Nidaa Tounes, tomberait-il dans le piège de
"l'identité", cher aux pan-islamistes et autres pan-arabistes ?
Néji Jalloul, ministre de l'Education Nationale, semble mettre en
oeuvre la politique des Frères musulmans, en projetant une arabisation à tout
va !!
Or "l'identité" est le thème majeur de tous les partis
extrémistes; et le mieux partagés parmi les trois religions monothéistes que ce
soit :
- chez les chrétiens (l’extrême droite, le FN ...),
- chez les "juifs" (les partis sionistes ...) ou
- chez les "arabo-musulmans" (les Frères musulmans et
autres islamistes) !
Car c'est un thème facile et "vendeur" pour les partis
populistes, qui instrumentalisent la religion à des fins politiques.
R.B
28 Juillet 2011
Depuis quelques semaines, la question de l’«identité
arabo-musulmane» occupe une place centrale dans le débat public. Néanmoins,
elle comporte un paradoxe essentiel, puisqu’elle est réclamée par tous, alors
qu’elle constitue la pomme de discorde quant au sens à lui donner. La mouvance
islamique donne la prééminence au fondement religieux. La tendance nationaliste
arabe met l’accent sur l’aspect politico-culturel; quant aux divers autres
courants, ils la considèrent comme relevant de la civilisation dans toutes ses
dimensions. Il y a lieu de tirer au clair cet imbroglio faisant de l’identité
un objet de tiraillements, allant à hue et à dia.
Par un glissement d’emploi, le concept passe du domaine de la
culture savante pour un usage courant dans le débat politique. Il est apparu
dans la pensée arabo-musulmane contemporaine et y est, depuis le début du XXe
siècle, l’objet d’études dans différentes moutures en étant désigné par le
terme de «hawiya», identité, ou «chakhsiya», personnalité... Sa
reprise actuelle dans la sphère politique, donnant lieu à un débat houleux,
intervient à la faveur de la «révolution» ou plutôt comme la désigne plus
justement Ibn Khaldoun d’un «changement de l’état des choses», tabdil
al ahwal.
C’est dans le contexte de la préparation ou plutôt de la réflexion
sur la Constitution de la 2e République et précisément à partir de l’examen de
l’art. 1er de la Constitution de 1959 que surgit la question. Après plus d’un
demi-siècle, celui-ci est d’emblée agréé autant par le gouvernement provisoire,
par diverses «initiatives citoyennes», que par des partis politiques,
l’avalisant sans conteste. Il est récemment repris comme tel par la Charte
républicaine. Cela a l’air d’un consensus, mais en fait ce n’est qu’un
faux-semblant, chacun y va à partir de sa propre intention.
Faisons remarquer que son acception, aujourd’hui pour son
opportunité, passe sous silence le fait qu’il est marqué historiquement par son
caractère circonstanciel. L’article 1er, aux termes bien pesés, précise au tout
début que «la Tunisie est un Etat libre et indépendant». Le terme libre, (hurra),
consacre la libération du pays du joug de la colonisation. Quant à celui
d’«indépendant», (mustaqilla), il est d’un emploi approprié cautionnant
la ligne politique du courant prédominant du parti au pouvoir, celui de
Bourguiba, ayant le dessus sur celui du youssefisme qui méconnaît alors
l’indépendance réelle du pays.
Quant au reste de la phrase de l’article 1er considérant la
Tunisie comme étant un «Etat dont la religion est l’Islam et la langue est
l’arabe», c’est un élément comportant, dans sa formulation, en ce moment
historique, un compromis entre les deux composantes de la Constituante,
réparties en somme entre «traditionalistes» de formation zeitounienne (Ecole de
théologique de la Zitouna) et modernistes sadikiens (Collège Sadiki).
C’est en partant de cet article qui semble faire l’unanimité,
admis comme un fait établi, voire un lieu commun que fut introduite
actuellement, d’une manière subreptice, apparemment anodine, la notion de «Hawiya»
ou identité par laquelle on confère l’omnipotence à la religion dont les
islamistes font leur fonds de commerce.
