Paradoxe ou cynisme de Barak Obama ? Voilà quelqu'un qui exhorte les africains du nord comme ceux du sud à la démocratie (discours du Kenya); qui veut vendre la démocratie aux "arabes" (discours du Caire); qui s'allie aux Frères musulmans qui abhorrent la démocratie, cette notion occidentale dont il ne trouvent pas de trace dans le coran; qui impose Ennahdha aux tunisiens en leur imposant une démocratie au rabais ... mais qui ne dit mot du régime absolutiste et totalitaire de ses amis pétromonarques, car la géopolitique américaine utilise le wahhabisme pour asservir les "arabes" avec leur propre religion !
R.B Georges Corm
Propos recueillis par Matthieu Stricot
Et si les conflits du Moyen-Orient contemporain
n’étaient pas de nature religieuse ? Pour l’historien et économiste
libanais Georges Corm, cette approche réductrice de la géopolitique ne sert
qu’à légitimer la thèse du « choc des civilisations ». Dans son livre Pour une
lecture profane des conflits*, l’universitaire démontre les nombreux mécanismes
qui ont permis de légitimer des guerres injustes depuis la fin de la Guerre
froide. Une politique qui passe par l’instrumentalisation du religieux.
Par une lecture
profane des conflits, entendez-vous vous opposer à la théorie de « choc des
civilisations » ?
C’est un retour à la
politologie classique, une approche des situations de guerre par une analyse
multifactorielle, et non pas par une causalité unique qui serait religieuse,
ethnique ou prétendument morale. La thèse du choc des civilisations est, à mon
avis, une mise à jour post-moderne de la division du monde entre Sémites et
Aryens, qui a provoqué l’antisémitisme effarant ayant mené au génocide des
communautés juives d’Europe. Cette thèse perverse empêche de réfléchir sur les
causes des conflits. Aveuglée par cette théorie du choc des civilisations,
l’opinion publique peut soutenir des entreprises guerrières comme l’invasion de
l’Irak, de l’Afghanistan, ou encore les interventions en Libye, en Syrie et
très récemment au Yémen.
Au Moyen-Orient, le
conflit sunnites-chiites est souvent mis en avant. La religion n’est-elle pas
un vecteur de conflit dans cette région du monde ?
Quand le shah d’Iran
était en place (1941-1979), sa politique n’était pas différente de celle du
régime actuel. Pourtant, personne ne parlait d’opposition entre sunnites et
chiites. Des intérêts géopolitiques se jouent aujourd’hui sous couvert de
religion. Des enquêtes, publiées notamment dans The New Yorker, montrent que,
suite à l’échec de l’invasion de l’Irak, les États-Unis ont décidé de provoquer
des troubles entre sunnites et chiites. En créant notamment la notion de
triangle chiite Iran/Syrie/Hezbollah libanais, considéré comme l’équivalent
d’un « axe du mal ». C’est très loin de la complexité des réalités de terrain,
qui implique les intérêts géopolitiques des régimes turc, qatari, saoudien et
israélien. La politique occidentale poursuit une ligne « sunnites contre
chiites » sur le plan intérieur, et une vision « monde islamique contre monde
occidental » sur un plan plus large. Il s’agit d’une approche
fantaisiste : tous les gouvernements des pays musulmans sont dans l’orbite
des puissances occidentales à l’exception de l’Iran, qui tente de normaliser
ses relations avec les États-Unis.
Pourquoi les problèmes
de religion, culture et civilisation sont si souvent invoqués pour justifier
les conflits ?
Le Moyen-Orient est
l’un des carrefours géopolitiques les plus importants dans le monde. C’est le
principal réservoir énergétique. C’est aussi le lieu de naissance des trois
monothéismes. Il est très facile d’utiliser les symboles religieux pour couvrir
d’un voile les enjeux profanes purement politiques, militaires, économiques et
autres désirs de puissance et d’hégémonie. Le Moyen-Orient est constitué de
trois grands groupes ethniques ou nationaux : les Perses iraniens, les
Turcs et les Arabes. Iraniens et Turcs ont pu hériter de structures d’empires
vieilles de plusieurs siècles. En revanche, les Arabes ont été balkanisés dans
diverses entités par les deux colonialismes français et anglais.
À l’heure du
nationalisme arabe du président égyptien Nasser (1956-1970), la région était le
théâtre d’atmosphères révolutionnaires qui menaçaient les intérêts occidentaux.
