Il était temps que deux grands chefs religieux, le pape François pour les catholiques et le recteur d'Al Azhar pour les musulmans sunnites, dénoncent les dérives dangereuses de l'instrumentalisation des religions qui n'augurent de rien de bon avec la montée des populismes partout dans le monde, avec le risque de nouvelles guerres des religions !
Il faut saluer les Emirats Arabes Unis d'avoir permis cette conférence. Si le sultan des EAU a rompu ses relations diplomatiques avec l'émir du Qatar, contestant son soutien aux Frères musulmans, financier, politique et médiatique puisqu'il met à leur service sa chaîne Al Jazeera où officie régulièrement leur guide spirituel Youssef al-Qaradâwî; il fallait que des chefs religieux dénoncent à leur tour l'exploitation de la religion par les Frères musulmans, entre autres !
C'est fait. Et c'est bien dit !
R.B
Le Pape François et le Grand Imam d'Al-Azhar Ahmad Al-Tayeb
Abou Dhabi : signature d'une déclaration historique
Le Pape François et le
Grand Imam d'Al-Azhar Ahmad Al-Tayeb formulent une forte condamnation du
terrorisme et de la violence : « Dieu ne veut pas que son nom soit utilisé pour
terroriser les gens », précisent-ils dans ce texte qui se penche notamment sur
la paix, la liberté religieuse et les droits des femmes.
Le Document sur la
fraternité humaine pour la paix dans le monde et la coexistence commune signé
cet après-midi à Abou Dhabi par le Pape François et le Grand Imam d'Al-Azhar,
Ahmad Al-Tayeb, constitue non seulement une étape importante dans les relations
entre le christianisme et l'islam, mais c'est aussi un message qui a un fort
impact sur la scène internationale. En préface, après avoir affirmé que «la
foi amène le croyant à voir dans l'autre un frère à soutenir et aimer », le
texte est présenté comme « un document raisonné avec sincérité et
sérieux", qui invite "toutes les personnes qui portent dans leur cœur
la foi en Dieu et la foi en la fraternité humaine, à s'unir et travailler ensemble
».
Le document débute par une série d’invocations : le Pape et le Grand Imam
parlent «au nom de Dieu qui créa tous les êtres humains égaux en
droits, devoirs et dignité », «au nom de l'âme humaine innocente
que Dieu a interdit de tuer », « au nom des pauvres »,
des « orphelins et des veuves, des réfugiés et des exilés, de toutes
les victimes de guerres » et « de persécutions ».
Al-Azhar, avec l'Église catholique « déclarent adopter la culture du
dialogue comme cheminement ; la collaboration commune comme trajectoire ; la connaissance
mutuelle comme méthode et critère ».
Avec ce document, « nous demandons à nous-mêmes, et aux dirigeants
du monde, aux artisans de la politique internationale et de l’économie
mondiale, de s’engager sérieusement à répandre la culture de la tolérance, de
la cohabitation et de la paix ; d'intervenir le plus rapidement possible pour
arrêter l’effusion de sang innocent et mettre fin aux guerres, aux conflits, à
la dégradation de l'environnement et au déclin culturel et moral que vit
actuellement le monde ».
Diffuser des valeurs de paix et de
justice
Les deux chefs religieux demandent aux hommes de religion et de culture,
ainsi qu'aux médias, de redécouvrir et de diffuser « les valeurs de
paix, de justice, de bonté, de beauté, de fraternité humaine et de coexistence
commune ». Et ils affirment croire « fermement que parmi les causes
les plus importantes de la crise du monde moderne, on trouve une conscience
humaine anesthésiée, l'aliénation des valeurs religieuses, ainsi que la
domination de l'individualisme et des philosophies matérialistes ».
Tout en reconnaissant les avancées positives de la civilisation moderne, la
déclaration insiste sur «la détérioration de l'éthique, qui conditionne
l'action internationale, ainsi que l'affaiblissement des valeurs spirituelles
et le sens des responsabilités », ce qui conduit beaucoup de monde à «
tomber dans le vortex de l'extrémisme athée et agnostique, ou dans l'intégrisme
religieux, l'extrémisme et le fondamentalisme aveugle ». L'extrémisme
religieux et national ainsi que l'intolérance ont produit les signes
d'une « troisième guerre mondiale en morceaux ».
