dimanche 7 février 2021

Bientôt l'abrogation du concordat ?

Le concordat, cette épine dans le pied de la laïcité, devenue la brèche par laquelle les Frères musulmans veulent la détruire. L'abroger, cela couperait l'herbe sous les pieds des islamistes et autres nostalgiques de la domination de leur religion.

R.B 

"Je veux l'État chez lui et l'Église chez elle".

Victor Hugo

Henri Peña-Ruiz 

Le PS, le Concordat et la laïcité : une polémique révélatrice

Détour par l'Histoire pour comprendre ce qu'est le Concordat, avec Henri Pena-Ruiz, auteur du "Dictionnaire amoureux de la laïcité" (Plon).


Olivier Faure vient de proposer l'abrogation du Concordat d'Alsace-Moselle. Aussitôt certains élus socialistes des départements concordataires ont protesté. Qui a raison ? Faisons le point pour construire une réponse éclairée. Un peu d’histoire est nécessaire à titre de préalable. La réflexion en découlera, à la lumière de la devise républicaine, pour fonder un jugement.


En 1871 l'Alsace-Moselle est annexée par l'Allemagne à la suite de la défaite de Napoléon III à Sedan, le 2 septembre 1870. L'annexion prendra fin en 1918. Du coup l'Alsace-Moselle ne peut bénéficier de l'émancipation laïque à deux étapes qui se déroule en France pendant cette période. D'abord l'émancipation laïque de l'école, avec les lois votées entre 1881 et 1886. Ensuite l'émancipation laïque de l'État, actée par la loi du 9 décembre 1905, qui stipule la séparation de l'État et des Églises. Une libération mutuelle, qui congédie à la fois l'immixtion de l'État dans les Églises et la mise en tutelle de l'État par l'Église. En revanche, sous administration allemande, l'Alsace-Moselle va bénéficier de la politique sociale de Bismarck. Revenue à la France en 1918, l'Alsace-Moselle comprend donc trois composantes juridiques distinctes, qui la différencient du reste de la République. Citons dans l'ordre le concordat du 15 juillet 1801, la loi Falloux du 15 mars 1850, et les lois sociales de Bismarck adoptées entre 1883 et 1889.


Pour mémoire, le concordat est conclu le 15 juillet 1801, à Paris, entre les représentants de Bonaparte, premier consul, et ceux du pape Pie VII. Ce concordat n'a pas été un geste de pacification, comme l'affirme à tort une historiographie partisane, mais une véritable régression que seuls peuvent approuver les adversaires de la laïcité. Il a un double effet. D'une part, il restaure dans la sphère publique des privilèges pour trois religions (catholique, reformée, juive) et constitue de ce fait une démolition de l’œuvre de laïcisation entreprise par la Convention. Rappelons que dans le sillage du décret du 3 Ventôse An III (21 février 1795), le décret du 7 Vendémiaire An IV (29 septembre 1795) stipulait ceci : "La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de législation, (considère) qu'aux termes de la Constitution, nul ne peut être empêché d'exercer, en se conformant aux lois, le culte qu'il a choisi ; que nul ne peut être forcé de contribuer aux dépenses d'aucun culte, et que la République n'en salarie aucun". En signant le concordat de 1801, Pie VII reconnaît la République française, et en échange, le clergé va être rémunéré par l’État, qui procède à la nomination des évêques. Le concordat octroie au pouvoir politique un droit de regard sur les religions, notamment à travers cette nomination. En 1806 Bonaparte devenu l'empereur Napoléon assortit le concordat d’un "catéchisme impérial" qui présente comme un devoir sacré la soumission à l’empereur.


