Voilà le genre d'analyse faite par des intellectuels pour justifier les choix politiques de leurs responsables politiques, à moins que cela ne soit l'inverse; auquel cas, leur faute est encore plus grave et impardonnable dans les deux cas, car ils se sont lourdement trompés ! Leur erreur de jugement a coûté aux peuples "arabes" auxquels ils voulaient imposer les Frères musulmans, un lourd tribut mais leurs peuples aussi commencent à découvrir les joies de l'islamisme modéré tant vanté par ces intellectuels ! Ce qui explique qu'une icône de mai 68 comme Cohen-Bendit, se soit fourvoyé jusqu'à fréquenter Tariq Ramadan et oublier que son grand père Hassan El Banna fondateur de la confrérie était grand admirateur de Hitler dont le nazisme l'avait beaucoup inspiré; et que de nombreux intellectuels et politiques comme lui, en arrivent à justifier l'injustifiable. C'est à se demander si tous ces gens connaissent l'histoire du wahhabisme et de tous les islamismes qu'il fonde; et s'ils le savent on se demande que cache leur cynisme !
R.B
Michael Walzer *
Cette gauche qui n’ose pas critiquer l’islam
Craignant d'être
traité d'« islamophobe », les intellectuels progressistes ont peur de
dénoncer les violences politiques commises au nom de cette religion, explique
Michael Walzer, rédacteur en chef émérite de la revue « Dissent »..
Depuis la révolution iranienne, je vois la gauche
se débattre pour comprendre le retour du religieux. Chacune des grandes
religions fait aujourd’hui l’expérience d’un retour ; cette foi retrouvée,
loin d’être un opiacé, constitue un stimulant puissant. Depuis la fin des
années 1970, et en particulier ces dix dernières années, c’est dans le monde
musulman que ce stimulant agit avec le plus de force.
Du
Pakistan au Nigeria, mais aussi dans certains pays d’Europe, l’islam est
aujourd’hui une religion capable d’inciter un grand nombre d’hommes et de
femmes à tuer ou
à mourir en
son nom. Certains d’entre nous tentent de répondre à
cette situation mais, pour la plupart, échouent lamentablement. L’une des
raisons de cet échec tient à la peur panique d’être traité
d’« islamophobe ». L’antiaméricanisme et une forme radicale de
relativisme culturel jouent également un rôle important, mais ce sont des
pathologies anciennes.
Pour ma
part, je vis dans la peur de toute forme de militantisme religieux. Mais
j’admets que les islamistes fanatiques sont ceux qui m’effraient le plus, parce
que le monde musulman est, à ce moment de notre histoire (il n’en a pas
toujours été ainsi et il n’est aucune raison de croire qu’il
en sera toujours ainsi), particulièrement fiévreux et fervent.
Un « jihad
de l’âme »
Doit-on considérer qu’il s’agit là d’une position antimusulman,
nourrie de préjugés et d’hostilité ? Si je dis que la chrétienté était, au
XIe siècle, une religion de croisés, dangereuse pour les juifs
et pour les musulmans, cela fait-il de moi un antichrétien ? Je sais que
la ferveur prosélyte n’est pas essentielle à la religion chrétienne et que le
temps des croisades dans l’histoire chrétienne n’aura duré que deux cents ans
environ.
On peut
et on devrait pouvoir dire la
même chose des islamistes aujourd’hui, même si la violence jihadiste n’est pas
requise par la théologie musulmane, même si de nombreux musulmans
« modérés » s’opposent à la violence religieuse, et même si la
plupart des musulmans sont bien contents de laisser au
ciel le soin de décider du
sort des hérétiques et des infidèles.
Je sais
qu’il existe un « jihad de l’âme » en plus du « jihad de
l’épée » et que Mahomet a déclaré que le premier correspondait au
« grand jihad ». Et je reconnais que le monde musulman n’est pas
monolithique. Il n’empêche que le « jihad de l’épée » est bel et
bien puissant aujourd’hui, et qu’il est effrayant.
Là
encore, je me trouve souvent confronté à cette gauche plus soucieuse d’éviter
les accusations d’islamophobie que de condamner le
fanatisme islamique. Il y a une raison à cela en Europe occidentale et sans
doute aussi aux Etats-Unis, où les musulmans sont des immigrés récents, objets
de discrimination, de surveillance policière, parfois de brutalité policière et
d’hostilité populaire. L’islamophobie semble grandissante. Et pas seulement au
sein de la droite populiste et nationaliste.
