M.A.B.A.
Directeur de recherches archéologiques
et historiques à l’Institut national du patrimoine
Directeur de recherches archéologiques
et historiques à l’Institut national du patrimoine
Pris dans la vertigineuse actualité qui
caractérise la Tunisie depuis décembre 2010, les Tunisiens n’auront peut-être
pas remarqué que les événements majeurs et les décisions cruciales
d’aujourd’hui ont eu et continue d’avoir pour théâtre deux monuments
emblématiques de l’ancienneté de l’Etat dans notre pays : le Bardo et Dar
el Bey.
Le premier fut, depuis l’émirat hafside
(XIIIe-XVIes.), tour à tour résidence royale, siège officiel de la dynastie
deux fois centenaire des beys et premier musée national ; siège de la première
Assemblée constituante (1956), de l’Assemblée nationale, de la Chambre des
députés puis, en 2011, de la deuxième Assemblée constituante et, depuis novembre
2014, de l’Assemblée des représentants du peuple.
Quant à Dar el Bey (connu aussi, jadis, sous le nom officiel de Sarayet
el mamlaka, ou plus rarement de Dar Hammouda pacha et Dar- al Kasbah), il
n’est pas en reste, puisque dès le XVIIe siècle, il n’a cessé d’incarner dans
la médina de Tunis la présence du pouvoir central. D’abord comme résidence des
beys mouradites (XVIIe siècle) puis, malgré leur préférence pour Le Bardo,
comme symbole de la présence des beys husseïnites (1705-1957) dans leur
capitale. En 1882, Dar el Bey devient le siège du premier ministère, fonction
qu’il continue de remplir aujourd’hui.
Les
origines
La fondation du palais est attribuée à Hammouda Pacha (1631-1663), le plus
illustre des beys de la dynastie mouradite. Il n’est cependant pas exclu que
celui-ci ait ordonné l’agrandissement et l’embellissement d’une résidence déjà
existante. En effet, son contemporain et un de ses grands prédécesseurs à la
tête du pays, Youssef Dey (1611-1637), avait entrepris un vaste programme
d’aménagement urbain à proximité des souks et de la citadelle (connue sous le
nom de Kasbah) dont sortirent de nouveaux souks, sa belle mosquée, sa médersa
(lieu d’enseignement et d’hébergement pour étudiants). Il paraît donc difficile
qu’il n’ait pas songé à utiliser ou à réaménager le vaste périmètre sur lequel
est bâti aujourd’hui le palais du gouvernement. Toujours est-il que Dar el Bey
est associé au bey Hammouda le Mouradite. Quant à l’extension du palais et
l’édification de l’étage, elle est l’œuvre de son homonyme et lointain
successeur Hammouda pacha le Husseïnite (1782-1814). Plus tard, des travaux de
restauration, d’embellissement, d’agrandissement furent entrepris sous les
règnes des beys Ahmed et Sadok au XIXe siècle.
Architecture et décor
Dar el Bey est conçu selon le modèle traditionnel des demeures tunisoises
dont les éléments essentiels sont la driba, les vestibules en chicane,
le (ou les patios selon l’importance de l’édifice) et les salles de plan
cruciforme. Le décor était, à l’origine, conforme au style en vigueur dans la
Tunisie des XVIIe et XVIIIe siècles, c’est-à-dire élégant et sobre : emploi de
matériaux locaux comme le calcaire (notamment dans le superbe patio à double
portique à colonnes en kadhel) et de céramique fabriquée par les
artisans potiers de Tunis (Qallaline), plafonds sculptés conformément
aux canons de l’art islamique classique tels que les motifs à dominante
géométrique connus en Andalousie sous le nom d’artesonados, la sculpture
sur plâtre (naqsh hdida) ou encore les incrustations de céramique ou de
pierre couvrant les murs.
Plus tard, à l’initiative des beys Hussein II, Ahmed et Sadok, une
décoration plus riche et davantage marquée par les influences européennes fut
réalisée à l’intérieur du palais comme l’attestent les plafonds peints à décor
floral et végétal, ou bien encore les carreaux de céramique de facture
italienne ou espagnole, par exemple. Ces modifications correspondaient à une
évolution du goût de l’aristocratie tunisienne du XIXe siècle, séduite, comme à
Istanbul, par le modèle italien. La même évolution toucha le mobilier de Dar el
Bey, tout comme celui du Bardo et des résidences de Tunis et de ses environs.
