vendredi 20 décembre 2013

Jumelage des mosquées ou jumelage des écoles et des universités ?

Quand l'abrutissement des élèves est érigé en programme d'enseignement islamiste par les frères musulmans !








« La pensée ne doit jamais se soumettre ni à un dogme,  ni à un parti, ni à une idée préconçue, ni quoi que ce soit,  si ce n’est aux faits eux-mêmes, parce que, pour elle, se soumettre, ce serait cesser d’être. »

Pensée du mathématicien Henri Poincaré (1854- 1912) inscrite au fronton de l’Université Libre de Bruxelles (ULB).

Un projet de loi inscrit sur les tablettes de l’ANC se propose de donner à la mosquée de nouvelles missions et des prérogatives fort étendues couvrant pratiquement tous les domaines de la vie en société. Outre l’obligation faite à tout projet de construction de prévoir une mosquée (article 7), celle-ci, en vertu de l’article 18 de ce projet, a un rôle à jouer dans « la vie de la société » et des fonctions spirituelles, éducatives, scientifiques, culturelles et sociales à remplir.  Le lieu de culte doit aussi assurer des cours de rattrapage pour les deux sexes, proposer des cours d’alphabétisation ainsi que des leçons de morale et d’éducation religieuse pour le public (art. 20). Il doit aussi assurer des cours de formation religieuse, remplir le rôle dévolu à la police des mœurs saoudienne (« ordonner ce qui convient et interdire ce qui est à blâmer »), veiller à l’application de la charia dans tous les domaines de la vie, lutter contre « les maux sociaux, préserver l’unité religieuse de la nation et la protéger du mal de la différence et du désaccord ». L’article 23 confie même à la mosquée la formation sanitaire, la publicité des mariages et la circoncision. Elle doit aussi réserver des activités spécifiques aux femmes. Enfin l’article 28 permet le jumelage entre mosquées - même avec celles de l’étranger - afin «d’unifier leur façon d’affronter les déviations religieuses, culturelles et sociales.»

Le centre de la vie sociale - de la vie tout court - devient donc la mosquée. Tout tourne autour d’elle comme les astres tournent autour du soleil. Elle devient l’alpha et l’oméga de la vie en société. En un mot comme en cent, la mosquée cristallise  de fait tous les attributs de l’Etat. 

Adieu au caractère civil de la société? Adieu au modèle traditionnel de notre société tunisienne équilibrée ? 

Une école pour tous, la réussite pour chacun
Retient particulièrement notre attention ici le rôle éducatif de la mosquée : cours de rattrapage, éducation sanitaire, alphabétisation face à ce qui se passe aujourd’hui dans nos écoles et nos facultés. Il s’agit de savoir si c’est ainsi, par la mosquée, que nous allons surmonter les handicaps actuels et rejoindre les Etats émergents comme l’Inde,  le Brésil ou la Chine - dont la sonde « Lapin de jade » s’est posée sur la lune le 14 décembre 2013 ? Assurer notre sécurité alimentaire ? Produire nos médicaments ? Diminuer notre dépendance vis-à-vis des importations? Protéger notre environnement et procurer de l’eau potable à tous les Tunisiens ? Dénicher des emplois pour les diplômés chômeurs ? Former des citoyens responsables et engagés pour la Tunisie et le bien commun ? 

Ce n’est pas la mosquée qui permettra d’atteindre ces buts  dont nous avons un si pressant besoin. Pour notre dignité d’abord et pour notre indépendance nationale ensuite. 

Intéressant un total de 65 pays, la dernière enquête PISA (Program for International Student Assessment ou Programme international pour l’évaluation des acquis des élèves de 15 ans), faite par l’OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économiques qui compte 34 membres occidentaux dont le Japon plus le Chili et Israël) portant sur l’année 2012  nous donne une réponse catégorique : NON ! 

