mardi 25 juin 2019

Révolution algérienne : Réflexions et analyses d'un marcheur assis ...

Les algériens réussiront-ils leur révolution? Beaucoup de questions que soulèvent Kamel Daoud et que doivent se poser aussi les tunisiens s'ils veulent réussir la leur. Si pour les algériens les forces contre révolutionnaires sont multiples entre l'armée, les factions islamistes, les régionalistes; pour les tunisiens l'ennemi n° 1 est clairement identifié. En huit ans, ils l'ont vu à l'oeuvre pour avorter leur révolution et détruire leur république : c'est Ghannouchi et ses Frères musulmans financés par le Qatar et soutenus par Erdogan qui se rêve successeur des Califes Ottomans. 
Les autres, ne pesant pas lourd : tel que le pan-arabiste Moncef Marzougui et ses sympathisants "démocrates", comme la youssefiste Sihem BenSedrine, son beau-frère Ahmed Mestiri, son gendre Néjib Chabbi ... puisque les tunisiens les ont éliminés aux dernières élections ! 
R.B
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Être jeune algérien, c’est être plus gradé que Gaïd

Les forces et les faiblesses de la révolution algérienne selon un marcheur assis :

1 - Le gaïdisme. C’est une faiblesse.
Gaïd n’est pas un homme politique. De son métier, il a fait métier de gardien et de son statut de gardien, il a fait une mystique et une tactique. D’ailleurs, les hauts officiers algériens sont convaincus de leur rôle de gardiens des frontières et du pays. Contre l’ennemi extérieur, mais aussi contre le «peuple» intérieur.
Convaincus d’être arbitres, ils se veulent de temps en temps joueurs et gardiens.

Gaïd appartient à cette génération de vétérans qui croit retrouver un sens du devoir dans l’immobilité et le refus de négocier. Ceux qui croient que l’armée, sous le pouvoir de cet homme, va négocier donc facilement et sous la pression des marches se trompent. L’armée est propriétaire du pays selon l’armée. Le pays appartient à celui qui l’a libéré, selon cette mystique féodale de la décolonisation. Gaïd veut confondre intelligence et conviction. Il a peur aussi et, du coup, il se montre plus convaincu qu’il ne l’est. Son problème est qu’il a fait la guerre, mais il y a un siècle, et qu’il n’a jamais fait de politique.
Il est le beau-père refusé de cette révolution.
Il veut se croire le père.

2 - Le dégagisme radical : c’est une position intenable.
Elle va obliger les plus démunis au choix entre la démocratie et la sécurité tôt ou tard. Le dégagisme est un risque de chaos. Il a commencé comme passion saine, une explosion. Il en devient un calcul, une radicalité sans rationalité. Il va servir, à moyen terme, à la restauration du Régime comme restauration de la sécurité.

3 - Le néo-islamisme. Il est attentiste, prudent, intelligent. 
Structuré sur les réseaux sociaux, il empêche l’émergence de tout leadership possible. Il fait le vide, il crée le désert d’où viendra la «révélation», la sienne.
Un jour, quand personne n’osera se présenter pour parler, il viendra parler, prêcher le salut, la solution.
«L’islam est le salut», répétaient les Frères musulmans en Égypte.
Aujourd’hui, la technique n’est pas de le dire mais de créer «les problèmes» pour que la solution s’impose doucement.
Le néo-islamisme n’est plus la figure hirsute des années 90, la barbe sale, l’œil fou et le kamis. Non. Ça, c’est l’épouvantail. Le néo-islamiste a muté. Il s’est adapté. Il a tiré leçon des crashs dans les pays voisins, il s’est erdoganisé.
Il sait investir les réseaux, fabriquer des «traîtres idéologiques» pour focaliser ses propagandes, chercher surtout le deal avec l’armée pour gagner des positions et du temps. Dans quelques décennies, il s’en débarrassera de cette armée. Comme Erdogan.

4 - Le populisme conservateur : produit de l’école, du Régime, des médias, des prêcheurs, etc.
Il se présente aujourd’hui comme la culture populaire, «l’identité culturelle», les «valeurs». Du coup, au nom des ancêtres ou de Dieu ou des «Traditions», il ose, insulte, frappe et dérive.
Ce populisme focalise sur la Femme : corps du délit, du malaise, de la violence.

5 - Le débat identitaire. C’est l’autre danger
Transformer le soulèvement en revendication identitaire régionale. «Kabyliser» la révolution. Le Régime adorerait voir s’accentuer cette tendance. Il en profitera pour isoler les manifestants les plus enthousiastes, isoler une région et «culturaliser» le refus populaire.
Faut-il oublier la revendication de vouloir être Algériens ? Non. Mais il faut être plus intelligent que ses propres impatiences et ne pas accentuer les clivages qui vont donner du crédit à la «Religion de l’unité» du Régime.
L’Algérie est plurielle, elle n’est pas une région géographique exclusive, ou des régions militaires.

