FAUT-IL HIÉRARCHISER LA BARBARIE ?
Souvent lors de massacres d'animaux pour le plaisir de l'homme (chasse, corrida, combats de chiens, combats de coqs ...), ceux qui les dénoncent et s'en indignent s'entendent reprocher leur "silence" devant les tortures et les cruautés des hommes faites aux hommes.
Les indignations ne peuvent être sélectives certes mais est-ce pour autant qu'il faille admettre que la souffrance infligée aux animaux doit être plus tolérable que celle infligée aux humains ?
Il me semble même le contraire : si les hommes ne toléraient pas la maltraitance faite aux animaux, ils seraient plus humains avec leurs prochains ! Marguerite Yourcenar va plus loin : elle pense que la souffrance infligée aux animaux les déshumanise.
Ce qui explique les guerres et les cruautés qu'ils se font entre eux.
L’indifférence et la cruauté s’exercent si souvent contre l’homme parce qu’elles se sont fait la main sur les bêtes, nous rappelle Marguerite Yourcenar.
R.B
Marguerite Yourcenar :
« Je me dis souvent que si nous n’avions pas accepté, depuis des générations, de voir étouffer les animaux dans des wagons à bestiaux; personne, pas même les soldats chargés de les convoyer, n’aurait supporté les wagons plombés des années 1940-1945. »
A méditer.
Marguerite Yourcenar :
" L’animal ne possède rien, sauf la vie, que si souvent nous lui prenons "
Par Jean Nakos
Il
faut ajouter enfin un trait singulier, si singulier qu’il lui est absolument
propre et à elle seule : c’est qu’elle détruit, sans jamais avoir l’air
d’y toucher, les frontières entre les règnes, je veux dire entre le végétal,
l’animal et l’humain. Nous sommes du même sang (ou de la même glaise). Elle
seule ne l’oublie jamais.
On
entend souvent dire que les défenseurs des animaux et des droits de ces
derniers sont des citadins sentimentaux, ignorants des réalités de la nature et
de la vie rurale. Pourtant il est frappant de constater que trois des plus
célèbres défenseurs français des animaux, Albert Schweitzer, Théodore Monod et
Marguerite Yourcenar, ont grandi à la campagne et ont passé toute leur
existence ou une grande partie de celle-ci à proximité de la nature et des
animaux1.
Marguerite
Yourcenar reconnaissait volontiers que ses plus forts souvenirs étaient ceux du
Mont-Noir2,
car c’était là qu’elle avait appris à aimer la nature et les animaux :
Mais
il ne faut pas s’attendre à la voir idéaliser la vie rurale. Lucide, dans
plusieurs de ses textes, elle décrit la réalité sans l’embellir. Par
exemple :
Mais
qui est cette écrivaine (première femme élue à l’Académie française) qui
dénonce la chasse, l’abattage des vaches laitières, et beaucoup d’autres choses
comme nous le verrons plus loin ? Qui est cette écrivaine qui ose écrire
que l’exécution des lions des fosses du Louvre à coups d’arquebuse – par ordre
du roi qui s’était vu en rêve déchiré par des fauves – était un « crime
assurément plus atroce que la nécessaire liquidation des Guises7 » ?
Qui est celle qui consacre trois pages sur les animaux dans l’œuvre de Selma
Lagerlöf dans son essai critique « Selma Lagerlöf , conteuse épique8 » ?
Que pense-t-elle ? Que croit-elle ?
Marguerite
Yourcenar est le fruit du Mont-Noir de son enfance et de la symbiose, facilitée
par son père (qui n’était pas chasseur), avec la nature et les animaux. Ce
fruit a mûri lentement, aidé par des recherches personnelles, intellectuelles
et spirituelles continues. C’est vers 1941 qu’elle commence à se placer dans la
perspective de l’universel. Elle-même qualifie ce pas comme un « passage
de l’archéologie à la géologie, de la méditation sur l’homme à la méditation
sur la terre9 ».
Oui,
mais elle qui disait que « saint François d’Assise est notre maître à tous11 », fustigeait
en même temps l’intransigeance et le dogmatisme des Églises chrétiennes12 (et
aussi des autres religions dites monothéistes). Et elle précisait :
Marguerite
Yourcenar, adversaire de tous les dogmatismes, est donc pour la solidarité et
la compassion entre les humains, contre la guerre, contre la torture, contre le
racisme, pour le respect et la compassion envers nos frères les animaux, pour
le respect envers les végétaux qu’elle appelle créatures végétales ou créatures
vertes, pour le respect et la sauvegarde de la nature, contre le nucléaire,
contre le productivisme, contre la consommation irresponsable. Elle qualifiait
notre société de « société de consommation et de destruction14 ».