La tradition de l'Ancien Régime réapparaît donc, avec la sacralisation religieuse de l'empereur. En fait comme en droit le concordat est un calcul machiavélique, un donnant-donnant gallican. Il conjugue une reconnaissance publique des cultes, assortie de beaucoup d'argent, en échange d'une allégeance vérifiée au niveau des nominations d'évêques. Bonaparte déclarait au Conseil d'État, le 1er Août 1800 : « C'est en me faisant catholique que j'ai gagné la guerre de Vendée, en me faisant musulman que je me suis établi en Égypte, en me faisant ultramontain que j'ai gagné les esprits en Italie. Si je gouvernais le peuple juif, je rétablirais le temple de Salomon. » Le catholicisme, selon lui, permet de "cohésionner la société", car il prêche la soumission à l'autorité temporelle, ainsi conduite à favoriser la soumission spirituelle des consciences. Il n'est pas trop glorieux pour les hommes d'Église de se laisser acheter par des privilèges temporels et de l'argent, à rebours de la spiritualité désintéressée qu'ils prétendent incarner. Napoléon lui-même n'avait pas grande estime pour ces responsables religieux si avides de biens terrestres. Citons-le : "Je suis entouré de prêtres qui me répètent sans cesse que leur règne n'est pas de ce monde, et ils se saisissent de tout ce qu'ils peuvent. Le pape est le chef de cette religion du ciel, et il ne s'occupe que de la terre.” (Las Cases, Mémorial de Sainte-Hélène, chap. IX, 8 juin 1814).


En France le Concordat a été appliqué jusqu’à la séparation des Églises et de l’État, en 1905. Celle-ci affranchit l'État de la tutelle religieuse, mais simultanément elle libère l'Église de toute intrusion gallicane de l'État. En Alsace-Moselle le concordat persiste encore aujourd'hui, malgré une tentative avortée d'abrogation par Edouard Herriot en juin 1924. L'Eglise a réussi alors à conserver ses privilèges en menant une campagne apocalyptique et pleine de mauvaise foi. Depuis elle cultive la mystification d'un droit local unique dont toutes les composantes seraient solidaires, et elle fait ainsi croire que les droits sociaux hérités de Bismarck seraient supprimés si le concordat l'était, ce qui est une pure affabulation destinée à faire peur. En Alsace-Moselle, trois religions (catholique, protestante, juive) ont le privilège d’être salariées, subventionnées, et enseignées dans les écoles publiques, ce qui consacre une inégalité et une discrimination à l'égard des citoyens dont les options spirituelles ne sont pas religieuses. Rappelons que ce sont les contribuables de toute la France, et pas seulement ceux des trois départements concordataires, qui paient les salaires des prêtres, des pasteurs et des rabbins, pour un montant de plus de 60 millions d'euros.


Les citoyens et les citoyennes d'Alsace-Moselle accepteraient-ils de prendre en charge seuls un tel fardeau ? On peut en douter. Aujourd'hui le concordat détourne l'argent public, en principe dévolu à l'intérêt général, vers des intérêts particuliers. Et ce en un moment où les services publics sont en déshérence. Anti-laïque, le système concordataire porte atteinte aux principes de liberté et d'égalité, mais aussi au principe d'indivisibilité de la république et du champ d'application de ses lois. Rappelons que longtemps le délit de blasphème a été consacré par l'article 166 du Code pénal local applicable dans les trois départements concordataires, permettant par exemple une plainte de responsables musulmans, en 2013, contre Charlie-Hebdo. Il a fallu attendre le 27 janvier 2017 pour que ce délit soit abrogé par l'article 172 de la loi n° 2017-86 relative à l'égalité et à la citoyenneté. Un bon début pour une abrogation plus générale...


Deuxième atteinte à l'égalité, la Loi Falloux du 15 mars 1850 fait figurer l'instruction morale et religieuse dans les matières enseignées (titre 2, chap. 3, art. 23) dans toutes les écoles primaires, publiques ou privées. Par ailleurs les ministres du culte font partie des autorités préposées à l’enseignement primaire, et « l’entrée de l’école leur est toujours ouverte » (titre 2, chap. 4, art. 44). Formulant son programme politique, le Comte de Falloux avait écrit : « Dieu dans l'éducation. Le pape à la tête de l'Église. L'Église à la tête de la civilisation". Combattant cette loi dans son discours du 15 janvier 1850, Victor Hugo s'écrie : "Je veux l'État chez lui et l'Église chez elle". Une formulation parfaite du principe de séparation laïque. La loi Falloux sera presque entièrement abrogée par les lois laïques de Jules Ferry, entre 1881 et 1886. Mais en Alsace-Moselle l'évolution sera inverse.


