La politisation de la religion ne pourrit pas la vie qu'aux musulmans, les juifs en souffrent aussi; puisque le sionisme est au judaïsme ce qu'est l'islamisme à l'islam : deux idéologies qui instrumentalisent la religion et prennent en otage les crédules ! Ceux qui en ont fait l'expérience aspirent souvent à vivre dans un pays laïc comme la France ... qui malheureusement déçoit depuis que ses responsables politiques ont multiplié les brèches dans les règles du vivre ensemble, issues de la loi de 1905 !
R.B
Le Talmud dit : “La loi de ton pays est ta loi.”
Retour en France après
l’« alya »
Elle
raconte son arrivée en Israël comme d’autres, une passion
amoureuse : « J’ai eu un coup de foudre. Je me suis dit “c’est chez
moi, ici”. » Attablée à une terrasse parisienne, Joëlle
Roubine, 52 ans, tire sur sa cigarette avant de poursuivre son
récit.
Fille de juifs tunisiens, cette
employée d’un musée parisien a fait son alya (émigration
vers Israël) en 2006.
Un « voyage identitaire »,
dit-elle aujourd’hui. Le départ devait être définitif. Joëlle est
pourtant revenue six ans plus tard, plombée par des difficultés économiques et
assaillie par la nostalgie. « Je n’avais plus un sou, Paris me
manquait, et le poids religieux de Jérusalem commençait à me peser. »
Comme elle, de nombreux
Français de confession juive reviennent chaque année dans l’Hexagone après avoir fait
leur alya,
la « montée » des juifs en Terre sainte, constitutive du sionisme et
visant à renforcer l’Etat juif. Mais rares sont ceux à accepter d’en parler,
tant le sujet dérange. « La question du retour [ou
« yerida », « descente » en hébreu] soulève un double tabou : pour la communauté
juive, qui voit cela comme un échec, et pour Israël lui-même, puisque c’est la
preuve qu’il ne parvient pas à bien intégrer ses nouveaux
arrivants », explique l’historienne Frédérique Schillo,
spécialiste d’Israël et des relations internationales.
Pas de
statistique officielle
Selon elle, l’Etat hébreu a été « pris de court par l’ampleur de la vague
migratoire française », sans précédent depuis 2013, l’année
qui a suivi le massacre perpétré par Mohammed Merah dans une école juive à Toulouse.
Les juifs de France,
première communauté juive d’Europe et troisième au monde, sont
aujourd’hui les plus nombreux à s’installer en Israël. Une immigration
favorisée par la hausse des actes antisémites dans l’Hexagone, et encouragée
par le premier ministre israélien lui-même, au grand dam des autorités
françaises.
Lors de sa visite à Paris, fin
juin, Natan Sharansky, le président de l’Agence juive pour Israël – l’organisme
semi-gouvernemental israélien chargé de l’immigration des juifs dans le pays,
et l’interlocuteur incontournable des candidats à l’alya – a, à son tour, battu
le rappel, allant jusqu’à déclarer qu’il n’y avait « pas d’avenir pour les juifs en France ».
En 2015, pas moins de
7 829 Français ont immigré dans l’Etat hébreu, contre 1 919 trois ans
plus tôt. Un record. Le chiffre devrait toutefois baisser à
6 000 en 2016, selon une source proche de l’Agence.
Combien reviennent chaque
année ? Les estimations qui circulent vont de 15 % à 30 %, mais
aucune statistique officielle n’existe. « C’est politique, analyse
Frédérique Schillo. Israël est un refuge pour les juifs du monde entier.
Si on apprend que la formidable émigration française de ces dernières années se
traduit par un échec, que dira-t-on ? L’Agence juive pour Israël n’a aucun
intérêt à en parler. »
Cette dernière s’en défend.
Ygal Palmor, porte-parole de l’Agence à Jérusalem, soutient qu’« il n’y a pas de statistique fiable parce que
ceux qui repartent ne se manifestent pas, ils rentrent de façon
individuelle ».
Il précise, en revanche, avoir
identifié trois profils parmi eux :
-
« Ceux qui n’ont pas réussi à trouver du travail », à
cause notamment de la barrière de la langue ou le manque de reconnaissance des
diplômes ;
-
« ceux qui n’ont pas eu le feeling » ;
et
-
« ceux qui considèrent que les aides sociales – très loin de ce qu’elles
sont dans l’Hexagone – ne sont pas suffisantes. Il y a un véritable problème
français là-dessus ».
