" La vieillesse doit
être traitée plus tendrement. "
Montaigne
" Dans chaque vieux, il y a
un jeune qui se demande ce qu’il s’est passé."
Groucho Marx
Bernard Pivot
Vieillir, c’est chiant. J’aurais pu dire : vieillir, c’est désolant, c’est insupportable, c’est douloureux, c’est horrible, c’est déprimant, c’est mortel.
Mais j’ai préféré « chiant » parce que c’est un adjectif vigoureux qui ne fait pas triste.
Vieillir, c’est chiant parce qu’on ne sait pas quand ça a commencé et l’on sait encore moins quand ça finira.
Non, ce n’est pas vrai qu’on vieillit dès notre naissance.
On a été longtemps si frais, si jeune, si appétissant.
On était bien dans sa peau.
On se sentait conquérant. Invulnérable. La vie devant soi. Même à cinquante ans, c’était encore très bien. Même à soixante. Si, si, je vous assure, j’étais encore plein de muscles, de projets, de désirs, de flamme.
Je le suis toujours, mais voilà, entre-temps j’ai vu le regard des jeunes, des hommes et des femmes dans la force de l’âge qu’ils ne me considéraient plus comme un des leurs, même apparenté, même à la marge. J’ai lu dans leurs yeux qu’ils n’auraient plus jamais d’indulgence à mon égard. Qu’ils seraient polis, déférents, louangeurs, mais impitoyables.
Sans m’en rendre compte, j’étais entré dans l’apartheid de l’âge. Le plus terrible est venu des dédicaces des écrivains, surtout des débutants. “Avec respect”, “En hommage respectueux”, “Avec mes sentiments très respectueux”. Les salauds !
Ils croyaient probablement me faire plaisir en décapuchonnant leur stylo plein de respect ? Les cons ! Et du « cher Monsieur Pivot » long et solennel comme une citation à l’ordre des Arts et Lettres qui vous fiche dix ans de plus !
Un jour, dans le métro, c’était la première fois, une jeune fille s’est levée pour me donner sa place. J’ai failli la gifler. Puis la priant de se rasseoir, je lui ai demandé si je faisais vraiment vieux, si je lui étais apparu fatigué.
- " Non, non, pas du tout, a-t-elle répondu, embarrassée. J’ai pensé que "...
- Moi aussitôt : " Vous pensiez que..." ?
- " Je pensais, je ne sais pas, je ne sais plus, que ça vous ferait plaisir de vous asseoir ".
- " Parce que j’ai les cheveux blancs " ?
- " Non, c’est pas ça, je vous ai vu debout et comme vous êtes plus âgé que moi, ça été un réflexe, je me suis levée "...
- " Je parais beaucoup beaucoup plus âgé que vous " ?
- " Non, oui, enfin un peu, mais ce n’est pas une question d’âge "...
- " Une question de quoi, alors ? "
- " Je ne sais pas, une question de politesse, enfin je crois ”...»
J’ai arrêté de la taquiner, je l’ai remerciée de son geste généreux et l’ai accompagnée à la station où elle descendait pour lui offrir un verre.
Lutter contre le vieillissement c’est, dans la mesure du possible, ne renoncer à rien. Ni au travail, ni aux voyages, ni aux spectacles, ni aux livres, ni à la gourmandise, ni à l’amour, ni au rêve.
Rêver, c’est se souvenir tant qu’à faire, des heures exquises. C’est penser aux jolis rendez-vous qui nous attendent. C’est laisser son esprit vagabonder entre le désir et l’utopie.
La musique est un puissant excitant du rêve. La musique est une drogue douce. J’aimerais mourir, rêveur, dans un fauteuil en écoutant soit l’adagio du Concerto no 23 en la majeur de Mozart, soit, du même, l’andante de son Concerto no 21 en ut majeur, musiques au bout desquelles se révéleront à mes yeux pas même étonnés les paysages sublimes de l’au-delà.
