Les
tunisiens n'ont jamais été autant sollicités pour se choisir un président en
2019, eux qui étaient interdits "de politique", depuis l'indépendance
de la Tunisie !
Ils vivent
une campagne électorale qui laisse à désirer, pléthorique en candidats et en partis, avec une classe
politique souvent pas au niveau de leurs aspirations.
La
pendaison de crémaillère chez ma soeur Hamida, sera pour moi l'occasion de
prendre la température "politique" de ses convives composés de
parents, d'amis, d'artisans de tous les corps de métiers qui ont participé
à la réalisation de sa maison secondaire à Mrazga.
L'échantillon
est intéressant dans la mesure où les différentes classes sociales et les catégories socio-professionnelles y sont
représentées : médecin, chirurgien-dentiste, avocat, ingénieur, enseignant,
secrétaire de direction, maçon, plombier, électricien, menuisier, peintre,
jardinier, ouvrier.
Campagne
électorale oblige, les débats et interviews des
candidats sur tous les médias, étant présents dans les esprits des convives, fatalement les conversations vont prendre une tournure politique.
Il était intéressant de comparer les points de vue des uns et des autres et d'écouter leurs arguments pour justifier leur choix ou du moins ce qu'ils pensent de chacun des candidats.
Si les noms qui reviennent dans les conversations parmi les 26 candidats se réduisent à Abir Moussi, Abdelkrim Zbidi, Youssef Chahed, Abdel Fatah Mourou et Ghannouchi comme personnage clivant ; cependant, parmi les convives, deux groupes émergent : ceux qui sont contre Ennahdha et ceux qui sont pour Ennahdha. Dans ce dernier, beaucoup semblent inconscients du machiavélisme de Ghannouchi qui a fini par imprimer dans le logiciel d'une majorité de "progressistes" son fameux consensus, cette politique du "tawafuq" qui a miné et ruiné le pays; et qui donneraient leur voix aux "oiseaux rares" que choisirait Ghannouchi parmi des "progressistes" conciliants !
Rare sont
ceux qui ont perçu le
danger du consensus et celui d'une nouvelle alliance
contre nature avec les islamistes; et rejettent en bloc les Frères
musulmans et tous les progressistes disposés à jouer leur jeu et à pérenniser le consensus avec les ennemis de la république !!
La classe aisée ne semble pas consciente de la gravité de conserver Ghannouchi au pouvoir. Est-ce parceque la baisse de son pouvoir d'achat n'est pas suffisamment importante pour les interpeller comme c'est le cas de la classe défavorisée qui touche du doigt les effets de la gestion calamiteuse par les Frères musulmans, dont elle voit les effets sur son porte-monnaie quotidiennement ?
Si certains ingénieurs sont admirateurs de Ghannouchi jusqu'à voir en lui un moderniste et un stratège en politique internationale, à l'instar d'autres scientifiques et ingénieurs qui se sont fourvoyés chez les Frères musulmans jusqu'à se convertir au wahhabisme qui fonde leur action politique; d'autres se bercent d'illusion qu'ils seront préservés des islamistes en choisissant un progressiste comme Abdelkrim Zbidi ou Youssef Chahed; refusant d'admettre qu'ils font déjà partie du système instauré par Ghannouchi et qu'ils sont disposés à s'allier à Ennahdha, tout comme l'avait fait avant eux Béji Caïd Essebsi, leur mentor aux deux qui avait banalisé la politique du "tawafuq" (consensus) ! Parmi eux, particulièrement les femmes qui ont voté pour Béji Caïd Essebsi mais refusent d'admettre que ces deux-là seront Béji Caïd Essebsi-Bis, en plus mauvais.
Dans la classe défavorisée, les avis sont partagés, là aussi. Si dans le premier groupe une majorité serait pour Ghannouchi du fait de l'assiduité d'un bon nombre d'entre eux à fréquenter les mosquées où l'endoctrinement au wahhabisme est quotidiennement assuré; d'autres se disent séduits par Abdel Fattah Mourou parcequ'il les fait beaucoup rire.