Comment les juifs de France
vivent-ils leur retour dans ce pays qu’ils pensaient avoir quitté pour
toujours ? Qu’a changé cette expérience sur le regard qu’ils portent sur
la France ? Que signifie pour eux être Français et juif, à l’aune de cette
expérience ?
« Une
défaite »
Plus l’adhésion au projet sioniste
est forte, plus le sentiment d’échec domine. Pour Jacqueline, le retour n’est
rien de moins qu’une « défaite ». En
mai 2015, cette retraitée en invalidité a tout vendu pour aller rejoindre « la terre de [ses] ancêtres et vivre au soleil. Je me suis
fait traiter de sale juive six mois avant mon départ, ça a joué,
aussi. Je me suis dit que je n’étais plus chez moi en France ». Elle
a pourtant fait demi-tour sept mois plus tard. « Impossible de trouver un logement,
c’était inabordable, et je ne supportais pas la chaleur. »
« J’ai
peut-être mal préparé mon alya, regrette-t-elle… Je suis sioniste et j’aime Israël, mais pas
pour y vivre. C’est trop dur à 60 ans de tout quitter et de repartir à
zéro. Car tout est différent, tant sur le plan social que
médical. » La France ? « Je me suis rendu compte que c’était un pays
d’assistés. Ici, je ne paye pas mes médicaments. »
A son arrivée dans l’Etat
hébreu, elle s’était autorisée à ressortir son étoile de David, qui
dormait dans un placard depuis dix ans. Depuis son retour à Paris, elle l’a de
nouveau rangée.
« L’avenir
nous paraît incertain »
Tous ceux qui sont revenus
observent avec crainte la dernière poussée des violences antisémites – elles
ont doublé en 2014 avec 851 actes déclarés (contre 423 en 2013), et
808 en 2015, selon le Service de protection de la communauté juive (SPCJ),
qui confronte ses données avec celles du ministère de l’intérieur.
Mais, à la différence des juifs
tentés par l’alya pour
y échapper, eux ont déjà fait ce chemin. Dès lors, rester en
France malgré tout ressemble à une bataille, contre les préjugés, et contre
leur propre peur.
Rebecca, partie à Jérusalem fin
2005 avec son mari et son bébé, se sentait « chez elle » en Israël.
En France aussi. A la différence qu’« ici, c’est un peu bancal, un peu
provisoire ». Les attaques visant des juifs finissent par
la faire vaciller. « A chaque fois, on se dit “pourquoi on est revenu ?” La vie là-bas n’était pas facile, les salaires
sont très bas et rien n’est remboursé. Mais l’avenir nous paraît incertain en
tant que juifs en 2016 en France. On vit au jour le jour. »
La famille était
rentrée depuis un an lorsque l’affaire Merah a éclaté. « Pendant trois jours, je n’ai pas emmené mes
enfants à l’école », se souvient la jeune femme. Depuis, elle
s’habitue à voir des militaires devant les grilles, et« évite de montrer des signes
extérieurs de judaïsme ». Son mari, qui portait la
kippa avant de partir en Israël, y a renoncé.
Karine, elle, a balayé une fois
pour toutes l’idée de vivre en Israël. « Plutôt que d’essayer de fuir, j’ai le
sentiment qu’il faut se battre contre ça, ici, en France. » Cette
avocate a fait son alya en 2003.
Elle est revenue trois ans plus tard avec son mari, un Israélien rencontré
là-bas, et leurs enfants.
A ses yeux, lutter contre
l’antisémitisme en France « fait partie de [son] combat en tant que française. Ça fait aussi
partie de mon identité juive, ajoute-t-elle. Le Talmud dit : “La loi de ton pays est ta
loi.” On doit respecter et défendre le pays auquel on
appartient. Or, attaquer les juifs c’est attaquer la France ».
L’attachement
à la France
Ses années passées en Israël
ont servi de révélateur. « J’ai vécu la guerre de 2006 contre le
Hezbollah libanais. J’ai réalisé que j’ai grandi dans un pays en paix »,
explique Karine. L’irruption de la menace terroriste en France avec les
attentats n’a pas ébranlé sa décision de rester. Même après le 13 novembre
2015, quand son mari a réchappé par miracle à l’attaque du Bataclan. « Il était au bar. Le fait d’être israélien l’a
sans doute sauvé : il a tout de suite reconnu l’odeur de la poudre, et a
pu s’échapper rapidement », raconte-t-elle.
Son attachement à la France
reste le plus fort. « En Israël, la
République, la méritocratie et le principe d’égalité me manquaient. J’ai
compris que j’aime beaucoup la France et les principes qui la guident. Les
Français sont englués dans leur réalité, ils ne se rendent pas compte de leur
chance », juge-t-elle.
