi. Mais avec de telles contraintes
vestimentaires, il était difficile de faire de nouveaux adeptes dans un pays où
l'on aime tant montrer son corps. Plusieurs entreprises ont décidé de proposer
des modèles « évangéliques » plus actuels, et elles ont fait un
tabac. Si la mode est aux jupes fendues jusqu'au slip, la femme évangélique
portera la même jupe, mais avec un tissu derrière la fente. Le principe est
d'être sexy, tout en respectant les critères de pudeur évangélique. Cela n'a
rien d'original en soi, on observe aujourd'hui le même phénomène dans les pays
du Golfe, avec évidemment une culture très différente.
Mais les églises évangéliques sont-elles plus conservatrices que l'Église
catholique ?
Les catholiques brésiliens
ne sont pas hostiles à la gauche, les évangéliques, si. Mais au niveau des
mœurs, ils se rejoignent. Les unes et les autres sont contre l'avortement,
l'éducation sexuelle à l'école, le mariage homosexuel, la GPA, etc.
Certaines accueillent pourtant les gays, ce que l'Église catholique refuse
de faire….
Oui, elles se sont
spécialisées sur cette « clientèle », mais n'en restent pas moins
conservatrices pour le reste.
Qu'a fait l'Église catholique pour résister à de tels concurrents ?
Elle ne les a pas
vraiment pris au sérieux au départ. Or elle souffre de sa mauvaise implantation
à la périphérie des villes. Le Brésil est un pays très urbain, dont la plupart
des villes comptent plus de 100 000 habitants, pour la plupart
installés loin du centre. C'est un phénomène très récent, une trentaine
d'années seulement. Dès que l'on sort des jolis centres, ce sont des villes
nouvelles, sans urbanisme. Or pour le catholicisme, une ville, c'est d'abord un
centre, où siègent côte à côte le pouvoir, la banque et l'église. Elle n'a rien
compris à ce nouveau phénomène urbain, et n'a pas cherché à s'y intégrer.
Peut-être que les fidèles iraient volontiers à la messe s'il ne fallait pas
faire deux heures pour atteindre une église, qui en prime, est souvent fermée,
faute de prêtres. Il y a des gens qui sont baptisés mais qui n'ont jamais vu un
prêtre de leur vie. Résultat, au Brésil, plus personne ne se marie ou presque.
On peut même dire que plus personne ne se soucie du péché. Les évangéliques là
aussi ont bien joué : eux, le pécheur, ils ne le condamnent pas, ils le
valorisent. On lui demande de témoigner de sa rédemption devant toute la
communauté. Il devient une « vedette » ; on lui donne un statut.
Une femme qui a eu deux enfants hors mariage n'est pas regardée comme Marie-Madeleine
toute sa vie. Un délinquant peut réintégrer sa communauté, sans même à avoir à
redonner l'argent volé. Ce n'est évidemment pas le cas dans l'Église
catholique.
Comment réagit-elle aujourd'hui ?
Le pape François a
compris la situation, il a recommandé d'aller sur le terrain. Mais les
communautés de base qui existaient il y a trente ans ont été détruites
par Jean-Paul II et Benoît
XVI sous prétexte qu'elles étaient des propagandistes de la
théorie de la libération, et du communisme. Maintenant, il faut tout
reconstruire, et cela prend du temps. D'une certaine façon, il est déjà trop
tard. Le temps de l'Église catholique hégémonique est révolu.
Si les évangélistes permettent aux exclus de s'intégrer, pourquoi leur
développement serait-il inquiétant pour le Brésil ?
Parce qu'ils sont plutôt
proches de la droite dure et qu'ils véhiculent des valeurs qui sont tout sauf
évangéliques. Leurs fidèles, pauvres, noirs ou métis, abandonnés par l'État et
les élites devraient être la cible naturelle de la gauche, mais celle-ci ne
sait plus comment communiquer avec ces populations. On retrouve une situation
similaire au Maghreb. Les intellectuels méprisaient les islamistes, et quand
ils sont devenus importants, le dialogue a été impossible, alors pour ne plus
les voir, on a préféré la dictature. C'est la raison pour laquelle en Algérie,
Bouteflika qui respire à peine va redevenir président pour un 5e mandat, car
tout le monde a peur. Le Brésil, qui est plus laïc et moins soumis aux
influences étrangères, n'est pas dans une situation aussi grave, mais elle n'en
est pas moins inquiétante. On voit apparaître des comportements inconnus
jusque-là. On se met ainsi à rejeter les religions afro-brésiliennes, pourtant
au cœur de la culture locale ; on veut aussi interdire le darwinisme à
l'école.
Mais il reste quand même plus de 50 % des Brésiliens qui ne sont
pas évangéliques. Personne ne s'insurge ?
Les pasteurs
évangéliques ont pris un tel poids qu'ils sont devenus incontournables dans le
jeu politique. Ce sont eux les faiseurs de roi, parce que c'est eux qui font
l'opinion. Donc quand ils disent qu'un homosexuel, c'est Satan, et qu'il faut
lui jeter des pierres, on le fait, parce qu'on le croit. C'est pour cela que
cette vague évangélique est dangereuse, parce qu'elle est aussi porteuse
d'obscurantisme. Mais répondre par l'ignorance et le mépris, comme le font les
élites politiques, notamment progressistes, n'est pas une solution.
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