dimanche 17 mai 2020

André Labarrère, un florentin béarnais

Un homme politique dans le sens noble du terme. Il était amoureux de son Bearn natal et de sa ville de Pau. Homme de culture, féru d'histoire et esthète, il a embelli la ville de Pau durant ses nombreux mandats de maire. Ville qu'il a fleurie et qui a remporté 3 fois la médaille des "Villes fleuries de France". Il a donné le goût des fleurs aux palois; puisqu'elles sont entrées dans leurs habitudes. Il n'est pas rare de voir des ménagères finir leurs courses aux halles, en passant chez les marchands de fleurs. Les balcons fleuris des palois se sont multipliés avec ce maire qui offrait des fleurs à toutes les paloises, pour la fête des mères. 
Lors de ses funérailles, le meilleur hommage qui lui a été rendu, fut celui de François Bayrou, actuel maire de Pau; son rival mais néanmoins son ami. Les deux étant hommes de culture et amoureux du Béarn et de Pau, ils avaient beaucoup en commun pour être ennemis. D'ailleurs Bayrou poursuit l'oeuvre entreprise par Labarrère, d'embellissement de Pau et de son équipement; modernisant souvent ce qui fut créé par André Labarrère.
D'ailleurs André Labarrère dans une boutade (ou une coquetterie ?), rappelait souvent qu'il est le seul homme politique socialiste à être élu et réélu par des cons bourgeois, parlant affectueusement des palois, qu'il affectionnait tant et qui le lui rendaient bien.
J'ai eu l'honneur et le plaisir de l'inviter quand il était ministre chargé des relations du parlement avec le gouvernement de Pierre Mauroy. Un homme drôle, affable et d'une gentillesse extrême. 20 ans après, je l'avais invité à nouveau et gentiment il avait accepté mon invitation pour venir dîner chez moi. A mon grand étonnement, il se rappelait le menu que je lui avais servi 20 ans plutôt. S'en souvenait-il parceque j'avais raté le plat principal, dans l'émotion de recevoir le ministre de François Mitterrand ? En tout cas, il avait une mémoire époustouflante, qui étonnait les palois; puisqu'il n'est pas rare qu'il leur demande des nouvelles à propos d'événements privés et précis les concernant et dont il a gardés le souvenir intact.  
Un maire comme on rêverait d'en avoir encore. 
R.B
Hommage à André Labarrère - David Habib
André Labarrère


Le 16 mai 2006 mourait le maire de Pau André Labarrère. Professeur, député, maire, ministre, André Labarrère aura cultivé une certaine distance vis-à-vis de la politique qui lui permit d’échapper aux blessures marquant la vie ordinaire de l’homme public.
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François Bayrou ami et opposant à André Labarrère

Un Florentin béarnais

Ce célibataire endurci avait épousé sa ville, a-t-on souvent dit. Pau va donc passer par les différentes couleurs du veuvage. Il ne sera pas facile de remplacer à la tête de la cité celui qui en fut pendant trente-cinq ans à la fois le gardien farouche et le jardinier méticuleux, l’histrion agaçant et le rénovateur avisé.

André Labarrère-Paulé (son nom complet à l’état civil) a vu le jour au bord du Gave le 12 janvier 1928. Il était le fils d’un chauffeur de taxi, ancien cocher de fiacre, et de Catherine Lafourcade, née dans les dépendances du château de Navailles-Angos, oú ses parents furent employés de la famille Gontaut-Biron. Crémière aux halles, debout tous les jours dès 4 heures, cette jolie Béarnaise avait tous les courages - « femme libre », elle défia longtemps interdits et médisances - et plus d’un talent : sous son nom de jeune fille, elle entreprit sur le tard une carrière d’artiste peintre, exprimant dans l’art naïf une sensualité colorée.

Élégant et bon danseur.

En dépit des problèmes du couple, le petit André fit d’excellentes études : à l’école communale Henri-IV, oú il connut dans la cour de récréation Jean Lasseuguette et nombre de ses compagnons politiques ultérieurs; au collège catholique Beau-Frêne, puis à Paris, oú le syndicalisme étudiant lui permit de fréquenter Jean-Marie Le Pen et Jean-François Bloch-Laîné, issu d’une famille de grands commis de l’Etat. Ils lui enseignèrent, l’un le culot, l’autre un savoir-vivre qui fit de lui - jusqu’aux cours royales de Scandinavie - un commensal charmant, élégant et bon danseur lorsqu’il le voulait. Dans un étonnant roman Belle Epoque intitulé « Le Baron rouge », il s’était d’ailleurs identifié à un aristocrate homosexuel de gauche devenant maire de Pau et portant l’étrange patronyme de Maximilien de Mauveclair. Si « sa » sensibilité devait quelque peu au ressentiment social de l’enfant pauvre, elle ne suinta jamais la haine de classe. « La bourgeoisie paloise vote pour moi, s’amusait-il mezzo voce, parce qu’elle garde un vieux fond pétainiste. Elle préférera toujours un socialiste à un gaulliste ou à un démocrate-chrétien. »

Pleins et déliés.

Guelfe chez les gibelins, gibelin chez les guelfes, il adorait la ville de Florence et son histoire écrite par la dague et le poison, tout en préférant séjourner à Naples, oú il satisfaisait plus aisément son goût des ports et des rencontres furtives. Le sulfureux écrivain Jean Genet fut son ami - c’est peu connu - et il l’aida même à acquérir une propriété du côté de Lembeye. L’homme cultivait une certaine ambivalence, qu’il confessa d’ailleurs lui-même, entre le maraudeur de bas-fonds et l’élève appliqué. Avec lui, Pasolini n’était jamais loin du « Petit Chose ».

