Une constitution à la merci des islamistes ? La société civile n'en a pas fini de défendre le CSP ! Car rien n'est définitivement acquis. Et dire que certaines femmes inconscientes ou idiotes utiles, sont entrain de couper la branche sur laquelle elles sont assises en jouant le jeu des islamistes en portant leur étendard sous forme de foulard, hijeb, niqab ...
R.B
Faut-il réexaminer le Code du statut personnel ?
C'est le jour du 13 août, fête nationale de la Femme et 59e anniversaire du Code du statut personnel (CSP) que Sana Ben Achour, juriste et figure notoire du féminisme tunisien, a organisé, en fin d’après-midi, une rencontre à l’Agora, à La Marsa. Un débat de haut vol a réuni d’éminentes personnalités sur le thème : histoire du Code du statut personnel, son impact au temps de sa promulgation, et sa réelle portée aujourd’hui.
R.B
Faut-il réexaminer le Code du statut personnel ?
C'est le jour du 13 août, fête nationale de la Femme et 59e anniversaire du Code du statut personnel (CSP) que Sana Ben Achour, juriste et figure notoire du féminisme tunisien, a organisé, en fin d’après-midi, une rencontre à l’Agora, à La Marsa. Un débat de haut vol a réuni d’éminentes personnalités sur le thème : histoire du Code du statut personnel, son impact au temps de sa promulgation, et sa réelle portée aujourd’hui.
Le CSP, cette marque de fabrique tunisienne, qui a représenté une
vraie révolution par le droit pour reconfigurer la famille tunisienne en la
faisant passer du statut patriarcal au statut conjugal et en reconnaissant un
certain nombre de droits fondamentaux aux femmes, est devenu un lieu de
l’enfermement. La question que se pose, selon les termes de l’organisatrice,
présidente de l’association « Beity » (ma maison) à ses heures :
« Est-ce qu’il n’est pas temps aujourd’hui d’examiner en profondeur le
Code du statut personnel ?»
Les invités appelés à intervenir sont les juristes Yadh ben
Achour, l’historienne et militante Sophie Bessis. Dorra Bouzid a été invitée à
raconter sa propre expérience en tant que journaliste pionnière. Plusieurs
figures du militantisme tunisien et de la société civile étaient présentes,
dont Souhyr Belhassen, Selma Hajri, présidente du groupe « Tawhida Ben
Cheikh » qui défend le droit à l’avortement. Khedija Cherif, fraîchement
décorée par le président de la République, le jour même, a fait une entrée
remarquée.
L’idée directrice de la rencontre est l’adaptation du CSP au
nouveau droit constitutionnel tunisien. « On ne reviendra pas sur ce qui
est acquis, rassure d’emblée Sana Ben Achour, mais le Code a toujours fait
l’objet de réformes. Il a été réformé de l’intérieur en 1958, 1959, 1964,
1981, 1993, 2006, 2007, 2008 et 2010 ». Objectif : placer le principe
d’égalité au fondement même de la réflexion.
La question de La Presse aux intervenants était, « si la
Constitution de 2014 est truffée d’ambiguïtés, comme cela a été dit, et demeure
tributaire des rapports de force politiques, faudra-t-il penser à un CSP bis
pour faire avancer de manière concrète les droits des femmes, sachant que le
CSP a été imposé par un leader qui bénéficiait en son temps d’un état de
grâce ? »
Le débat intéressant s’appuyait essentiellement sur deux postures,
la première considère que toute évolution profonde est progressive et vient par
le débat.
Yadh Ben Achour le dit explicitement : « La chance
historique de la Tunisie, c’est qu’on est arrivé à résoudre les grandes
divisions idéologiques, de convictions et de confessions par le débat public.
C’est plus important que la révolution et la Constitution. Depuis 2011, nous
débattons de tout. Il n’y a pratiquement pas de tabous, y compris celui de la
croyance ».
Sophie Bessis pense que « depuis la fin des années 70 et
depuis les années 80, depuis les prémices d’une réislamisation de la société,
les Tunisiennes sont déchirées entre deux postures. D’une part, la défense du
CSP, qui est certes imparfait, mais par crainte d’une régression et d’une
remise en cause d’un certain nombre d’acquis, on le défend. Et, deuxième
posture, essayer d’aller au-delà du CSP parce qu’il est imparfait, et incomplet
et parce que aujourd’hui il a épuisé sa fonction historique ».
Chaque intervenant a été appelé à exposer brièvement son analyse
dans un temps de parole relativement court, compte tenu de la complexité de la
thématique. C’est le juriste, auteur et doyen Yadh Ben Achour qui est intervenu
en premier.
