vendredi 29 mai 2015

Trop de religion, tue la religion

Comme disait le Pr Yadh Ben Achour à propos du wahhabisme envahissant des Frères musulmans nahdhaouis, ses anachronismes, ses codes vestimentaires et langagiers ... : " C'est à vous dégoûter de la religion " !
R.B
Alain Chemali

Le spectre de l’athéisme hante l’islam sur les réseaux sociaux

Depuis les attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center à New York, le déclenchement des printemps arabes en 2011 et plus récemment la tuerie contre la rédaction de «Charlie Hebdo» le 7 janvier 2015 au nom d’Allah, un phénomène paradoxal frappe de plein fouet la religion du prophète Mahomet: l'athéisme gagne du terrain en terre d'islam.

Alors qu’un processus de conversions à l’Islam et de radicalisation est enregistré dans les sociétés occidentales, une vague d’abandon de la religion de la «soumission» à Dieu est de plus en plus perceptible, grâce aux réseaux sociaux, dans les sociétés arabo-musulmanes. Un mouvement de révolte parallèle aux mouvements politiques et sociaux qui ont réussi à faire chuter plusieurs dictateurs sans toucher pour autant au pouvoir des religieux.

Bravant les risques de fatwa, de peines de mort et autres châtiments prévus par la charia selon les pays, ils et elles sont désormais des milliers à exprimer librement sur le Web leur rejet de tout pouvoir suprême et de toute idéologie religieuse.

Profession de non foi

Avant-garde de cette renonciation aux dogmes et enseignements de l’islam, le Forum des Ex-Musulmans qui affiche près de 20.000 abonnés sur Twitter et plus de 5000 sur Facebook. En exergue de leur compte figure leur profession de non foi : «Nous sommes d’anciens musulmans d’origines et de croyances diverses. Nous sommes pour le sécularisme (séparation de la religion et de l’Etat), la liberté de conscience et d’expression. Nous sommes contre la bigoterie, l’extrémisme et les lois sanctionnant l’apostasie (le rejet d’une croyance).»

Défense des droits des femmes

Parmi les abonnés à ce forum, on trouve Mariam Namazie une femme politique libre-penseuse dissidente de la République Islamique d’Iran et militante pour les droits des femmes. Sur son compte twitter, où on dénombre près de 15.000 abonnés pour elle seule, elle lutte contre la ségrégation sexuelle du régime des mollahs et multiplie les messages en faveur de l’athéisme et de la rationalité. Elle prend également la défense de ceux qui sont persécutés pour ces choix.
 Maryam Namazie Waleed Al-Hussein
Maryam Namazie et Waleed al-Husseini,
figures de proue des Ex-musulmans, le 6 juillet 2013 à Paris.

Un Palestinien publie un brûlot contre l’islam

Comme par exemple le jeune palestinien Waleed al-Husseini. Arrêté à l’âge de 21 ans par l’autorité palestienne en Cisjordanie pour apostasie, il a purgé dix mois de torture physique et psychologique à la prison Qalqilya en Cisjordanie sans renoncer à ses choix. Il est aujourd’hui réfugié politique en France où il a fondé le Conseil des ex-musulmans. Une semaine après la tuerie de Charlie, il publie sous le titre Blasphémateur un brûlot contre l’islam et les religieux «qui ont fabriqué des générations de décervelés à l’ignorance sacralisée, privés d’avenir, de progrès, d’humanisme, de dignité et de liberté.»

Une litanie de noms de libres-penseurs

Sur le Web, c’est désormais toute une litanie de noms d’hommes et de femmes qui se déploie comme autant de ralliements à la libre-pensée. Outre les historiques telles que la Somalienne Ayaan Hirsi Ali, avec près de 40.000 abonnés ou l'égyptienne Aliaa Magda Elmahdy avec 42.000, on y trouve l’écrivain marocain Kacem el Ghazzali, 4.000 abonnés ou le Saoudien Raïf Baddawi, 41.000, actuellement prisonnier de conscience et en attente de l’exécution d’une sentence de coups de fouet.

Même si leur entreprise de soulever le turban d’airain qui pèse sur leur liberté de penser et de croire s'apparente à un des travaux d’Hercule, leur tâche est parfois facilitée par ceux-là même contre lesquels ils s’insurgent.


Dernier exemple en date, à la question d’un téléspectateur qui demandait si c’était grave de continuer à se masturber en étant marié, le prédicateur turc Mucahid Cihad Han a répondu qu’il fallait «résister aux tentations de Satan… Ceux qui ont des rapports sexuels avec leurs mains trouveront leurs mains enceintes dans l’au-delà». Ses propos ont aussitôt été tournés en dérision sur la toile.



jeudi 28 mai 2015

Les protestants, toujours avant-gardistes !

" Les protestants traditionnels sont éduqués à respecter les lois et les normes de leurs pays, comme le font les juifs, plutôt qu’à chercher à imposer leurs préceptes à la société civile, comme l’ont si souvent fait ou cherchent parfois à le faire catholiques et musulmans. 
Il n’y a pas de protestantisme sans débats perpétuels et réflexions contradictoires. Le catholicisme reste une monarchie constitutionnelle, le protestantisme une démocratie presque directe, au moins ultra-parlementaire. Le premier n’évolue qu’à regret, le second s’en fait au contraire une spécialité."

Ce qui est étonnant de la part de l'église catholique est que les prêtre admettent de bénir les armes et les animaux ... mais refusent de bénir l'union de deux êtres qui s'aiment parce que du même sexe !

Et que dire du wahhabisme qui condamne à mort les homosexuels alors que la pratique de l'homosexualité chez les "arabes" est courante pour cause d'absence des femmes souvent cloîtrées ou hyper contrôlées dans les espaces publics ... et les hommes n'ayant d'autres possibilités pour jeter leur gourme !
Mais l'hypocrisie est de rigueur dans ce domaine, chez les "arabes".
R.B

