samedi 7 décembre 2013

Tunisie, opération de basse police au Palais de Carthage

Le Palais de Carthage, qui abrite en Tunisie la présidence tunisienne, ne réussit guère à ses hôtes. Après Ben Ali qui a régné grâce à un appareil policier pléthorique, voici son successeur, l’ancien opposant Moncef Marzouki, qui utilise les archives du régime défunt pour régler piteusement quelques comptes.
En trois cent cinquante pages, Moncef Marzouki, le toujours provisoire président tunisien, a torpillé sa carrière politique, pas moins. Le militant démocrate, que les Tunisiens, au lendemain de la révolution, avaient chassé de la place de la Kasbah fin janvier 2011, à force de « dégage », a fait publier par la Présidence de la République un libelle aux objectifs suspects. « Le livre noir » ou « Le système de propagande sous Ben Ali», jette en pâture des noms de journalistes, d’artistes et d’intellectuels, qui auraient cotoyé de près ou de loin,  l’Agence Tunisienne de Communication Extérieure (ATCE), organe de prosélytisme de Ben Ali. Il faut se souvenir que l'ATCE, aidée par la grande prêtresse  de la communication, Anne Méaux, convoyait des charters de journalistes et de politiques français pour quelques séjours ensoleillés sur les plages tunisiennes, sans que personne à Paris ne s'en offusque.

Confusion des pouvoirs
Sous prétexte, dans un élan pseudo révolutionnaire, de démasquer les « collaborateurs », Marzouki transgresse l’organisation des pouvoirs. L’exploitation de telles données, livrées par les archives nationales, est du ressort de l’Assemblée Nationale Constituante (ANC), dans le cadre d’une loi sur la justice transitionnelle qui tarde à être adoptée. Dans le bilan qui doit être dressé des travaux de l'ANC, ce retard pèse lourd. En effet, la Tunisie de l'après Ben Ali se devait d’exercer un devoir de mémoire et de définir les responsabilités en cause dans les exactions et les tortures du régime passé. L'exercice était périlleux, mais essentiel. Or les gouvernements successifs depuis "le printemps tunisien", ont préféré emprisonner une dizaine d’anciens ministres et dignitaires, choisis au hasard, ou au pire, victimes de contentieux personnels avec le nouveau pouvoir.
Dans le pavé dans la mare pleine de boue que lance Moncef Marzouki, figurent les noms des journalistes qui auraient complété leur fin de mois en écrivant sous la dictée de l'ATCE. Possible, et même certain, mais comment faire confiance à une fiche de police ? Et de surcroît sous Ben Ali, qui réécrivait l'histoire en permanence ? « Le livre noir est plus qu’un règlement de comptes ou qu’un acte à but électoraliste. Il s’agit d’une incitation au meurtre des journalistes et hommes de médias » précise Fahem Bougadous, directeur du Centre de Tunis pour la liberté de la presse (CTLP). Moncef Marzouki, souvent critiqué par les médias, a-t-il tenté de rendre la monnaie de leur pièce à des journalistes trop insoumis à son goût ? Toujours est-il qu’il dédie 12 pages à sa propre apologie, ne cite pas certaines figures, pourtant connues comme laudatrices de Ben Ali, mais qui aujourd’hui sont proches de Carthage et du parti de Marzouki, le Congrès pour la République (CPR).

Basse police
Cependant, le livre dépasse le simple recensement de ces supposées « bakchich », il dévoile des éléments de vie privée et désigne des personnalités des médias, tel que Samy Ghorbal et Ridha Kéfi, qui effectuaient simplement leur travail de journaliste, dans le cadre contraignant d’un régime ultra autoritaire. Moncef Marzouki pratique un détournement de la mémoire nationale, sans prendre aucune précaution d’usage et sans indiquer la méthodologie adoptée ni la qualité de ceux qui ont épluché les dossiers.
Autre illustration de cet esprit de vengeance, l’ancien opposant de Ben Ali, Ahmed Manai, qui fut atrocement torturé, a le droit à un traitement de faveur. Non seulement les calomnies rendues publiques sous Ben Ali sont abondamment citées dans "le Livre noir", mais d’autres encore, inconnues, sont « révélées » par ce document censé dénoncer la propagande du pouvoir précédent. En revanche, Marzouki et Ghannouchi, ainsi que les dirigeants d’En Nadha, ont droit à la publication de fiches très succinctes et nettoyées avec soin de toute accusation diffamatoire. En fait, Ahmed Manai, qui fut un sympathisant des islamistes lors de la constitution de listes "indépendantes" lors des législatives  de 1989, a eu le tort de se montrer nettement plus critique, depuis trois ans, contre les mêmes parvenus au pouvoir. Ce qui est impardonnable pour l’ami Marzouki !

La Présidence de la République, sur sa lancée, annonce déjà un second volume. Pourtant la campagne de haine de Marzouki a fait "pschitt", comme aurai dit Jacques Chirac. Le contenu du livre nourrit seulement quelques discussions de salon à Gammarth. En revanche, « La Tunisie des oubliés », aujourd’hui au bord de l’explosion, attend un autre souffle, un autre élan de la classe politique, que la publication, avec de l'argent public, d'archives policières douteuses.

Les droits de l’homme à géométrie variable
En permettant la parution de cet ouvrage à un moment où le pays traverse une crise de confiance, Moncef Marzouki ébranle la posture d’homme d’Etat, au dessus de toute esprit partisan, qu'il cherchait à afficher. Cette opération de basse police remet également en cause ses engagements en faveur des droits de l’homme, des libertés et de la démocratie. De Marzouki président tunisien intérimaire, il ne restera juste rien!
D'autant plus que ce démocrate à géométrie variable, inféodé au Qatar, un pays privé de toute liberté publique et esclavagiste, n’a pas eu la moindre réaction lorsqu'une justice tunisienne instrumentalisé tomba la semaine dernière sur Slim Bagga, l’ancien patron de « l’Audace », un journal vendu à Paris qui donna des cauchemars à Ben Ali ( et qui défendit constamment Marzouji). La semaine dernière, ce journaliste talentueux, indépendant et courageux, emporté il est vrai parfois par des anathèmes inutiles, vient d’être condamné à dix huit mois fermes de prison. Une première! L’instruction fut bâclée et le procès partisan. La plainte émanait d’une diplomate inféodée au régime défunt. Et pourquoi ce silence de Marzouki ? Et bien, Slim Bagga, autrefois à Paris très proche de Marzouki, a eu « l’audace » de prendre position contre les initiatives intempestives du président tunisien intérimaire et souligné son absence de hauteur de vues.
Opposant constant du régime de Ben Ali qui rêve d'un monde nouveau ... sans opposants, Moncef Marzouki parasite aujourd’hui la transition démocratique tunisienne. Chez lui, un ego démesuré a tué toute forme d'intelligence.

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