Deux ans après Charlie Hebdo, toujours et encore
le même déni
FIGAROVOX/TRIBUNE
- Il y a deux ans, les frères Kouachi attaquaient Charlie Hebdo. Pour Céline
Pina, une partie des élites trahit l'esprit d'unité nationale en se refusant à
condamner clairement les coupables, au point d'oublier les victimes.
Il y a des dates comme cela : nous nous souvenons tous où nous
étions et de ce que nous faisions ce 7 janvier 2015 quand nous avons appris le
massacre des journalistes de Charlie. Et il y a une raison à cela : jamais nous
n'aurions pensé que l'on puisse perpétrer dans notre pays une telle tuerie
collective pour des motifs politiques. Inconsciemment nous pensions être
délivrés du tragique de l'histoire et de la violence comme mode de résolution
des conflits politiques.
Là est la particularité du 7 janvier par rapport aux attentats
qui ont précédé (Merah) et ceux qui ont suivi. En investissant l'immeuble de la
rue Nicolas-Appert, les frères Kouachi savaient exactement qui ils allaient
tuer et avaient un objectif précis : faire régner l'autocensure par la peur,
instaurer un délit de blasphème par le sang versé, museler les consciences
grâce au traumatisme causé.
Des
victimes mises en accusation
D'ailleurs seuls les victimes de cet attentat-là ont eu le
triste privilège d'être mises en accusation et jugées un peu responsables quand
même de ce qui leur arrivait. Par charité, épargnons-nous la liste complète de
ces Tartuffes qui, après le passage obligé des condoléances, expliquaient que
quand on s'en prend aux contenus d'une croyance, il ne faut pas s'étonner de la
réaction des fidèles. Pour eux, l'exercice de la dérision et de la liberté
d'expression est en soi un vecteur de violence. Le but de la manœuvre : refuser
aux victimes la cause même de leur mort, leur dénier le fait d'être des
symboles de la liberté, nier la dimension politique des assassinats.
Rien
d'étonnant à ce que la mouvance islamiste dans toutes ses composantes justifie
l'attaque, mais voir une partie de nos élites, politiques, médiatiques ou
culturelles leur emboîter le pas a alimenté un sentiment de trahison dans la
population. Ainsi, alors que la barbarie nous éclatait au visage, nous avons eu
droit à un festival de déni. Et, force est de constater, à ma grande amertume,
que les leaders de la gauche, qui se croit morale, sont fortement représentés
dans le panel.
On y retrouve Tariq Ramadan bien sûr et ses amis de l'UOIF et du
CCIF, Jean-Marie le Pen (« je suis Charlie Martel »), Dieudonné (« je suis
Charlie Coulibaly ») mais aussi les Plenel, Todd, Badiou, Lancelin, Lordon,
Plantu, Geluck, Brauman, Gresh et j'en oublie. Pour un certain nombre, la bande
à Charlie est plus coupable d'« islamophobie » que victime de la liberté
d'expression et ce sont leurs bourreaux et ceux qui diffusent le totalitarisme
islamiste que l'on transforme en victimes de la société au nom d'un antiracisme
dévoyé.
Que dire aussi des analyses post 11 janvier. Passons sur ceux
qui ne supportent pas d'appartenir à un collectif et qui, pour se sentir
exister et prendre la lumière, choisissent systématiquement le contre-pied de
tout élan d'union nationale. Ils sont dans le fond assez rares. Mais comment
comprendre la violence des critiques qu'a essuyées Charlie à peine un mois
après les massacres ? La tuerie avait démontré que le règlement de désaccords
idéologiques dans le sang et le choix de supprimer physiquement les adversaires
plutôt que de débattre même durement faisait un retour fracassant dans notre
pays civilisé.
Ainsi donc, non seulement dans le pays de la liberté
d'expression on peut désormais être assassiné pour ses opinions, mais pire
encore, on trouve une bonne partie de l'élite pour mettre en cause la
responsabilité des victimes. Cela n'incite pas à se laisser pousser le courage,
surtout quand on sait que certains de ses contemporains qui font l'opinion sont
prêts à jeter l'opprobre sur vous, même après que vous ayez payé le prix du
sang.
L'explosion
des revendications séparatistes
Plus grave encore, certains se mettront au service de
l'idéologie qui a rendu un tel massacre pensable, possible et légitime pour
évacuer les morts réels au profit de victimes symboliques. C'est ainsi que très
rapidement, au lieu de s'interroger sur l'exercice réel des libertés
constitutionnelles quand une idéologie comme l'islamisme égrène morts et
violences dans toute l'Europe, certains se mobilisent pour fournir un discours
victimaire prêt à penser aux terroristes et aux idéologues qui les forment :
c'est ainsi que les plus cyniques de cette part d'élite dévoyée ont utilisé les
morts de Charlie et les attentats qui suivirent, pour vendre leurs concepts
séparatistes. La notion « d’islamophobie » visant à interdire toute critique de
l'islam, est ainsi érigée en ultime combat contre les discriminations. La
revendication d'une loi sur le blasphème, qui vise à museler une de nos
libertés fondamentales, est présentée comme une marque de respect et de
tolérance à l'égard des minorités et la mobilisation pour le port du voile
(version uniforme des femmes de Daesch) est définie comme l'apogée du combat
pour la liberté des femmes…
Résultat, combien de journaux aujourd'hui oseraient publier une
caricature de Mahomed ? En posant la question on a déjà la réponse.