L’existence de cet amoureux de la graphologie s’écrivit d’ailleurs en pleins et en déliés. Le service militaire en fit un officier de réserve des transmissions, spécialiste colombophile. Il dressa les derniers pigeons voyageurs de notre armée et il garda toute sa vie dans un coin de tiroir, avec une secrète fierté, les élogieuses appréciations de ses chefs : 
« Travailleur acharné, toujours en avant, très volontaire mais discipliné. »

Professeur, il fut dans les années soixante l’un des hommes les plus diplômés du Béarn : licencié ès lettres, titulaire d’un certificat d’histoire de l’art du Moyen Age, agrégé d’histoire, DES d’histoire contemporaine, docteur ès lettres de l’université de Québec.

Après avoir présidé l’Unef à la Sorbonne, au temps de ses études parisiennes, il fut nommé en 1958 professeur au lycée de Digne (Alpes-de-Haute-Provence), puis il obtint la première bourse accordée à un Français par le Conseil des arts du Québec. Etudiant puis enseignant à l’université Laval, il collabora à la radio et à la télévision francophones du Canada, lançant notamment une très originale émission de « graphologie grand public » baptisée « Pattes de mouches ».

Sa carrière politique

Professeur au lycée Carnot de Paris (68–70) puis à Auch, il revint dans sa ville natale pour se présenter aux élections législatives dès 1967, sous l’étiquette de la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS), animée par François Mitterrand. Élu puis battu l’année suivante par Pierre Sallenave, après la dissolution de 1968, il retrouva son siège en 1973. Entre-temps, il avait réussi à devenir maire de Pau (1971), puis conseiller général de Jurançon (1973), et avait pris rang, aux côtés de Pierre Mauroy, parmi les hiérarques du nouveau Parti socialiste fondé à Epinay.

Président du Conseil régional d’Aquitaine de 1979 à 1981, il fit son entrée au gouvernement en 1981 et sut faire face avec humour et habileté, en qualité de ministre chargé des Relations avec le Parlement, aux assauts de l’opposition de droite contre les lois de décentralisation et les nationalisations.


Très apprécié de François Mitterrand, il avait gardé son portefeuille dans le gouvernement Fabius (1984–1986), mais n’exerça pas de fonctions ministérielles au cours du second septennat.
Passé de l’Assemblée nationale au Sénat, il consacra alors l’essentiel de son activité à sa ville, oú il fut réélu maire en 2001.

Pascal plus que Descartes.

« Je me définis très simplement en trois mots », nous confiait-il peu après avoir battu Jacques Chaban-Delmas à la présidence du Conseil régional d’Aquitaine en février 1979 : « Œcuménisme, attentisme et porosité. »

Sans la passion qu’il mit à exercer le pouvoir sur « sa » ville, il eût pu chercher fortune comme animateur de télévision, un métier qu’il avait adoré exercer au Québec. Plus récemment, il nous avait fait l’aveu d’un retour à la foi de son enfance. Il aimait aussi les spirites, et la rationalité l’ennuyait. Toute sa vie, on le sentit d’ailleurs plus proche de Pascal que de Descartes, mais l’on songeait aussi, le concernant, à la piété paradoxale d’un Casanova mêlant le spirituel au péché. 

Giflé par un magistrat dont il avait mis en cause l’impartialité, secrètement haï par nombre de ceux qui furent victimes de ses soudaines colères ou de ses rosseries subtiles, il veillait, cependant, à ce que jamais le nombre des frustrés et des humiliés n’excède celui des obligés parmi ses électeurs.

Au cours de la campagne du référendum sur la Constitution européenne, il profita d’une émission de France 3 pour lancer face à la caméra : 
« Si Laurent Fabius nous regarde, je veux lui dire qu’il ne sera jamais président de la République. »

Ségolène Royal, ces derniers temps, lui inspira d’aimables propos. Amis déçus et adversaires de toujours le dépeignaient, ces dernières années, comme « l’homme qui ne croyait plus en rien ». Ce qui n’était vrai qu’au plan politique. Pour le reste, André Labarrère n’avait pas cessé de croire aux vertus du travail et aux joies données par la beauté sous toutes ses formes. Jamais en lutte pour les grands emplois nationaux, il s’épargna ainsi les blessures narcissiques qui marquent la vie ordinaire de l’homme public. « Ordinaire » est d’ailleurs le mot qui s’accorde le plus mal à son destin.

Sa disparition aura été annoncée au cours d’une émission de France Inter dont l’invité était son compatriote, disciple et adversaire François Bayrou, qui ne put une seule seconde cacher son chagrin.

Et cela s’est passé le jour-même oú ce « meilleur ennemi » était accusé par une partie de la droite de voter avec la gauche. On verra là plus que des malices du sort. Quelque chose comme l’apothéose involontaire d’un artiste politique sans égal !

Il n’a jamais cessé de croire aux vertus du travail et aux joies données par la beauté sous toutes ses formes.

Article paru le 17 mai 2006

2 commentaires:

  1. LABARRERE a été celui qui a fait venir à Pau, Fayçal Karaoui.

    Un très beau film sur Labarrère :

    https://www.youtube.com/watch?v=4M02SWnDvU0

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