Drôle de stratège qui a permis à son rejeton de détruire Nidaa Tounes, le parti qu'il a crée pour combattre les Frères musulmans ! Dans sa lutte contre l'islamisme, le bourguibiste Béji Caïd Essebsi, en jouant les pétromonarques qui soutiennent Ghannouchi contre ceux qui le combattent, a fini par mettre sous tutelle des bédouins d'Arabie, la Tunisie ! Bourguiba doit se retourner dans sa tombe, lui qui avait toujours tourné le dos aux pétromonarques qu'il méprisait comme ils le méprisaient car il savait que la Tunisie a vocation historiquement et géographiquement à faire partie de l'Occident et non de la lointaine péninsule arabique comme le prétendent les pan-islamistes et les pan-arabistes !
Ce n’est certainement pas ce qu'attendaient les Tunisiens de leur transition démocratique mise sous contrôle de monarques totalitaires.
R.B
Ce n’est certainement pas ce qu'attendaient les Tunisiens de leur transition démocratique mise sous contrôle de monarques totalitaires.
R.B
Tunisie. Vers la
fin du compromis historique avec les islamistes ?
Béji Caïd
Essebsi a-t-il fait le choix de s’extraire de la crise politique qui plombe son
parti et paralyse l’exécutif en revenant à son projet initial : affaiblir
Ennahdha sans le rejeter dans l’opposition et régner de manière absolue sur un
pays qu’il présente comme menacé par les islamistes de tous bords ?
Les propos d’Emanuel Macron au
dernier sommet de la Francophonie1 sur
le courage du président Essebsi qui lutte contre la montée des obscurantismes
et l’écho fait dans les médias émiratis et saoudiens à son discours du 24 septembre2 par
lequel il insiste sur la « rupture » avec Ennahdha plaident pour le
choix d’une nouvelle ligne politique. Cette option abandonne le fameux « compromis
historique » qui était devenu la marque de fabrique de la transition tunisienne,
de même que l’idée du pouvoir en partage, au profit d’une autre, toute
bourguibienne : celle d’une Tunisie « éclairée » qui combat sans
relâche l’islamisme, assimilé à l’obscurantisme.
Le moment choisi pour opérer
ce tournant n’est pas anodin, puisqu’Ennahdha, qui avait relevé la tête après
les élections municipales de mai dernier, se trouve aujourd’hui en mauvaise
posture du fait de l’avancée de l’enquête conduite sur les assassinats
politiques des deux figures de la gauche en 2013, Chokri Belaïd et Mohamed
Brahmi. Il est probable que le chef de l’État saisira cette occasion — même si
le lien n’est pas encore formellement établi entre Ennahdha et les assassinats
— pour pointer du doigt son adversaire, qui fut aussi son allié.
Mais en séduisant, consciemment
ou non, Émiratis et Saoudiens par un choix qui se veut moderniste, Béji Caïd
Essebsi invite les pays du Golfe à s’immiscer dans la vie politique tunisienne.
Une manière d’aller plus vite en besogne pour réhabiliter le passé politique
dans ses pratiques, son personnel et sa lutte contre l’ennemi que l’on dit « historique ».
De mars 2011 à
aujourd’hui, Béji Caïd Essebsi aura ainsi conduit le pays d’une révolution qui
a fait école à la mise du pays sous tutelle des pays du Golfe. Ce n’est certainement
pas ce qu’attendaient les Tunisiens de cette transition, qui devient autrement
singulière.
L’ALLIANCE DES CONTRAIRES
En 2012, lorsque Béji
Caïd Essebsi fonde Nidaa Tounès, son objectif est énoncé clairement. Il s’agit
de fédérer autour de sa personne ceux qui veulent défendre l’héritage
moderniste de Habib Bourguiba qu’il considère remis en cause par le projet
islamiste d’Ennahdha. Il entend aussi restaurer l’État qui doit protéger les
citoyens. Il rassure alors de nombreux Tunisiens qui déplorent la gouvernance
du pays par la Troïka (2011-2013), mais ne manque pas d’interpeller ceux qui se
demandent comment il est possible de s’inscrire dans le prolongement du passé
politique pour œuvrer à la construction de la Tunisie post-révolutionnaire.
Qu’importe, Caïd Essebsi
inscrit son parti dans le prolongement de deux actions qu’il considère
réussies : le projet moderniste de Bourguiba, auquel il a participé en
tant que ministre et sa propre mission dans la transition politique de 2011, en
tant que premier ministre. Fort de ce passé, il se pose en sauveur de la
Tunisie, s’insurgeant contre l’hégémonie d’Ennahdha dans la vie politique du
pays. En martelant que la démocratie ne se limite pas à l’organisation des
élections, et qu’il faut également avoir la capacité de gouverner, il tente de
discréditer les trois partis vainqueurs des élections de 2011.