Installée
aux États-Unis, où elle a passé la moitié de sa vie, Marguerite Yourcenar a été
très anti-Nixon et très anti-Reagan. Avec sa lucidité ordinaire, elle a même
prévu l’arrivée future au pouvoir d’un président du type de George W. Bush.
Militante pacifiste, elle a pris part aux manifestations contre la guerre au
Vietnam (à cette époque elle approchait la septantaine). Membre de nombreuses
organisations et collectifs humanitaires, pacifistes, écologiques,
antiracistes, de protection de la nature, de protection des consommateurs,
etc., elle militait aussi pour les droits des animaux. Elle a été parmi les
premiers à avoir alerté l’opinion publique au sujet de la chasse aux phoques
nouveau-nés. Le 3 mars 1969, le journal Le Monde publiait une
lettre d’elle dénonçant cette atrocité. La même année, Brian Davies, un des
pionniers de l’opposition internationale à la chasse aux phoques, fondait
l’IFAW (International Fund for Animal Welfare) qui devint l’une des plus
importantes organisations de défense des animaux au niveau mondial.
Malgré
son militantisme avéré, Yourcenar se jugeait inapte pour l’action directe :
Apte
ou inapte pour l’action directe, Yourcenar est, en tout cas, un des écrivains
les plus prolifiques en ce qui concerne la cause des animaux.
« Qui
sait si l’âme des bêtes va en bas18 ? »
est le titre (tiré de l’Ecclésiaste 3.21) d’une conférence qu’elle a donnée le
8 avril 1981, à Lisbonne, à la Fondation Gulbekian et dont le texte a paru la
même année en traduction portugaise.
Estimant
que toute l’histoire est une perpétuelle infraction à la loi « Tu ne
tueras pas », Yourcenar conclut :
Au
moment où l’on apprend (7 septembre 2010) la nouvelle du massacre de milliers
d’oiseaux, dont beaucoup de migrateurs, par des braconniers dans une lagune
réserve naturelle près d’Amalias (Péloponnèse) en Grèce, ainsi que celle de la
battue aux pigeons à Albi, dans le Tarn, on apprécie la fermeté du discours,
toujours actuel, de la grande écrivaine lors de ses entretiens avec Matthieu
Galey21 :
Je me dis souvent que si nous n’avions pas accepté, depuis des
générations, de voir étouffer les animaux dans des wagons à bestiaux, ou s’y
briser les pattes comme il arrive à tant de vaches ou de chevaux, envoyés à
l’abattoir dans des conditions absolument inhumaines, personne, pas même les
soldats chargés de les convoyer, n’auraient supporté les wagons plombés des
années 1940-1945. Si nous étions capables d’entendre le hurlement des bêtes
prises à la trappe (toujours pour leurs fourrures) et se rongeant les pattes
pour essayer d’échapper, nous ferions sans doute plus attention à l’immense et
dérisoire détresse des prisonniers de droit commun [...] Et sous les splendides
couleurs de l’automne, quand je vois sortir de sa voiture, à la lisière d’un
bois pour s’épargner la peine de marcher, un individu chaudement enveloppé dans
un vêtement imperméable avec une « pint » de whisky dans la poche du
pantalon et une carabine à lunette pour mieux épier les animaux dont il
rapportera le soir la dépouille sanglante, attachée sur son capot, je me dis
que ce brave homme, peut-être bon mari, bon père ou bon fils, se prépare sans
le savoir aux « Mylaï » [village vietnamien dont la population
fut massacrée par un détachement américain]. En tout cas, ce n’est plus un
« homo sapiens ».
Ailleurs,
Yourcenar affirme qu’un animal est une personne, sans craindre d’aller à
l’encontre de ce qui est communément admis en Occident. Cela est dit à propos
du basset Trier, le chien de sa défunte mère (elle est décédée peu après la
naissance de Marguerite). Trier est, sauf erreur, l’animal le plus mentionné
dans le triptyque Le Labyrinthe du monde et dans son œuvre
écrite en général. L’écrivaine affirme, au moins deux fois, que Trier est une
personne22.
Quand
on lui posait la question : pourquoi cet intérêt pour les animaux ?
Yourcenar, qui disait ne pas voir de grande différence entre le chagrin qui lui
causait la mort ou le départ d’un être humain cher et ceux d’un de ses animaux23, répondait :
Ce
dernier point est d’une importance particulière pour Marguerite Yourcenar. Elle
écrit :
À
cause de cette vision, certaines pages des trois livres de la saga
familiale Le Labyrinthe du monde prennent l’allure de
réquisitoire antispéciste (mais aussi pacifiste, anti-torture, antiraciste,
écologique, anti-productiviste, solidaire etc.) stigmatisant le commerce
d’ivoire, l’élevage des animaux de boucherie, la chasse, le piégeage des
animaux, la vivisection, le port de fourrures et autres « crimes »
que l’homme, « le prédateur-roi, le bûcheron des bêtes et l’assassin des
arbres27 »
a commis contre les animaux. Et en parlant des dauphins, elle dit :
D’autres
écrits de Marguerite Yourcenar sont le résultat de cette vision ou tirent
bénéfice de celle-ci. C’est le cas de son essai critique sur Selma Lagerlöf
(voir note 8). C’est notamment le cas de l’essai critique sur Les
Tragiques d’Agrippa d’Aubigné, le grand père de Mme de Maintenon29.