Avec ou sans mosquée, aucun pays musulman ne figure, malheureusement - s’agissant des performances des élèves de 15 ans en mathématiques, en compréhension de l’écrit et en sciences - parmi les meilleurs. 
Pourquoi ce test international standardisé ? Parce que, répondent les enquêteurs, aujourd’hui, tout adulte, quelle que soit sa profession, « a besoin d’un certain niveau de compétence en mathématiques - ainsi qu’en compréhension de l’écrit et en sciences pour s’épanouir… et participer pleinement à la vie de la société… [tout citoyen ] constructif, engagé et réfléchi [doit pouvoir] poser des jugements et prendre des décisions en toute connaissance de cause. »

Dans certains pays, les conclusions de l’enquête PISA ont donné lieu à un questionnement du gouvernement au Parlement, comme en France et ailleurs la presse en a copieusement traité comme aux Etats Unis où le New York Times s’est étonné du mauvais classement des Américains en mathématiques et de leurs piètres performances en compréhension de l’écrit et en sciences dans plusieurs articles. L’éditorialiste du quotidien newyorkais (07 décembre 2013) déplore que « des millions d’étudiants américains délaissent les math, la science et l’engineering tout en achetant smartphones et tablettes sans vouloir pourtant acquérir les connaissances qui permettent de produire ces appareils ».  

En Tunisie, notre gouvernement, l’ANC, notre Président, ont apparemment des  préoccupations plus urgentes et les bien mauvais résultats de nos jeunes les laissent de marbre … trop occupés peut être par le retour des " habous " (fondations) ou la question des" jawaris" (esclaves sexuelles) et des quatre épouses (voir l’article de M. Gmati, la Presse de Tunisie du 08 décembre 2013) ou la condamnation de jeunes rappeurs. Du reste, ont-ils eu connaissance de l’enquête PISA ? Car nul écho de Son Excellence Moncef Ben Salem, mathématicien de son état, ni de Son Excellence le docteur en sociologie Labiadh, le ministre de l’éducation. Pourtant, en dix ans d’existence, ce Programme International de l’OCDE pour le suivi des élèves (PISA) est devenu « la référence mondiale dans le domaine de l’évaluation de la qualité, de l’équité et de l’efficience des systèmes d’éducation » écrit Angel Gurría, Secrétaire Général de l’OCDE. L’enquête montre que « parmi les pays qui ont participé à toutes les évaluations PISA depuis 2003, la performance en mathématiques a augmenté de plus de 25 points par an au Brésil, en Italie, au Mexique, en Pologne, au Portugal, en Tunisie et en Turquie. » Cette constatation positive concernant notre pays doit cependant être tempérée : notre score en mathématiques n’est que de 388 alors que celui de la Chine - sur la plus haute marche du podium -  est de 613 et que la moyenne, pour les pays de l’OCDE, se situe à 494. Nous avons encore donc du chemin à faire malgré nos lycées-pilotes et la ribambelle de cours particuliers payants - qui saignent le budget des familles et contribuent au mal-être ambiant - que nous infligeons à nos jeunes. Tout aussi déprimant : l’enquête PISA révèle qu’en mathématiques 67,7% de nos élèves sont classés comme « peu performants » et qu’un très chétif pourcentage de 0,8% de jeunes Tunisiens se hissent au niveau « très performant » alors que la Chine  en compte 55,4%, la Suisse 21,4% et Israël 9,4%. 

Quelle mosquée, quel kouttab, quel miracle pourrait nous permettre de rejoindre par exemple la Corée (score de 554) ou le minuscule Lichtenstein (score de 535) ? Seuls la Jordanie, la Colombie, le Qatar, l’Indonésie et le Pérou font plus mal que nous. Et ce n’est certainement pas l’augmentation de 29% du budget de 23 milliards du Ministère des Affaires religieuses de M. Khademi (Le Maghreb du 30 novembre 2013) qui contribuera à faire de nos jeunes de bons élèves en mathématiques, en compréhension de l‘écrit et en sciences ! 

Pour ce qui est de « la compréhension de l’écrit », notre score PISA pour 2012 est de 404  alors que celui de la  Chine est de 570  et celui des pays de l’OCDE est de 496. C’est là une bien grave lacune de nos élèves de 15 ans, incapables de comprendre ce qu’ils lisent ! Avec un tel score, il sera très difficile de comprendre Ibn Taymiyya ou Mohamed Ibn Abdelwahab dans nos mosquées. Pour ne rien dire de Karl Marx ou de Jules Verne ! 
En culture scientifique, si la Chine arrache un score de 580, la petite Slovénie 514, le Vietnam 506 et la France 499, l’enquête PISA nous gratifie d’un score de 398. Les Jordaniens et les Colombiens avec des scores de 409 et 399 respectivement font un peu mieux que nous. 