La différence protestante

L’Eglise protestante unie de France, qui rassemble réformés et luthériens, c’est-à-dire les branches historiques du protestantisme français, vient de décider que désormais les pasteurs pourront bénir les mariages homosexuels. C’est la première religion de ce pays à prendre pareille position. Cela n’a pas été un choix facile. Jusqu’alors, les protestants s’étaient montrés d’autant plus circonspects que les différents îlots ou îles du modeste et complexe archipel protestant français était fort divisé et que, même chez les réformés et les luthériens, traditionnellement les plus ouverts, toutes les sensibilités coexistaient. Le synode de Sète, qui concluait de longs travaux préparatoires, discrètement passionnés et sobrement contradictoires comme il se doit, a néanmoins tranché à la quasi-unanimité. Certes, la bénédiction des mariages homosexuels n’aura lieu que là où pasteur et conseil presbytéral l’auront décidé, on ne plaisante pas avec la démocratie directe locale chez les protestants, mais le mouvement est lancé. Il suscite déjà la colère des protestants évangéliques, généralement plus conservateurs, le mécontentement de l’Eglise catholique et la gêne des autres confessions, qui redoutent à juste titre que la différence protestante ne brouille leur message de refus. Une fois de plus, les réformateurs apparaissent comme une avant-garde dérangeante.
Ce qui a facilité cette audace austère, c’est que depuis la mise en œuvre de la loi sur le mariage des homosexuels, tensions et conflits se sont rapidement apaisés. Les clivages furieux et les mobilisations de masse - le sujet n’était, il est vrai, pas anodin - ont disparu aussi vite qu’ils étaient apparus. Une fois acté, le marqueur de la nouvelle société s’est imposé. La réflexion des protestants a pu s’accélérer. Les graves novateurs ont pris leurs responsabilités. Le même mouvement avait déjà eu lieu chez leurs coreligionnaires allemands, suisses, suédois ou, en partie, américains. Les protestants traditionnels sont éduqués à respecter les lois et les normes de leurs pays, comme le font les juifs, plutôt qu’à chercher à imposer leurs préceptes à la société civile, comme l’ont si souvent fait ou cherchent parfois à le faire catholiques et musulmans. Ce n’est pas moindre conviction religieuse mais intégration plus instinctive et authentique de la laïcité. Une religion n’a évidemment pas à transcrire des lois civiles dans ses choix doctrinaux. Réciproquement, l’Etat n’a pas à intégrer dans sa législation des articles de foi, mais la cohabitation du profane et du religieux a toujours été dans ce pays, depuis la Révolution en tout cas, plus facile pour les protestants que pour les catholiques.
Certes, le fait que le mariage soit pour les protestants un engagement sérieux, mais pas un sacrement, a beaucoup facilité le choix en faveur de la bénédiction des mariages homosexuels. Auparavant, les Eglises réformées et luthériennes (la première encore plus vite que la seconde) avaient cependant déjà accepté le divorce, c’est logique, mais aussi la contraception ou la réflexion sur la fin de vie, plus aisément que les autres confessions, même si ce ne fut pas sans tumultes retenus. Il n’y a pas de protestantisme sans débats perpétuels et réflexions contradictoires. Le catholicisme reste une monarchie constitutionnelle, le protestantisme une démocratie presque directe, au moins ultra-parlementaire. Le premier n’évolue qu’à regret, le second s’en fait au contraire une spécialité. A chaque épreuve, à chaque carrefour de la société, on voit ces tempéraments, ces traditions, ces structures aussi, produire leurs effets presque prévisibles.
Ce n’est pas un hasard, particulièrement en France. Avant comme après les terribles guerres de religion où les deux camps rivalisèrent de barbarie, l’Eglise catholique incarnait l’autorité religieuse, culturelle et sociale au moins jusqu’à la Révolution, puis sous la Restauration. Les protestants étaient alors des réprouvés ou des exilés. La République a tout changé, ce que l’Eglise catholique de France a mis un siècle à accepter pleinement - ou presque - alors que les protestants se coulaient avec bonheur dans ce nouveau moule. Sous la IIIe République, leur marque a été sensible, des grandes lois sur l’instruction aux lois de laïcité, en passant par l’affaire Dreyfus. Depuis, les élites protestantes ont encore été surreprésentées : trois Premiers ministres, de nombreux hauts fonctionnaires, universitaires, dirigeants économiques et financiers sous la Ve République. La petite minorité protestante n’a pas manqué d’influence. Celle-ci se dilue cependant avec la sécularisation, d’autant plus rapidement que la société médiatique, a fortiori l’information continue, galope à l’inverse des sévères formes d’expression protestantes. L’image détrône le Livre. Restent les choix de société où la différence redevient une existence.

mercredi 27 mai 2015

Le mythe de Charles Martel, sauveur de la chrétienté !

Charles Martel a repoussé les "arabes" à Poitiers : une légende chère au FN ! R.B

Salah Guemriche

La véritable histoire de Charles Martel : celle que Ménard et Jean-Marie Le Pen ignorent

LE PLUS. Cette figure historique est fréquemment invoquée, en particulier par l'extrême droite. Mais qui était vraiment Charles Martel ? Quelle est la part de mythe et celle de vérité ? Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, auteur notamment de "Abd er-Rahman contre Charles Martel", partage ses connaissances. 

 
Une gravure de la bataille de Poitiers, le 10 octobre 732 (MARY EVANS/SIPA)

Depuis le fameux 11 janvier, dont la droite voudrait faire une "Journée d’unité nationale et de lutte contre le terrorisme", le nom de Charles Martel, "sauveur de la chrétienté", est venu, dans bien de réseaux liés à l’extrême-droite, se rappeler au bon souvenir non pas de la France "pays des droits de l’homme", mais de la France "fille aînée de l’Église".

Comme si la théorie du "choc des cultures" s’était muée en celle d’une "guerre de religions", ce que Jean-Marie Le Pen, toujours aussi lourdement calembourdesque, a résumé d’un cri : "Je suis Charlie Martel !"

C’est précisément dans cette mouvance lepéniste que Robert Ménard a lancé sa énième provocation, en commençant par criminaliser les petits écoliers biterrois sur la seule base de la "consonance musulmane" de leurs prénoms ! Dans ma tribune, publiée sur Le Plus de l'Obs le 12 mai ("Robert Ménard, changez vitre de patronyme"), j’ai dit ce que je pensais de ce forfait antirépublicain. Cela m’a valu nombre d’incriminations avec, à l’appui, des arguments puisés dans les pages d’un Deutsch métronome promu rewriter du roman national. Comme tant d’autres thèses scolaires, celle de notre auteur-baladin illustre brillamment cette leçon de Marc Bloch (dans son "Apologie pour l’Histoire") :

"Aussi bien que des individus, il a existé des époques mythomanes […] C’est d’un bout à l’autre de l’Europe, comme une vaste symphonie de fraudes. Le moyen âge, surtout du VIIIe au XIIe siècle, présente un autre exemple de cette épidémie collective… Comme si, à force de vénérer le passé, on était naturellement conduit à l’inventer."