Il y en a beaucoup d’autres et surtout L’Œuvre au noir, son roman
majeur.
Notes :
1. Il est intéressant de noter que
Théodore Monod et Marguerite Yourcenar faisaient partie du Comité d’honneur de
la Ligue française des droits de l’animal, aujourd’hui « Fondation Droit
animal, Éthique et Sciences », 30, rue Claude Bernard, 75005 Paris, tél.
01 47 07 98 99.
2. Château, aujourd’hui disparu,
campagnard, près de Bailleul, dans le Nord, propriété de la famille Cleenewerck
de Crayencour – Yourcenar est un pseudonyme, anagramme de Crayencour – où elle
a vécu jusqu’à l’âge de neuf ans. Le domaine avait des fermes et une écurie de
chevaux. Il y avait aussi un maréchal-ferrant que le père de Marguerite aidait
parfois à ferrer les chevaux en présence de l’enfant.
3. Marguerite Yourcenar, Les
yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey, Éd. du Centurion,
1980 ; Livre de Poche, 1982, p.20.
5. Josyane Savigneau, Marguerite
Yourcenar : l’invention d’une vie, Gallimard, 1990, 1993, p. 285- 286.
7. Marguerite Yourcenar, « Ah,
mon beau château », in Sous bénéfice d’inventaire, Gallimard,
1962, 1978, folio/Essais 1988, p. 100.
13. Les yeux ouverts, op.cit.,
p.313. Il est étrange que Marguerite Yourcenar ne mentionne pas le jaïnisme qui
est pourtant la sagesse asiatique la plus respectueuse de l’homme, de l’animal
et de la nature. Cf. Jean Nakos, « Le jaïnisme et les animaux », Cahiers
antispécistes n° 32, mars 2010, p 53-63.
15. Matthieu Galey, « C’est
une reine Yourcenar », Réalités n° 345, octobre
1974, p. 70-75, cité par Josyane Savigneau, op.cit., p.555.
16. Marguerite Yourcenar,
« Une civilisation à cloisons étanches », in Le Temps, ce
grand sculpteur, Gallimard 1983/ folio 1991, p. 193, 194, 195.
17. Marguerite Yourcenar,
Marguerite Yourcenar, « Bêtes à fourrures », in Le Temps, ce
grand sculpteur, op. cit., p. 91, 92, 93.
Les chiens distinguent mots et intonations… comme les humains
RépondreSupprimerhttp://www.lemonde.fr/biodiversite/article/2016/08/31/les-chiens-distinguent-mots-et-intonations-comme-les-humains_4990249_1652692.html
Marguerite Yourcenar : Est-ce que l'âme des animaux va en bas !
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=KXHe6HxqwZc&feature=share&fbclid=IwAR34ZP0LHORFtE9tD_d1akO4FHJfXSWX7euuYdoBmYsvAMgnbMO-npzua78
https://www.youtube.com/watch?v=XaHZT76ibsU&feature=share&fbclid=IwAR08pnKNXUUJONRYQYQUjM-7fl7NV88RRiEvd-FnuMtOEL5OPrXh_4tZ0CM
DES OISEAUX EPOUSTOUFLANTS !
RépondreSupprimerhttps://www.facebook.com/jpderuelle/videos/10158692158232357/
POURQUOI LA CONSCIENCE SERAIT-ELLE LE PROPRE DE L'HOMME ?
RépondreSupprimerLa "sentience animale" renvoie à une notion bien précise selon laquelle les animaux sont des êtres vivants capables de ressentir des émotions, la douleur, le bien-être; et à percevoir de façon subjective son environnement et ses expériences de vie".
https://www.midilibre.fr/2024/05/29/quest-ce-que-la-sentience-animale-ou-le-fait-de-reconnaitre-des-animaux-comme-des-etres-doues-de-conscience-11980766.php?fbclid=IwZXh0bgNhZW0CMTEAAR3q4TLAwRn5HisTwMl8-kom4J6DS70_nyx-OKBsw84LtTUGJ6g59MwzAkI_aem_AcT1WFGDfJe-tcUY_cBdOLOq2UJm6QlKqMTxhy4ECZn1r2tP_QrekPFOmZOZH72wG0wTkLZeCEDNALUXsPD_HyPr