lundi 1 juillet 2013

Les appels au jihad du mufti du Qatar Yûsuf al-Qaradhâwî et le silence assourdissant de ses zélateurs

Haoues Seniguer
Enseignant chercheur 
à Sciences Po Lyon
Sur la question sensible du "terrorisme" dans l'Hexagone, il y a le problème préoccupant du départ de concitoyens musulmans vers la Syrie. Ils partent faire le djihad, de leur propre point de vue et celui des gourous qui les y encouragent. Ceci, à très juste titre, inquiète aussi bien les autorités de notre pays que des parents ou citoyens. Bien sûr, l'écrasante majorité des musulmans de France vit en parfaite harmonie avec les autres sociétaires, dans une observance stricte des valeurs de la République laïque. Cette majorité ne se reconnaît aucunement en l'idéologie islamiste.
L'expression "autoradicalisation" parfois invoquée, aux fins de décrire spécifiquement les dérives violentes isolées de certains musulmans, est néanmoins ambivalente. Un tel concept, à savoir l'autoradicalisation, fait effectivement l'impasse sur les doctrines ou déclarations de certaines autorités théologico-politiques, à l'instar de Yûsuf Al-Qaradhâwî, télé-prédicateur vedette d'Al-Jazira, auteur, une fois de plus, d'une nouvelle saillie qui fait froid dans le dos: "Le djihad en Syrie est désormais un devoir qui incombe à tous les musulmans (...) Le consentement parental n'est pas nécessaire dans ce cas."
Le mot djihad, on le sait en tant qu'arabisants, est évidemment polysémique. Mais est-il bien prudent de l'agiter dans un contexte de guerre ou de conflits sanglants qui touchent aujourd'hui le monde islamique, à l'image de la Syrie, de la Libye ou de l'Irak? Ce même Y. al-Qaradhâwî déclarait encore il y a peu que "les alaouites sont plus mécréants que les juifs et les chrétiens"! D'un coup d'un seul, il se fait judéophobe, christianophobe et partisan de l'accentuation du clivage confessionnel entre chiites et sunnites. Il n'est du reste pas à son premier coup d'essai.
Y. Al-Qaradhâwî, mufti du Qatar, est le parrain du CILE (Le Centre de recherche pour la Législation islamique et l'Éthique) que dirige le prédicateur Tariq Ramadan? Faut-il rappeler également que le théologien qatari, épinglé à plusieurs reprises pour judéophobie caractérisée et appels répétés au crime, est le maître spirituel de Nabil Ennasri, président du Collectif des Musulmans de France (CMF). Ce dernier n'a de cesse de faire la chasse à ceux qui disent du mal du Qatar. Dans une conférence intitulée "La situation actuelle à Gaza et en Palestine" qu'il a donnée le 4 juin 2011 à la mosquée de Guitard au Puy-en-Velay [1}, le militant rendait un vibrant hommage à Y. al-Qaradhâwî qu'il considère comme l'un des plus grands Savants de l'islam. Ceci explique sans doute l'indulgence dont il fait preuve à l'endroit du cheikh. Jamais il ne remet ouvertement en cause le prédicateur qu'il tient en haute estime! En fait, on ne peut comprendre la qatarophilie du "qatarologue" que par son islamistophilie. C'est l'auteur de L'Énigme du Qatar en personne qui écrit : "L'utilisation de la figure du Cheikh Al Qaradhawi offre, dans cette optique, le double avantage d'exprimer la spécificité du Qatar en des termes religieux et de soutenir la politique de libéralisation promue par l'émir et son épouse; "en adoptant une posture religieuse qui souhaite intégrer les acquis positifs de la modernité occidentale au sein du corpus juridique islamique, le dignitaire donne naissance à un nouveau courant de pensée qui exprime l'expression modérée de l'islam politique". Le président du CMF, lequel a soit dit en passant été évincé depuis peu du centre islamique Tawhid de Saint-Denis, précisément pour complaisance à l'égard de l'émirat, offre une lecture eschatologique et hautement confessionnelle de la tragédie syrienne. Il donne dans un prophétisme messianique dont il est coutumier.
N. Ennasri est le produit le plus abouti de la duplicité inhérente à une forme d'islam politique qui encourage les vertus de la dissimulation (al-taqiyya) et du double discours. En effet, le président du CMF utilise deux comptes Facebook: l'un, sous une dénomination officielle (Nabil Ennasri), à destination du grand public, notamment des journalistes, l'autre, sous un pseudonyme (En mode Crsept Aze), comme l'a récemment révélé Jacques-Marie Bourget, au moyen duquel le militant français de l'islam politique exprime ses véritables convictions idéologiques et ses aspirations métaphysiques. Il magnifie effectivement l'idéologie des Frères musulmans. Par ailleurs, il reprend à son compte les accents messianiques de L'Union Mondiale des Oulémas Musulmans et n'hésite pas à rallier la lecture eschatologique et confessionnelle du conflit fratricide syrien.

Pourquoi diable N. Ennasri ne met-il pas autant d'entrain à dénoncer, sans ménagement aucun, la confessionnalisation du conflit par son mentor Qaradhâwî ? La réponse ne fait l'ombre d'aucun doute. Ce militant, omniprésent sur les réseaux sociaux et quelquefois visible dans les médias, est, au plan idéologique, un Frère musulman; il en a le droit le plus strict ; il est le zélateur des mouvements islamistes (il lui est ainsi arrivé de comparer Morsi, issu des Frères musulmans égyptiens et actuel président de l'Égypte, à De Gaulle [2]) ; il est d'une insigne complaisance à l'égard du Qatar et pourfendeur de tous ceux qui ont l'outrecuidance de critiquer islamisme et monarchie du Golfe. Ce n'est pas un crime d'être sympathisant de l'islam politique, et l'avocat de l'émirat, mais il faut simplement en aviser ses interlocuteurs et ne pas le dissimuler. Il est effectivement permis en France d'être très orthodoxe au niveau de la pratique religieuse à la condition expresse de respecter le pluralisme, la différence et la divergence, en évitant en particulier de parler à propos de la France "de démocratie de merde" :


Démocratie de merde : 2 mecs passent leur temps à s'insulter pr gagner un poste tout en étant grassement payé par un peuple qui souffre.
Nabil Ennasri déplore que les plus virulents pourfendeurs du Qatar soient frustrés de n'avoir pu bénéficier des largesses économiques de l'émirat au point de chercher, par vengeance ou dépit, à régler des comptes. Toutefois, le militant se gardera bien, lui, de rendre publique sa collaboration (rémunérée?) avec le think tank Al-Jazeera Center for Studies, organisme totalement sous contrôle du régime de Doha, qui publie en règle générale les travaux de chercheurs acquis à l'islamisme, à l'instar de Abdessalam Rafik, de son vrai nom Bouchlaka, gendre de Rached Ghannouchi et membre tunisien d'Ennahda.
Pendant ce temps-là, qu'attendent Tariq Ramadan, Nabil Ennasri et d'autres qatarophiles patentés tel que Mathieu alias Moez Guider le tunisien, coach du frère du nouveau émir du Qatar à Saint Cyr ... pour prendre publiquement position sur les derniers discours enflammés et haineux du cheikh au sujet de la Syrie, en rédigeant à cet effet un démenti public ? Ils ne pourront pas dire qu'ils ne savaient pas. C'est une responsabilité morale et sociale de premier ordre, qui plus est dans le contexte mondial actuel. Les religieux ont le devoir impérieux de sagesse et de paix.

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