Ainsi deux ans après le plus grand massacre politique que notre
pays a connu ces dernières années, on pourrait penser que les frères Kouachi
sont arrivés à leurs fins. La censure et l'autocensure se développent et la
violence contre les lanceurs d'alerte et les laïques, sommés de se taire à
coups d'accusation de racisme et de collusion avec le FN, est bien réelle.
Et tandis que les militants du séparatisme et de l'apartheid
comme Houria Bouteldja, porte-parole des indigènes de la république trustent
les émissions du service public, des militants de l'islamisme et de
l'islamogauchisme sont présentés comme « militants antiracistes » ou « doctorants
» alors qu'ils interviennent au nom de cette idéologie totalitaire qu'est
l'islamisme. Qu'eux avancent masqués s'entend, c'est dans leur intérêt. Mais
que ceux qui leur tendent des micros ne fassent pas leur travail en ne disant
pas d'où parlent ces personnes est plus difficile à comprendre. On en a encore
eu un exemple lors de l'émission politique de France 2 qui accueillait
Manuel Valls ce jeudi 5 janvier. On y a croisé en guise de représentants des
Français, des militants politiques expérimentés, débitant un argumentaire et
des éléments de langage qui font de la jeune femme voilée, une bonne
représentante de l'idéologie islamiste et de l’« agriculteur », qui maîtrisait
son discours gauchiste sur le bout des doigts, un activiste assumé. C'est leur
droit mais pourquoi ceux dont le métier est la rigueur de l'information nous
trompent-ils sur ce que sont réellement leurs invités ? D'autant qu'en la
matière David Pujadas est un récidiviste.
Pendant ce temps, les lanceurs d'alerte et les laïques sont
attaqués par une partie de la classe politique dont ce devrait être au
contraire l'honneur et le devoir que de les soutenir dans ce combat difficile
et dangereux qui ne leur a échu que parce que ceux dont c'est la fonction ne le
mènent pas. Ainsi, l'après Charlie nous montre que, non seulement en France on
peut être assassiné pour ses idées, mais que ces meurtres ne provoquent pas
chez la majorité de nos représentants et de nos consciences intellectuelles la
condamnation sans faille que l'on eût attendue.
Préférer
avoir raison avec Aron que tort avec Sartre
Il faut lire le papier déchirant de Fabrice
Nicolino dans le numéro spécial de Charlie sorti le 4 janvier dernier, son
titre est sans appel : « cette gauche qui s'est
toujours couchée devant les despostes », sa lecture est désespérante mais
éclairante. Elle montre le sort qu'une certaine intelligentsia de la gauche a
réservé à ceux qui sortaient de ces propres rangs quand ils osaient refuser la
soumission au totalitarisme. La liste de grands penseurs ayant cautionné les
pires régimes de l'histoire et les plus monstrueux tyrans donne le vertige. Du
soutien à la politique de Staline en passant par Mao, Pol Pot, Fidel Castro,
c'est toute une génération qui ferme les yeux sur le totalitarisme, le meurtre
de masse et la violence comme moyen de gouvernement parce que l'idéologie
qu'elle porte correspond à leur romantisme révolutionnaire. Non seulement
l'horrible réalité du meurtre comme instrument de domination ne les trouble
pas, mais ils font du refus du réel et de la vérité, leur étendard et leur
fierté. Il fallait quand même oser préférer à ces époques-là « avoir tort avec Sartre que raison avec Aron », car concrètement cette phrase signifie
préférer être aux côtés des idéologies totalitaires et meurtrières plutôt que
du côté de la démocratie et de la civilisation. C'était être du côté des
bourreaux et nier les charniers, c'était ajouter à la mort physique, la mort
symbolique des victimes du totalitarisme.
Hélas, au lieu d'être ensevelis sous la honte qui aurait dû être
la leur, la postérité de ces clercs sans conscience est nombreuse, bruyante et
tout aussi dangereuse intellectuellement qu'irresponsable politiquement. Ils
sont minoritaires dans le pays, mais semblent majoritaires chez nos élites. En
tout cas ils donnent encore le ton.
Deux ans après la mort de Cabu, Charb, Wolinski, Tignous,
Honoré, Bernard Maris, Elsa Cayat, Franck Brinsolaro, Ahmed Merabat, Frédéric
Boisseau, Michel Renaud, Mustapha Ourrad, il est plus que jamais indispensable
d'être Charlie, de le rester et de le revendiquer. Pour que cette année 2017 ne
soit pas encore une année d'évitement, pour que les vrais enjeux qui pèsent sur
notre avenir soient abordés, pour que ceux de Charlie ne soient pas morts pour
rien, nous devons obliger nos politiques à être clairs sur leurs
responsabilités et leurs missions. Que le courage et la lucidité face à
l'idéologie islamiste nous permettent de jauger les esprits et les cœurs.
Pour finir, j'emprunte à Guy Konopnicky la citation qui clôt son
beau message d'hommage à ses amis de Charlie sur Facebook. « Imbéciles, c'est pour vous que je meure » lança un
résistant aux soldats allemands qui venaient le fusiller.
C'est pour nous que sont morts ceux de Charlie. Voilà pourquoi
je préfère et préférerai toujours avoir raison avec Aron que tort avec Sartre.
Voilà pourquoi je suis Charlie.
* Ancienne conseillère régionale d'Ile-de-France, Céline Pina est essayiste et militante. Elle avait dénoncé en 2015 le salon de «la femme musulmane » de Pontoise et a récemment publié Silence Coupable (éditions Kero, 2016). Avec Fatiha Boudjahlat, elle est la fondatrice de «Viv(r)e la République», mouvement laïque féministe et républicain appelant à lutter contre tous les totalitarismes et pour la promotion de l'indispensable universalité de nos valeurs républicaines.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire