lundi 16 décembre 2013

Le coup de poker d'Ennahdha


J’y suis, j’y reste quoiqu’il advienne! C’est en ces termes que semble s’adresser le parti Ennahdha à tous ceux qui ont naïvement cru lui ravir par la diplomatie un pouvoir souverain qu’il pense avoir acquis de haute lutte. Quand il n’avait qu’une chance sur un milliard de renverser Bourguiba, le grand Bourguiba, le parti des aventuriers l’a prise. Maintenant que ce parti est au pouvoir, un peu par la grâce de Dieu mais beaucoup parce que de braves libéraux n’ont pas été suffisamment prévenants, il se prévaut de la vox populi : « Nous sommes ici par la volonté du peuple, nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes ».  Ce défi qu’a lancé  Mirabeau au maître des cérémonies du roi Louis XVI venu, naïvement lui aussi, déloger le tiers-état de la salle de l’Hôtel des Menus Plaisirs est repris par les maîtres-chanteurs qui ont transformé la salle du Trône du Palais du Bardo en un souk hebdomadaire.   

C’est dire si Ennahdha n’a pas trahi la volonté du peuple. Aussitôt au pouvoir,  le parti démantèle l’Instance Supérieure Indépendante des Elections. Il  prolonge le mandat de l’Assemblée Nationale Constituante au-delà de son terme légal. A ce jour, le pays est sans constitution et nul ne sait quand auront lieu les prochaines élections et selon quelles modalités. C’est cela le vrai pronunciamiento. 

Du coup, en daignant engager des pourparlers en vue de former un énième gouvernement non affilié politiquement, le parti des usurpateurs passe pour raisonnable et modéré, disposé au compromis.  Il faut le dire, Ennahdha n’a jamais voulu de ce Dialogue National. Il l’a  obstinément refusé avant qu’il n’y soit forcé par l’opposition, la rue, et les diplomates. Au grand bonheur des sceptiques,  Ennahdha s’est montré effrontément de mauvaise foi. Le parti-des-mille- et-une-positions- à- la-fois  fait délibérément de l’obstruction, louvoie et manœuvre, éreinte le Quartet, divise les partis participants, laisse faire et s’entête, se décide et se ravise.  A chaque round, Ennahdha gagne une position et ses adversaires reculent d’une case. De guerre lasse, le front du refus se fissure, les partis se brouillent et le piège se referme sur un Quartet qu’on a eu tort de prendre pour un carré d’as. 


Pour imposer son candidat au poste de premier ministre, Ennahdha joue quitte ou double, le tout pour le tout. C’est à croire qu’Ennahdha veut pour de bon se faire renverser par la force! Auquel cas, les médias internationaux compatiront à la souffrance des réprouvés, les ONG intercéderont et les pays d’accueil renouvelleront les cartes de séjour de ces réfugiés prévenants qui  n’ont jamais organisé leur retour définitif en Tunisie, un pays qu’ils auront finalement gouverné un temps  en voyageurs de commerce. Autant dire, le pays est soumis à un chantage insolent : Ennahdha au pouvoir quel qu’en soit le prix ou le désordre. Que faire ? Résister et patienter. L’opposition le fait depuis longtemps. Et alerter les pays occidentaux sur leur propre inconséquence.  Abdewahab Meddeb l’a fait sur ces mêmes colonnes. Il reste à savoir pourquoi Ennahdha est un parti irrationnel qui n’a peur ni du chaos ni d’un coup d’Etat. Vivre dans le souvenir épique qu’on a gagné les premières et peut-être les dernières élections post-autoritaires vaut mille fois mieux que de se laisser aller à la routine, gagner les élections, les perdre et puis de nouveau les regagner ; en somme se résoudre à l’idée que l’histoire n’a pas de sens. Seuls cette attente millénariste et le gout de la violence politique expliquent l’entêtement d’Ennahdha.

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