Charles Martel, "dilapidateur et enragé tyran"

C’est pour répondre à ces nostalgiques orphelins de Charles Martel, comme à notre "rapporteur-sans-frontières" des thèses d’extrême droite, que je tiens à fournir, ici, quelques éléments d’information sur la véritable nature du "tombeur des Sarrasins", et, par la même occasion, sur l’histoire de Béziers (ville dont Robert Ménard a chargé Renaud Camus, le théoricien du Grand Remplacement, d’écrire l’histoire)…

Pour en finir, donc, avec cette légende qui fait de Charles Martel le "sauveur de la chrétienté", précisons d’emblée que le chef franc, connu de son vivant comme le plus grand "spoliateur des biens de l’Église", n’a jamais bouté les Arabes hors de "France", pour trois raisons : primo, ce pays n’existait pas encore en tant que tel ; secundo, c’est son fils qui réussira à reprendre Narbonne, trois décennies après la mythique bataille ; tertio, la présence sarrasine est attestée dans les Alpes et dans le Jura au moins jusqu’au du Xe siècle.

Tout comme la légende du "Marteau de Dieu", celle du "spoliateur des biens de l’Eglise" aura, en son temps, la peau dure. De Liège (ou plutôt, la ville n’existant pas encore, de Tongres-Maastricht, ancien fief du père de Charles, Pépin d’Herstal, et dont l’évêque, saint Lambert, fut assassiné sur ordre de l’oncle maternel de Charles) à Nîmes, en passant par Toulouse et Narbonne, l’homme est dénoncé comme aucun grand de ses contemporains ne l’aura été : "Ô Charles Martel, dilapidateur et enragé tyran !", s’écriera Jean Boldo d’Albenas, l’un des pères du protestantisme nîmois [1]. Sans doute, cet auteur a-t-il des raisons de fustiger le Franc, qui avait ruiné sa ville (Nîmes) avant d’y mettre le feu : c’était en 739, alors que Charles Martel remontait de Narbonne, tout dépité de n’avoir pas réussi à en déloger les Sarrasins, malgré un long siège éprouvant…

Plus cohérente est la thèse de Nicolas Germain Léonard, historien de la ville de Liège, qui nous explique en quoi et pourquoi Martel méritait une telle charge : "Il donnait à ses officiers les évêchés et les abbayes. Les biens de l’Église devenaient héréditaires ; on en formait la dot des filles qu’on mariait. Pépin d’Herstal avait enrichi le clergé, Charles le dépouilla." [2]

Evidemment, après la victoire de Poitiers, la cause est entendue : les biens de l’Église furent "l'instrument de la délivrance de l'Europe, et de la victoire de l'Évangile sur le Coran" ! [3]Mais que durant toute l’existence de Martel (688-741), à Limoges, Cahors, Auch, Saint-Lizier, Autun, Orange, Avignon, Carpentras, Marseille, Toulon, Aix, Antibes, Béziers, Nîmes, Lodève, Uzès, Agde, Maguelonne, Carcassonne, Elne, il y eut une interruption dans la succession des évêques ; voilà qui en dit long sur l’état d’abandon de la "Fille aînée de l’Église" !

Désordres, ruines, assassinats 

D’autres griefs ternissent la renommée de Charles. Ceux, notamment, qui font de lui le persécuteur d’Eucher, l’évêque d’Orléans, et de Guidon, le futur saint Guy. Abbé de Fontenelle, ce dernier subit le supplice suprême pour une imaginaire conspiration… Désordres, ruines, assassinats : des forfaits qui poursuivront le chef franc jusqu’à sa mort.

Mais c’est le sort réservé à l’évêque d’Orléans, le futur saint Eucher, qui assombrira le plus sa renommée. Accusé d’avoir comploté contre Martel, l’évêque "fut envoyé en exil avec tous ses proches, (puis) transféré dans le monastère de Saint-Tron où il mourra en 738" [4]. Conclusion de Flodobert, l’évêque de Noyon et de Tournai (894-966) : "Ce bâtard né d'une servante n'était audacieux qu'à faire le mal envers les Églises du Christ."

De ce martyre de saint Eucher, une légende naîtra plus d’un siècle après, qui sera consignée dans le compte-rendu d’un concile tenu en 858 à Quierzy, où il est fait mention d’un songe d’Eucher. Extrait :

"Nous savons en effet que saint Eucherius, évêque d’Orléans fut entraîné dans le monde des esprits. Entre les choses que Dieu lui montra, il reconnut Karl exposé aux tourments dans le plus profond de l’enfer." Commentaire de Jean Deviosse, biographe de Charles Martel : "Le texte ne laisse place à aucune équivoque. Karl, spoliateur résolu des biens de l’Église, est reconnu coupable à part entière." [5]

La même justification sera reprise par Jules Michelet, pour qui "les agressions de Karl contre le patrimoine de l’Église faisaient douter qu’il fût chrétien" ! [6]

Mais, disions-nous, les mythes ont la peau dure. Et après tout, des spoliations, quel envahisseur n’en commet pas ? Du IXe au XIe siècles, la renommée de Charles en souffrira. Etrangement, c’est aux siècles des Croisades que le nom de Martel va retrouver son aura, celle de tombeur des Sarrasin et de… sauveur de la chrétienté : comme si, écrira Chateaubriand, "Les Maures, que Charles Martel extermina, justifiaient les Croisades !" [7].

Les crimes de Martel dans le Sud (de la France)

Sur le terrain, la réalité était tout autre. Ce que Charles visait en fait, et depuis longtemps, c’est la conquête de l’Aquitaine (dont la capitale était alors Toulouse et non Bordeaux). Tant que cette région était menacée par les Sarrasins, il s’était contenté d’attendre son heure. Mais en apprenant avec stupéfaction la nouvelle du mariage du gouverneur musulman de Narbonne avec la fille du duc d’Aquitaine, Martel comprit très vite le risque que pouvait représenter une telle alliance. Celle-ci n’arrangeait pas non plus Abd er-Rahman, le maître de Cordoue (l’Espagne arabo-andalouse était déjà minée par les révoltes berbères contre le pouvoir arabe), ce qui l’amena à supprimer le "traître" gouverneur, un Berbère, avant d’offrir la fille du duc au calife de Damas… Si Charles Martel arrêta effectivement les Arabes à Poitiers, il ne réussit donc pas à les déloger de la Narbonnaise, qu’il attaqua par deux fois, sans succès.

La légende qui colle au nom de Martel doit être revue et corrigée sur un autre point : jamais les Francs n’ont eu de considération pour les habitants du sud de la Gaule. L’homme "gallo-romain", et particulièrement le citoyen de Toulouse, trop raffiné aux yeux du Franc fruste et inculte, était traité d’homunculus.

