Il suffit de se promener dans certains quartiers
fournisseurs de "jihadistes" : des hommes repérables à leur tenues,
barbes et sceau au front, déambulent par 2 ou 3 pour approcher des bandes de
jeunes pour les inciter à rejoindre leurs mosquées ou salles de prières où un
imam autoproclamé et sa "cour de religieux", assurent leur
endoctrinement au wahhabisme et repèrent les plus influençables d'entre eux pour en
faire des jihadistes/terroristes auxquels ils promettent le paradis et les 72
houris (ces vierges, éternellement vierges). Pour les mériter, il leur faut gagner d'abord le titre
de "chahid" (martyr) en se faisant sauter en entraînant dans leur
mort celle du maximum de "kouffar" (mécréants), qu'ils soient chrétiens
ou mauvais musulmans, refusant la conversion au wahhabisme.
Et ce prosélytisme se fait au vu et su de tout le
monde. Les prosélytes, forts de leur conviction de détenir la
"Vérité", ne se cachent plus. On les rencontre souvent dans le
quartier de Belleville et de Barbaes à Paris, par exemple ! On se demande alors que font les autorités et la
police pour lutter contre le terrorisme à sa source en fermant ces lieux de
cultes/d'endoctrinement et en expulsant leurs prétendus imams !! Préfèrent-ils, comme disent les
tunisiens, lâcher les pigeons pour leur courir après ? Quant aux chercheurs et autres experts de l'islamisme, ils préfèrent parler d'islam rigoureux ou de salafisme, plutôt que de le désigner par le nom de l’obédience qui le fonde et que les pétromonarques tentent de répandre dans le monde entier : le wahhabisme.
R.B
C'est très narcissique de croire que le jihadisme en France est lié à la laïcité ou à l'urbanisme
Il
en va des théories sur la radicalisation comme des modes, à chaque saison sa
nouvelle collection. Au lendemain de l'attentat au couteau qui a fait un mort
dans le quartier de l'Opéra à Paris samedi 12 mai, certains défendent l'idée que
les terroristes seraient influencés par un environnement urbain « jihadogène »,
d'autres présentent les soldats autoproclamés de Daech comme des
« déséquilibrés » ou de simples « loups solitaires »...
Si toutes ces lectures ne sont pas
fausses et incompatibles entre elles (les terroristes parfaitement équilibrés
sont assez rares), elles ne suffisent pas à expliquer les phénomènes de passage
à l'acte chez les jeunes radicaux, souvent inspirés par un islam rigoriste (le
wahhabisme) dont l'implantation progresse en France. Hugo Micheron, chercheur à l'ENS et
spécialiste du jihadisme français, nous explique pourquoi il est urgent de
prendre ses distances avec les analyses teintées d'idéologie pour combattre
efficacement ce phénomène.
Clément Pétreault - Le Point : Où
en est le phénomène jihadiste en France ?
Hugo Micheron : Le
logiciel jihadiste consiste à démultiplier les attaques dans l'espace et dans
le temps pour nous faire croire que nous pourrions être touchés n'importe quand
et n'importe où. Mais il ne faut pas tomber dans le piège en cultivant un
sentiment de survulnérabilité. La réaction de l'État a été très puissante, des filières
ont été démantelées. L'heure est à la recomposition des forces. Sur les trente
dernières années, il y a toujours eu du jihadisme en France, simplement le
phénomène a changé d'échelle avec Daech. En Bosnie dans les années 90, il y
avait une douzaine de jihadistes français. En Irak quelques années plus tard, ils
étaient 80. Et en Syrie entre 2014 et
2016, il y avait plus de 2 000 jihadistes français...
La vraie question que l'on doit se
poser est : « Que se passe-t-il en dehors des périodes de guerre et
d'attentats ? » Comment se fait-il qu'un certain nombre de réseaux
préexistant à Daech aient été canalisés vers la Syrie lors de la proclamation
de l'État islamique ? Certains quartiers, très touchés par les départs en
Syrie, font partie d'un dispositif large et mondialisé. Il ne sera pas possible
de combattre cette logique sans un diagnostic éclairé sur la situation.
Clément Pétreault : L'approche socio-économique est trop limitée ?
Hugo Micheron : Oui. On ne
peut pas mettre de signe égal entre discrimination et jihad, c'est un discours
dangereux ! C'est très narcissique de croire que le problème est lié aux
spécificités françaises comme la laïcité ou une certaine forme d'urbanisme.
Certains croient que la laïcité serait le problème. Dans ce cas, comment
expliquer qu'il y ait eu 100 départs de Molenbeek qui, je le
rappelle, se trouve en Belgique où
la laïcité n'est pas le principe régulateur ? À l'inverse, regardez
Marseille, il n'y a eu aucun départ des quartiers nord, qui sont pourtant très
ségrégés économiquement – ce qui ne veut pas dire que la situation n'est pas
préoccupante sur place non plus. Cette explication est insatisfaisante, car
elle n'explique rien. Et si on étudie les phénomènes de départs vers la Syrie
en détail, elle ne tient pas la route. Comment expliquer que certains quartiers
ont fourni beaucoup de combattants alors que d'autres à sociologie comparable
aucun ? Le jihad n'est pas présent partout et le risque n'est pas
permanent.