Mais Mozart et moi ne sommes pas pressés.
Nous allons prendre notre temps. Avec l’âge le temps passe, soit trop vite, soit trop lentement. Nous ignorons à combien se monte encore notre capital. En années ? En mois ? En jours ? Non, il ne faut pas considérer le temps qui nous reste comme un capital. Mais comme un usufruit dont, tant que nous en sommes capables, il faut jouir sans modération. Après nous, le déluge ? Non, Mozart.
Voilà, ceci est bien écrit, mais cela est le lot de tous, nous vieillissons !...
Bien ou mal, mais le poids des ans donne de son joug au quotidien.
Vieillir, la plus grande injustice parce que l’on en n’est pas responsable et, en même temps, la plus grande justice car aucune femme et aucun homme n’y échappent !
Extrait du livre « Les mots de la vie », de Bernard Pivot
Le Mythe de Sisyphe - Camus
RépondreSupprimer"Un jour vient pourtant et l'homme constate ou dit qu'il a trente ans. Il affirme ainsi sa jeunesse. Mais du même coup, il se situe par rapport au temps. Il y prend sa place. Il reconnaît qu'il est à un certain moment d'une courbe qu'il confesse devoir parcourir. Il appartient au temps et, à cette horreur qui le saisit, il y reconnaît son pire ennemi. Demain, il souhaitait demain, quand tout lui-même aurait dû s'y refuser. Cette révolte de la chair, c'est l'absurde."
Très belle description en profondeur de la vieillesse et ses démons.
RépondreSupprimerZakaria Bouker :
RépondreSupprimerDES ÊTRES.
J’en ai vu naître ,
Pousser et grandir
J’en ai vu d’autres
…Vieillir et partir
Le temps use le temps
Il est temps de mûrir
J’ai approché les meilleurs
J’ai honni les pires
J’ai connu des vertes
J’ai goûté aux pas mûres
J’ai franchi des lisières
J’ai foulé la verdure
J’ai caressé des sommets
Et rasé quelques murs
Le temps use le temps
Il est temps de le dire
J’ai découvert des saveurs
J’ai aimé sans désir
J’ai fait bien des corvées
Et partagé des plaisirs
J’ai aimé comme un fou
J’ai vu choir des amours
J’ai donné de ma vie
Sans espérer un retour
J’ai pris chez mon prochain
L’interdit à pâlir
J’ai habité le mépris
J’ai souvenance de mon ire
Le temps use le temps
Il est temps de l’écrire
J’ai bravé des rudesses
Comme j’ai choisi de les fuir
J’ai connu la jeunesse
J’ai joui des plaisirs
Le temps use le temps
Il est temps de me lire
J’ai rêvé de gloire
J’ai sombré en ternissure
J’ai chassé bien des leurres
J’ai travaillé assez dur
Le temps use le temps
Il est temps de finir
J’ai appris des leçons
Et donné bien des cours
J’ai écouté des sagesses
Et prononcé des discours
Le temps use le temps
Il est temps de partir
J’ai admiré les silences
Quand je n'ai plus rien à dire
Le temps use le temps
est-ce déjà l'heure de partir ?
Non , et mille fois non
oyez oyez il faut rebondir
Le temps presse le temps
J’ai encore à vous dire
J'ai encore à vous dire
J'ai encore a vous dire
pp vous amoure
ADIEU L'ARTISTE DES BELLES LETTRES ET DE L'ESPRIT FRANCAIS ...
RépondreSupprimerMort de Bernard Pivot : l'homme qui faisait lire les Français.
(5 mai 1935 - 6 mai 2024)
https://www.francetvinfo.fr/culture/mort-de-bernard-pivot-l-homme-qui-faisait-lire-les-francais_6529196.html
22/06/1990 : La dernière d'Apostrophes | Archive INA
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=NMlQsFxkkG0
Fabrice Luchini, sa déclaration à Bernard Pivot - Vivement Dimanche 19 juin 2011
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