Depuis la prise du pouvoir par Al Sissi, les Frères musulmans se sont réfugiés chez leur frère Erdogan. A partir de la Turquie ils ont élaboré la stratégie de conquête de l'Europe, soutenue par le Qatar. Ainsi, après le monde "arabe", le cancer wahhabi finira par gangrener l'Occident aussi ! Leur chance, est que certains gauchistes, comme Edwy Plenel, se sont rabattus sur l'islamisme, faute de militants chez les communistes, depuis que le communisme ne paie plus après la chute du mur de Berlin ! Alors qu'ils font fausse route avec les deux doctrines !!
R.B
Gilles Kepel * : "Les islamo-gauchistes, ces charlatans !"
Dans l'entretien qu'il nous a accordé à l'occasion de la sortie
de son livre "la Fracture", Gilles Kepel accuse une partie
des intellectuels de gauche, idéologues utiles des islamistes,
de minimiser le phénomène djihadiste. Une cécité
criminelle, dénonce le spécialiste de l’Islam.
Dans votre livre, vous dénoncez violemment "les autruches de la pensée dénégationniste",
qui situent la cause du mal absolu dans l'islamophobie, notion que les islamistes et leurs
compagnons de route ont fini par imposer pour interdire, dites-vous, tout débat sur la
deuxième religion de France. A l'heure où le débat politique sur l'islam n'en finit pas de
se crisper, y avait-il urgence à dénoncer le fonctionnement de ceux que vous qualifiez
d'"islamo-gauchistes" ?
Oui, car ces intellectuels tétanisés par la culpabilité post-coloniale battent la campagne
médiatique. Ils font de l'islamophobie le ressort exclusif des grandes manifestations
antiterroristes du 11 janvier… Proclamer "Je suis Charlie", c'est pour eux faire acte
d'islamophobie ! Cette cécité les conduit à minimiser le péril jihadiste de peur de désespérer
Molenbeek comme les compagnons de route du Parti communiste s'interdisaient de dénoncer
les exactions du stalinisme de peur de "désespérer Billancourt".
Par-delà l'organisation terroriste Daech, qui a fracturé la cohésion rêvée de la patrie, je crois
que deux forces de désintégration sont à l’œuvre dans la société française. D'une part, les
mouvements communautaristes, qui font prévaloir l'appartenance religieuse et ses marqueurs
dans l'espace public. De l'autre, une conception identitaire et étroite de la France, dont le fond
est ethno-racial et xénophobe.
Mon livre est destiné à nourrir le grand débat de société qui doit absolument précéder les
élections présidentielle et législatives de 2017. En tant qu'universitaire travaillant sur ces enjeux
depuis trois décennies, je me livre à une analyse sans dramatisation mais sans complaisance du
défi mortel que pose le jihadisme à notre pays et que cherchent à occulter une partie de nos
intellectuels de gauche.
Selon vous, la fracture culturelle et civilisationnelle de la société française apparaît à la
faveur des attentats du 7 janvier?
Précisément, ce qui fait que, du point de vue jihadiste, c'est l'attentat le plus réussi. Pourquoi
? Parce que les dessinateurs de "Charlie Hebdo" sont perçus, dans une partie de la jeunesse
musulmane européenne et française, comme des gens qui l'ont bien cherché. De même qu'il y
avait eu des milliers de like sur Facebook pour Merah, il y en a eu pour les frères Kouachi, pour
Coulibaly, etc. Cela aboutit à ce clivage, qui est exacerbé par toute cette mouvance islamogauchiste
dont Emmanuel Todd se fait le porte-parole, sans doute inconscient à l'époque, avec
son livre "Qui est Charlie ?".
Dans votre livre, vous revisitez l'incroyable enchaînement des faits de l'été 2016 : de
l'attentat de Nice à l'irruption de la question du burkini dans le débat public.
L'attentat à Nice le 14 juillet tue 86 personnes sur la promenade des Anglais, parmi lesquels du
reste plus du tiers sont des musulmans (30 personnes). La cible est double. D'un côté, c'est le
symbole de la "fête païenne" du 14-Juillet. La Révolution française se produit au même moment
que l'émergence du wahhabisme en Arabie saoudite, c'est-à-dire à la fin du XVIIIe siècle, et en
est l'exact contraire. Une victoire de la laïcité détestée. En même temps, l'attentat survient sur
le lieu emblématique de l'hédonisme mondialisé. La promenade des Anglais, comme son nom
l'indique, c'est international, c'est connu dans le monde entier. La French Riviera, la Côte
d'Azur… Un attentat contre la civilisation hédoniste européenne.
