Donc voilà le pan-arabisme entré à Carthage. C'est Bourguiba qui doit se retourner dans sa tombe de voir ses ennemis jurés détricoter et détruire la République et la nation tunisienne qu'il a libérée et façonnée pour l'ancrer dans son époque et l'arrimer à l'Occident dont elle fait partie géographiquement et historiquement.
Les discours et la pensée de Kaïs Saïed, rappellent trop ceux des leaders pan-arabistes comme Gamel Abdel Nasser, Kadhafi ... que ses jeunes électeurs n'ont pas connus ou si peu !
Les discours et la pensée de Kaïs Saïed, rappellent trop ceux des leaders pan-arabistes comme Gamel Abdel Nasser, Kadhafi ... que ses jeunes électeurs n'ont pas connus ou si peu !
R.B
Ce juriste qui s’affirme indépendant
des partis a pourtant eu le soutien de toutes les tendances islamistes. Kaïs
Saïed, élu président de la Tunisie à plus de 75%, est pour la peine de mort,
contre la dépénalisation de l’homosexualité et refuse l’égalité de la femme en
matière d’héritage. Alors pourquoi la jeunesse l’a-t-elle plébiscité ? « C’est tranché
dans le Coran : on ne va pas réinterpréter le Coran ! ».
Avec Kaïs Saïed, triomphalement élu ce
dimanche 13 octobre à la présidence de la Tunisie, circulez, il n’y aura plus rien à voir des lumières
réformatrices et féministes qui ont fait la célébrité, tant contestée dans le
monde arabe, du pays de Bourguiba. Ce juriste âgé de 61 ans, au visage austère,
au parler emphatique « dans l’arabe
du Coran », rappelle-t-il sans cesse, ne badine pas avec la question de
l’égalité des femmes devant l’héritage. La réforme en attente, portée
courageusement par son prédécesseur Béji Caïd Essebsi, toujours dans l’esprit
bourguibien, risque de traîner jusqu’aux improbables calendes laïques.
Gentiment qualifié par les gazettes de «
conservateur », le nouveau Raïs qui s’installera bientôt au palais de Carthage
est en fait un réac pur jus, pur islam, et même pur islamisme bien que l’homme
se défende de toute accointance avec partis, branches et racines compromettantes.
Kaïs Saïed a bénéficié du soutien sans faille de l’appareil d’Ennahdha, de ses
réseaux sociaux comme de ceux de la coalition Karama, emmenée par l’avocat
Seifeddine Makhlouf, un défenseur des salafistes. Makhlouf avait traité «
d’attaque contre l’islam » la fermeture de l’école coranique de
Regueb, dans le centre du pays, pour abus sexuels sur les enfants ...
ADIEU JASMIN
Tout cela n’a pas nui à « Monsieur Propre
», comme se plaisent à l’appeler les millions de partisans du nouveau
président. En réalité, il a fallu bien plus pour le porter au sommet de l’Etat.
Le triomphe de Kaïs Saïed n’est en réalité compréhensible que si nous aussi,
les observateurs, acceptons de sortir des « pensées classiques », un terme
qu’il affectionne particulièrement. En gros, le « classicisme » incriminé par
le nouveau président recouvre les notions qui précisément rendent la Tunisie
précieuse : la transition démocratique, l’esprit de réforme religieuse et
sociétale, l’inscription des minorités dans le droit, la loi et la dignité. De
sa voix sépulcrale, Kaïs Saïed s’oppose à tout cela. Car, dit-il, «
d’autres valeurs sont intériorisées par la majorité ». Autrement dit, la
Tunisie vient de basculer spontanément et avec allégresse dans l’antithèse du
monde que nous pensions être le sien.
La jeunesse a donné son cœur, sa raison et
son bulletin de vote à un homme qui s’est sorti de l’inconnu au nom de la
bataille contre la corruption.
Tous corrompus, tel fut son slogan, alors que son rival, Nabil Karoui, patron
de Nessma TV, était jeté en prison pour affaires compromettantes et tiré du
cachot trois jours avant le scrutin. Chômeuse et sans espoir, candidate hier au
jihad dans sa fraction violente, à l’émigration dans sa version douce,
majoritairement écœurée par des lendemains postrévolutionnaires qui n’ont pas
chanté, la jeunesse tunisienne s’est donnée à un homme qui, en réalité, reprend
l’intégralité des thèses d’un leader arabe d’hier (à l’exception de Bourguiba)
voire d’avant-hier.