La loi Falloux y sera reconduite voire aggravée. En effet le 16 novembre 1887, une Ordonnance Impériale allemande décrète : "Dans toutes les écoles, l'enseignement et l'éducation doivent tendre à développer la religion, la moralité et le respect des pouvoirs établis". Après le retour à la France, et en lien avec l'esprit concordataire régnant, l'obligation de suivre les cours de religion n'a été atténuée que par le système d'une demande de dérogation adressée par les familles athées ou agnostiques, ou tout simplement désireuses d'une neutralité propre à protéger tous les élèves du prosélytisme. Imposer une demande de dérogation au cours de religion c'est bafouer à la fois la liberté de conscience et l'égalité. On impose en effet aux familles de déclarer leur conviction spirituelle, alors que la liberté est aussi de pouvoir la garder pour soi, dans la sphère privée. De plus on donne à entendre que la religion est la norme, et l'absence de religion une dérogation à la norme. Bref on hiérarchise les options spirituelles au lieu de les traiter à égalité, sans privilège ni discrimination.


Voyons enfin le troisième volet, social, du corpus juridique propre à l'Alsace-Moselle, qui peut en être fière. Les acquis sociaux issus de la politique de Bismarck entre 1883 et 1889 y restent particulièrement avantageux notamment sur le plan de l'assurance maladie et du droit du travail. Les citoyens et les citoyennes d'Alsace-Moselle y sont donc légitimement attachés. Voici par exemple certains des avantages qu'ils présentent au regard du régime général de la Sécurité Sociale dans l'ensemble du pays. Alors que le remboursement des soins ambulatoires y varie entre 65 et 75 %, en Alsace-Moselle, en cas d’hospitalisation, la prise en charge est de 100 % et la couverture base de la sécurité sociale est de 90%. Ce régime donne lieu à une cotisation sociale supplémentaire des salariés alsaciens et mosellans. Celle-ci est proportionnelle aux revenus et n’augmente pas avec l’âge ni avec le nombre de bénéficiaires que comporte le foyer. Les chômeurs bénéficient de l'assurance maladie au même titre que les salariés, et les syndicats ouvriers en gèrent eux-mêmes le fonctionnement.


Quant au droit du travail il est lui aussi plus avantageux pour les salariés. Le droit social local permet au salarié absent pour une raison indépendante de sa volonté de continuer de toucher son salaire, sans délai de carence et sans condition d’ancienneté. L’interdiction du travail salarié le dimanche et les jours fériés est stipulé dans l'article 105b du Code professionnel local (CPL), avec certaines dérogations applicables (art 105c ). Par ailleurs en cas de démission le salarié alsacien-mosellan bénéficie toujours du délai le plus court. En revanche, s'il se fait licencier il jouit du délai le plus long. Aucun rapport juridique entre ce droit social et le concordat. Les camarades de la CGT n'ont rien à craindre en cas d'abrogation du concordat !


Nous disposons maintenant des éléments de réflexion pour prendre position dans le débat entre Olivier Faure et certains élus socialistes d'Alsace-Moselle. Les deux opinions s'opposent comme l'intérêt général à l'intérêt particulier, l'universalisme au différentialisme. Remettre en question le concordat, ce n'est pas du tout gommer l'exemplarité du droit social, qu'il serait bon d'appliquer à toute la République, puisque cela constituerait un vrai progrès. En revanche mettre un terme aux privilèges des cultes d'Alsace-Moselle ce n'est pas autre chose qu'appliquer les principes républicains de liberté, d'égalité, et de primat de l'intérêt général. Il est d'ailleurs significatif et même très paradoxal que dans leur argumentaire les partisans socialistes du maintien du concordat n'évoquent à aucun moment de tels principes. Ils s'en tiennent au respect d'une tradition, sans s'interroger sur le bien-fondé de celle-ci. En quoi l'existence d'une tradition peut-elle valoir argument ? Les privilèges, sous l'Ancien Régime, étaient une tradition. La Révolution les a abolis, à juste titre. Pourquoi perpétuer un concordat d'un autre âge, dont on a vu qu'il relevait chez Napoléon d'une ruse théologico-politique pour asseoir sa domination ? La domination patriarcale de la femme fut aussi une tradition, comme la notion machiste de chef de famille. La censure de l'art et de la science par l'Église catholique, au moyen de l'Index des livres interdits (Index librorum prohibitorum) fut également une tradition, de sinistre mémoire, supprimée seulement par le Concile de Vatican II, en 1962. Bref la tradition ne fait pas droit et elle doit être soumise à la critique rationnelle nourrie par des principes émancipateurs. Nulle hostilité à la religion dans une telle démarche. Celle-ci s'en prend seulement aux postures cléricales qui la dévoient en conquête de privilèges bien terrestres.