Ce qui est fascinant, c'est que, du 14 juillet jusqu'au 26 juillet (l'assassinat du père Hamel), la
France est dépeinte dans la presse internationale et notamment anglo-saxonne comme victime
de la terreur. Elle est plainte, il y a de la commisération. Et soudain, à partir du mois d'août,
lorsque arrivent les arrêtés anti-burkini des municipalités du littoral méditerranéen, la victime
va se transformer d'un jour à l'autre en bourreau.
Cette inversion paradoxale, qui est une imposture exceptionnelle, est menée en particulier par
un groupe qui s'appelle le Collectif contre l'Islamophobie en France (CCIF), organisation
proche des Frères musulmans, qui va tirer profit de la frustration de jeunes musulmans qui en
ont assez de devoir rappeler qu'ils ne sont pas des terroristes.
Vous dites que se produit alors un refoulement psychanalytique, qui est l'occultation des
attentats?
Oui, ce qui me ramène à une expérience personnelle. Au mois de mai dernier, j'ai été invité par
le Bondy Blog à participer à un débat. J'ai beaucoup travaillé sur la Seine-Saint-Denis, à Clichy,
Montfermeil, et j'avais des contacts avec leurs journalistes. Des jeunes issus de l'immigration
qui étaient dans une logique d'insertion sociale, qui voulaient créer un journalisme alternatif et
ouvert. A ma stupéfaction, les trois journalistes chargés de m'interviewer m'ont accusé pendant
tout l'entretien d'être islamophobe ! C'était juste avant que je sois condamné à mort par Larossi
Abballa dans sa vidéo du 13 juin au soir. Mais ils ne parlaient jamais des attentats et uniquement
de l'islamophobie : les femmes voilées traînées par terre, la société française islamophobe, etc.
J'ai compris depuis lors que le Bondy Blog avait été totalement repris en main par cette frange
frériste qui a fait de l'"islamophobie" son principal slogan.
Pour les Frères musulmans, dans la mouvance de Tariq Ramadan, comme pour Marwan
Muhammad (le directeur exécutif du CCIF), il y a une volonté manifeste de mobiliser cette
jeunesse musulmane en occultant le phénomène des attentats, en se refusant à le penser. C'est
la "forclusion", comme on dirait en psychanalyse lacanienne, des attentats, pour se focaliser sur
une victimisation communautaire de la population concernée. Ce que les jihadistes ne
parviennent pas à faire, c'est-à-dire à mobiliser, parce qu'ils font horreur, les Frères musulmans
le réussissent en offrant un regroupement de défense identitaire. Les Frères musulmans ont été
durablement affaiblis en Egypte par le régime du maréchal Sissi, et beaucoup sont aujourd'hui
exilés en Turquie. Et c'est à partir de la Turquie que leur stratégie de conquête de l'Europe s'est
construite, soutenue par le Qatar.
Le CCIF est le produit de cette stratégie. Le CCIF s'adresse à cette jeunesse qui a fait des études
(Marwan Muhammad a été trader, formé à l'université Léonard-de-Vinci de Charles Pasqua) et
qui se perçoit en dissidence culturelle avec la société française ; mais contrairement aux
salafistes – qui visent la hijra, c'est-à-dire la rupture culturelle, éventuellement le départ – et
contrairement aux jihadistes qui veulent tuer tout le monde –, eux sont dans la logique de
construction d'un lobby communautaire.
Qui est Marwan Muhammad ?
C'est le directeur exécutif du Comité contre l'Islamophobie, le CCIF. Il a fait la une du "New
York Times" comme porte-parole de l'islam de France, avant que ce quotidien ne dépeigne la
France comme une sorte de goulag pour les musulmans, et dont la laïcité tiendrait lieu de
stalinisme. Souvenez-vous de l'affaire de Tremblay-en-France, au cours de laquelle deux jeunes
femmes voilées, dans des circonstances qui restent encore obscures, n’ont pas été servies par
un restaurateur. Le lendemain, le 28 août, Marwan Muhammad s'est rendu à la mosquée de
Tremblay. Là, il prononce un discours fondamental pour comprendre la stratégie des Frères
musulmans… Il dit la nécessité de rassembler les musulmans de France autour de questions
éthiques, et cela dans la perspective de l'élection de 2017, où le CCIF décernera aux différents
candidats le label "islamophobe" ou "moins islamophobe" : il s'agit donc clairement de
construire un lobby communautaire qui va monnayer politiquement ses voix.