6 - L’économie : une révolution ne se mange pas.
L’économie algérienne a été détruite par le bouteflikisme, ses prédations, son atteinte profonde à la propriété et à la justice. Mais la Révolution, si elle dure trop, va avoir un coût. On n’en parle pas beaucoup, car la tradition du militantisme en Algérie méprise le débat sur les additions, l’argent et l’économie, mais c’est la bataille d’aujourd’hui.
Avec une crise économique, la Révolution profitera à la contre-révolution probablement. Il faut plaider pour le travail, l’effort, libérer l’entreprise.

7 - La haine des élites : mouvement ancien, tradition, habitude.
Les élites sont vues comme traîtresses, on leur préfère le populisme. Il existe même une tendance intellectuelle de l’autoflagellation et de la culpabilité chez certains intellectuels qui adorent parler du «peuple». Ils en font un martyr et un moyen de faire le procès de leurs pairs. C’est un peu un mystère du métier mais aussi une faiblesse du mouvement : le tribunal du peuple se fait précéder par la contrition, sinon par la dénonciation. A la méfiance aveugle, on répond par une culpabilité pathologique.

8 - La pluralité : c’est la force retrouvée de ce pays.
Sa paix intérieure possible. Son salut. Son avenir à plusieurs mains. Nous sommes les enfants du parti unique, de l’unanimisme, de l’unité. Nous avons été éduqués à voir dans la différence une trahison et dans la pluralité une atteinte à l’intégrité. Nous pouvons en guérir.

9 - La paranoïa : nous sommes amis de qui dans le continent ou dans le monde ?
L’Autre est encore la France et la mémoire des morts, le présent est encore le passé.
La Révolution algérienne a un côté paranoïaque qui voit une néo-colonisation partout, qui cultive le sentiment anti-français comme une obsession, aveu de sa faiblesse.
Il s’agit pourtant d’être libre : du Régime, de la peur d’autrui, de l’impuissance et de l’intrigue. On construit un pays dans le sens de la souveraineté et de la confiance en soi. Ni «Pour» ni «Contre» un autre pays.
La puissance et la liberté s’obtiennent par soi, pas par une autre guerre imaginaire contre autrui.

10 - La jeunesse : c’est la force, enfin vive, de ce pays.
Ils sont des millions à qui on a refusé de naître au nom des morts anciens.
Le pays est le leur, il n’est pas la propriété des ancêtres.
Être jeune en Algérie, c’est le grade le plus haut, selon l’âge le plus vif.
Être jeune c’est être plus gradé qu’un vice-ministre de l’armée en Algérie.


***

Les néo-islamistes : peut-on jamais leur faire confiance ?

La lecture de la Fatiha à l’ouverture de la conférence nationale de la société civile, en lieu et place de l’hymne national, a soulevé de vives inquiétudes : comment peut-on espérer construire une république nouvelle si on commence avec un signe de bigoterie islamiste ostentatoire ? Comment espérer un avenir de réconciliation avec les pluralités algériennes, les différences, si certains en profitent pour gommer la question fondamentale de l’égalité homme femme et se posent en imams de l’avenir et représentants d’une Vérité ? 

Ce rite de récitations de versets et de la "Fatiha" est devenu une norme depuis quelques années. Même pour «ouvrir» un congrès de médecins ou d’architectes. La tendance était à saluer le patronage de «Fakhamatou’hou», son «Excellence» le Roi Bouteflika et à démontrer sa «foi» par une Fatiha. Allah, le Président et la bigoterie. Dans le désordre.
Mais si aujourd’hui une conférence pour sauver notre pays commence comme un rite réservé pour la demande d’une «main» (en mariage) ou pour égorger un mouton, c’est que la question, la quadruple question, n’a pas été résolue : que faire des islamistes ? Que veulent-ils faire de nous ? Que veut faire Gaïd des Algériens et que vont-ils faire de lui ?

On aime répéter que les islamistes algériens sont «disqualifiés» par la «rue» algérienne. On aime le croire. On aime l’espérer. Et c’est peut-être possible de voir cette «famille» qui a du sang sur les mains, elle aussi, accepter la pluralité, accepter de ne plus «être Allah à la place d’Allah», de ne pas détenir la Vérité et d’accepter le jeu de la démocratie et des différences. Voir les islamistes comprendre qu’une guerre civile ne profite à personne et qu’un seul pays peut suffire à abriter nos différences et nos croyances. Ce n’est pas évident, ni acquis. 