L’organisation des Frères musulmans a été bien instrumentalisée afin de
s’opposer à un panarabisme anti-impérialiste et tiers-mondiste qui entretenait
des relations croissantes avec le bloc soviétique. Bien plus,
l’instrumentalisation du religieux est devenue quasiment la politique
officielle américaine pendant la Guerre froide. Zbigniew Brzezinski, conseiller
du président américain Jimmy Carter de 1977 à 1981, a décidé d’organiser la
mobilisation religieuse contre l’URSS. Dans l’aberrante guerre d’Afghanistan,
en 1979, l’Arabie saoudite a été appuyée et financée par les États-Unis pour
entraîner des milliers de jeunes Arabes, qui partaient ensuite se battre en
Afghanistan. Al-Qaida est née à ce moment-là. Ces groupes de combattants ont
ensuite été transportés en Bosnie, en Tchétchénie, aux Philippines, aujourd’hui
dans le Xinjiang chinois... L’instrumentalisation de ces groupes mène à des
organisations comme l’État islamique.
Vous parlez bien plus
d’un recours au religieux que d’un « retour du religieux », expression que vous
dénoncez. Pourquoi ?
Il n’y a jamais eu
d’abandon du religieux dans l’Histoire du monde. Parler de retour du religieux
est un ethnocentrisme européen poussé à l’extrême. Certes, la petite Europe a
été relativement déchristianisée. Mais le reste du monde a conservé des liens
importants avec la religion. À commencer par les États-Unis, pays fondé par des
colons britanniques puritains. Le « retour du religieux » a été beaucoup
invoqué pour dénoncer les dictatures marxisantes. Le philosophe allemand Léo
Strauss (1899-1973) se demandait s’il ne fallait pas mieux revenir à des
législations de type religieuses, après les malheurs qu’il attribuait
exclusivement à la laïcité et la Révolution française, qui auraient d’après lui
provoqué les deux Guerres mondiales. Accuser la Révolution française ou les
philosophes des Lumières de tous les malheurs du monde est une thèse tout à
fait exagérée. Pour moi, l’archétype de la guerre d’extermination, du goulag et
du nazisme se trouve dans les guerres de religion.
Le raidissement des
dogmes, aujourd’hui, traduit-il une nouvelle crise religieuse ?
Il ne faut pas tomber
dans le piège des mouvances terroristes actuelles. Elles se réclament de trois
théologiens politiques musulmans :
- Ibn Taymiyya (1263-1328), emprisonné
par le sultan pour son extrémisme religieux ;
- le Pakistanais Abul
a’la-Maududi (1903-1979), qui a justifié la sécession sanglante des Indiens de
confession musulmane ayant donné lieu à la création de « l’État des purs »
(ou Pakistan) ; et
- le Frère musulman égyptien Sayyid Qutb (1906-1966) qui
a considéré tous les régimes politiques arabes
comme « hérétiques » parce que ne respectant le principe d’une
souveraineté absolue de Dieu sur les hommes.
Mais la théologie musulmane,
vieille de plus de treize siècles, va bien au-delà de ces trois noms et les
théologiens « libéraux » sont très nombreux. Je pense qu’il y a
aujourd’hui une crise des monothéismes, à cause de la manipulation du religieux. Concernant l’islam, la croyance wahhabite a été largement condamnée
par la plupart des théologiens musulmans qui la considèrent beaucoup trop
extrémiste. À l’origine, cette doctrine est née au XVIIIe siècle d’une simple
alliance entre le prédicateur Abd al-Wahhab et la famille al Saoud aux
ambitions politiques très grandes. Quand, dans la deuxième moitié du XXe
siècle, l’Arabie saoudite a atteint une puissance pétrolière et financière
importante, le wahhabisme s’est exporté tous azimuts.
Quel rôle joue
l’instrumentalisation de la mémoire dans la gestion des conflits ?
Les musulmans restés
fidèles au concept de « religion du juste milieu » sont marginalisés.
Aujourd’hui, les médias et les chercheurs ne s’intéressent plus à la sociologie
des sociétés arabes, turques, perses... Ils se consacrent à l’étude des réseaux
islamistes. C’est un islam abstrait, une méga-identité qui ne veut rien dire
mais sert à stimuler cette idéologie du conflit des civilisations. On retrouve
le même type de crispation, en ce qui concerne le judaïsme. De très nombreux
citoyens européens ou américains de confession juive n’approuvent pas la
politique d’Israël. Des groupes de religieux, comme Neturei Karta, ne
reconnaissent même pas la légitimité de l’État israélien. Mais ils sont
totalement marginalisés dans les médias et la recherche académique. Une autre
manipulation de la mémoire est le passage de la notion d’Occident
gréco-romain à la notion d’Occident judéo-chrétien. Ce coup d’État culturel n’a
pas beaucoup de sens, car le christianisme s’est construit contre le judaïsme.