Furieux d’avoir échoué par deux fois à Narbonne, Martel va se venger sur les populations locales (chrétiennes) à qui il reproche de ne pas l’avoir accueilli en sauveur. Sur le chemin du retour (vers ses terres du Nord), il se venge sur Agde, Béziers, Maguelone, Nîmes (dont il brûle les arènes !). Selon Ernest Sabatier, notre cher historien de la ville de Béziers :

"Les Franks pillent à outrance dans tous les lieux où ils portent leurs pas ; ils désarment la population chrétienne, qui, ayant conservé en partie la civilisation romaine, voyait en eux des Barbares, et leur était suspecte. Forcés d’abandonner le siège de Narbonne, et voulant empêcher les Sarrasins de prendre ailleurs dans le pays une position solide, ils rasent les fortifications de Béziers, d’Agde et d’autres cités considérables. Agde et Béziers sont même livrées aux flammes, leurs territoires dévastés, les châteaux sont démolis. Enfin, en s’éloignant, les soldats de Charles-Martel emmènent, outre un grand nombre de prisonniers sarrasins, plusieurs otages choisis parmi les chrétiens du pays." [8]

Ces dévastations seront toutes mises sur le compte des Sarrasins, comme le sera un demi-siècle plus tard la mort de Roland à Roncevaux (des historiens ont, enfin, démontré que l’attaque fut le fait des Basques et non des Arabes), et comme le seront cinq siècles plus tard d’autres exactions, et là, c’est toujours l’historien de la ville de Béziers qui témoigne : "Plusieurs dépôts ont éprouvé des vicissitudes qui ont rendu assez rares les documents dont j’aurais pu profiter. Les anciennes archives de Béziers furent, elles, consumées par l’incendie qu’y allumèrent les croisés en 1209..." !

Plusieurs chroniques l’attestent (Continuation de Frédégaire, Isidore de Beja, Chronique de Moissac, El Maqqari [9]) : les cités susceptibles d’être ou de devenir des repaires pour les musulmans sont ravagées. Maguelone est rasée, Montpellier n’est pas épargnée, et encore moins Nîmes :

"Pour punir la ville qui a fait appel aux Arabes, Charles démolit les portes, abat les murailles et tente d’incendier les Arènes sous prétexte qu’elles sont aménagées en ouvrage défensif. Sur son ordre, ses guerriers entassent toute une forêt dans l’Amphithéâtre et y mettent le feu" [10] 

Un retour du refoulé historique

Voilà la vraie nature et l’œuvre du héros de tant de générations d’écoliers de France ! Celui-là même dont le nom figura jusqu’à la veille de l’élection présidentielle de 2002, sur une affiche électorale : "732 Martel, 2002 Le Pen". En attendant, sans doute, de figurer sur le fronton de la mairie de Béziers, à l’approche de 2017 ?…

Mais comment peut-on imaginer que Béziers puisse, aujourd’hui et en connaissance de cause, dire merci à celui qui mit toute la région à feu et à sang ? Et si, au contraire, comme par un retour du refoulé historique, des Biterrois de souche décidaient, un jour, de répondre à Robert Ménard en manifestant en masse, et sous le seul slogan qui vaille et qui soit digne de la mémoire de leurs ancêtres : "Je ne suis pas Charlie Martel !" ?



 [1] Jean Boldo d’Albenas, Discours historial de l’antique et illustre cité de NîmesNota bene : toutes les références, accompagnant cette tribune, se trouvent  détaillées dans mon essai : Abd er-Rahman contre Charles Martel (Perrin, 2010).
 [2] N. G. Léonard, Histoire ecclésiastique et politique de l’Etat de Liège, 1801.
 [3] François Laurent, Le Moyen-âge et la réforme1866.
[4] Vita sancti Eucherii, Aurelianensis episcopi, n°8 et 10, cité dans Jean Deviosse, Charles Martel,Tallandier 1978. Epistolae patrum synodi Carisiacensis, année 858, cité dans Jean Deviosse, CharlesMartel.
 [5]  Cf. J. Deviosse, Charles Martel.
 [6] Michelet, Histoire de France, cité dans S. Guemriche, Abd er-Rahman contre Charles Martel (Perrin 2010).
 [7] Chateaubriand, Génie du christianisme, dans Oeuvres complètes, éd. Furne, 1865.
 [8] E. Sabatier, Histoire de la ville et des évêques de Béziers, Paris 1854, cité dans Salah Guemriche,Abd er-Rahman contre Charles Martel (Perrin 2010).
 [9] El Maqqari, manuscrit arabe de la BNF, ancien fonds, réf. dans Abd er-Rahman contre Charles Martel.
 [10] Jean Deviosse, Charles Martel.