Joëlle Roubine, elle, a vécu
son retour comme un rêve éveillé. « C’était un ravissement ! Je m’émerveillai
devant les boulangeries, les fromages, les pâtisseries… » Au-delà
de la carte postale, son regard sur la France a changé.« Je l’aime encore plus qu’avant. Je lui suis
extrêmement reconnaissante de tout ce qu’elle m’a donné : l’école, la
cantine, des vêtements. On était d’un milieu très défavorisé. Mes premières vacances
au ski, c’est grâce à l’école. » Alors si elle a
décidé de travailler dans le service public, c'est « pour rendre un peu de ce qu’on [lui] a donné ».
Un
tournant identitaire et religieux
Pour beaucoup, l’expérience
israélienne a marqué un tournant identitaire et religieux. « J’ai pris conscience en Israël que
j’étais française avant tout, alors qu’avant j’avais l’impression d’être
d’abord juive, puisque c’est ce qu’on me renvoyait tout le temps »,
explique Karine. De son côté, Joëlle a « découvert [son] identité juive. Je suis partie française, je suis revenue juive de
France. »
A l’inverse, Alexandre (le
prénom a été modifié), « très religieux avant de partir »,
est revenu « complètement
athée », par rejet envers « la politisation de la religion » et
« le développement d’un discours mystique et messianique
absurde » auquel ce médecin « n’adhérait plus du tout ».
La pratique religieuse a
parfois évolué en même temps. Karine, qui se définit comme une « fille de la laïcité », ne
fait plus shabbat. « J’ai revu
mes exigences à la baisse pour pouvoir vivre sereinement en France et
avoir une vie sociale normale, explique-t-elle. C’est comme ça que j’ai trouvé un compromis. »
Comment parlent-ils de leur
retour autour d’eux ? L’évoquer est plus ou moins facile selon les raisons
pour lesquelles ils sont revenus. « Quand on a quitté Israël pour des raisons
économiques, les gens comprennent plus facilement », assure
Rebecca. A l’inverse, l’exercice s’avère plus périlleux « si c’est parce qu’on n’a pas aimé la vie
là-bas ».
Alexandre en a fait
l’expérience. Après un an passé à Haïfa en 2007, il est revenu fâché
contre « la
propagande de la droite israélienne », « la défiance envers les Arabes » et
l’atmosphère de « complotisme
généralisé » qui régnait, selon lui, dans le pays. Son
regard critique a fini par l’éloigner de ses amis issus de la communauté juive. « Quand on parle d’Israël ensemble, je ne peux
pas m’empêcher de dire ma façon de voir les choses. C’est très mal
perçu, donc je suis exclu. »
La rupture n’est pas consommée
pour autant. « A chaque
fois que je me sens menacé en tant que juif, je me réfugie vers ces amis. Cette
ambivalence n’est pas facile à gérer mais je m’en accommode »,
confie-t-il.
Repartir ?
Quand la crainte est trop
forte, Israël va jusqu’à renaître comme une alternative possible.
Alexandre se souvient de son désarroi quand des cris « mort aux juifs » ont
été proférés à Paris à l’été 2014. Il s’était renseigné sur la possibilité de
travailler en Israël, « au cas où on vivrait une deuxième Nuit de
cristal ».
Ceux qui retentent l’expérience
ne sont pas rares. « On a
toujours des gens qui font une deuxième alya. Parfois ils font un essai, mais ce n’est pas au bon
moment, alors ils reviennent », explique Daniel Heffes,
responsable à l’association Alya et meilleure intégration (AMI). « Ce n’est jamais complètement fini, cette
affaire, renchérit David Chemla, ex-président de l’association
La Paix maintenant. On vient, on repart, on retente… D’autant qu’il ne
s’agit plus des grands départs comme autrefois. Aujourd’hui, avec la
mondialisation, c’est plus facile. »
D’autres encore optent pour une solution
intermédiaire, surnommée « l’alya Boeing » : ils
travaillent en France la semaine, et rejoignent leur famille en Israël le week-end.
Depuis son retour en France
en 2011, l’idée de retourner dans l’Etat hébreu berce Rebecca. « On regrette toujours cet idéal »,
confie la jeune femme. Ses amis, eux, « pensent au Canada ou à l’Amérique
comme solution alternative, parce que c’est compliqué d’aller en Israël. Mais
rester ici, dans ce contexte, ce n’est pas satisfaisant non plus. »
Émigrer ailleurs encore, loin
de la France et d’Israël. Comme si une troisième voie était devenue vitale.
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