Dar el Bey, constitue, de ce fait, un bel exemple de synthèse réussie entre
deux styles et deux cultures, l’orientale et l’occidentale. Ce mélange
harmonieux a été malheureusement gâté en divers endroits du palais à cause des
extensions architecturalement médiocres, opérées dans l’urgence sous le
protectorat puis dans les premières années de l’Indépendance.
Comme toutes les grandes demeures, Dar el Bey comportait, bien sûr, des
dépendances et de communs (cuisines, logements annexes, écuries). En outre, des
magasins situés dans le corps même du palais, ou bien en face, dans le souk el
bey, étaient loués à des commerçants et leurs revenus reversés à une fondation habous
ou wakf, créée, comme c’était l’usage, dans le but d’assurer l’entretien
de l’édifice.
Affectations
de Dar el Bey
Symbole architectural du pouvoir des beys dans la
médina, Dar el Bey n’était cependant pas occupé à temps plein par les
souverains. Les beys mouradites et surtout leurs successeurs husseïnites
préférèrent ostensiblement le séjour au Bardo. Non pas pour prendre leurs
distances par rapport à la population comme on a pu le croire, mais
principalement pour se distinguer (et se protéger) des autorités
politico-militaires comme le dey ou le Divan (Conseil de commandement) des
janissaires qui résidaient dans la Kasbah (Cette citadelle construite au
XIIIe siècle par les émirs hafsides puis transformée en caserne française sous
le protectorat a été démolie — à l’exception de la mosquée et de certaines
parties des remparts — sur décision du gouvernement tunisien à la fin des
années 1950. Elle occupait le quadrilatère de l’esplanade de l’Hôtel de Ville
et alentours).
Aussi, Dar el Bey, en dépit de l’existence d’une salle du trône, n’accueillait-il les chefs du pays qu’en de rares circonstances. Le palais accueillait ainsi — quoique de manière irrégulière — la cérémonie bihebdomadaire du sceau, durant laquelle, les lundis et jeudis, le premier ministre soumettait à l’approbation du monarque les projets de décrets. Il arrivait cependant que cette cérémonie se tînt plus commodément dans le lieu de résidence du souverain, à La Marsa, par exemple, ou encore Hammam-Lif ou Carthage.
A partir du règne d’Ahmed pacha (1837-1855), Dar el Bey s’animait lors de la célébration du Mouled (anniversaire du prophéte) et de la Nuit du 27 ramadhan, lorsque le monarque, à l’occasion d’une visite solennelle à la grande mosquée de la Zitouna, se rendait à son palais de Tunis y organisait un banquet et y passait la nuit.
Aussi, Dar el Bey, en dépit de l’existence d’une salle du trône, n’accueillait-il les chefs du pays qu’en de rares circonstances. Le palais accueillait ainsi — quoique de manière irrégulière — la cérémonie bihebdomadaire du sceau, durant laquelle, les lundis et jeudis, le premier ministre soumettait à l’approbation du monarque les projets de décrets. Il arrivait cependant que cette cérémonie se tînt plus commodément dans le lieu de résidence du souverain, à La Marsa, par exemple, ou encore Hammam-Lif ou Carthage.
A partir du règne d’Ahmed pacha (1837-1855), Dar el Bey s’animait lors de la célébration du Mouled (anniversaire du prophéte) et de la Nuit du 27 ramadhan, lorsque le monarque, à l’occasion d’une visite solennelle à la grande mosquée de la Zitouna, se rendait à son palais de Tunis y organisait un banquet et y passait la nuit.
Les deux autres moments forts étaient constitués par
la réception des deux Aïds lorsque le bey — après les trois jours de cérémonies
officielles au Bardo — se rendait à Tunis pour y recevoir, à Dar el Bey, les
vœux de la population.
Souvent disponible, Dar el Bey servait, de ce fait, à
l’accueil des visiteurs de marque. C’est ainsi qu’en 1816, Caroline de
Brunswick, épouse du roi d’Angleterre George IV, et en 1845, le duc de
Montpensier, fils du roi Louis-Philippe, puis, plus tard, ses frères, le prince
de Joinville et le duc d’Aumale y furent tour à tour logés. En 1860-61, le
prince Napoléon (cousin de l’empereur Napoléon III), le prince de Galles, le
prince héritier d’Allemagne Frédéric, et Humbert, futur roi d’Italie,
séjournèrent à Dar el Bey. Des hauts dignitaires ottomans, envoyés spéciaux du
sultan, y furent également accueillis. Tous ces grands personnages jouissaient
dans ce palais du confort et de l’apparat conformes à leur rang et à
l’hospitalité tunisienne.
