Il ressort de l’amnistie voulue par Bouteflika pour la réconciliation nationale, que bien que les islamistes aient perdu militairement leur guerre, ils l’ont emportée idéologiquement !
Or Béji Caïd Essebsi lui aussi veut d'une loi d'amnistie pour la réconciliation nationale ... comme si la leçon algérienne ne suffisait pas.
R.B
Le 29 septembre 2005, l’Algérie votait
par référendum une Charte pour la paix et la réconciliation nationale,
censée mettre un terme à une
décennie d’affrontements entre islamistes armés et forces de sécurité. Des violences qui ont coûté la vie à plus de
200 000 personnes. A travers cette loi d’amnistie initiée dès 1999,
le président Bouteflika s’assurait une paix au forceps, laissant de côté les
demandes de justice des victimes et de leurs
familles, et le problème posé par les victoires électorales du Front islamique
du salut (FIS) au début des années 1990, avant son interdiction.
Dix ans plus tard, des
islamistes amnistiés sont revenus sur le devant de la scène. Des victimes du
terrorisme ont manifesté le 13 septembre, à Batna, dans l’est du pays,
pour dénoncer cette
visibilité, surtout celle du médiatique Madani Mezrag. L’ancien émir de l’Armée islamique
du salut (AIS), qui ne se cache pas pour organiser des
réunions publiques, veut créer un parti et a
été reçu en juin 2014, à la présidence, dans le cadre de la révision
constitutionnelle. « Les islamistes ont bien perdu militairement,
mais ils l’ont emporté idéologiquement », déplore Anissa Zouani
Zenoune. Depuis des années, la jeune femme de 37 ans se bat contre
l’oubli, pour sa sœur Amel, tuée le 26 janvier 1997.
Comment percevez-vous le
retour d’anciens islamistes amnistiés sur le devant de la scène
algérienne ?
Après l’assassinat d’Amel, nous
avons quitté la maison pour un centre d’accueil. Nous avons tout perdu,
nous sommes devenus une autre famille, notre mode de
vie a changé, mais malgré le choc, nous sommes restés debout. Nous avons
continué à affronter le
terrorisme et j’avais un espoir énorme. Je pensais qu’après le sacrifice de ma
sœur et de milliers d’autres Algériens l’avenir nous appartiendrait. Ça n’a pas
été le cas. L’avenir appartient aux islamistes et à la mafia qui les légitime.
Maintenant ? Je ne rêve plus de rien, je suis psychologiquement épuisée.
Quelle a été votre réaction à
la loi d’amnistie, dite « Charte pour la paix et la réconciliation
nationale », adoptée en 2005 ?
Je ne pensais pas qu’elle
passerait, tant elle était injuste. Nous nous mobilisions avec les forces
démocratiques, étions nombreux dans la rue. Mais le régime a fait en sorte de
nous diviser. Le jour où la loi
a été votée, c’était fini. Je savais que les islamistes reviendraient, plus
durs encore. Dans les années 1990, le peuple n’était pas avec eux, il était
immunisé, mais ensuite…
Pourtant, ces hommes ont
assassiné, ils ont égorgé hommes, femmes, enfants, ils ont violé, éventré,
détruit l’Algérie. Et ces tueurs se sont enrichis par le sang des
innocents : ils ont construit des villas, font du commerce en toute
impunité. Le pire, c’est la manière dont la société justifie les assassinats de
nos proches. On me demande : « Pourquoi ta sœur a été
assassinée ? Ah, parce qu’elle ne portait pas le voile…
Ah, parce qu’elle étudiait… » Ces questions me tuent. A
chaque fois que je raconte comment j’ai perdu Amel, que je précise qu’elle a
été assassinée par des terroristes à l’arme blanche pour souligner l’horreur
de cette période, on me répond : « Que faisait-elle ?
Que faisait ton père dans la vie ? Et ta mère ? » Tout
cela pour trouver une raison
objective à son assassinat.
Qui vous pose ces
questions ?
Tout le monde,
parfois même des enseignants, des médecins, des intellectuels… S’il est vrai
que les islamistes n’ont pas gagné militairement, ils l’ont emporté
idéologiquement. Après tant de victimes de l’obscurantisme, nous sommes
arrivés, en 2015, à menacer les femmes
qui sortent pendant le ramadan sans hijab… Des imams radicaux se livrent à des
prêches rétrogrades à la télévision.
Vous visez notamment Madani
Mezrag, émir connu de l’Armée islamique du salut.
Oui. Or,
que dit « la loi de la honte », comme l’appelait ma mère ? Elle
dit que l’on va pardonner aux
militants qui n’ont pas les mains « tachées par le sang ». Cet émir a
avoué dans les médias avoir tué un
militaire. Elles sont tachées de quoi, ses mains ?
Et pourtant, il a été reçu comme un prince à la présidence de la République. Ma
mère, lorsqu’elle l’a vu à la télévision, est tombée malade. Elle m’a prévenue
qu’elle n’y survivrait pas (elle est morte en novembre 2014). Les terroristes
ont assassiné Amel physiquement, puis la loi nous a assassinés
psychologiquement. Mais ma mère nous disait toujours qu’il fallait préserver la
mémoire, continuer à parler et ne pas
les laisser falsifier l’histoire.
Beaucoup de familles de
victimes ont pourtant soutenu la loi. Les comprenez-vous ?
La plupart des victimes du
terrorisme défendent Bouteflika et la réconciliation, car ils disent ne
plus vouloir de morts. Qui
est contre la paix ? Nous n’avons jamais demandé d’autres morts, mais une
justice. Je suis devenue plus rancunière depuis la réconciliation. J’en veux à
toute cette société sans réaction… Je connais une mère dont les enfants ont été
tués à Bentalha (l’un des pires massacres, commis en septembre 1997, qui a
fait de 200 à 400 victimes). Qu’est-ce qu’ils ont fait pour elle ?
Ils l’ont envoyée faire le pèlerinage à
La Mecque. Ensuite, ils lui ont donné une petite pension. Elle ne comprend
pas que c’est un droit. Il y en a beaucoup comme elle.
Propos
recueillis par Fahim Djebara
Lire aussi : En Algérie, les
islamistes radicaux à l’air libre
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