Yadh Ben Achour : « Le CSP est une
révolution par le droit et la Constitution de 2014 est sécularisée et
démocratique »
Nous sommes comme dans toutes les sociétés arabes dans une période
historique de la rupture. Les contradictions étaient sous-jacentes maintenues
sous la dictature — cela est très dangereux, ça engendre des guerres civiles à
terme — maintenant elles sont visibles.
Oui, les divisions sautent aux yeux. Il n’y a qu’à se promener sur
la plage pour le constater. Ces divisions où elles se résolvent par la
répression, ce qui ne donne jamais un résultat positif, par la guerre civile et
nous avons connu des Etats démocratiques qui ont construit leur démocratie
après une guerre civile, — il y a des cassures si profondes qu’on n’arrive pas
à résoudre par la voie du débat —, la Tunisie a cette chance de s’être
débarrassée de la dictature et de résoudre ses problèmes par le débat.
Aujourd’hui, nous sommes en face de deux sociétés qui se regardent et c’est à
nous de gagner la bataille et de la gagner par la démocratie, la persuasion et
le militantisme.
Le CSP constitue véritablement une révolution par le droit, en ce
sens ce n’est pas tellement parce qu’il a émancipé la femme qu’il se
distingue. Pendant des siècles jusqu’à 1956, la société construisait
elle-même ses droits. Il est interdit à l’Etat de pénétrer dans un certain
nombre de domaines, et en particulier le domaine de la famille. L’Etat était
condamné à la passivité juridique. Donc, oui le CSP est une révolution par le
droit.
Mais encore aujourd’hui après une véritable révolution d’ordre politique
qui a fait tomber un régime avec ses symboles et ses structures et sa
constitution, ces domaines de la liberté et égalité homme-femme représentent
une sorte d’épopée à la Sisyphe. On n’arrivera jamais à réaliser toutes nos
ambitions et à atteindre l’idéal. Car que constatons-nous ? D’abord pour
modifier une société dont le présent est toujours dirigé par le passé, il est
très difficile de la faire bouger, même si de très belles lois existent. Donc
patience, le CSP n’est certainement pas un échec, mais n’a pas atteint
parfaitement et entièrement son objectif. Et, surtout le CSP n’a pas
réussi à clarifier les référentiels.
En revanche, la Constitution de 2014 ne contient pas de
disposition qui fasse référence à l’Islam comme religion d’Etat. Autrement dit,
l’Etat est neutre sur le plan religieux, l’Etat, disons le mot, est un Etat
laïque. Nous pouvons dire aussi un Etat séculier.
Nous avons adopté le principe de la liberté de conscience dans
l’article 6 qui permet d’avoir une religion ou de ne pas en avoir et qui permet
au musulman de sortir de sa religion. Ce qui est également une très grande
nouveauté par rapport à tout le droit de l’apostasie qui condamne le musulman
qui renie sa religion à la peine de mort. Nous avons supprimé la condamnation
de l’atteinte au sacré. Bref, la Constitution de 2014 a clarifié la dualité et
la contradiction référentielle. Nous avons réussi à avoir une Constitution
sécularisée démocratique qui établit, par l’article 46 et par d’autres,
l’égalité absolue entre l’homme et la femme.
Cette Constitution représente un
progrès majeur dans notre pays par apport à la Constitution de 1959.
Elle fait du bourguibisme plus que Bourguiba lui-même.
Seulement, il faut le signaler, nous constatons aujourd’hui une
sorte de trahison des juges. Nous avons des arrêts absolument scandaleux qui
ont été rendus en juin 2014, et qui reviennent aux schémas les plus archaïques
de notre droit. Pour conclure, dans un arrêt du 26 juin 2014 de la cour d’appel
de Tunis, l’une des juridictions les plus importantes de notre pays,
« pour cause de disparité de religion, l’un des deux époux n’est pas
musulman et ne peut donc pas hériter », c’est catastrophique.
Nous n’avons donc pas beaucoup avancé, après une première
révolution, celle du CSP sous Bourguiba, après la constitution de 2014 qui
n’est que le résultat d’une véritable révolution politique de 2011. Nous revenons
en arrière comme si rien n’avait eu lieu. La négation totale de tout. Ceci doit
nous faire prendre conscience qu’on ne fait pas une révolution par le droit
législatif, celui du CSP ni par le droit constitutionnel, celui de la
Constitution de 2014. Il faut beaucoup plus. Et c’est à nous de continuer le
combat et de nous armer d’encore plus de convictions et de résistance pour
aller vers un progrès réel.