Nidaa Tounès, qui
grossit en intégrant des vagues d’insatisfaits, n’a pas de programme clairement
énoncé. La composition hétéroclite de ses adhérents ne lui permet pas de
définir un projet susceptible de satisfaire à la fois d’anciens cadres et
sympathisants du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), des
gauchistes réfractaires à l’islamisme, ou encore les nationalistes arabes. Tous
retiendront pourtant que le parti de Caïd Essebsi s’oppose fermement à Ennahdha
auquel il entend faire barrage tout en restaurant la grandeur de l’État.
La crise politique de
2013 allait donner à Béji Caïd Essebsi les moyens de se passer définitivement
de programme. Excédée par la mauvaise gestion du gouvernement d’Ali Larayedh,
une partie de la société exprime sa défiance à l’égard de la classe politique
et en particulier d’Ennahdha, tenu responsable du climat d’insécurité. Les
assassinats de deux responsables de la gauche, Chokri Belaïd et de Mohamed
Brahmi, exacerbent un peu plus la tension. Encouragés par le mouvement égyptien
Tamarrod (rébellion) d’opposition au président Mohamed Morsi, les Tunisiens
lancent un mouvement du même nom et demandent la démission du gouvernement.
Mais Larayedh refuse de partir, mettant en avant la légitimité électorale. L’impasse
est totale : le gouvernement ne peut plus travailler et la rédaction de la
Constitution est paralysée par d’interminables débats d’ordre idéologique.
Tandis que quatre institutions proposent une sortie de
crise en relançant un dialogue national qui avait été initié
par l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), Béji Caïd Essebsi propose à
Rached Ghannouchi une rencontre qui a pour objet de sortir le pays de la crise
en infléchissant les positions tranchées des cadres et militants de leurs
formations respectives.
UN PACTE BIAISÉ
Le rapprochement
accepté, l’idée d’une gouvernance consensuelle permet au pays de briser
l’immobilisme et de remettre la transition sur les rails. Cumulant les
handicaps notamment dus à sa mauvaise gestion politique, Ennahdha a tout
intérêt à adhérer au pacte que lui propose le leader de Nidaa Tounès. Rached
Ghannouchi sait que les formations islamistes issues de l’idéologie des Frères
musulmans ne sont pas en odeur de sainteté sur la scène régionale, comme le
montre la déposition de Mohamed Morsi en Égypte et la mise à l’index du Qatar
par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.
Cette faiblesse d’Ennahdha
amène son chef historique à engager sa formation dans une transition avec Béji
Caïd Essebsi. Le guide tente de convaincre cadres et militants que
l’intégration d’Ennahdha au jeu politique est nécessaire et que seul Béji Caïd
Essebsi est en mesure de protéger le parti dans ce contexte de grandes
turbulences. Mais cette « protection » a un prix : Ennahdha doit
obligatoirement faire des concessions pour éviter de revenir à l’ère de la
répression et de la clandestinité. Cet arrangement implicite déplaît fortement
à une partie de ses troupes qui se demande jusqu’où iront les compromis dans
cette relation totalement déséquilibrée. Ils observent avec amertume que leur
parti n’est en aucune façon partenaire de Nidaa Tounès dans le cadre d’un plan
négocié, mais que la politique du pays leur est dictée par Béji Caïd Essebsi.
Par-delà le coût
politique de ce renoncement, des sympathisants du mouvement pensent que leur
parti ne joue plus son rôle de porteur d’un projet spécifique, différent de
celui de Nidaa Tounès3.
Difficile pour Rached
Ghannouchi d’expliquer à sa base que la formation qu’il préside depuis 1981 est
en quête de respectabilité et que pour survivre, il lui faut évoluer doucement
vers un parti civil qui, sans abandonner l’islam comme référentiel, entend tourner
la page de l’islam politique pour devenir « démocrate musulman » à
l’instar des partis démocrates chrétiens qu’a connus l’Europe.
BÉJI CAÏD ESSEBSI « LÂCHÉ » PAR LES SIENS
Nidaa Tounès est rongé
par des ambitions rivales qui éclatent au grand jour après les élections
législatives et présidentielle de 2014. En choisissant le premier ministre en
dehors de sa formation et en nommant son propre fils Hafedh Caïd Essebsi à la
tête de Nidaa Tounès, le chef de l’État exprime un manque de confiance dans les
siens, ceux-là mêmes qui l’ont soutenu et adoubé. Dès 2015, 32 députés de
Nidaa Tounès démissionnent du bloc du parti présidentiel de l’Assemblée des
représentants du peuple (ARP). D’autres suivront. Victime d’une véritable
hémorragie dans ses rangs, Nidaa perd sa première place au sein de l’ARP au
profit de son adversaire et allié Ennahdha.
