R.B
Je suis
né en 1950, et j’avais six ans lorsque mon pays est devenu indépendant. Je
garde encore à l’esprit l’image sombre de la vie quotidienne dans mon quartier.
Nous étions à un quart d’heure du centre-ville, mais nous vivions complètement
marginalisés dans la boue en hiver et la chaleur torride en été. Nous n’avions
ni eau ni électricité. Mes parents et mes frères et sœurs aînés étaient
analphabètes. Le quartier des Frachich et Ouled Ayar était une véritable
jungle, aucun étranger au quartier n’osait s’y aventurer le soir. Il arrivait
souvent que des bagarres éclatent entre les deux tribus qui finissaient dans le
sang.
Les
maladies contagieuses n’épargnaient aucun foyer. En hiver, en rentrant tard le
soir, on devait avoir une torche pour éviter de plonger les pieds dans la boue.
Juste à côté, se dressait la caserne de Forgemol où vivaient les soldats de
l’occupation dans le plein confort, alors qu’on vivait dans la misère totale.
Mon
quartier n’était pas le seul à vivre dans la désolation, des centaines d’autres
quartiers de la périphérie de Tunis vivaient ainsi.
Un jour,
on a appris que nous sommes devenus indépendants. Pour moi, enfant de six ans,
cela ne signifiait rien. C’est quoi indépendant, et c’est qui ce Monsieur qu’on
appelait Bourguiba ? Peut-être qu’il est le fils ou le frère du bey.
Quelques
mois après j’ai vu s’installer de grosses tentes où tout le monde devait aller
pour se faire vacciner contre la tuberculose, la coqueluche et la variole.
La même
année, une école primaire pour garçons a été construite. C’est alors que je
quitte le "kotteb" (école coranique) pour aller prendre place dans ce
bâtiment avec d’autres enfants qu’on appelle élèves.
Brusquement,
les bagarres entre Frachich et Ouled Ayar ont cessé. L’oued qui nous séparait
de l’école et qu’il fallait traverser avec précaution en hiver ne représentait
aucun risque avec le pont nouvellement construit qui joint ses deux rives.
La grande
joie était l’ouverture de la cellule destourienne où on avait droit à une tasse
de lait, un petit pain et un morceau de fromage. On nous disait que c’est
l’Amérique (Etats Unis) qui nous offre la poudre de lait et le fromage.
Des
quartiers modernes poussent à un rythme accéléré : cité el Khadra, cité
Ezzouhour, Ettahrir, Ibnou Kholdun.
Quatre
ans après, et à l’âge de dix ans, nous déménageons dans le quartier Lafayette.
C’est la première fois que je mets les pieds dans le centre-ville. La première
fois que notre foyer est éclairé par des ampoules. La première fois que pour
boire, il suffit d’ouvrir le robinet. Le plein confort ! Nous étions les seuls
musulmans à habiter la rue Zaghouan, le reste des habitants étaient des
Italiens ou Maltais.
Peu à
peu, je commençais à découvrir Bourguiba, à comprendre le rôle qu’il a joué
pour nous libérer du colonialisme français. A cet âge, et après quatre années
de français à l’école, je pouvais discuter avec mes copains italiens qui
parlaient français. Bien que n’étant pas conscient de ce que faisait chaque
jour notre grand Zaïm, je ne cessais de constater les grands changements dans
notre vie. Je me rappelle que j’ai bien aimé le terme de
"dégourbification" et j’étais fier de découvrir l’étymologie de ce
terme qui veut dire l’éradication de tous les gourbis.
Par la
suite, lorsque nous avons acheté un poste radio, je suivais avec admiration les
discours du Combattant Suprême qui nous appelait surtout à aimer notre Tunisie,
à étudier et apprendre les sciences modernes et la technologie. Mon bagage
politique ne cessait de se développer. A l’âge où j’étais au lycée, je suivais
les événements en Algérie, au Ghana, et je suivais les activités de Nehru,
Tito, Patrice Lumumba et autres leaders du Tiers Monde.
Mais ma
fierté était à son comble lorsque j’ai découvert, une fois à Paris, étudiant à
la Sorbonne, le respect que les Français vouaient aux Tunisiens.
Une fois,
alors que j’étais sur un vélomoteur avec mon frère, ce qui est interdit,
l’agent qui nous a arrêtés nous a rapidement laissé partir lorsqu’il découvrit que nous sommes Tunisiens.
C’était
l’époque Bourguiba, la belle époque vraiment.
Aujourd’hui,
des gens de mon âge qui sont passés de la misère à la prospérité, n’ont que haine pour ce grand homme, pour Bourguiba le Zaïm. Les qualifier d’ingrats, c’est faire preuve d’euphémisme à leur égard. Bourguiba est au-dessus de leur
haine et leur ingratitude. Il a
écrit en lettres d’or son nom parmi les grands hommes de ce monde.
En
quelques années, il a fait des Tunisiens un peuple épanoui et respecté. Il a
réussi à réconcilier les différentes tribus, à émanciper la femme, et à
répandre le savoir à travers les contrées les plus reculées du pays.
Si j’aime
et respecte Bourguiba, c’est parce que je suis reconnaissant à celui qui a
éclairé mon chemin et fait de moi ce que je suis aujourd'hui.
La hargne
et la rancune contre notre Bourguiba, ne font que lustrer encore plus son image.
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