Prenant la parole tout juste après, Sophie Bessis apporte une
analyse différente quand elle n’est pas totalement contradictoire à celle de
son voisin de tribune.
Sophie Bessis : « Le CSP comme la
Constitution de 2014 sont des monuments d’ambiguïté »
« Est-ce qu’une révolution, que ce soit une révolution par le
droit ou une révolution tout court, peut réussir si elle n’a pas été préparée
par un mouvement d’idées profond qui a changé les paradigmes d’une société et
préparé pour une intériorisation des nouvelles valeurs et du processus par le
corps social ? C’est une question à laquelle je ne répondrai pas.
Depuis la fin des années 70 et le début des années 80,
depuis les prémices d’une réislamisation de la société, les Tunisiennes sont
déchirées entre deux postures. D’une part, la défense du CSP qui est certes
imparfait, mais la défense de ce code était motivée par la crainte d’une
régression. Et, deuxième posture, essayer d’aller au-delà du CSP parce qu’il
est imparfait et incomplet. Ce code pour des raisons totalement différentes est
sanctuarisé par tout le monde. C’est un consensus d’une partie extrêmement
grande de la société tunisienne. C’est un territoire qui est un progrès par
rapport au passé et par rapport au reste du monde arabe, et en même temps
il n’y est pas question d’égalité. Il faut le dire.
Personnellement, je suis frappée à chaque 13 août de voir qu’on
célèbre la femme tunisienne. Ce singulier insupportable. Il y a à peu près 5
millions et demi de femmes dans ce pays. Dire « la femme
tunisienne », c’est créer un archétype totalement déconnecté du réel, qui
permet d’avancer que la femme tunisienne est libérée et ne voir ni les
contradictions juridiques, ni les contradictions sociétales ni idéologiques ni
politiques. Oui le CSP a émis de nouvelles règles et a mis sur les rails une
certaine émancipation des femmes. Mais avec deux insuffisances, même s’il y une
laïcisation, on est plus dans la logique d’« ijtihad » et non pas
d’une séparation du politique et du religieux.
Le CSP n’était pas non plus intrusif dans la vie domestique.
L’Etat a continué à n’y avoir pas accès.
Quant à la Constitution de 2014, je ne la vois pas comme une
Constitution laïque. Oui, l’article premier est descriptif et non pas normatif,
mais il existe. Et, on peut s’y référer pour introduire de nouvelles règles
normatives. D’ailleurs, certains le souhaitent et s’accrochent à l’article
premier comme article référentiel. Deuxièmement, je ne vois pas que l’Etat soit
neutre à la religion. Car si la liberté de conscience est promulguée, et c’est
une nouveauté tout à fait extraordinaire, la Constitution dit aussi que
« l’Etat est le protecteur du sacré et le garant de la
religion ». A mon sens, ce n’est donc pas une Constitution
laïque.
Et comme l’a été à sa façon le CSP, comme l’est aujourd’hui la
constitution, nous sommes dans un monument d’ambiguïté qui fait que cette
Constitution sera appliquée selon le rapport de forces politiques, d’où, à mon
avis, sa faiblesse. Sa lecture dépend d’un rapport de forces politiques au sein
du pays et cela lui donne une fragilité extrêmement grande. Une fragilité qui
se répercute par conséquent sur la question de l’égalité et encore plus à la
question de la parité.
Dans les pays où le droit est totalement inégalitaire et
discriminatoire, la bataille du droit est fondamentale. Mais le droit n’est pas
tout et beaucoup d’évolution ne se font pas par le droit. Surtout quand l’Etat
contredit par d’autres actions un certain nombre de ses lois. L’école est mixte
en Tunisie, la rue reste en revanche un espace masculin. Là où l’Etat tunisien,
et ce qu’il est devenu sous la dictature, n’a pas fait son travail en matière
de consolidation des droits des femmes, c’est en matière d’enseignement et de
transmission des normes. Ce ne sont pas les nouvelles normes qui ont été
transmises au sein de la société, ce sont soit les normes anciennes et
coutumières ou celles induites d’une réislamisation de la société.
Certes, les pays européens ont mis des siècles pour acquérir les
droits dont le citoyen bénéficie aujourd’hui, mais le rapport au temps et le
sens de l’histoire ont changé. On ne peut se référer à ce temps-là.
Aujourd’hui, trois générations ont vécu dans la Tunisie
indépendante. On voit que des choses ont évolué et beaucoup d’autres non. La
question des droits des femmes a été relativement appropriée par la société. On
se demande quelles sont les raisons qu’en trois générations cette appropriation
ne s’est pas faite par les femmes ».
Propos recueillis par Hella
LAHBIB
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