Ces piètres résultats devraient nous conduire à mettre à l’ordre du jour les programmes, les manuels,  la formation des maîtres – notamment en mathématiques - et faire en sorte que, très tôt, vers 4-6 ans, nos enfants soient familiarisés avec les chiffres, les rapports entre eux et le fait qu’un nombre représente une  quantité. Notre but est clair si nous voulons une Tunisie qui s’inscrive dans son temps et vise à rattraper ses retards: Une école pour tous, la réussite pour chacun. Ce qui est bien loin, on l’admettra, des intentions de ceux qui menacent les institutrices d’une école de Midoun (Jerba) coupables à leurs yeux de ne pas couvrir leurs cheveux ! « L’éducation est une arme puissante pour faire évoluer les mentalités et transcender les différences.» disait Nelson Mandela !
Bien sûr et pour conclure sur l’enquête PISA, il faut relativiser certaines hautes performances car, écrit l’étudiante Isabelle Feng dans Le Monde (13 décembre 2013, p. 21) : « Le nouvel homme fort de la Chine, Xi Jinping, avait envoyé sa fille unique faire des études à l’université Harvard aux Etats Unis, un pays encore moins bien classé par Pisa et même devancé par la France ! La rumeur a circulé parmi les internautes chinois que, malgré les appels de ses parents, Melle Xi refuse de retourner étudier dans une université en Chine.»

A l’Université, rien ne va plus !
Rien ne va plus à l’Université et la motion des Présidents d’Université le dit nettement : refus des décisions démagogiques et électoralistes du ministre de tutelle. Ils déplorent en outre la centralisation à outrance et le manque d’intérêt des autorités pour les travaux des commissions consultatives nationales travaillant sur la réforme de l’Université. Soulignant la situation fort délicate que traverse notre pays, ces responsables universitaires demandent au ministre de s’entourer des avis des professionnels et de cesser de faire la pluie et le beau temps à partir de son bureau,  entouré de son seul staff. 

Mais, le gouvernement, tel un prestidigitateur sortant des lapins de son chapeau, nous a annoncé  la création de nouvelles facultés de médecine, de chirurgie dentaire, de pharmacie… De l’avis de tous les spécialistes, il s’agit là d’une décision inappropriée, populiste et de basse politique… qui a provoqué moult manifestations et colère à Gabès, à Sidi Bouzid et à Gafsa aiguisant ainsi les revendications purement régionalistes. Pourtant, il n’y a pas si longtemps, un membre de l’actuelle équipe gouvernementale, le Pr d’orthopédie Khalil Zaouia, déclarait « le chômage des médecins, quel gâchis » (Attariq al Jadid, 18-24avril 2009, p. 2).  Comprenne qui pourra… d’autant qu’outre le Dr Khalil Zaouia, ni le Dr Moncef Marzouki ni le Dr Mustapha Ben Jaâfar n’ont consenti à éclairer le  pays sur cette affaire. 

D’autre part, le 4 décembre, les enseignants se sont mis à nouveau en grève dans les institutions universitaires tunisiennes face à la politique de gribouille menée par M. Moncef Ben Salem (appuyée par ses collègues de l’agriculture et de la santé) et le fait que son ministère ne tient pas ses engagements vis-à-vis des enseignants. Iskander Hachicha, un responsable syndical,  affirme : « Les décisions autocratiques, sans concertation avec les enseignants, nous poussent à la grève.» (Le Maghreb, 01 décembre 2013, p. 9). Son Excellence Ben Salem ne semble pas avoir assimilé les leçons de la Révolution qui l’a  pourtant installé  sur ce fauteuil ministériel puisqu’il continue à se comporter comme ses prédécesseurs du temps de Ben Ali (Cf Hassine Boujara, Le Maghreb, 4 décembre 2013, p. 11). Très révélateur à cet égard est le traitement (« punition » affirme l’intéressé) réservé à un brillant enseignant qui a eu le tort - aux yeux de l’actuel ministre et son staff - de faire partie du cabinet de M. Ahmed Brahim (Cf Attariq al Jadid, 30 novembre- 6 décembre 2013, p. 13).

Est-ce ainsi que l’on fera avancer la recherche et l’enseignement supérieur dans ce pays ? Avec des grèves à répétition ? A coup de vendetta et de chasse aux sorcières ?  Comme au bon vieux temps où sans carte du RCD rien n’était possible ?