En une époque où les services publics sont en déshérence, un tel privilège financier accordé à des intérêts particuliers a quelque chose de révoltant. C'est la bagatelle de plus de 60 millions d'euros qui est ainsi dépensée. Pourquoi ne pas subventionner aussi, dans un souci d'égalité, les tenants d'autres options spirituelles que sont les francs-maçons, les tenants de l'humanisme rationaliste ou les libres-penseurs ? En supprimant la reconnaissance publique des cultes et leur financement, désormais à la charge des fidèles, le deuxième article de la Loi de 1905 a ajouté l'égalité de traitement de toutes les convictions spirituelles à la liberté de conscience. La liberté dite religieuse est une espèce particulière de cette liberté et la liberté athée une autre espèce particulière. Certains imams réclament aujourd'hui le bénéfice des privilèges concordataires. Ils ne veulent pas voir que dans une république soucieuse de promouvoir l'égalité de traitement de toutes les convictions spirituelles, humanisme athée compris, il ne s'agit pas de créer un privilégié de plus, mais de supprimer tous les privilèges. On évitera ainsi de communautariser l'argent public afin de le réattribuer aux services publics qui profitent à tous, par exemple au système public de santé. Les privilèges concordataires, quant à eux, ne profitent qu'aux croyants, qui ne représentent au mieux que la moitié de la population. N'est-il pas consternant de devoir rappeler cela à des socialistes qui sont à contre-emploi lorsqu'ils défendent des privilèges ?


·     Laïcité et progrès social


Pour que tout le monde soit content, je propose au parti socialiste de se réconcilier avec lui-même en militant à la fois pour l'application de la Loi de 1905 à l'Alsace-Moselle, et pour l'application à toute la France des lois sociales d'Alsace-Moselle. En 2015, invité à faire une conférence sur la laïcité à l'Université de Strasbourg, devant un millier d'étudiants, j'avais déjà plaidé pour cette solution à double détente. Abolir des privilèges et promouvoir le progrès social: coup double! Pourquoi le PS ne reprendrait-il pas à son compte un si beau programme, fidèle à Jean Jaurès? Chiche! Merci à Olivier Faure d'avoir ouvert la perspective, enfin !

 


1 commentaire:

  1. A PROPOS DE LAICITE ...

    Henri Peña-Ruiz :

    " La laïcité n'est pas une option spirituelle parmi d'autres; elle est ce qui rend possible leur coexistence, car ce qui est commun en droit à tous les hommes doit avoir le pas sur ce qui les sépare en fait. "

    " La laïcité est un combat, du fait même de la résistance des religions qui veulent perpétuer leur domination. "

    " La laïcité n'a jamais tué personne. Ce n'est pas le cas de l'Inquisition catholique, hier, et du terrorisme islamiste, aujourd'hui. "
    " La République ne marche ni à la peur, comme dans le despotisme, ni au respect du rang, comme dans la monarchie, mais à la vertu entendue comme amour des lois et de l'égalité. "

    https://www.marianne.net/agora/henri-pena-ruiz-lettre-ouverte-a-mon-ami-regis-debray?fbclid=IwAR0B7cFwvNOATKpg2NF1EM7nOf-ntDrW69ijE5KH4OZ1AgSYGLgmXc8XmsA

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