dimanche 24 mai 2015

Le droit et la sharî'a

Comment repenser le droit au temps de la mondialisation ? Faut-il seulement se soumettre à la dimension commerciale et financière qui anime cette mondialisation ? Dimension qui mécaniquement se répercute sur le droit, lequel, pour ces raisons d’échange, s’internationalise jusque chez les tenants farouches de la sharî’a  (comme dans les Etats de la Péninsule Arabique). Ou faut-il élargir notre ambition à des considérations éthiques qui devraient engager un universel et un humanisme dépouillés des défauts qui les ont entachés là où ils ont été le mieux formulés ? C’est-à-dire en Europe, en Occident où a été systématisée la pensée de l’universel, laquelle a été cependant pervertie par l’irrépressible ethnocentrisme ainsi que par l’hégémonie qui s’est intensifiée à travers le colonialisme et l’impérialisme. Ainsi la fidélité à cet universel est-elle devenue aléatoire ; elle a varié selon les circonstances ; elle a été pesée sur la balance des intérêts. Ce qui a abouti à la politique des deux poids, deux mesures.
Nous avons à remonter aux réactions des grandes traditions juridiques non-occidentales face aux propositions faites au nom de l’universel provenant de la modernité occidentale, celle qui promeut depuis le XVIIIe siècle le droit positif, revendiqué de création humaine. Celui-ci a connu son épanouissement à travers la première déclaration des droits de l’homme, celle de 1789. En elle, se condense l’essence de ce qui a été pensé le long du siècle, de Montesquieu à Rousseau, de Voltaire à Kant, de Locke à Lessing, sans oublier Diderot, d’Alembert et les autres Encyclopédistes, ni encore Condorcet. 
Nous considérons la réponse chinoise et celle de l’islam en vous introduisant au sein du chantier ouvert par Mireille Delmas-Marty à partir de sa chaire au Collège de France où elle a entrepris de construire un droit à l’horizon du monde. A l’orée du XXe siècle, le Chinois Kang You Wei cherche à orienter la vision culturaliste vers l’idéal universaliste ; tandis que son disciple Liang Qichao, de son exil nippon, se demande « si la Chine ne pourra survivre qu’au prix d’une rupture définitive avec la tradition. » Ainsi, en Chine, nous avons les deux réponses qui seront aussi formulées en islam : celle de la conciliation entre sa tradition et la modernité universelle; et celle de l’avènement de l’universel qui exige une rupture tranchée avec l’origine.
Nous retrouvons, en effet, ces deux positions en acte et en puissance dans l’espace islamique à partir des années 1830, notamment à travers la politique des Tanzimet dans l’empire ottoman. Politique qui a produit des émules en Iran, en Inde comme en Egypte dès le khédive Mehmet Ali et en Tunisie dans un processus qui finit par être incarné par Khayreddine. 
Nous n’avons pas la place ici pour esquisser la passionnante histoire du droit dans nos pays à partir du milieu du XIXe siècle. Mais si nous faisons un saut dans le temps, nous découvrons que ce processus de modernisation du droit connaîtra, sous l’impulsion du bourguibisme, sa dernière phase dans ce qu’il est légitime d’appeler l’école juridique de Tunis. Celle-ci, depuis le début des années 1970, use de la notion de compatibilité qui est substituée à la notion de conformité, pour reprendre les notions qui opèrent dans la pensée de Mireille Delmas-Marty. 
Cette école de Tunis est représentée dans sa polyphonie notamment par Mohammed Charfi, Ali Mezgheni, Abdelfattah Amor, Iyadh Ben Achour, Slim Laghmani, parmi d’autres encore. Les ténors de cette école n’admettent les différences d’un système juridique à un autre que dans le respect d’une certaine marge marquée par ce que Mireille Delmas Marty appellera un « seuil de compatibilité ». 
Dès lors, ce que nous avons hérité de la sharî’a peut être reconnu dans sa différence à condition qu’il ne heurte pas le processus d’universalisation qu’apporte particulièrement la seconde déclaration des droits de l’homme, celle dite universelle, rendue publique par l’ONU en 1948 et à la rédaction de laquelle ont participé deux personnalités originaires d’islam. Par exemple, la condamnation de l’apostat à la peine capitale commandée par la sharî’a perd toute légitimité lorsqu’elle se trouve confrontée à la liberté de conscience portée par l’article 18 de la déclaration universelle des droits de l’homme.
Tel est le chantier complexe ouvert par Mireille Delmas-Marty pour reformuler le droit pensé dans « le tremblement », en « approchant le chaos, en grandissant dans l’imprévisible allant contre les certitudes encimentées dans leur intolérance. » Comme l’écrit feu l’ami martiniquais Edouard Glissant qui a pensé en poétique la mondialité et la nouvelle universalité (à laquelle nous contribuons en poète). Pensée que Delmas-Marty transporte jusqu’au territoire du droit. C’est alors que l’énergie créatrice se déplace de la mondialisation (marchande, financière) à la mondialité qui privilégie une humanisation n’escamotant pas le divers qui chatoie notre planète. 
Nous avons la chance en Tunisie d’avoir les moyens d’être de pertinents participants à ce processus d’élaboration d’un droit à l’horizon du monde. Cette chance est menacée par nos islamistes qui sont les agents actifs de la mondialisation marchande et financière et les ennemis tout aussi actifs de la mondialité cosmopolitique, celle sur laquelle nous parions. Pendant l’élaboration de notre constitution, les islamistes ont tout fait pour y introduire la sharî’a. N’ayant pas réussi à l’inscrire explicitement, ils ont rusé pour en diluer les visées à travers des formulations ambivalentes. Et qu’est-ce qui les a empêché de réussir sinon l’effet de notre école du droit sur la société civile qui, ne lâchant rien, s’est opposée à eux avec vigilance et constance. 
Ne dilapidons pas cette chance que nous avons pour être les féconds participants à l’élaboration de ce droit à l’horizon du monde. Que notre prochaine constitution soit un document à la hauteur d’un tel dessein. Et pour y parvenir, il convient d’éviter toute régression car le droit est progressif, non régressif. Dès lors, nous sommes en mesure de dire : « Exit la sharî’a, nulle place pour elle hors le seuil de compatibilité ». 
Ainsi pourrions-nous éviter l’uniformisation sans tomber dans le travers culturaliste qui voue un culte irrationnel au spécifique. Nous serions alors, en tant que Tunisiens, participants au droit à venir qui sera engendré par la tension qui gouverne une série de duos d’opposition -- l’un et le multiple, l’identité et la différence, l’universel et le relatif. 

Ce serait malheureux si la turbulente incompétence islamiste détournait la Tunisie d’un si glorieux dessein pour lequel est elle tout à fait prête.

samedi 23 mai 2015

La burqa et le cercle des idiots

LES BURQAS SE RÉPANDENT CHEZ LES "ARABES" TOUT COMME EN OCCIDENT ... 

Bravo les pétromonarques, "amis" des dirigeants politiques occidentaux ! 
Ils sont entrain d'atteindre leur but : grâces à leurs pétrodollars ils parviennent à remettre en cause les valeurs de l'Occident pour qu'il fasse place bon gré malgré lui, à leur wahhabisme ... Et ce, avec la complicité de ses dirigeants qui estiment leur islamisme envahissant "modéré" ! 
C'est du moins leur argument pour soutenir les Frères musulmans chez les "arabes".
Si cet islamisme "modéré" est bon pour les "arabes", pourquoi ne le serait-il pas aussi pour les occidentaux ? Pourtant Abdelwahab Meddeb avait bien mis en garde contre le "grignotage" des valeurs humanistes par les islamiste de tous poils !





La burqa se multiplie dans l'espace public français et européen. Elle a le don d'irriter et affecte même les libéraux du multiculturalisme anglo-saxon. Cette disparition de la face affole. Le critère d'une identité franche disparaît. Comment respecter l'intégrité du corps ? La conquête séculaire de l'habeas corpus n'exige-t-elle pas un visage et un corps visibles, reconnaissables par l'accord du nom et de la face pour que sans équivoque fonctionnent l'état civil et le pacte démocratique ?
L'éclipse de la face occulte la lumière du visage, où se reconnaît l'épiphanie divine qui a inspiré l'esprit et le cœur en islam. Les soufis voyaient le signe de Dieu dans le miracle de la face humaine, surtout lorsqu'elle se pare de beauté féminine. On remonte ainsi, de visage en visage, du visible à l'invisible, de l'humain au divin, selon la parole prophétique (reprise de la Bible) disant que l'homme a été façonné à l'image de Dieu. "Tout est périssable, ne perdure que la face de Ton seigneur" (Coran LV, 26-27) : ainsi la pérennité de la face divine en tant qu'absolu reflète sa trace sur le support que lui tend tout visage humain.