En cause
l’impérialisme occidental
Malgré
leur incapacité à comprendre le phénomène religieux, la plupart des gens de
gauche n’éprouvent pas de difficulté à craindre et à combattre les
nationalistes hindous, les moines bouddhistes fervents et les sionistes
messianiques engagés dans la défense des colonies israéliennes (dans ce cas,
dire qu’ils n’ont « pas de difficulté » à le faire est un
euphémisme). Bien sûr, personne à gauche n’épouse la cause des militants
islamistes. Certes moins scandaleux, mais tout de même assez grave me semble
pourtant le refus d’une majorité de la gauche de reconnaître ces
crimes pour tenter une analyse
générale et une critique englobante du fanatisme islamique. Qu’est-ce qui fait
obstacle à l’analyse et à la critique ?
De
nombreux auteurs de gauche insistent pour dire que la cause du fanatisme
religieux n’est pas la religion, mais l’impérialisme occidental, l’oppression
et la pauvreté. On trouve aussi des gens pour croire que le fanatisme islamique
n’est pas le produit de l’impérialisme occidental, mais une forme de résistance
à son égard. Quels que soient les groupes qu’il attire à lui dans les faits, il
constituerait une idéologie des opprimés – une variante, quoique un peu
étrange, d’une politique de gauche.
Le
philosophe slovène Slavoj Zizek soutient que le radicalisme islamique
exprime « la rage des victimes de la mondialisation
capitaliste ». Il faut dire que Zizek ne craint pas d’être traité
d’islamophobe : il défend une critique« respectueuse et pour cette
même raison pas moins impitoyable » de l’islam et de toutes les
autres religions. Mais sa critique ne parviendra à rien tant qu’il continuera
de croire que l’objet de la rage islamiste est le même que celui de sa propre
rage.
La
philosophe américaine Judith Butler commet la même erreur quand elle explique
qu’« il est extrêmement important de considérer le Hamas et le
Hezbollah comme des mouvements sociaux progressistes, qui se situent à gauche
et font partie d’une gauche mondiale ». Elle l’affirmait en 2006,
et le répétait encore en 2012 en apportant toutefois un correctif :
le Hamas et le Hezbollah appartiennent bien à la gauche parce qu’ils sont
« anti-impérialistes », mais Butler ne soutient pas toutes les
organisations de la gauche mondiale et surtout elle n’approuve pas l’usage de
la violence dans ces deux organisations. Je lui suis reconnaissant de ce
dernier ajout, mais opérer une
pareille assimilation à la gauche est toujours aussi erroné.
Dans
l’analyse du fanatisme islamique, les postmodernes n’ont pas fait mieux que les
anti-impérialistes. Qu’on se rappelle Michel Foucault et son apologie de la
brutalité de la révolution iranienne : l’Iran n’a pas « le
même régime de vérité que nous ». Cette version du relativisme
culturel est devenue un lieu commun.
La
défense postmoderne la plus vigoureuse du radicalisme islamique se trouve chez
le professeur de littérature Michael Hardt et le philosophe italien Antonio
Negri, qui affirment que l’islamisme est en soi un projet
postmoderne : « La postmodernité du fondamentalisme se
reconnaît à son refus de la modernité comme arme de l’hégémonie euro-américaine
– à cet égard, le fondamentalisme islamique représente bien un exemple
paradigmatique ». Ou encore : « Dans la mesure où la
révolution iranienne a exprimé un profond rejet du marché mondial, elle
pourrait être considérée
comme la première révolution postmoderne. »
Hypocrisie occidentale
Toutes ces réponses de
gauche aux islamistes fanatiques semblent bien étranges quand on envisage le
contenu de leur idéologie. L’opposition jihadiste à « l’Occident »
devrait inquiéter la
gauche. Boko Haram a commencé par attaquer les
écoles « au style occidental » et d’autres groupes islamistes ont
lancé des attaques similaires, en particulier contre les écoles de filles. Les
valeurs que les fanatiques dénoncent comme étant « occidentales » –
la liberté individuelle, la démocratie, l’égalité des sexes, le pluralisme
religieux – sont ici au cœur du débat.
C’est certain, les
Occidentaux n’ont pas toujours vécu en accord avec ces valeurs et ont souvent
échoué à les défendre,
mais ce sont des valeurs auxquelles l’hypocrisie occidentale rend hommage, et
que certains d’entre nous s’efforcent de protéger.
Ce sont les valeurs qui caractérisent en grande partie la gauche.