Certains positionnements par rapport à l'affaire du burkini ont ainsi été conditionnés par la
perspective des élections législatives de 2017.
Selon vous, l'affaire du burkini a donc été instrumentalisée à la fois par les islamistes au
service d'une stratégie de construction identitaire et par les politiques par calcul électoral?
Oui, et aussi, pour certains politiciens, par idéologie. Ainsi, les gauchistes, qui sont en perte de
vitesse idéologique dans la société, se sont mis à considérer les enfants d'immigrés musulmans
comme leur nouveau prolétariat messianique. Faire un bout de chemin avec les musulmans
exploités contre la bourgeoisie devenait plus important que de s'en tenir à la ligne qui faisait de
la religion l'opium du peuple du marxisme fondamental.
Ce qui est cocasse, c'est qu'on a, d'un côté, un islam du gauchisme et, de l'autre côté, un
communautarisme électoral porté par la droite – qui va aussi jusqu'à l'extrême droite.
D'ailleurs, dans un de vos livres précédents, "Passion française", vous décriviez la
présence de candidats soraliens musulmans en banlieue aux élections de 2012...
Oui, ils s'inventent une vision du monde commune et paradoxale sur la base d'une "alliance
anticapitaliste et antisioniste". Lorsque Daech égorge des gens dans des vidéos, Soral et
Dieudonné se gaussent de l'horreur que ressent la société en disant : mais, après tout, ça nous
rappelle quelque chose, la "Terreur" n'était-elle pas le fondement de la Révolution ? Et la
démocratie, la laïcité dont on se gargarise, sont bâties sur la décapitation de Louis XVI. Rachid
Kassim, qui tient les têtes des chiites qu'il a exécutés, avant de faire un slam qu'il adresse à
François Hollande, s'inscrirait dans cette continuité.
Comment expliquer l'omniprésence de l'islam dans les débats de la campagne électorale?
Aujourd'hui, le clivage entre la droite et la gauche sur lequel était fondée la vie politique
française n'a plus de signification. La société comporte actuellement un néo-prolétariat dans les
banlieues populaires, dans lequel il y a beaucoup d'enfants d'immigrés qui n'ont plus accès au
marché du travail, non seulement à cause des discriminations, mais parce que notre système
éducatif est découplé des besoins de l'économie numérique postindustrielle. Et c'est parmi ceux
qui vont à l'université que la mouvance des Frères musulmans recrute – alors que le salafisme
touche des milieux moins éduqués. En même temps, il y a une marginalisation croissante de
classes populaires, si j'ose dire, "de souche", qui sont confrontées à des situations de précarité.
A la logique de clôture communautaire des uns s'oppose la logique de clôture identitaire des
autres. C'est cet affrontement qui est en train de devenir un des éléments structurants du débat
politique français. La petite bourgeoisie périurbaine, qui votait à gauche, est en train de basculer
vers Marine Le Pen. Ainsi, une partie des enseignants votent pour le Front national parce qu'ils
sont confrontés dans les collèges des ZEP et ailleurs à des élèves qui sont dans une telle logique
d'affirmation communautariste qu'ils mettent en cause les enseignants qui, pour 2.000 euros par
mois en fin de carrière, font un boulot extrêmement dur, et ne sont pas suivis par leur hiérarchie
qui ne veut pas faire de vagues.
En 2012, les électeurs se déclarant musulmans ont voté majoritairement à gauche. Et, en
2017, comment vont-ils voter?
En 2012, Hollande a gagné avec une marge très faible. S'il n'y avait pas eu ce vote "musulman"
massif en sa faveur, il ne serait pas passé. Or il le perd à partir du projet de mariage pour tous.
Dès les élections partielles de décembre 2012, dans les circonscriptions où le Conseil
constitutionnel a invalidé les résultats de juin, on voit que certains quartiers populaires basculent
vers des candidats de droite, dont plusieurs m'ont dit leur stupéfaction. Ils avaient vu des
bureaux de vote "musulmans" qui leur avaient donné moins de 10% des voix en juin 2012 leur
conférer une large majorité en décembre. Pourquoi ? Parce que l'imam en chaire le vendredi
précédent avait appelé à sanctionner dans les urnes les "socialistes corrupteurs sur la terre", qui
avaient permis le mariage homosexuel. Et c'est un enjeu très important, qui va se traduire par
la participation d'un certain nombre d'associations islamiques à la Manif pour tous. Ainsi Kamel
Bechikh de Fils de France, par ailleurs proche du Front national, est l'un des porte-parole du
mouvement.