Le voilement du visage par un tissu aussi noir que la robe qui enveloppe la Kaba (robe appelée aussi burqa) dessaisit l'humain de la franchise qu'exigent le politique et l'esthétique comme l'éthique ou la métaphysique. C'est un masque qui annule le visage, dérobant les intensités de l'altérité qu'Emmanuel Levinas a saisies et dont nous recueillons les rudiments dans la millénaire tradition islamique, qui a médité le franc face-à-face avec le divin où s'éprouve la singularité humaine.

Le visage couvert est retiré de la circulation urbaine comme de la relation intersubjective ou mystique. Aboli le visage qui est, encore selon Levinas, "le lieu d'une ouverture infinie de l'éthique". Le niqab ou la burqa, extension du hidjab, est un crime qui tue la face, barrant l'accès perpétuel à l'autre. C'est un tissu qui transforme les femmes en prison ou en cercueil mobile, exhibant au cœur de nos cités des fantômes obstruant l'entrée aux vérités invisibles du visible.

Le niqab vient d'être interdit dans les espaces scolaires et universitaires d'Al-Azhar au Caire, la plus haute institution sunnite. Son patron, M. Tantawi, a rappelé que le niqab n'est pas une obligation divine, une farîdh'a, ni une disposition cultuelle, une ibâda, mais une âda, une coutume. Et le mufti d'Egypte, Ali Juma, confirme cette assertion : il s'agit d'une coutume arabique antéislamique que l'islam est en mesure de dissoudre.

Ces arguments islamiques peuvent être exploités si la commission parlementaire se décide pour une loi interdisant le port du voile intégral. Je n'évoquerai pas la difficulté de la mise en pratique d'une telle loi. Je voudrais seulement répondre aux objections de juristes quant à la liberté de l'individu et au respect de disposer de son corps comme il l'entend. C'est que les porteuses de burqa se réclament de ce principe tant en France qu'en Egypte. Il me paraît pertinent de ne pas céder sur ce point comme le font les juristes qui nous demandent d'abandonner ce principe et de se réfugier derrière la dignité et surtout l'égalité, également juridiquement opératoires.

Mais, pour la liberté, je voudrais reprendre la définition humoristique de la démocratie par l'Américain Marc Twain. La démocratie repose sur trois facteurs : "La liberté d'expression, la liberté de conscience et la prudence de ne jamais user de la première ni de la seconde." J'interprète cette prudence avec Eric Voegelin comme la sagesse de ne pas user de ces droits sans conditions. Et je m'appuie, avec le même politologue germano-américain, sur la courtoisie nécessaire au fonctionnement de nos sociétés. "Quiconque a une idée fixe et cherche à l'imposer, c'est-à-dire quiconque interprète la liberté d'expression et la liberté de conscience en ce sens que la société doit se comporter de la manière qu'il juge bonne, n'a pas les qualités requises pour être citoyen d'une démocratie." Un tel problème est déjà traité par Aristote autour de la statis (la crise qui provoque une discorde) : si je m'obstine à suivre mon opinion, une contre-statis peut être enclenchée, et le désordre s'instaure. Telle serait notre réponse sur la liberté individuelle réclamée par les porteuses de burqa.

Quant à la dignité de la femme et à son égalité, incontestablement la burqa les malmène. Celle-ci procède de la prescription du voile et la radicalise. Il n'y a pas de différence de nature mais de degré entre burqa et hidjab, lequel est déjà une atteinte à l'égalité et à la dignité partagées par les sexes. Les réformistes qui, en islam, ont prôné le dévoilement des femmes depuis la fin du XIXe siècle, organisent leur plaidoyer sur ces trois principes (liberté, égalité, dignité).

L'atteinte à l'égalité est manifeste dans le verset coranique constituant une des références scripturaires à l'origine du voile : le verset 31 (sourate XXIV) crée la dissymétrie au détriment des femmes pour ce qui a trait au désir et à la séduction propageant la sédition. Cette séquence appelle à la vertu, à la pudeur ; elle s'adresse aux "croyants et aux croyantes", à qui il est demandé au verset 30 de "baisser le regard" et de "préserver leur sexe".

Cependant est ajouté un supplément de vigilance aux femmes (d'où la dissymétrie) que les jurisconsultes invoquent pour commander le voile. Alors que le verset peut être entendu autrement, la pudeur demandée aux femmes se limitant à couvrir leur buste. La lecture consensuelle des docteurs révèle l'état anthropologique patriarcal qui attribue aux femmes l'origine de la séduction alliée de la sédition.
Or rien, ni psychologiquement ni dans l'économie sexuelle, ne légitime l'attribution de ce supplément aux femmes, pas même la vérité de leur différence sexuelle attestée biologiquement et confirmée par la psychanalyse. Il s'agit là d'une vision phallocratique dépassée par l'évolution anthropologique des sociétés modernes encadrées par un droit confirmant l'égalité et la dignité que partagent les humains sans discrimination de sexe.

Avant d'en venir à la burqa, il convient de situer la prescription du voile dans une société misogyne, construite sur la séparation des sexes, sur une hiérarchie des genres, estimant que les femmes excitent plus le désir que les hommes. Il faut constater au commencement que la prescription qui impose le voile aux femmes émane de la société en laquelle est né l'islam il y a quinze siècles, une société endogame - qui encourage le mariage entre cousins -, où prévaut l'obsession de la généalogie, où la sexualité est indissociable de la filiation.

La preuve en est que les femmes dites qwâ'id, ménopausées, sont dispensées de se soumettre aux prescriptions de la seconde séquence coranique qui est utilisée par les docteurs pour fonder l'impératif du voile (Coran, XXIV, 60).

La burqa radicalise la hantise de l'homme face à l'incontrôlable liberté de la femme. Hantise de l'homme qui ne pourra authentifier l'origine de sa progéniture, par laquelle se transmettent le nom et la fortune. Ainsi la structure anthropologique qui est aux origines du voile est intégralement dépassée avec l'universalisation de la contraception, rendant effective la distinction entre sexe et filiation, jouissance et engendrement. Par la quête de la jouissance seule s'organisent ontologiquement la liberté et l'égalité des sexes, qui partagent une même dignité. Cette situation se répercute sur l'édifice juridique et situe la condition de l'humanité moderne loin des archaïsmes que continue d'entretenir l'islam d'une manière polémique.

La question de la burqa mérite en outre d'être envisagée sur deux autres aspects. Le premier voit se confronter une société restée rivée sur le culte et une société qui est passée du culte à la culture. Notre société approche même le culte comme fait de culture. Et lorsqu'elle sent que l'esprit en elle se réifie, elle peut recourir au culte dans ses marges, dans l'espace circonscrit à la demeure ou au temple ; et si jamais elle place le culte au centre, elle le met en scène dans la pluralité de ses formes, prévenant tout penchant exclusiviste.