En réalité, les zones touchées par
les départs sont celles où un activisme jihadiste a préparé le terrain. Tous
les pays de l'UE ont été touchés. Mais en regardant plus en détail, on remarque
que quatre pays totalisent 80 % des départs : France, Allemagne,
Grande-Bretagne et Belgique, cette dernière étant la moins touchée en nombre,
mais la plus touchée par rapport à la population totale. Regardons maintenant
plus en détail : la France a fourni 40 % des départs européens.
Tous les départements ont été touchés par des départs. Mais une quinzaine de
zones ont fourni l'essentiel des forces. En zoomant encore un peu plus, on voit
que cela s'articule à l'échelle d'un quartier, voire d'un immeuble. En fait, il
y a toujours un maillage d'individus autour d'un centre physique ou symbolique.
Clément Pétreault : Donc si on vous suit, le jihadisme
prospère effectivement sur un terreau social, mais il ne peut exister sans un
prosélytisme et des réseaux structurés ?
Hugo Micheron : Cette
forme d'activisme jhadisant existe depuis une dizaine d'années. On ne peut pas
comparer Lunel et Trappes, pourtant toutes deux surnommées « capitales du jihad »...
Trappes est une ville où la drogue est très présente, avec une faible mixité
sociale et des acteurs islamistes bien implantés comme des anciens du GIA
(Groupe islamique armé, NDLR). Lunel n'a rien à voir avec ce tableau : il s'agit
d'une ville dortoir en milieu rural. Beaucoup de combattants de
Lunel sont en réalité partis des villages alentours, villages dans lesquels ils
s'estimaient parfaitement intégrés et à l'abri du racisme, comme je l'ai
découvert auprès de certains d'entre eux en prison... Sur le plan religieux,
Trappes et Lunel n'appartiennent pas non plus aux mêmes réseaux. Contrairement
à Trappes, le salafisme est très peu présent à Lunel qui est plutôt travaillé
par les Frères musulmans et les Tablighs.
Clément Pétreault : Vous dénoncez, dites-vous, une
« lecture narcissique » de la radicalisation...
Hugo Micheron : Les
discussions sur la radicalisation butent toujours sur le même écueil : on
se persuade que tout cela n'existe qu'en France, alors que le même phénomène se
joue en Europe et dans le monde arabe. Il y a aujourd'hui une guerre
idéologique à l'intérieur de l'islam dont les musulmans sont les premières
victimes. L'approche française joue trop souvent la carte de la surpsychologisation
ou de la dérive sectaire, il est vain de dire que les attentats sont le fait de
quelques fous, alors même que Daech démontrait sa capacité d'entreprise sur ces
questions-là ! C'est une manière de ne pas vouloir analyser le problème.
Pour
comprendre ce qui se passe, il faut nous confronter à des terrains que l'on
connaît mal. Certains nous disent que l'on ne devrait pas entrer dans la
complexité de ce sujet au prétexte que cela alimenterait les mouvements
identitaires et ferait monter les tensions.
Je défends l'idée inverse. On a été
paralysé pendant quinze ans au motif que cela ferait monter l'extrême droite,
c'est absurde. La nécessité actuelle est de produire un diagnostic qui fasse
consensus. L'absence de diagnostic est précisément ce qui a poussé l'État à
bricoler des solutions absurdes comme les centres de déradicalisation pendant
les attentats.
Clément Pétreault : L'auteur de l'attentat de samedi à
Paris était d'origine tchétchène. Existe-t-il un jihadisme tchétchène ?
Hugo Micheron : Le
jihad tchétchène a été particulièrement virulent à la fin des années 90. Les jihadistes
qui faisaient la guerre contre l'armée russe se cachaient parmi la population,
qui est alors bombardée par l'aviation russe. C'est sur les ruines des Grozny
que les jihadistes tchétchènes recrutent en masse... Ils acquièrent une stature
de vétérans. Parmi les 80 Français jihadistes de retour de Syrie et
d'Irak que j'ai pu rencontrer, beaucoup racontent qu'ils ont été formés par des
jihadistes tchétchènes ou russes. Omar El Tchétchéni constituait l'équivalent
du ministre de la Défense de Daech. Les frères Kouachi fantasmaient sur le jihad
tchétchène... Car derrière la Tchétchénie, il y a l'idée d'un passé jihadiste
valeureux.
* Chercheur à l'ENS et spécialiste du djihadisme,
met en garde contre les analyses trop dogmatiques de la radicalisation.
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