La sanction électorale la plus frappante a lieu en Seine-Saint-Denis (municipales de 2014), où
sur 40 communes 21 seront remportées par la droite et 19 par la gauche. C'est une tendance qu'a
bien su exploiter Jean-Christophe Lagarde (le patron de l'UDI en Seine-Saint-Denis). Ainsi,
Bobigny, qui était communiste depuis que le communisme existe, va basculer à droite. Les
groupes islamistes s'y allient aux politiciens conservateurs au nom de revendications si j'ose
dire "éthiques", disons plutôt de morale sociale contre l'hédonisme.
C'est la grande question qui déchire les spécialistes de l'islam : le salafisme conduit-il au jihadisme ? Peut-on dire qu'il est en expansion en France ?
Le mouvement salafiste émerge en France dans les années 1990, après que beaucoup de jeunes
musulmans de l'époque ont soutenu Saddam Hussein contre l'Arabie saoudite, qui pourtant avait
abondamment financé les mosquées. Pour regagner les cœurs, les Saoudiens vont envoyer de
nombreux prédicateurs avec beaucoup d'argent pour développer des allégeances au salafisme en France. Ils ciblent les populations fragiles et en particulier les enfants de harkis, que ceux du
FLN stigmatisent comme des agents de la France. Certains jeunes descendants de harkis, à ce
moment-là, vont voir dans l'exacerbation de l'identité islamique une occasion de se défendre
contre les gosses du FLN en se drapant dans le manteau du salafisme. Ce salafisme va se
répandre dans la jeunesse en même temps que la situation sociale se dégrade dans les quartiers
populaires. Lorsque j'ai publié en 1987 "les Banlieues de l'islam", les marqueurs de la
salafisation (barbes, djellabas et niqabs) étaient inexistants. Un quart de siècle plus tard, ils sont
monnaie courante.
Les salafistes ne préconisent pas la violence, puisqu'ils sont liés au système saoudien et que
l'Arabie saoudite n'a aucune envie de faire la guerre avec ceux qui lui achètent son pétrole. Mais
il fournit le socle de la fracture culturelle sur laquelle se construira assez aisément le passage à
l'acte violent lorsque les jihadistes le prêcheront.
Olivier Roy réfute la thèse selon laquelle le jihadisme découle d'une radicalisation
religieuse, et vous accuse de tout islamiser…
Olivier Roy, qui n'a plus fait de travail de terrain depuis des années et qui ignore la langue
arabe, s'efforce de me "zemmouriser". Je les renvoie l'un à l'autre : tel Ulysse, je m'efforce de
mener ma barque universitaire entre les sirènes de ce Charybde et de ce Scylla sur lesquelles la
pensée ne peut que se fracasser… Lorsqu'il dit que j'islamise tout, c'est de bonne guerre
rhétorique, mais c'est faux. J'essaie simplement de montrer quelles sont les stratégies par
lesquelles jihadistes d'un côté, salafistes d'un autre, Frères musulmans d'un troisième
s'efforcent de capter la population musulmane de France, sans du reste y arriver pour l'instant.
Je ne suis pas pessimiste. Je suis convaincu que la laïcité de la République, à condition d'être
pensée comme une laïcité d'inclusion et non pas une laïcité de séparation, est porteuse de
l'avenir de notre pays.
Maintenant, prétendre que la tentation du jihad découle d'un nihilisme mortifère, d'une volonté
de suicide qui aurait revêtu par hasard les oripeaux de l'islamisme, c'est très insuffisant. Les
individus qui sont prêts à sacrifier leur vie le font parce qu'ils sont sûrs que leur mort va amener
la rédemption de l'humanité. Ce qui n'a rien à voir avec le suicide nihiliste. Je reste persuadé
qu'il faut revenir aux textes : lire les écrits de Daech. Si on n'analyse pas la spécificité du jihadisme actuel, si on ne l'inscrit pas dans la relation avec le Moyen-Orient, avec l'Afrique du
Nord, si on ne comprend pas ce que ça signifie que, dans l'idéologie du jihadisme de troisième
génération, l'Europe soit identifiée spécifiquement comme le ventre mou de l'Occident … on
passe à côté du phénomène.
