Article publié dans : Kapitalis
Sur la forme, on s’étonne que Kais
Saied prétende parler l’arabe maternelle, pour être compris des Tunisiens !
Ce qui fait sourire les Tunisiens dont
la « derja » (arabe parlé) n’a rien à voir avec l’arabe littéraire que parle leur président.
Sur le fond, on peut dire qu’il a clairement mis
l’accent sur les dérives et les dangers des Frères musulmans d'Ennahdha au pouvoir en Tunisie.
C’est ainsi qu’il a déclaré à France 24 que les
islamistes voulaient lui imposer une politique étrangère contraire à la traditionnelle règle de non-ingérence pratiquée par la Tunisie; et que leur leader Ghannouchi
avait commis une « faute » en se mêlant de la politique libyenne
alors que, a-t-il précisé, c’est du domaine du Président.
Il a ajouté : « II n’y a qu’une politique
extérieure. C’est celle du Président ». Et il a même précisé qu’il
« n’aimait pas qu’on lui marche sur les pieds » ! Rappel utile,
nécessaire et fort à l’intention de Ghannouchi qui se prenait pour le président
de tous les Tunisiens depuis son élection au perchoir du Bardo.
Sur la question libyenne, Kais Saied a clairement
exclu les interventions extérieures; et notamment celle de la Turquie et de la
Russie. Et ce, en accord avec la politique française et contre les tentatives d’ingérence des Frères musulmans et de l'émir du Qatar, dans les affaires libyennes.
C’est un bon point pour ce président qui cherche sa
place dans un système bâtard imposé par les islamistes, qui n’est ni tout à
fait parlementaire ni tout à fait présidentiel, mais entre deux laissant une large marche au flou; comme le voulait
Ghannouchi.
Kais Saied a aussi précisé son projet, notamment de
réformer la Constitution ; tout en disant clairement qu’il n’avait pas
pour le moment les forces politiques suffisantes pour le faire. Sur ce point,
on ne peut que louer sa lucidité.
Quant à son analyse de la situation Tunisienne et de son projet, que
faut-il en retenir ?
Il nous dit que la difficulté majeure du
pays est due à ce que la richesse de la Tunisie est détenue par une dizaine de
familles. Une analyse plus idéologique que
réaliste, pour ne pas dire populiste.
Que la richesse soit mal répartie, on
peut le lui accorder mais il oublie qu’il existe une assez large classe moyenne
(dont il fait partie), qui n’est pas riche mais aisée tout de même ; et surtout
il semble condamner la richesse et l’enrichissement, alors que ce sont depuis
toujours (et cela ne cessera pas), les moteurs du développement économique.
Ce ne sont pas les « riches » qui sont un
problème mais bien tout le système de corruption mis en place par Ben Ali
et repris et aggravé par Ghannouchi ; depuis la fumeuse révolution de 2011 !
Dans l’histoire, le populisme
anti-riche, n’a jamais créée d’économie performante !
Ce qui manque et que Kais Saied n’évoque
même pas, c’est un Etat de droit avec des lois fiables, une absence de
corruption, une sécurité pour les investisseurs et un effort considérable pour
l’éducation. Pour cela, il faut une politique fiscale juste, libérant les
initiatives et parvenant à redistribuer la richesse créée. Or le
droit continue à être bafoué par Ghannouchi et ses Frères musulmans, sans que
ce président les dénonce ou qu'il puisse y remédier !
Kais Saied est partisan d'une
démocratie fondée sur la réelle volonté des peuples, ce qu'on ne peut lui contester mais il oublie un paramètre essentiel : pour cela, il faut un peuple éduqué et
conscient des enjeux. Il veut reformer entièrement la
démocratie et faire que « le peuple » ait son mot à dire, ce qui réglerait tout
selon lui. Il reprend là, son dada de campagne électorale présidentielle
« ‘châab yourid » (le Peuple veut !), en prétendant
redonner la parole aux jeunes qui l’ont porté au pouvoir, pour décider de leur
destin. Ce qui est le comble du populisme.
Que la démocratie puisse être améliorée,
c’est certain; mais ce n’est pas seulement une question théorique dont on
discute dans des colloques universitaires où la réalité est souvent absente.
La première chose qu’il devrait faire
avant de faire évoluer la démocratie, c’est de donner au peuple, comme l’avait
voulu (et en partie réalisé) le Président Bourguiba, une forte éducation pour
tous. Alors le peuple ouvert à la complexité des problèmes, pourra accéder à
la démocratie une fois que l’esprit de citoyenneté aura été bien inculqué à
tous !
Par ailleurs cette idée de donner le
pouvoir par le bas, c'est-à-dire aux régions, entraîne le risque de ressusciter
le tribalisme qui entraînera la paralysie du pouvoir central. Or la Tunisie est
un petit pays qui a besoin d’une politique nationale forte. Ce que Bourguiba
avait bien compris en mettant fin au tribalisme !
Quoi qu’il ait dit à Emmanuel Macron de
son désir d'inscrire la Tunisie dans la modernité, il ne faut pas oublier que Kais Saied est fondamentalement pan-arabiste nourri d'une idéologie qui a échoué partout où elle a été au pouvoir !
Autrement quelle modernité peut-il
proposer aux Tunisiens s'il prône l'arabisation de l'enseignement à tout va. Cette langue qui n'a rien produit de "moderne" dans aucun domaine, qu'il soit technologique, médical ou autres ?!
A-t-il seulement tiré des leçons
de la politique d'arabisation du FLN, concession
faite aux Frères musulmans du FIS; et des ravages qu’elle avait produits en
Algérie, avec une jeunesse inculte ne maîtrisant ni l'arabe, ni le français et
encore moins le berbère ?!
Ces contradictions font de lui un
personnage singulier et inquiétant. Ce n'est pas comme cela que l'on donne un cap à un pays.
Il appartient à une vieille lune, le pan-arabisme dont
l'Irak, la Syrie, l'Egypte n'ont pas fini d'en payer le prix et les
palestiniens n'ont pas fini de payer les erreurs de Gamel Abdel Nasser, leader du pan-arabisme !
Le drame de la Tunisie, est d'avoir un islamiste au
Bardo et un arabiste à Carthage; qui plus est, novice en politique; animés tous deux par des idéologies dangereuses pour
la Tunisie et pour son indépendance :
- le premier rêvant de dissoudre la
Tunisie dans l' " Oumma Islamiya ", en restaurant le
califat; ramenant la Tunisie au statut de province turque, dans le giron du sultan Erdogan;
- le deuxième rêvant de dissoudre la Tunisie dans l' " Oumma
el-Arabyia ", en remettant sa souveraineté à un nouveau Rais (leader) ! Le souci premier de Kaies Saied, n'est-il pas de libérer la Palestine tout comme le Rais Gamel Abdel Nasser ?
Au total donc, ces entretiens avec Kais
Saied montrent un personnage plein de bonne volonté mais, à la vérité
idéaliste et trop populiste. Populisme qui lui a permis d’atteindre le pouvoir
mais qui sera totalement inefficace pour parvenir à des résultats sérieux.
Monsieur Kais Saied devrait comprendre
que diriger un pays ce n’est pas élaborer une théorie
juridique comme peut le faire un universitaire éloigné et indiffèrent à la
réalité du pays.
Rachid Barnat
* Deux idéologies à l'origine œuvrant
pour libérer les peules du colonialisme; devenues depuis l'indépendance de
leurs pays, des idéologies néo-colonialistes : l'une par la religion (le wahhabisme), l'autre par la langue (l'arabe) !
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