La première décision relative à
l’affectation du palais beylical de Tunis à des institutions de l’Etat remonte
à l’ère des réformes du Pacte fondamental de1857 et de la Constitution de 1861
lorsqu’une salle du palais fut réservée au Majliss al akbar ou Grand
Conseil, sorte de haute assemblée consultative. C’est de cette époque, plus
précisément sous le règne de Sadok Bey (1859-1882), que date l’installation
d’un trône beylical dans ce palais.
A ce propos, il convient de signaler qu’auparavant, la municipalité de Tunis fut installée temporairement dans une partie du Dar el Bey, après qu’elle eut quitté Dar Husseïn où elle s’était initialement établie, à sa création en 1858.
Dans un tout autre registre, Dar el Bey rendit encore d’éminents services à un Etat beylical soucieux d’introduire des réformes dans différents domaines. Ainsi, en 1875, lorsque le collège Sadikii premier établissement d’enseignement moderne, fut créé à l’initiative du ministre réformateur Khérédine, on décida que les examens se tiendraient à Dar el Bey. Plus tard, on fit de même, pendant quelques temps pour l’examen final de l’enseignement de la grande mosquée Zitouna. La présence des plus hautes autorités universitaires et du Premier ministre lui-même ajoutait à la solennité de l’événement, ce qui ne devait pas manquer d’impressionner les jeunes élèves !
A ce propos, il convient de signaler qu’auparavant, la municipalité de Tunis fut installée temporairement dans une partie du Dar el Bey, après qu’elle eut quitté Dar Husseïn où elle s’était initialement établie, à sa création en 1858.
Dans un tout autre registre, Dar el Bey rendit encore d’éminents services à un Etat beylical soucieux d’introduire des réformes dans différents domaines. Ainsi, en 1875, lorsque le collège Sadikii premier établissement d’enseignement moderne, fut créé à l’initiative du ministre réformateur Khérédine, on décida que les examens se tiendraient à Dar el Bey. Plus tard, on fit de même, pendant quelques temps pour l’examen final de l’enseignement de la grande mosquée Zitouna. La présence des plus hautes autorités universitaires et du Premier ministre lui-même ajoutait à la solennité de l’événement, ce qui ne devait pas manquer d’impressionner les jeunes élèves !
Le
siège du gouvernement
A partir de 1882, le Premier ministère et
l’administration centrale et régionale (dont le principal département était la
«Section d’Etat» - al Qism al awwal - qui, jusque-là étaient au Bardo,
furent installés à Dar el Bey. La chancellerie beylicale dirigée par le bash-kateb,
wazir al qalam (ministre de la Plume) fut également transférée dans ce
palais. L’inauguration des nouveaux services fut faite par Ali Bey en mars
1883. Plus tard, au cours du XXe siècle, certains ministères nouvellement créés
vinrent augmenter le nombre de services administratifs à Dar el bey, comme le
ministère du Travail, l’éphémère ministère des habous, ou,
temporairement, le ministère des Affaires sociales.
Institution typique du protectorat, le Secrétariat général du gouvernement, créé en 1883 et dirigé par un haut fonctionnaire français, eut également ses bureaux au Dar el Bey. D’autres services administratifs furent installés au cours du XXe siècle dans ce palais devenu ainsi le centre de décision de l’Etat tunisien et de contrôle de cet Etat par les autorités coloniales : on y trouvait la Direction de la sûreté qui y resterait jusqu’à l’édification, à la fin des années 1950, du bâtiment de l’avenue Jules-Ferry (aujourd’hui ministère de l’Intérieur, avenue Habib-Bourguiba). Citons aussi les Archives générales du gouvernement tunisien (AGGT) dont la salle de lecture fut curieusement installée, longtemps, au beau milieu du splendide tombeau familial du dey Ahmed Khodja (XVIIes.), incorporé au palais, sans doute à la suite de travaux d’extension. L’imprimerie officielle, créée en 1860 et logée elle aussi à Dar el Bey, fut, pour sa part, installée dans les anciennes écuries du palais.
Institution typique du protectorat, le Secrétariat général du gouvernement, créé en 1883 et dirigé par un haut fonctionnaire français, eut également ses bureaux au Dar el Bey. D’autres services administratifs furent installés au cours du XXe siècle dans ce palais devenu ainsi le centre de décision de l’Etat tunisien et de contrôle de cet Etat par les autorités coloniales : on y trouvait la Direction de la sûreté qui y resterait jusqu’à l’édification, à la fin des années 1950, du bâtiment de l’avenue Jules-Ferry (aujourd’hui ministère de l’Intérieur, avenue Habib-Bourguiba). Citons aussi les Archives générales du gouvernement tunisien (AGGT) dont la salle de lecture fut curieusement installée, longtemps, au beau milieu du splendide tombeau familial du dey Ahmed Khodja (XVIIes.), incorporé au palais, sans doute à la suite de travaux d’extension. L’imprimerie officielle, créée en 1860 et logée elle aussi à Dar el Bey, fut, pour sa part, installée dans les anciennes écuries du palais.