Avant de découvrir l’arrière-boutique de ceux qui la mettent en
devanture, examinons le concept d’identité, concept oiseux, à battre en brèche,
pourtant défendu par les tenants de la pensée arabo-musulmane
contemporaine, toutes tendances confondues.
Qu’est-ce que l’identité ?
Sans être une digression, par un court excursus, on entend
soumettre à la critique la notion d’«identité arabo-musulmane». Telle qu’elle
est proclamée théoriquement, c’est une identité virtuelle qui, de fait,
présente un emblème-entrave. Elle est foncièrement conservatrice. Elle est
l’expression d’une situation de refus du changement. Alors qu’elle est
historiquement changeante sans être définitivement un acquis comme «identité
substantielle», afin de se construire et se reconstruire…
Elle n’a pas à être un projet, mais elle est a posteriori le
reflet d’une civilisation à bâtir, à créer. L’identité relève de la croyance à
l’être, laquelle croyance procède du refus et de la méfiance du devenir.
Pour la définir, je dis avec Zarathoustra : c’est «la rumination
de l’esprit qui se regarde au miroir», une manière de consacrer l’être au
détriment du devenir.
Pour être concret, prenons un exemple-modèle tiré de notre propre
histoire, dans le cadre géographique du monde "arabo-musulman" : à
son âge d’or, la naissance de la civilisation dans les métropoles, en
l’occurrence Bagdad, à partir du IIIe siècle de l’Hégire. Elle est nourrie de
l’héritage gréco-romain, oriental, hindou et perse... qu’elle s’approprie,
cultive et recycle. Elle a eu recours à la traduction pour avoir le savoir
universel dans sa propre langue, celle du Coran.
C’est ainsi qu’à partir de ce legs antique, elle a créé de
nouvelles sciences, des sciences dures. En cela, c’est une œuvre synthétique.
Ce qui la caractérise, aspect essentiel à méditer, c’est qu’elle ne suppose pas
de contradiction entre l’original et l’étranger, l’ancien et le nouveau, qui,
loin d’être antinomiques, sont complémentaires.
Dans son éclat, cette civilisation n’a jamais eu besoin de
s’affirmer, de s’autoproclamer une «identité arabo -musulmane». D’ailleurs dans
ce sens, le mot hawiya (identité), n’existe pas dans "lisan
Al Arab" ; c’est un néologisme de la période contemporaine. Ce qui
serait en son temps une identité n’est que le reflet d’une civilisation, en est
le produit, ce qui en résulte sui generis. Si on accepte la notion d’identité,
ce n’est que dans le sens de l’inventivité, ibda'a, soit une
création en tant que dépassement de l’origine.
Aujourd’hui, hélas, elle est empreinte de nostalgie quand
elle ne sert pas d’alibi pour de sombres projets de société.
De l’usage de l’identité
En cette période de gestation, on fait chorus autour de
l’identité, comprise différemment. Auparavant, alors que le soulèvement a déjà
fait des morts, dans le journal Assabah du 8 janvier 2011, le
«Mufti de la République Tunisienne» prononce une condamnation religieuse du
suicidé, un quidam, recommandant aux «gens respectables» de ne pas effectuer la
prière du mort, celui-là même qui, une semaine plus tard, est proclamé, en martyr,
un héros national, Mohamed Bouazizi. En laudateur, dans cette interview, le
mufti fait l’éloge du président qui, par piété, en ayant payé la Zakat,
l’impôt canonique, a secouru «les régions les plus défavorisées et pauvres» ;
et il incite les riches à suivre cet exemple.
Ce même mufti, sans se déjuger à propos de ses précédentes
déclarations publiques, publie le 7 avril, dans le même journal, un article où
il s’en prend à la «laïcité», défendant le maintien de l’article 1er de la
Constitution et de surcroît «l’identité du peuple dont l’Islam est l’élément
fondamental». De la sorte, le mufti, dans la célérité, s’aligne sur la position
des islamistes.