Ce à quoi le plombier du second groupe leur répond que ce sera Mourou qui rira d'eux, si par malheur il était élu. Mais très vite, il va les expliquer que Mourou n'est qu'un lièvre lancé par Ghannouchi dans la course à sa perte ; puisqu'il lui préfère un "progressiste" pour en tirer les ficelles et lui faire porter le chapeau des échecs à venir, pour préserver les Frères musulmans ! Il leur rappelle au passage, la relation exécrable entre les deux hommes; et que Ghannouchi se sert de Mourou juste pour le mettre en vitrine, comme il met en vitrine des femmes en "cheveux", ou des juifs ou des homosexuels en période électorale, pour donner le change à ses opposants et à l'Occident qui croit en son "islamisme modéré", à propos de sa conversion au progressisme et à la démocratie !
Devant l'hilarité générale, il s'est mis alors à haranguer ses collègues artisans, dénonçant pêle-mêle une constitution minée, une loi électorale paralysante pour le pays, une classe politique versatile prompte au retournement de veste, dans laquelle il ne voit d'espoir qu'en Abir Moussi dont le projet et les discours sont toujours conformes à son programme initial : écarter les Frères musulmans du pouvoir et mettre un terme à leur nuisance en interdisant l'islam politique.
Et pour les convaincre, il rappelle à l'assistance leur difficulté à tous à joindre les deux bouts, depuis la "révolution" !
Pour ma part, je reste perplexe et je ne comprends pas ceux qui ne voient pas le danger des islamistes. Ils croient en leur métamorphose et leur évolution vers la démocratie et les libertés. Ils constateront tôt ou tard leur erreur. Mais ils hypothèquent et obèrent d’ores et déjà l'avenir de toute la jeunesse, par leur choix. Pourtant il n'y a pas chez eux une véritable idéologie derrière cette acceptation des islamistes comme en Europe où une forme de gauchisme accepte l'islamisme. Naïvement, ils les acceptent parceque tout simplement "musulmans" : ignorant qu'ils importent le wahhabisme pour remplacer le malékisme et le soufisme ancestraux qui ont façonné la tunisianité des Tunisiens; et auquel beaucoup adhérent par manque de culture, ignorant leur histoire !
Que faudrait-il pour qu'ils ouvrent les yeux ? Faudra-t-il attendre le sacrifice de deux ou trois générations comme dans les pays communistes ?
Rachid Barnat
LE RÔLE DES HUMANITÉS CHEZ LES ÉLITES ...
RépondreSupprimerJean Pierre Ryf :
En présence de cette situation de scientifiques, d'ingénieurs qui, plus souvent que d'autres, tombent dans les bras de l'islamisme, je suggère une analyse.
Leur niveau d'éducation n'est pas suffisant, le diplôme n'étant pas un critère de bon raisonnement et n'a jamais été un critère de véritable intelligence ; laquelle est un mixte bien dosé de connaissances et de sensibilité, d'ouverture aux autres et au monde.
Les scientifiques et les ingénieurs sont des gens qui raisonnent parfaitement en logique mais à qui il manque quelques fois la sensibilité, les doutes, le questionnement sur l'humanité qui font les sciences humaines. Très souvent ils ignorent tout de la littérature et des arts. Cela assèche leur raisonnement car ils ne perçoivent plus tout ce que la vie humaine a de relatif, d'ondoyant, de varié qui ne se laisse pas enfermer dans une équation.
Il leur manque souvent dans leur cursus l’acquisition des humanités des sections littéraires.
Le communisme par exemple est absolument attirant sur le papier et sur un plan strictement logique mais il omet, et c'est son crime, l'homme et ses envies, ses désirs et même ses caprices dont il faut tenir compte mais qui n'entrent dans aucune équation.
Et ce raisonnement on peut le faire aussi face à l'idéologie islamiste qui, comme toutes les idéologies, reposent sur quelques idées simples mais en réalités simplistes face à la complexité des humains.
Je dois cependant corriger aussitôt cette impression en donnant deux exemples qui montrent qu’une culture littéraire ou artistique ne met, hélas, pas à l’abri de graves erreurs d’analyse.
Je lisais récemment le livre de Stefan Zweig "Le monde d’hier". Il montre que c’est dans son pays celui ou l’élite avait porté au plus haut la littérature, la peinture et la musique que l’on est venu à accepter l’idéologie nazie et à brûler les livres !
Quant au communisme et ses innombrables crimes contre l’homme, il a été soutenu par nombres d’intellectuels et littérateurs fourvoyés !
Alors faut-il désespérer ? Il y a pourtant un certain nombre de principes de base. La liberté humaine, la justice, la dignité de l’homme qui devraient aider à garder un cap à l’abri des idéologies déraisonnables.
Cependant en disant cela, je garde un doute.