Ailleurs, l’enseignement supérieur et la recherche scientifique mobilisent au sommet même de l’Etat. C’est ainsi que la prestigieuse revue scientifique Nature - qui paraît tous les jeudis depuis 1868 - nous apprend, dans sa livraison du 19 septembre 2013 (page 293-294), que l’Union Européenne alloue d’importantes sommes aux chercheurs israéliens et leur donne libre accès aux laboratoires des pays membres et à leur communauté scientifique dans le cadre de son programme Horizon 2020. Ce dernier est doté de 80 milliards d’euros et durera sept ans à partir de  2014.  Depuis 1996, Israël  est associé aux programmes de recherche de l’Union Européenne - bien que ne faisant évidemment pas partie de l’Union - énorme privilège dont jouissent seulement la Suisse et la Norvège. Ayant placé 34 millions d’euros pour faire partie du très sélect club de la recherche européenne, Israël en a récolté 634 millions pour ses programmes de recherche et près de 1600 chercheurs israéliens en sciences fondamentales ont profité de cette manne européenne. Seule la Suisse en a eu plus. Or, cette année, il y a eu un grain de sable dans la machine. Les ministres des Affaires Européens ont décidé que « tous les accords entre l’Etat d’Israël et l’Union Européenne doivent sans équivoque et explicitement indiquer qu’ils sont inapplicables aux territoires occupés par Israël en 1967. » Ainsi, la société de cosmétiques Ahava, installée sur les bords de la Mer Morte en Cisjordanie à Mitzpe Shalem, ne devrait pas bénéficier de crédits de recherche européens. Fureur du gouvernement Netanyahou qui, le 14 juillet dernier, a accusé l’UE de le pousser à renoncer à sa souveraineté sur ces territoires et qu’en conséquence, il ne signera pas le programme Horizon 2020. Mais les chercheurs israéliens sont montés au créneau car, affirme Benny Geiger, biologiste à l’Institut Weizmann des Sciences à Rehovot, il s’agit là « d’un coup très rude, à bien des égards ». Ruth Arnon, Présidente de l’Académie des Sciences et des Humanités de Jérusalem, se fendit d’une lettre au Premier Ministre. Résultat : une semaine avant la date limite et avec quelques entourloupes diplomatiques, les Israéliens ont dû signer début décembre. Le Prix Nobel de chimie israélien Dan Shechtman a dû baisser pavillon : « Dans les conditions actuelles, cela vaut la peine de signer cet accord. A l’avenir, nous essaierons d’avoir des conditions plus en conformité avec la position du gouvernement israélien… Nous faisons partie de la communauté [scientifique] européenne et nous avons des relations avec tous les scientifiques des pays européens. De plus, il y a un aspect économique. Israël investit un milliard d’euros et reçoit un milliard et demi [en bourses de recherche, équipement, voyages d’étude, échanges..]. N’importe quel homme d’affaires auquel on offrirait ce marché sauterait immédiatement dessus.»

Aucun jumelage de mosquée ne nous permettra d’atteindre le club des scientifiques de haut vol. Le travail et le sérieux de nos scientifiques et le jumelage avec d’autres institutions scolaires et universitaires en sont capables, si le gouvernement et les forces vives de la Nation y mettent le prix, en sentent la nécessite et en réalisent  l’importance.



1 commentaire:

  1. HISTOIRE DES "AWQAF", PLUS CONNUS PAR LES "H'BOUS"; PAR DES SPÉCIALISTES, DONT LE Pr Leila SILINI !

    Un système juridique archaïque qui n'a rien de religieux ... idée née dans l'esprit des hommes, comme du reste la chariâa !

    Système sacralisé par les "frères musulmans", comme ils sacralisent la chariâa ... pour des raisons terre à terre : dominer les hommes et s'enrichir à leur dépens !!
    Ce que Ghannouchi veut restaurer.

    Pr Leila SILINI :
    La signification politique du concept "awkaf" ("h'bous") : un état dans l'état ... qui prélude d'un Etat théocratique !

    1 ére partie de l'émission consacrée au " wakf & h'bous " :
    http://alhamra.nessma.tv/replay/maghribouna-fel-tahrir-wal-tanwir/maghribouna-fel-tahrir-wal-tanwir-du-jeudi-12-decembre-2013.html

    2 éme partie de l'émission consacrée au " wakf & h'bous " : http://alhamra.nessma.tv/replay/maghribouna-fel-tahrir-wal-tanwir/maghribouna-fel-tahrir-wal-tanwir-du-jeudi-19-decembre-2013.html

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