Mais Béji Caïd Essebsi
ne désarme pas. Il a deux grandes ambitions : consolider son pouvoir
personnel et réorganiser son parti en lui redonnant une cohésion. Au cours de
l’été 2016, il change de premier ministre, remplaçant le rigoureux Habib
Essid par le quadragénaire Youssef Chahed. Celui-ci a pour tâche initiale de
mettre en application le Pacte de
Carthage, sorte de feuille de route relative aux priorités de son
gouvernement. Par ce pacte, signé par neuf partis politiques et trois
organisations nationales et qui est imposé à Ennahdha, le président réalise un
consensus entre les forces politiques sur la base de leur participation à la
vie politique et surtout à leur acceptation des règles d’un jeu qu’il définit.
Mais contrairement à son
prédécesseur, Youssef Chahed va tenter d’acquérir de l’autonomie par rapport au
chef de l’État en portant un projet de lutte contre la corruption qui s’avère
populaire dans les premiers temps. Il déstabilise autant Béji Caïd Essebsi que
Rached Ghannouchi qui ont peur de voir leurs partis et leurs proches
éclaboussés. Tout en caressant l’intention de mettre à l’écart Youssef Chahed,
Caïd Essebsi tente de resserrer autour de lui l’opinion moderniste qui avait
massivement voté pour lui en 2014 et avait été déçue. Il renoue ainsi avec la
politique de Habib Bourguiba : moderniste sur les questions sociétales en
même temps que résolument réfractaire à la démocratie. En 2017, il abroge une
circulaire qui proscrit le mariage entre une Tunisienne musulmane et un
non-musulman et réactive un débat récurrent sur l’égalité des sexes en matière
d’héritage. Dans la foulée, il tente de consolider son pouvoir en
s’en prenant violemment au régime parlementaire, responsable à ses yeux de l’inefficacité
du gouvernement. Il remet aussi en cause les institutions indépendantes et
plaide pour le retour d’un régime présidentiel fort, doté des pleins pouvoirs.
Pour cela, il pense qu’il faut nécessairement réviser la Constitution de 2014
et réduire les contre-pouvoirs.
LUTTE FRATRICIDE AU SEIN DE NIDAA TOUNÈS
Les élections
municipales du 6 mai 2018 allaient révéler la
désaffection à l’égard des deux grands partis qui se sont imposés depuis 2014.
Conduites par une partie de la société civile qui a conservé sa foi dans la
politique, les listes indépendantes réalisent une vraie percée, devant Ennahdha
qui perd la moitié de son électorat par rapport aux élections de 2014 et Nidaa
Tounès qui en perd les deux tiers. L’échec électoral de Nidaa Tounès provoque
une lutte fratricide au sein du parti. Son dirigeant Hafedh Caïd Essebsi veut
en faire porter la responsabilité au chef du gouvernement Youssef Chahed,
tandis que ce dernier en impute la faute à la faillite du parti : « Les
dirigeants de Nidaa et à leur tête Hafedh Caïd Essebsi ont détruit le parti », dit-il
le 29 mai 2018 dans un discours aux Tunisiens diffusé sur les chaînes
de télévision.
Durant l’été 2018,
la bataille qui a porté sur les équilibres internes au sein de Nidaa Tounès
s’est cristallisée sur le maintien ou le départ de Youssef Chahed. Tandis que
Béji Caïd Essebsi, qui n’a jamais pardonné à son jeune premier ministre sa campagne
contre la corruption et plus largement sa volonté de s’autonomiser par rapport
à l’appareil d’État, a fait mine de soutenir son fils. Rached Ghannouchi s’est,
quant à lui, opposé au départ de Youssef Chahed. L’alliance possible des
69 députés d’Ennahdha et la coalition nationale qui s’est formée autour de
ce dernier (essentiellement composée de dissidents de Nidaa) a fait craindre la
naissance d’un pôle politique puissant. Fort de son succès, bien que relatif,
aux élections municipales, Ennahdha semblait moins timoré que depuis 2014, et
suffisamment combatif pour tenir tête au chef de l’État. Youssef Chahed qui a
résisté à la volonté de Béji Caïd Essebsi de le sacrifier a joué l’opinion et
la popularité que lui a valu sa guerre contre la corruption. L’arrestation de
quelques barons de l’économie informelle proches de Hafedh Caïd Essebsi a donné
du crédit à celui qui était totalement inconnu lorsqu’il fut nommé à la tête du
gouvernement en 2016.