Donc vous rejetez complètement la thèse qui explique la tentation jihadiste par
l'islamisation de la radicalité d'une partie de la jeunesse, et dont le meilleur argument,
semble-t-il, réside dans le constat de l'analphabétisme doctrinal des terroristes ?
Mais au nom de quoi les jihadistes devraient-ils tous être des docteurs d'université !? Ça n'a
jamais été le cas. Que certains jeunes passent par la délinquance, et ensuite voient dans le jihadisme une rédemption, c'est un fait. Mais pour cela, ils passent par la case mentale du
salafisme : la rupture culturelle. A partir du moment où quelqu'un comme vous ou moi est
considéré comme un infidèle, un blasphémateur, la rupture est consommée. La condamnation
à mort par les jihadistes s'ensuit aisément.
Je pense qu'il ne faut pas sous-estimer le pouvoir de l'idéologie religieuse, telle qu'elle est
manipulée aujourd'hui dans un monde où internet fournit les imams numériques, de mobiliser
les individus. Faire l'impasse là-dessus, c'est considérer que les acteurs sociaux sont totalement
étrangers à leur destin. Or ce n'est pas le cas. Si on analyse les écoutes du téléphone d'Adel
Kermiche, on comprend que celui-ci, pendant un an, en prison, a été exposé dans sa cellule à
des prédicateurs qui lui ont appris l'arabe. J'ai vu la cassette de serment d'allégeance qu'il a faite.
Son arabe n'est pas parfait, il bute sur les mots, mais il est très correct : la prison française, c'est
l'ENA du jihad. D'autre part, pourquoi est-il allé tuer un prêtre ? Parce que les chrétiens
représentent le mal, les kouffar (les mécréants) qui ne se sont pas dissociés du bombardement
de la coalition des croisés sur l'Etat islamique. C'est bien au nom d'une vision salafiste de
fracture du monde.
Comment combattre cette tentation jihadiste ?
En posant d'abord un diagnostic juste sur ce qui se passe en France. Quand en 2012 Mohamed
Merah met en œuvre les injonctions d'un prédicateur, Abou Moussab al-Souri (que lui-même
les ait lues ou pas, ça n'a pas d'importance, le monde du tweet les traduit et les dilue à l'infini),
au fond notre haute fonction publique et nos politiciens n'y comprennent rien. Ils font de Merah
un loup solitaire… Cinq ans après, le procès n'a toujours pas eu lieu. Il y a recours contre
recours. Au fond, l'affaire Merah, c'est l'échec complet de la hiérarchie du renseignement à ce
moment-là. Mais on est dans un monde pyramidal, où la haute fonction publique est incapable
de se remettre en question; de ce point de vue, le quinquennat de François Hollande a été
désastreux puisque l'université y a été méprisée, que les études arabes y ont été détruites.
Aujourd'hui, on est démuni face à ce phénomène, ce qui explique la floraison d'"experts" bidon,
dont les constructions idéologiques se fondent sur l'ignorance du terrain comme des textes. Le
postulat de l'islamo-gauchisme est : ce n'est pas la peine de connaître l'idéologie dont se
réclament les jihadistes qui sont avant tout des nihilistes. On songe aux beaux esprits de la
république de Weimar, qui tenaient "Mein Kampf" à sa parution en 1925, pour les élucubrations
exaltées d'un peintre dénué de talent…
L'enjeu, aujourd'hui, c'est de poser le diagnostic le plus juste possible sur le phénomène : bien
évidemment cela est fait de controverses, c'est tout à fait légitime, à condition que cela repose
sur une vraie connaissance de ce dont on parle. Et comme ce sera largement à l'élu(e) de 2017
de mettre en œuvre la thérapie de la fracture, nos concitoyens ont le droit d'être informés pour
se prononcer en connaissance de cause, et non de se faire balader par des charlatans…
Propos recueillis par Sara Daniel
* Directeur de la chaire Moyen-Orient-Méditerranée à l'Ecole normale supérieure et professeur à Sciences-Po.
Emmanuel MACRON LUTTERA-T-IL CONTRE LE WAHHABISME QUE SES PRÉDÉCESSEURS Sarko & Hollande AVAIENT LAISSÉ S'INSTALLER EN FRANCE ?
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