En plus, avec la burqa, nous sommes confrontés à une stratégie du grignotage. Au-delà des rares cas d'adhésion religieuse authentique, il ne faut jamais perdre de vue que des islamistes mais aussi de pieux salafistes appliquent les recommandations du Conseil européen de la fatwa. Dans cette instance, les militants sont exhortés à agir dans la légalité afin de gagner, en Europe, des parcelles de visibilité en faveur de la loi islamique.

C'est donc le dispositif juridique séculier qui est sourdement visé par la burqa. Comme si sa radicalité rendait plus digne, plus acceptable, le hidjab. Ne tombons pas dans ce piège. A nous de voir s'il faut répondre par une loi ou s'il suffit de mobiliser les ressources déjà existantes du droit pour faire face à ces assauts répétés.

Avec ce débat, on nous impose une régression par rapport aux acquis humains. La controverse sur le même sujet, telle qu'elle a lieu en Egypte, se réduit à un débat d'idiots. Pourquoi ? Parce qu'elle reprend les matériaux d'une casuistique d'un autre temps qui, au Moyen Age, était en droit islamique (fiqh) tout aussi pertinente qu'en droit canon, et qui, aujourd'hui, paraît serve d'une tradition figée paralysant l'invention intellectuelle et entravant l'adaptation à l'évolution des mœurs. 
N'élargissons pas, avec complaisance, le cercle des idiots.



vendredi 22 mai 2015

«L'identité arabo-musulmane» n'est qu'un alibi

Nidaa Tounes, tomberait-il dans le piège de "l'identité", cher aux pan-islamistes et autres pan-arabistes ? 
Néji Jalloul, ministre de l'Education Nationale, semble mettre en oeuvre la politique des Frères musulmans, en projetant une arabisation à tout va !!
Or "l'identité" est le thème majeur de tous les partis extrémistes; et le mieux partagés parmi les trois religions monothéistes que ce soit :
- chez les chrétiens (l’extrême droite, le FN ...), 
- chez les "juifs" (les partis sionistes ...) ou 
- chez les "arabo-musulmans" (les Frères musulmans et autres islamistes) ! 
Car c'est un thème facile et "vendeur" pour les partis populistes, qui instrumentalisent la religion à des fins politiques.
R.B
  
28 Juillet 2011

Depuis quelques semaines, la question de l’«identité arabo-musulmane» occupe une place centrale dans le débat public. Néanmoins, elle comporte un paradoxe essentiel, puisqu’elle est réclamée par tous, alors qu’elle constitue la pomme de discorde quant au sens à lui donner. La mouvance islamique donne la prééminence au fondement religieux. La tendance nationaliste arabe met l’accent sur l’aspect politico-culturel; quant aux divers autres courants, ils la considèrent comme relevant de la civilisation dans toutes ses dimensions. Il y a lieu de tirer au clair cet imbroglio faisant de l’identité un objet de tiraillements, allant à hue et à dia.

Par un glissement d’emploi, le concept passe du domaine de la culture savante pour un usage courant dans le débat politique. Il est apparu dans la pensée arabo-musulmane contemporaine et y est, depuis le début du XXe siècle, l’objet d’études dans différentes moutures en étant désigné par le terme de «hawiya», identité, ou «chakhsiya», personnalité... Sa reprise actuelle dans la sphère politique, donnant lieu à un débat houleux, intervient à la faveur de la «révolution» ou plutôt comme la désigne plus justement Ibn Khaldoun d’un «changement de l’état des choses», tabdil al ahwal.

C’est dans le contexte de la préparation ou plutôt de la réflexion sur la Constitution de la 2e République et précisément à partir de l’examen de l’art. 1er de la Constitution de 1959 que surgit la question. Après plus d’un demi-siècle, celui-ci est d’emblée agréé autant par le gouvernement provisoire, par diverses «initiatives citoyennes», que par des partis politiques, l’avalisant sans conteste. Il est récemment repris comme tel par la Charte républicaine. Cela a l’air d’un consensus, mais en fait ce n’est qu’un faux-semblant, chacun y va à partir de sa propre intention.

Faisons remarquer que son acception, aujourd’hui pour son opportunité, passe sous silence le fait qu’il est marqué historiquement par son caractère circonstanciel. L’article 1er, aux termes bien pesés, précise au tout début que «la Tunisie est un Etat libre et indépendant». Le terme libre, (hurra), consacre la libération du pays du joug de la colonisation. Quant à celui d’«indépendant», (mustaqilla), il est d’un emploi approprié cautionnant la ligne politique du courant prédominant du parti au pouvoir, celui de Bourguiba, ayant le dessus sur celui du youssefisme qui méconnaît alors l’indépendance réelle du pays.
Quant au reste de la phrase de l’article 1er considérant la Tunisie comme étant un «Etat dont la religion est l’Islam et la langue est l’arabe», c’est un élément comportant, dans sa formulation, en ce moment historique, un compromis entre les deux composantes de la Constituante, réparties en somme entre «traditionalistes» de formation zeitounienne (Ecole de théologique de la Zitouna) et modernistes sadikiens (Collège Sadiki).

C’est en partant de cet article qui semble faire l’unanimité, admis comme un fait établi, voire un lieu commun que fut introduite actuellement, d’une manière subreptice, apparemment anodine, la notion de «Hawiya» ou identité par laquelle on confère l’omnipotence à la religion dont les islamistes font leur fonds de commerce.

Avant de découvrir l’arrière-boutique de ceux qui la mettent en devanture, examinons le concept d’identité, concept oiseux, à battre en brèche, pourtant défendu par les tenants de la pensée arabo-musulmane contemporaine,  toutes tendances confondues.

Qu’est-ce que l’identité ?

Sans être une digression, par un court excursus, on entend soumettre à la critique la notion d’«identité arabo-musulmane». Telle qu’elle est proclamée théoriquement, c’est une identité virtuelle qui, de fait, présente un emblème-entrave. Elle est foncièrement conservatrice. Elle est l’expression d’une situation de refus du changement. Alors qu’elle est historiquement changeante sans être définitivement un acquis comme «identité substantielle», afin de se construire et se reconstruire… 
Elle n’a pas à être un projet, mais elle est a posteriori le reflet d’une civilisation à bâtir, à créer. L’identité relève de la croyance à l’être, laquelle croyance procède du refus et de la méfiance du devenir. 
Pour la définir, je dis avec Zarathoustra : c’est «la rumination de l’esprit qui se regarde au miroir», une manière de consacrer l’être au détriment du devenir.

