jeudi 21 juillet 2016

Un incendie dans le paradis

Un intellectuel algérien, fait le constat de la régression de la société algérienne depuis que les islamistes ont diffusé le wahhabisme dans ce pays. Et ce qui est arrivé à l'Algérie peut se reproduire ailleurs ... comme en Tunisie, si les intellectuels n'assurent pas leur rôle, en s'émancipant des hommes politiques.
R.B 

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Amin Zaoui

Nous vivons dans le faux et l’hypocrisie

Dans cet entretien, l’écrivain revient sur les thèmes qu’il expose, présente, développe, dans son ouvrage «Un incendie au paradis ! Femmes, religions et cultures» (éditions Tafat, collection Essai). Il livre sa vision de l’intellectuel et de son rôle, et explique les blocages liés à la modernité. 
Reporters : «Un Incendie au Paradis !» est un recueil de chroniques écrites ces dernières années, principalement entre 2014 et 2016. Qu’est-ce qui vous a décidé à réunir vos chroniques dans un même ouvrage, surtout que les thèmes de vos romans ne sont pas très éloignés de ceux développés dans ce livre ?
Amin Zaoui : «Un incendie au Paradis !» est un seul texte ouvert sur des problématiques qui se rejoignent. «Un incendie au Paradis !» se lit comme un roman. Il est écrit sous forme d’un journal nocturne, sous forme des Mille et une nuits. Il est écrit pour dénoncer la nuit qui nous entoure. En réalité, ces chroniques sont écrites dans une vision d’un livre-projet. Certes, les sujets développés dans «Un incendie au Paradis !», on les retrouve dans mes romans tels «Festin de mensonges» ou «Le dernier Juif de Tamentit» ou «La Chambre de la vierge impure» ou encore dans «Le Miel de la sieste». Mais la manière de poser les questions est différente. 
Dans les romans, c’est la folie qui prend le dessus, le jeu, l’imagination ouverte, mais dans «Un incendie au Paradis !», c’est la réflexion philosophico-politique qui domine le discours. Cela dit, j’ai gardé ma liberté exprimée dans les romans dans ce livre écrit sous forme d’un essai narratif.
Femmes, religions et cultures sont les principaux thèmes de vos textes, comme le signale d’ailleurs le sous-titre. Selon vous, est-ce qu’ils sont l’enjeu de la modernité ? Le drame de notre époque est-il lié à ces trois thèmes ?
Amin Zaoui : Absolument, la modernité passe d’abord par la visibilité sociale, culturelle, politique, économique de la femme dans une société. La liberté de la femme est une condition de la modernité. Sans cette visibilité de la femme, la citoyenneté est bannie. La place de la femme en tant que citoyenne dans une société est le thermomètre de la modernité d’un pays ou d’une société. 
La religion est l’opium d’un peuple. La religion est la chose la plus manipulable par l’homme, et pourtant elle relève du bon Dieu. Depuis 15 siècles, l’Islam a été le fond de commerce pour les politiques. Et il demeure toujours comme une idéologie exploitable par toutes les sensibilités politiques. Les cultures sont le sens de la vie moderne d’une société. 
Notre société souffre d’un sous-développement spirituel et civilisationnel à cause de l’absence de la culture, ou plutôt la présence d’une culture qui renforce ce sous-développement. Une culture collée à l’occasion. Ce que l’Algérie a vécu depuis les années quatre-vingt, c’est le résultat de l’absence du culturel dans la vie quotidienne.
Qu’est-ce qui, d’après vous, bloque le monde arabo-musulman ? Sa nonlecture et compréhension de l’histoire ? Son attente de «la mort» ?...
Amin Zaoui : Ce qui bloque le monde arabo-musulman, c’est d’abord le règne de la culture de l’hypocrisie, nous vivons dans une société hypocrite dans la politique, dans la religion, dans la culture, dans le travail, dans la morale. Nous vivons dans le faux. La raison est bannie. Le sens de la critique est absent. 
Nous sommes une société de consommation, une société consommable par excellence ! Tout est réglé sur l’heure de la religion, sur l’heure du fanatisme et du mektoub. Nous nous sommes dé-tachés de l’Histoire et branchés à la religion. Nous nous sommes séparés de l’avenir et collés au passé. Le passé a remplacé, dans nos têtes et dans nos réactions, le futur. Nous vivons avec les morts plus qu’avec les vivants.
Que signifie être moderne au XXIe siècle et surtout, comment s’inscrire dans l’universel ?
Amin Zaoui : Adhérer à la modernité, c’est d’abord accepter l’autre, le différent. Accepter la philosophie de vivre ensemble. Vivre «le vivre ensemble». Etre dans la modernité, c’est un mouvement collectif, une démarche sociétale. Appartenir à la modernité, c’est défendre la citoyenneté, défendre les droits des minorités ethniques, sexuelles, linguistiques, religieuses ou autres. Vivre la modernité, c’est être ouvert sur l’universalité, sans tomber dans la standardisation aveugle.
Que peut l’intellectuel dans ce monde qui va mal ?
Amin Zaoui : Personnellement, je pense que l’intellectuel a été bouffé par le politicien. Aujourd’hui, on a besoin d’un Ibn Rochd (Averroés) moderne, qui par et à travers le discours savant change le monde autour de lui sur les plans politique, culturel, scientifique... 
On a besoin d’un musicien à l’image de Ziryab qui a eu le génie de changer le monde autour de lui, dans la mode, dans la poésie, dans le quotidien social, on a besoin d’un Ibn Arabi capable de changer cette religion qui ne dégage que la haine et le sang de guerres sales. 
Je crois en le rôle de l’intellectuel. A condition que ce dernier prenne le recul vis-à-vis du politique et du religieux et mène son combat en montant un discours propre à lui. L’intellectuel, c’est aussi le courage, le sacrifice, la responsabilité et avant tout le savoir. 
Depuis les indépendances nationales, l’image de l’intellectuel a été faite ainsi : un intellectuel du service est celui qui reprend le discours politique en jouant le rôle du propagandiste ou celui qui prend l’opposition en créant un discours opposé en reprenant les mêmes sujets du politique, mais en mettant « les pieds à la place de la tête », la même image, mais à l’envers. Il faut que l’intellectuel sorte de la colère vers la critique. Quitte le religieux vers la raison. Il faut que l’intellectuel quitte la zone de la réaction vers la zone de l’action.
Les chroniques s’adressent à un lectorat francophone, tout comme ce livre d’ailleurs, un projet de traduction ou d’adaptation est-il en cours ou envisagé ?
Amin Zaoui : «Un Incendie au Paradis !» sortira très prochainement en allemand et en italien. Une de ces chroniques «Je vous construis le paradis» a été le déclic du prochain film de notre grand réalisateur Merzak Allouache, un film sur les intellectuels et la religion. 

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