Cette conférence qu’il faut consolider, encourager, y participer et aider, est un acte de courage et de responsabilité. Mais elle ne doit pas servir de scène et de mise en scène à ceux qui déjà se placent en détenteurs de la Vérité et propriétaires de l’orthodoxie religieuse du pays. 
L’Algérie et l’islam algérien ne peut être sauvés que par une laïcité qui protégera le pays des prétendants au califat et l’islam de ses courtiers. 
Les islamistes, comme les autres, ont tiré leçon, pas la bonne, des soulèvements dans les autres pays dits «arabes». Aujourd’hui ils ne s’affichent pas à la première ligne comme en 90, sont mieux habillés, ont un discours d’étape mieux adapté aux stratégies de conquêtes. Certains d’entre eux ont opté pour la ruse : attaquer toute possibilité de leadership alternatif au leur, investir les réseaux, travailler sous la ligne d’horizon de surveillance du nouveau régime. Ils attendent. Il faut s’en méfier et arrêter avec le déni que nous fabriquent les procès en islamophobie. On parle là d’un courant politique, pas d’une religion.

Ce qu’il y avait de gênant dans ce rite à l’ouverture de cette conférence, est ce «signe» qui résume beaucoup de choses : il confesse une impasse à venir. Tant que certains croient que leur «islamité» passe avant notre République et notre pays et qu’ils sont l’incarnation de cet arbitrage de droit presque divin, nous sommes face à un danger immense. 

Ce néo-islamisme, révisé à la marge des crashs «arabes», laisse entrevoir des «ruses» de guerre, des manœuvres d’accaparement, des mouvements de «syndicats» colorés à cette idéologie et qui ne sont pas le signe d’une bonne foi. Cela nous piège, comme depuis des décennies, car si les islamistes ne comprennent pas qu’un pays n’est pas un tapis de prière, une annexe de l’Arabie ou d’Ankara, ils vont servir ce régime qui va les tuer un jour prochain. Eux aussi.

La question se pose aussi autrement : que vont-ils faire ou pensent-il faire de «nous» ? Ce «nous» qui englobe dans l’abus et l’approximation, peut-être, la famille de ceux qui rêvent d’une Algérie de pluralités, de lois respectées, de droit, de droit de confession et de croyance pour chacun. Ces islamistes vont-ils nous «rouler» et se servir de notre élan pour nous tromper à l’heure du deal avec le Régime ? Nous tuer et nous terroriser comme autrefois et souvent ? Pourquoi les islamistes n’arrivent-ils pas à descendre de leur ciel pour accepter de vivre avec tous sur une même terre ? Ont-ils jamais accepté de considérer leurs croyances comme des choix intimes et pas comme des tribunaux d’inquisition ? Faut-il leur faire confiance ? A eux pour qui la fabrication du traître sert de moteur à la fabrication de leur sainteté ? Makri est-il soluble en démocratie ou en Turquie ou en République algérienne ? En Algérie, prononcer la Fatiha se fait pour conclure un mariage. Pour cette conférence, le rite sous-entend déjà un divorce. Comment aboutir à faire passer l’idée de l’acceptation dans la tête de gens qui se prennent pour Dieu ? Très difficile. Même Dieu ne sait pas. Ces questions taraudent, poussent à désespérer ou, au contraire, à plaider pour un effort d’entente.

Conclusion ? Les islamistes n’ont pas disparu. Ils sont plus malins.
Ils ont muté. L’école, les calculs de l’ancien Régime, les réseaux mal contrôlés des mosquées, des associations, les soutiens externes, l’orthodoxie, tout cela leur donne de l’avenir et une armée démographique. Un mauvais avenir. Pour eux et pour les autres. Mais eux persistent à croire qu’ils sont la «solution» et que les autres sont le problème. Ils adoptent cette détestable posture d’incarnation de la vérité qui transcende tout, parlent aux Algériens du haut de leur statut, violentent les faits et l’exactitude, diffament et osent même, aujourd’hui, voler l’histoire de la guerre de libération sous l’arnaque de cette «Badissia» qui nous vend Ibn Badis comme le vrai Larbi Ben m’Hidi, le père islamiste d’une révolution.

Mauvais augures. Car si cette question ne se règle pas dans l’immédiat, le Régime reviendra pour jouer les arbitres de force un jour ou l’autre et personne ne va y gagner. Et cette fois, la Fatiha sera pour l’enterrement de l’Algérie.

PS : Les islamistes sont le dernier colis piégé laissé par nos dictateurs en débandade : Les dictateurs ne laissent pas après eux des citoyens mais des croyants en colère.
Les islamistes ne peuvent pas résoudre les problèmes économiques : leur vision est morale, émotionnelle, visant un logement pour tous, le gazon pour tous, les bananes pour tous et la richesse pour tous mais après la mort. Au paradis. Pas ici.
Ce qu’il faut c’est ne pas culpabiliser, ni baisser les yeux, ni se cacher, ni changer ses mœurs pour plaire à leur fatwa, ni reculer, pas d’un seul centimètre et sur le plus petit détail de sa vie quotidienne. Ni se sentir amoindri dans son humanité et sa nationalité par leur masse morte et leur nombre. Car s’ils étaient aussi forts, ils auraient fabriqué le printemps arabe au lieu de le voler sur les étalages.

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