Le Pape et le Grand Imam affirment ainsi que « les profondes crises
politiques, l'injustice et le manque de répartition équitable des ressources
naturelles, qui ne profitent qu'à une minorité de riches au détriment de la
majorité des peuples de la terre, ont généré, et continuent à le faire,
énormément de malades, de nécessiteux et de morts, provoquant des crises
fatales, dont sont victimes de nombreux pays... Face à ces crises, qui mènent
des millions d’enfants, déjà réduits à un squelette humain, à mourir de faim, à
cause de la pauvreté et de la famine, règne un silence international
inacceptable ».
« Il est évident que la famille est essentielle », tout autant que
l'importance « de l'éveil du sens religieux » surtout chez les
jeunes, « pour faire face aux tendances individualistes, égoïstes et
conflictuelles, au radicalisme et à l'extrémisme aveugle sous toutes ses formes
et manifestations ». Les deux responsables religieux se souviennent que le
Créateur nous a « offert le don de la vie pour le garder. Un don que
personne n’a le droit d’enlever, de menacer ou de manipuler à sa guise. C’est
pourquoi nous condamnons toutes les pratiques qui menacent la vie, telles que
les génocides, les actes terroristes, les déplacements forcés, le trafic
d’organes humains, l’avortement, l'euthanasie et les politiques qui soutiennent
tout cela ».
Ne pas exploiter les religions pour la
violence
Ils déclarent en outre « fermement que les religions n'incitent
jamais à la guerre et ne sollicitent pas de sentiments de haine, d'hostilité,
d'extrémisme, ni d'appels à la violence ou à l'effusion de sang. Ces désastres
sont le résultat d’une déviation des enseignements religieux, de l’usage
politique des religions et même de l’interprétation de groupes d’hommes de
religion ». C'est pourquoi « nous demandons à tous de cesser
d'exploiter les religions pour inciter à la haine, à la violence, à
l'extrémisme et au fanatisme aveugle et de cesser d'utiliser le nom de Dieu pour
justifier l'homicide, l'exil, le terrorisme et l'oppression ». Le Pape et
le Grand Imam se souviennent que « Dieu, le Tout-Puissant, n'a besoin
d'être défendu par personne et ne veut pas que son nom soit utilisé pour
terroriser les gens ».
La Déclaration atteste que «la liberté est un droit de chaque
personne : chacun jouit de la liberté de croyance, de pensée, d'expression et
d'action. Le pluralisme et la diversité des religions, des couleurs, du sexe,
de la race et de la langue sont une sage volonté divine ». C’est de
la « Sagesse Divine » que « dérivent le droit à la
liberté de croyance et à la liberté d’être différent. Pour cette raison, le
document condamne le fait de forcer les personnes à adhérer à une religion ou à
une culture donnée, ainsi qu’à imposer un style de civilisation que d’autres
n’acceptent pas ».
La déclaration atteste ensuite que «la protection des lieux de
culte - temples, églises et mosquées - est un devoir garanti par les religions,
par les valeurs humaines, les lois et les conventions internationales. Toute
tentative d'attaquer des lieux de culte ou de les menacer par des attentats,
explosions ou démolitions, constitue une déviation des enseignements des
religions ainsi qu'une violation manifeste du droit international ».
Lutter contre le terrorisme
Le texte évoque une nouvelle fois « le terrorisme exécrable qui
menace la sécurité des personnes, tant à l'Est qu'à l'Ouest. La panique, la
terreur et le pessimisme qui se propagent ne sont pas dus à la religion, même
si les terroristes l'instrumentalisent, mais à l'accumulation d'interprétations
erronées des textes religieux, aux politiques de faim, de pauvreté,
d'injustice, d'oppression, d'arrogance. C’est pourquoi il est nécessaire de
cesser de soutenir les mouvements terroristes à travers le financement, la
fourniture d'armes, des planifications ou des justifications, voire même une
couverture médiatique, et de considérer tout cela comme un crime international
menaçant la sécurité et la paix dans le monde ».