A l’indépendance, en 1956, Habib Bourguiba, nommé, en
avril de la même année, par Lamine Bey, Premier ministre et président du
conseil, perpétua la tradition et même lorsqu’il devint président de la
République en 1957, il continua de travailler au Dar el Bey, jusqu’à 1963, date
à laquelle il installa ses bureaux au palais de Carthage. De sorte que les
grandes décisions historiques telles que l’abolition des habous, la
réforme de la justice, le Code du statut personnel furent prises au Dar el Bey.
Siège du Premier ministère, Dar el Bey abrita
également le ministère des Affaires étrangères. On y trouvait aussi le
ministère de l’Intérieur (on disait alors secrétariat d’Etat à l’Intérieur) qui
y resta jusqu’en 1965, date à laquelle il emménagea dans le bâtiment actuel
situé à l’avenue Bourguiba.
A l’heure actuelle, Dar el Bey abrite toujours le Premier ministère, ainsi
que certaines administrations qui relèvent de son autorité directe comme le
Mufti de la République et la Fonction publique. Outre, l’usage — déjà ancien —
de la réunion des conseils interministériels se tient aussi, de nouveau depuis
le protectorat et les premières années de la République tunisienne, dans ce
palais presque quatre fois centenaire, le Conseil des ministres.
Lire et voir aussi :
Palais de Carthage : visite virtuelle
Voyage au cœur du Dar el Bey Palais du gouvernement, la Kasbah Tunis
Présidence du gouvernement: Organisation des services centraux et 12 établissements et institutions en galaxie
Premier ministère : D’illustres grands commis de l’Etat
Présidence du gouvernement : Le cœur battant de l’exécutif, avec très peu de moyens
Ksar Saïd, devenu musée
Palais de Carthage : visite virtuelle
Voyage au cœur du Dar el Bey Palais du gouvernement, la Kasbah Tunis
Présidence du gouvernement: Organisation des services centraux et 12 établissements et institutions en galaxie
Premier ministère : D’illustres grands commis de l’Etat
Présidence du gouvernement : Le cœur battant de l’exécutif, avec très peu de moyens
Ksar Saïd, devenu musée
KSAR SAID : UNE RESTAURATION RÉUSSIE !
RépondreSupprimerSuivez le guide en visite virtuelle : MAGNIFIQUE !!
https://mpembed.com/show/?m=o1ygtb9xhfV©right=MOOVIN%20360%C2%B0&fbclid=IwAR1VxPbuxIg8i6YBWH9JFqRGjSU4W-_yTDUpQaTiDKAL6xdjrzqXqV24Ylc
Les terres agricoles d'Ennfidha, ex terres de Bey accordées à Khair-Eddine Pacha qui les a du les céder à la Société marseillaise de crédit ...
RépondreSupprimerhttps://ultratunisia.ultrasawt.com/%D8%A7%D9%84%D8%B1%D8%B3%D9%85-%D8%A7%D9%84%D8%B9%D9%82%D8%A7%D8%B1%D9%8A-6648-%D9%87%D9%86%D8%B4%D9%8A%D8%B1-%D8%A7%D9%84%D9%86%D9%81%D9%8A%D8%B6%D8%A9-%D8%BA%D9%86%D9%8A%D9%85%D8%A9-%D8%A7%D9%84%D8%AF%D9%88%D9%84%D8%A9-%D8%B9%D8%A8%D8%B1-%D8%A7%D9%84%D8%B9%D8%B5%D9%88%D8%B1/%D9%85%D8%A7%D9%87%D8%B1-%D8%AC%D8%B9%D9%8A%D8%AF%D8%A7%D9%86/%D9%85%D8%AC%D8%AA%D9%85%D8%B9/%D8%AA%D8%AD%D9%82%DB%8C%D9%82%D8%A7%D8%AA?fbclid=IwAR0XjVkz5jpUPzekyJM1VChWQwLfk3htLQZqsWSccSW2ujKPmA35n6RHAbU
Les sites culturels et historiques à voir à la Médina de Tunis : https://www.facebook.com/marhba.tn/videos/661654804721682/
RépondreSupprimerDar Zine : https://www.facebook.com/darzyne