La question de l’identité est débattue dans l’Instance supérieure
de la défense de la Révolution qui a adopté un «pacte républicain» reprenant
l’article 1er de la Constitution, tout en rajoutant un deuxième point selon
lequel «l’identité du peuple tunisien est arabo-musulmane tout en étant dans un
rapport créatif avec les valeurs de la modernité et du progrès». Ainsi, en
cette circonstance, la notion d’identité qui s’est imposée à tous réfère au
peuple tunisien, une manière de souligner l’appartenance nationale. Pour
mémoire, rappelons qu’il y a quelques décennies, des penseurs tunisiens, pour
se particulariser par rapport au nationalisme arabe, ont élaboré une théorie de
«l’identité (ou personnalité) tunisienne», affirmant de la sorte la
«spécificité» tunisienne.
Avant même l’adoption de ce Pacte, le parti Ennahdha, à ce moment
opportun, s’est retiré de l’Instance supérieure pour ne pas avoir à voter cette
charte qui comprend aussi l’obligation de s’appliquer à la règle de «la
séparation du domaine religieux du domaine politique», sachant que leur fusion
est inhérente à leurs activités. Pour les islamistes, dans leur ensemble,
«l’identité est islamique» et par conséquent la charia est la référence de base
à la démocratie et à toutes les politiques socio-économiques à envisager. Dans
leur journal Al Fajr, il est discuté de la formulation de la
question de l’identité telle qu’elle apparaît dans le Pacte républicain pour
rejeter ce qui lui est accolé en tant que «valeurs de la modernité et de
progrès», les considérant comme une occidentalisation et une hétérodoxie.
Hourra ! à Mohamed Talbi
A point nommé, intervient sur la scène publique le professeur
Mohamed Talbi, un savant de formation zeitounienne au départ, ayant fait par la
suite œuvre d’historien, médiéviste, qui par une série de livres sur l’Islam
remet en cause le bien-fondé du fikh (l’exégèse), récusant
la tradition prophétique dans la mesure où elle passe outre le texte sacré. Il
considère l’Islam comme n’ayant pour fondement que le Coran dont il fait une
lecture «vectorielle», explique-t-il. Alors que jusque-là la propagation de son
œuvre est limitée au cercle des spéciallistes et intellectuels, il fait une
entrée tonitruante sur la scène politique, intervenant tous azimuts dans
différents médias. Documents et arguments à l’appui, il proclame que
«l’Islam est laïcité». Il considère que la charia, n’étant pas révélée comme le
Coran, lui étant postérieure de quelques siècles, n’est pas recevable dans son
intégralité.
Bien plus, en s’appuyant sur des arguments irréfutables, il
démontre que la charia est absolument incompatible avec la démocratie qu’il
accepte dans sa forme moderne.
Selon ce savant, musulman pratiquant, la croyance a pour référence
unique le texte révélé du Coran que tout doute à son sujet autorise Mohamed
Talbi, le savant, à excommunier (insilakh) son auteur, visant par là ses
pairs, concurrents en islamologie (science, sic de l’Islam) querelle de
chapelle !
Dans cette optique, Talbi apparaît comme un musulman de
l’originel, cet intangible sacro-saint. De notre point de vue, il est loin
d’être le libre penseur congédiant toute croyance, car croire c’est ne pas
penser. Néanmoins dans le champ religieux, sa théorie est révolutionnaire, son
émergence est un événement. Il tranche nettement avec un dogmatisme théologique
millénaire, en dépit des rectifications contemporaines. Par là, on atteint le
point ultime de la sécularisation de la religion musulmane. Ainsi, dans la
sphère religieuse s’est opéré un retournement sur soi dont la portée est
incommensurable, on n’en prendra pleinement conscience qu’à terme. Mais, cette
prise de position est déjà, pour l’instant, une parade efficace à l’attaque des
islamistes visant à régenter la société. Il est admis plus qu’auparavant à la
suite de Mohamed Talbi que «l’Islam est liberté».
En ces moments bénis où l’histoire s’est accélérée, la «révolution
du 14 janvier 2011» comporte à la fois un danger : l’islam politique et un
bienfait, la liberté.
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