Le document indique qu’ « il est nécessaire de s'engager pour établir
dans nos sociétés le concept de citoyenneté à part entière et renoncer à
l'utilisation discriminatoire du terme "minorités", qui porte les
germes d'un sentiment d'isolement et d'infériorité».
La Déclaration définit comme « besoin indispensable » la
reconnaissance du droit des femmes à l'éducation, au travail et à l'exercice de
leurs droits politiques. « En outre, il faut œuvrer pour la libérer des
pressions historiques et sociales contraires aux principes de sa propre foi et
de sa dignité. Il est également nécessaire de le protéger de toute
exploitation. C’est pourquoi nous devons mettre fin à toutes les pratiques
inhumaines et à toutes les coutumes vulgaires qui humilient la dignité des
femmes et œuvrer au changement des lois qui empêchent les femmes de jouir
pleinement de leurs droits ».
Après avoir réaffirmé le droit des enfants à grandir dans un environnement
familial, leur droit à l'alimentation et à l'éducation, les deux responsables
religieux déclarent : « Nous devons condamner toute pratique qui viole
la dignité des enfants ou leurs droits. Il est également important de se
prémunir contre les dangers auxquels ils sont exposés, en particulier dans
l'environnement numérique, et de considérer le trafic de leur innocence et
toute violation de leur enfance comme un crime ».
Enfin, « Al-Azhar et l’Église catholique demandent que ce document
soit objet de recherches et de réflexions dans toutes les écoles, les
universités et les instituts d’éducation et de formation ». Ils espèrent
que la Déclaration deviendra un « symbole de l'étreinte entre l'Orient
et l'Occident, entre le Nord et le Sud ».
Le commentaire de la Salle de Presse du
Saint-Siège
Le Directeur par intérim de la Salle de Presse du Saint-Siège, Alessandro
Gisotti, a diffusé ce communiqué expliquant les enjeux de ce texte :
« Le Document sur la "Fraternité humaine pour la paix mondiale et la
coexistence commune", signé par le Pape et par le Grand Imam d’Al-Azhar,
constitue une étape de la plus grande importance dans le dialogue entre
chrétiens et musulmans, un signe puissant de paix et d’espérance pour l’avenir
de l’humanité. Ce Document est un appel pressant à répondre au mal par le bien,
à renforcer le dialogue interreligieux et à promouvoir le respect réciproque
pour barrer la route à ceux qui soufflent sur les braises du choc des
civilisations.
À Abou Dhabi, le Pape François et le Grand Imam Al-Tayyib ont indiqué
ensemble un chemin de paix et de réconciliation que peuvent emprunter tous les
hommes de bonne volonté, et pas seulement les chrétiens et les musulmans. Ce
Document est courageux et prophétique parce qu’il aborde, en les appelant par
leur nom, les thèmes les plus urgents de notre temps au sujet desquels ceux qui
croient en Dieu sont exhortés à interroger leur conscience et à assumer avec
confiance et détermination leur propre responsabilité pour construire un monde
plus juste et solidaire.
Sans ambiguïté, le Pape et le Grand Imam préviennent que personne n’est
autorisé, en aucun cas, à utiliser le nom de Dieu pour justifier la guerre, le
terrorisme ou toute autre forme de violence. Ils réaffirment que la vie doit
toujours être sauvegardée et que les droits des femmes doivent être pleinement
reconnus, en rejetant toute pratique discriminatoire à leur encontre.
Face à une humanité blessée par tant de divisions et de fanatismes
idéologiques, le Pape et le Grand Imam d’Al-Azhar montrent que la promotion de
la culture de la rencontre n’est pas une utopie, mais la condition nécessaire
pour vivre en paix et pour laisser aux générations futures un monde meilleur
que celui dans lequel nous vivons. »
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