Cependant, Chahed
s’accroche au pouvoir, allant jusqu’à exercer des pressions sur ses adversaires
et à écarter systématiquement tous ceux qui peuvent être pressentis pour lui
succéder. Mais dans son ambition de se maintenir à son poste et de se présenter
aux élections présidentielles de 2019, il se heurte à la puissante centrale
syndicale, l’UGTT, qui n’est pas du tout favorable aux réformes économiques
annoncées par Youssef Chahed sur les recommandations des bailleurs de fonds et
notamment du FMI.
L’IMPOSSIBLE RUPTURE
Le 24 septembre,
Béji Caïd Essebsi décide d’intervenir en direct sur la chaîne Elhiwar Ettounsi,
dans un talk show. Interrogé sur la crise politique, le chef de
l’État déclare que les départs de Youssef Chahed et de son fils Hafedh Caïd
Essebsi ne changeraient pas fondamentalement le cours des choses. Il écarte
ainsi d’un revers de manche ce conflit qui paraissait central durant les mois
d’été. Pour lui, l’essentiel est ailleurs puisqu’Ennahdha a fait le choix de
rompre son alliance avec Nidaa Tounès. À plusieurs reprises, le chef de l’État
revient sciemment sur la « rupture » entre les deux grandes
formations, une manière de mettre en évidence la fin du pacte qui les liait
depuis 2013. Mais en annonçant cette « rupture », qui ne serait pas
de son fait, il replace la crise que traverse le pays dans le cadre de
l’affrontement traditionnel entre modernistes et islamistes.
Essebsi redevient ainsi
l’acteur politique qu’il fut en 2011 et 2012 lorsqu’il incarnait la continuité
de l’État et son inspiration moderniste. S’il reconnaît que la situation
globale est loin d’être bonne, il met le doigt sur le déséquilibre d’un système
qui ne lui donne pas les moyens d’exercer son autorité en reconfigurant la
scène politique. Pour lui, un exécutif à deux têtes ne peut être que
contre-productif, puiqqu’il ne permet pas au chef de l’État de congédier son
premier ministre et de réorganiser à sa guise la vie politique du pays. Le chef
du gouvernement, qui n’a pas été élu, tient quant à lui sa légitimité de la
confiance que lui accorde l’ARP. Or, dans le contexte actuel, précise Béji Caïd
Essebsi, l’Assemblée se trouve divisée, la scène politique fragmentée et le
premier ministre issu de Nidaa Tounès dispose de l’appui d’Ennahdha. Ce
désordre est à corriger selon lui, et il faut nécessairement modifier la
Constitution et changer la loi électorale.
Implicitement, le chef de
l’État invoque un retour aux pratiques politiques du passé pour mettre de
l’ordre dans le jeu politique tunisien qui n’a eu de cesse d’être dominé par la
fracture entre modernistes et islamistes. En maintenant un minimum de tension
avec Rached Ghannouchi, Béji Caïd Essebsi conserve l’espoir de reconquérir son
électorat.
Cette dernière manœuvre
pourrait ne pas être vaine. Au plan intérieur, Ennahdha, qui avait relevé la
tête après les élections municipales de mai dernier se trouve aujourd’hui
fragilisé par la recherche de la vérité concernant les assassinats de Chokri
Belaïd et de Mohamed Brahmi. Les avocats de leur comité de défense ont fait
savoir le 2 octobre 2018 qu’ils disposaient de documents laissant
supposer l’existence d’une organisation secrète en lien avec Ennahdha.
L’enquête n’en est qu’à ses débuts et Ennahdha a rejeté cette accusation, mais
l’opprobre est déjà jeté sur le parti islamiste qui n’a plus d’autre choix que
de se remettre rapidement sous le parapluie de Béji Caïd Essebsi. Il ne peut compter
sur l’appui de l’UGTT, pas plus que sur le soutien de l’armée. Isolé au plan
interne, Ennahdha l’est également sur la scène régionale et internationale. Au
lendemain de l’intervention télévisée de Béji Caïd Essebsi, les chaînes
saoudiennes et émiraties revenaient avec insistance sur la « rupture »
entre « les deux cheikhs ».
* Politologue, enseignante (université de Paris 1) et chercheuse associée au laboratoire Sirice (Identités, relations internationales et civilisations de l’Europe).
* Politologue, enseignante (université de Paris 1) et chercheuse associée au laboratoire Sirice (Identités, relations internationales et civilisations de l’Europe).
Jean-Pierre Ryf :
RépondreSupprimerUne analyse politique de la situation en Tunisie complète qui a le mérite de pointer les deux tares majeures de la situation actuelle :
- Le pouvoir des islamistes qu'il faut éliminer de la scène politique,
- Une Constitution et un régime électoral qui ne permettent aucune bonne gouvernance.