Kais
Saïed veut casser le Parlement et la démocratie représentative, gouverner par
comités locaux. Il récupère la rhétorique révolutionnaire du « le peuple veut »
et le précède, dans son premier discours au soir de l’élection d’un « Dieu veut
» qui n’a jamais, au grand jamais, été entendu dans les rues de Tunis en
janvier 2011 !
Ce fut
autre chose plus tard, bien sûr, lors de l’arrivée au pouvoir d’Ennahdha. Mais
le parti islamiste a échoué sur la question sociale comme ses successeurs. D’où
le million de voix qui s’est déplacé sur le juriste au masque sévère. Sur les
décombres des partis, sur la toile de fond du « no future » des jeunes
Tunisiens, face à l’indifférence européenne qui ne prend pas plus la mesure des
métamorphoses à l’œuvre outre-Méditerranée que sur son sol, il fallait donc un
homme de l’ombre qui se ferait passer pour la lumière.
C’est
fait, adieu jasmin.
Laurent Joffrin :
RépondreSupprimerLa nouvelle n’est pas très bonne. Mais à y réfléchir, elle n’est pas si mauvaise. A une forte majorité, les électeurs tunisiens ont porté au pouvoir un juriste austère et conservateur, Kaïs Saïed, qui présidera désormais aux destinées du pays où s’est déclenché le printemps arabe. Ce président, qui veut marier, pour faire court, la démocratie à l’occidentale avec « l’identité arabo-musulmane », suscitera difficilement l’enthousiasme des progressistes. Il défend des conceptions sociétales plutôt réactionnaires, par exemple en approuvant les lois prohibant l’homosexualité ou celles qui prévoient que la femme reçoit en héritage la moitié des biens dévolus aux hommes. On fait mieux en matière de modernisme.
De la même manière, la participation a été faible, et lors des élections législatives qui ont eu lieu entre-temps, le parti islamiste Ennahdha est arrivé en tête (avec 18% des voix et une participation encore plus faible qu’à la présidentielle).
Mais si l’on s’arrêtait là, on appliquerait à la jeune démocratie tunisienne des critères européens quelque peu iréniques et condescendants. Comme si la Tunisie était une vieille République à la suisse où les coutumes démocratiques et laïques sont à l’œuvre depuis des générations. La République française, pour prendre un exemple, a mis un bon siècle à se stabiliser, après d’innombrables soubresauts et retours en arrière. Elle est mal placée pour donner des leçons à un pays longtemps colonisé (par la France), puis soumis au nationalisme autoritaire d’un Bourguiba et, surtout, à la dictature cruelle et minutieuse de Zine el-Abidine Ben Ali.
En comparaison des pays voisins, la Tunisie est un havre de paix et de liberté. La Constitution est respectée, la campagne électorale, quoique baroque (l’un des principaux candidats est resté en prison jusqu’à trois jours du scrutin), a été pacifique, la presse est diverse, les différents concurrents ont tenu meeting sans violence, ils se sont librement exprimés à la télévision, etc. Rien à voir avec la Libye voisine, en guerre civile, ou avec l’Egypte, soumise à une dictature militaire. Quant à l’Algérie et le Maroc, ces pays ont le plus grand mal à se débarrasser des scories autoritaires de l’oligarchie militaire (à Alger) ou de la monarchie traditionnelle (à Rabat). Ne parlons pas des théocraties osbcurantistes d’Arabie Saoudite ou d’Iran. La Tunisie offre l’exemple rare d’un pays musulman qui laisse sa place au pluralisme, à la liberté d’expression, à l’Etat de droit et à la liberté de conscience.
Le nouveau président est conservateur en matière de mœurs. Mais il a aussi un programme de démocratisation décentralisée et jure solennellement que lui, constitutionnaliste respecté, compagnon de route du printemps tunisien, respectera scrupuleusement la Loi fondamentale. Si tel est le cas, il reviendra à l’opposition progressiste de s’organiser pour convaincre une majorité de Tunisiens de la suivre. Ce qui est le jeu normal. On pourra légitimement critiquer tel ou tel aspect du mandat qui commence. On se gardera de le juger de haut.
https://www.liberation.fr/politiques/2019/10/14/pour-la-tunisie_1757516