À quoi ressemblerait un
mouvement de gauche contre l’oppression et la pauvreté ? Ce serait un
mouvement des opprimés, une mobilisation d’hommes et de femmes auparavant
passifs, incapables de s’exprimer et effrayés, qui parviendraient à parler en
leur nom propre et à défendre leurs droits en tant qu’êtres humains. Son but
serait la libération de ces individus. Et sa force motrice : une vision,
sans doute en partie façonnée par la culture locale, d’une nouvelle société
dont les membres, indifféremment hommes et femmes, seraient plus libres et plus
égaux, et envers lesquels le gouvernement se montrerait sensible et responsable.
Comment la gauche
devrait-elle répondre à ces groupes islamistes ? Elle doit soutenir les
efforts militaires, notamment ceux qui visent à mettre fin
au massacre des infidèles et des hérétiques. Après cela, je veux bien envisager une
politique qui se concentrerait sur l’endiguement de l’islamisme plutôt que sur
une guerre (ou une succession de guerres) ayant pour fin de le détruire.
C’est un feu qui devra s’éteindre de lui-même. Mais cette idée nous confronte à
une profonde difficulté : de nombreuses personnes souffriront dans ce
processus d’« extinction », et la gauche ignore cette souffrance, au
risque de notre péril moral. Comment aider ceux
que les forces islamistes prennent pour cibles ? C’est une question qu’il
faudra sans cesse se poser.
Mais nous devons commencer par
la guerre idéologique.
Collaborer avec les
musulmans
Il est d’abord
nécessaire de distinguer le fanatisme islamique de l’islam lui-même. Nous
devons insister en particulier sur la différence qui existe entre les écrits
des fanatiques comme Hassan el-Banna (1906-1949), le fondateur des Frères
musulmans, ou le théologien pakistanais Maulana Maududi (1903-1979), et l’œuvre
des grands philosophes rationalistes de l’histoire musulmane ancienne et des
réformateurs libéraux plus récents.
Nous devons aussi collaborer avec les musulmans, pratiquants et non
pratiquants, qui combattent le fanatisme, et leur apporter le
soutien qu’ils demandent. On rencontre beaucoup de musulmans antifanatiques et
certains, comme l’essayiste d’origine somalienne Ayaan Hirsi Ali, venus de la
gauche, se tournent vers la droite, parce qu’ils trouvent peu d’amis à gauche.
Les gens de gauche doivent réussir à
comprendre comment défendre l’État séculier dans cet âge
« postséculier » et comment défendre l’égalité et la démocratie
contre les arguments religieux en faveur de la hiérarchie et de la théocratie.
Nous devons reconnaître
le pouvoir des fanatiques et l’étendue de leur portée politique, les désigner clairement
comme nos ennemis et nous engager contre
eux dans une campagne intellectuelle : une campagne de défense de la
liberté, de l’égalité et du pluralisme. Je ne suis pas en train de dire que la
gauche devrait se rallier au
célèbre « choc des civilisations ». Toutes les grandes civilisations
religieuses sont capables, et sans doute également capables,
de produire des
fanatiques violents comme des saints pacifiques – et tout ce qui se situe entre
les deux. Aussi ne faut-il pas penser ce
combat contre les islamistes en termes civilisationnels, mais en termes
idéologiques.
Il y a des dangers et
la gauche a besoin de défenseurs. C’est pour cela que j’écris, moi un écrivain
et non pas un combattant, et le plus utile que je puisse faire est de rejoindre ces
guerres idéologiques. Je peux en appeler aux
camarades de nombreuses nations, mais cela est encore loin d’être suffisant. Il
existe une brigade internationale des intellectuels de gauche qui attend encore
de prendre forme
(Traduit de l’anglais par Pauline Colonna d’Istria).
* Rédacteur en chef émérite de la revue Dissent et professeur
émérite à l’Institute for Advanced Study (IAS) de l’université Princeton (New
Jersey). Il est l’une des figures les plus en vue de la gauche intellectuelle
aux Etats-Unis. Michael Walzer a pris part à la lutte pour les droits civiques
et contre la guerre au Vietnam, mais tout en se défiant tout au long de sa
carrière de la tentation à gauche de se radicaliser. Défenseur du multiculturalisme, il
s'est également intéressé à la notion de guerre juste (Guerres justes et
injustes, Belin, 1999), De la guerre et du terrorisme, Bayard,
2004). Cet article est paru dans Dissent. © University of
Pennsylvania Press.
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