Pour être concret, prenons un exemple-modèle tiré de notre propre histoire, dans le cadre géographique du monde "arabo-musulman" : à son âge d’or, la naissance de la civilisation dans les métropoles, en l’occurrence Bagdad, à partir du IIIe siècle de l’Hégire. Elle est nourrie de l’héritage gréco-romain, oriental, hindou et perse... qu’elle s’approprie, cultive et recycle. Elle a eu recours à la traduction pour avoir le savoir universel dans sa propre langue, celle du Coran. 

C’est ainsi qu’à partir de ce legs antique, elle a créé  de nouvelles sciences, des sciences dures. En cela, c’est une œuvre synthétique. Ce qui la caractérise, aspect essentiel à méditer, c’est qu’elle ne suppose pas de contradiction entre l’original et l’étranger, l’ancien et le nouveau, qui, loin d’être antinomiques, sont complémentaires. 
Dans son éclat, cette civilisation n’a jamais eu besoin de s’affirmer, de s’autoproclamer une «identité arabo -musulmane». D’ailleurs dans ce sens, le mot hawiya (identité), n’existe pas dans "lisan Al Arab" ; c’est un néologisme de la période contemporaine. Ce qui serait en son temps une identité n’est que le reflet d’une civilisation, en est le produit, ce qui en résulte sui generis. Si on accepte la notion d’identité, ce n’est que dans le sens de l’inventivité, ibda'a, soit une création en tant que dépassement de l’origine. 

Aujourd’hui, hélas, elle est empreinte de nostalgie quand elle ne sert pas d’alibi pour de sombres projets de société. 

De l’usage de l’identité  

En cette période de gestation, on fait chorus autour de l’identité, comprise différemment. Auparavant, alors que le soulèvement a déjà fait des morts, dans le journal Assabah du 8 janvier 2011, le «Mufti de la République Tunisienne» prononce une condamnation religieuse du suicidé, un quidam, recommandant aux «gens respectables» de ne pas effectuer la prière du mort, celui-là même qui, une semaine plus tard, est proclamé, en martyr, un héros national, Mohamed Bouazizi. En laudateur, dans cette interview, le mufti fait l’éloge du président qui, par piété, en ayant payé la Zakat, l’impôt canonique, a secouru «les régions les plus défavorisées et pauvres» ; et il incite les riches à suivre cet exemple. 
Ce même mufti, sans se déjuger à propos de ses précédentes déclarations publiques, publie le 7 avril, dans le même journal, un article où il s’en prend à la «laïcité», défendant le maintien de l’article 1er de la Constitution et de surcroît «l’identité du peuple dont l’Islam est l’élément fondamental». De la sorte, le mufti, dans la célérité, s’aligne sur la position des islamistes. 

La question de l’identité est débattue dans l’Instance supérieure de la défense de la Révolution qui a adopté un «pacte républicain» reprenant l’article 1er de la Constitution, tout en rajoutant un deuxième point selon lequel «l’identité du peuple tunisien est arabo-musulmane tout en étant dans un rapport créatif avec les valeurs de la modernité et du progrès». Ainsi, en cette circonstance, la notion d’identité qui s’est imposée à tous réfère au peuple tunisien, une manière de souligner l’appartenance nationale. Pour mémoire, rappelons qu’il y a quelques décennies, des penseurs tunisiens, pour se particulariser par rapport au nationalisme arabe, ont élaboré une théorie de «l’identité (ou personnalité) tunisienne», affirmant de la sorte la «spécificité» tunisienne.

Avant même l’adoption de ce Pacte, le parti Ennahdha, à ce moment opportun, s’est retiré de l’Instance supérieure pour ne pas avoir à voter cette charte qui comprend aussi l’obligation de s’appliquer à la règle de «la séparation du domaine religieux du domaine politique», sachant que leur fusion est inhérente à leurs activités. Pour les islamistes, dans leur ensemble, «l’identité est islamique» et par conséquent la charia est la référence de base à la démocratie et à toutes les politiques socio-économiques à envisager. Dans leur journal Al Fajr, il est discuté de la formulation de la question de l’identité telle qu’elle apparaît dans le Pacte républicain pour rejeter ce qui lui est accolé en tant que «valeurs de la modernité et de progrès», les considérant comme une occidentalisation et une hétérodoxie.

Hourra ! à Mohamed Talbi

A point nommé, intervient sur la scène publique le professeur Mohamed Talbi, un savant de formation zeitounienne au départ, ayant fait par la suite œuvre d’historien, médiéviste, qui par une série de livres sur l’Islam remet en cause le bien-fondé du fikh (l’exégèse), récusant la tradition prophétique dans la mesure où elle passe outre le texte sacré. Il considère l’Islam comme n’ayant pour fondement que le Coran dont il fait une lecture «vectorielle», explique-t-il. Alors que jusque-là la propagation de son œuvre est limitée au cercle des spéciallistes et intellectuels, il fait une entrée tonitruante sur la scène politique, intervenant tous azimuts dans différents médias. Documents et arguments à l’appui, il proclame que «l’Islam est laïcité». Il considère que la charia, n’étant pas révélée comme le Coran, lui étant postérieure de quelques siècles, n’est pas recevable dans son intégralité.

Bien plus, en s’appuyant sur des arguments irréfutables, il démontre que la charia est absolument incompatible avec la démocratie qu’il accepte dans sa forme moderne.

Selon ce savant, musulman pratiquant, la croyance a pour référence unique le texte révélé du Coran que tout doute à son sujet autorise Mohamed Talbi, le savant, à excommunier (insilakh) son auteur, visant par là ses pairs, concurrents en islamologie (science, sic de l’Islam)  querelle de chapelle ! 
Dans cette optique, Talbi apparaît comme un musulman de l’originel, cet intangible sacro-saint. De notre point de vue, il est loin d’être le libre penseur congédiant toute croyance, car croire c’est ne pas penser. Néanmoins dans le champ religieux, sa théorie est révolutionnaire, son émergence est un événement. Il tranche nettement avec un dogmatisme théologique millénaire, en dépit des rectifications contemporaines. Par là, on atteint le point ultime de la sécularisation de la religion musulmane. Ainsi, dans la sphère religieuse s’est opéré un retournement sur soi dont la portée est incommensurable, on n’en prendra pleinement conscience qu’à terme. Mais, cette prise de position est déjà, pour l’instant, une parade efficace à l’attaque des islamistes visant à régenter la société. Il est admis plus qu’auparavant à la suite de Mohamed Talbi que «l’Islam est liberté».


En ces moments bénis où l’histoire s’est accélérée, la «révolution du 14 janvier 2011» comporte à la fois un danger : l’islam politique et un bienfait, la liberté.