Cette opération est destinée à réparer le traumatisme causé par l’Holocauste.
Alors que le XXe a vu,
pendant un temps, triompher une vision laïque de l’ordre international, comment
la religion a-t-elle pu opérer un tel retour en force ?
Jusqu’aux années 1970,
la vie internationale était laïque. Les pays non-alignés basaient leur discours
sur le rapport avec les deux grandes puissances. La préoccupation était le
développement économique et social, l’appropriation des sciences et les
technologies. Tout a basculé avec la Guerre froide. L’extension du marxisme
dans les rangs de la jeunesse arabe dans les années 1950-60 était très
impressionnant. De quoi inquiéter les milieux militaires et politiques
occidentaux. En cherchant à réislamiser les sociétés musulmanes, la doctrine
Brzezinski entendait que leurs préoccupations ne soient plus économiques ou
sociales, mais théologiques.
Pourquoi la laïcité
a-t-elle échoué dans le monde arabe et musulman ?
Je n’aurais pas un
jugement aussi abrupt. De très larges pans de laïcité subsistent dans des pays
comme la Turquie ou la Tunisie. La Syrie et l’Irak étaient largement laïcisés
eux aussi. Tout comme l’Égypte dans les années 1940-1950. Il n’y a pas non plus
de recul absolu. Heureusement, il existe encore des millions de musulmans
arabes sans comportement religieux ostentatoire. Mais l’échec complet de
l’industrialisation est associé à une expansion démographique effarante. Devant
l’incapacité de trouver un emploi, la mosquée devient attirante. Toutes les ONG
islamiques ont fleuri grâce au financement des monarchies et émirats du Golfe.
Elles ont distribué des aides sociales, conditionnées par l’adoption d’un mode
de vie religieux.
Les médias et
intellectuels occidentaux ont-ils joué un rôle dans cette « réislamisation
» ?
Les politologues occidentaux ont donné une crédibilité islamique à des gens comme Ibn Taymyya ou
Sayyid Qutb, ainsi que Ben Laden et le soi-disant « État islamique ». Vouloir
expliquer des phénomènes comme les attentats du 11 septembre 2001 ou celui de
Charlie Hebdo par la religion musulmane ne fait qu’amplifier le malaise. Les
organisations terroristes doivent être considérées comme telles. Si vous
mobilisez des savoirs soi-disant académiques pour justifier leurs actes par la
théologie musulmane, vous jouez dans leur camp et renforcez leur crédibilité.
S’est-on penché sur les textes marxistes pour expliquer les crimes d’Action
directe, ou de la bande à Baader ou le goulag ? Chercherions-nous dans les
Évangiles une justification des Croisades ou du génocide des Indiens
d’Amérique ? Non.
Pensez-vous qu’il est
possible de sortir de ce cercle vicieux ?
Je ne suis pas très
optimiste. À partir du moment où les médias américains et européens appellent
Daesh « l’État islamique », le terrorisme s’accroît. En luttant contre Ben
Laden, longtemps allié des États-Unis, on en a fait un grand héros, avec un
retentissement médiatique hors-pair. Deux pays souverains ont été envahis en
déployant des moyens militaires absurdes. D’autant plus que l’Irak était
considéré par Ben Laden comme un État mécréant à détruire. Et ça continue avec
le drame syrien. On a décidé de diaboliser Bachar el-Assad, sous prétexte de
réduire un dictateur qui n’est pas dans le sillage géopolitique de l’Occident.
Tout en affirmant, à côté, que des organisations comme le Front al-Nosra,
pourtant classé comme terroriste, font du bon travail en Syrie. Au Yémen, on
recommence à bombarder les Houthis sous prétexte qu’ils sont soutenus par
l’Iran et qu’ils appartiennent à l’une des nombreuses branches du chiisme. Ces folies
coûtent des milliards de dollars aux contribuables européens et américains.
Comment arrêter cette machine ? Depuis 2001, il n’y a aucune demande de
comptes dans les pays occidentaux. Il est temps que les démocrates se
réveillent pour demander que cela cesse.
(*) Georges Corm, Pour une lecture profane des conflits : sur le « retour du
religieux » dans les conflits contemporains du Moyen-Orient, Paris,
La découverte, 2015, 11 €.
Du même auteur : Pensée et politique dans le monde arabe : contextes
historiques et problématiques, XIXe-XXIe siècles, Paris, La
Découverte, 2015, 23 €.
Riadh SIDAOUI : L'OR NOIR EST LE FREIN MAJEURE POUR LA DÉMOCRATIE CHEZ LES "ARABES" !
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