Lella Manoubia, Berbère et Sainte Patronne de Tunis, depuis 8 siècles
Lella Mannoubia,
une féministe avant l'heure ? Ce qui est sûr c'est qu'elle a refusé le diktat
des hommes et s'est rebellée contre l’autoritarisme des hommes et des
beys; et en femme libre et indépendante elle a trouvé sa voie dans
le soufisme pour s'émanciper des hommes. C'est
pourquoi les salafistes, ces enfants-miliciens du Frère musulman Ghannouchi,
s'en sont pris à son mausolée, pensant l'effacer de la mémoire collective des
tunisiens.
R.BLella Manoubia ou Saïda Manoubia, de son vrai nom Aïcha Manoubia, née vers 1180 à
Sa renommée est telle
qu'elle lui vaut un récit hagiographique intitulé Manâqib (Vies,
vertus et prodiges de la sainte) et rédigé par l'imam de la mosquée de La Manouba. Consécration
très rare pour une femme, il révèle des éléments doctrinaux importants où la
sainte revendique ouvertement le statut de « pôle des pôles » — la
plus haute dignité dans la hiérarchie soufie — et le statut du vicaire de Dieu sur
terre. De plus, il montre une femme imprégnée du savoir scientifico-théologique
et très instruite sur le Coran.
Elle étudie les hadiths et les sciences de la
jurisprudence islamique après avoir reçu sa formation d’Abou Hassan al-Chadhili, un maître soufi
berbère marocain, dont elle est l'élève. Ce dernier la nomme même à la tête de
son ordre, la Chadhiliyya, lui conférant le statut de pôle
de la confrérie, dirigeant de ce fait des imams. Elle va jusqu’à prier à la mosquée Zitouna de Tunis en compagnie des
hommes, ce qui constitue un « fait révolutionnaire
dans l’histoire du monde musulman ».
Jeunesse et rupture
Issue d'une famille du
faubourg de La Manouba ,
Lella Manoubia vit une enfance paisible dans cette fin du XII éme siècle et
ce début du XIII ée siècle. Son père, qui veille à l'instruire, la confie
à l'enseignement coranique. Très vite, elle fait montre d'élans mystiques et désire mieux pénétrer
les mystères de l'islam. À l'âge de 9 ans, elle est très différente des autres
enfants : c'est une enfant prodige mais on la considère comme anormale et
plus tard on la traitera de folle. À 12 ans, elle éprouve le besoin de s'isoler
dans les vergers aux environs du village, peut-être pour méditer ou
pour prier. Elle se lie alors avec un personnage qui subjugue ses
contemporains, Abou Hassan al-Chadhili, avec qui elle est surprise un jour en
pleine discussion. La réaction du père et de la société de l'époque ne se fait
pas attendre : elle doit mettre un terme à ces « promenades
douteuses » et son père doit lui trouver un mari comme le veut la
tradition.
La décision du père
est d'autant plus urgente que les commérages frôlent le scandale et que la
beauté de la jeune fille suscite beaucoup de convoitises. On vient demander sa
main mais Lella Manoubia oppose une fin de non-recevoir. Ces épousailles
forcées la mettent sur la voie de l'errance, la cohabitation avec la famille
étant devenue impossible. Elle part pour Tunis puis vers de multiples retraites
qui la conduisent loin de la capitale. Elle partage sa vie entre la quête de la
science, l'action et la méditation.
Méditation et dévotion
Lella Manoubia
s'installe alors au cœur de Tunis, non pas dans la médina mais en dehors de l'enceinte, dans
le faubourg populaire d'El Morkadh. Elle se garde de compter sur le
soutien de ses fidèles et préfère travailler, rompant ainsi avec l'image de la
femme entretenue. Pieuse, elle traverse Tunis « pauvrement vêtue et le
visage découvert, n'hésitant pas à converser publiquement avec les hommes ».
Elle travaille pour gagner sa vie et pratique l'aumône, partageant ses maigres ressources avec
les femmes en détresse, se plaçant ainsi du côté des faibles, des marginaux et
des opprimés qu'elle soutient et réconforte par sa charité et sa spiritualité.
Ses actions la rendent
célèbre et d'une qualité morale incontestable; mais en font aussi l'incarnation
d'un certain contre-pouvoir : elle prolonge dans son parcours la révolte
contre le symbole de l'autorité aliénante. Son antagonisme vis-à-vis des
pouvoirs publics se mue en un affrontement de plus en plus violent entre une
religion officielle régie par un malékisme hégémonique et une forme
populaire de religiosité contestataire et maraboutique.
Femme à la
personnalité forte et très instruite, elle demeure célibataire et partage son
savoir et son instruction religieuse avec les hommes, même si cela ne plaît pas
aux réformateurs musulmans. Ceux-ci ont d'ailleurs cherché de tous temps à
canaliser le mysticisme féminin qu'ils finissent par
considérer comme une déviance tellement il déborde, à leurs yeux, des cadres
habituels de l'expression de la piété. Lella Manoubia est crainte par ses
homologues masculins par peur du désordre qu'éveille sa conduite ou sa beauté.
Ses détracteurs n'hésitent pas à l'accuser de tous les maux dont la débauche et
le libertinage : ses accusateurs rapportent
qu'elle se retire sur les hauteurs du Jebel Zaghouan, parfois en compagnie de son
fidèle préféré, pour y méditer sur la passion de Dieu et « savourer les
plaisirs de l'amour ».
Crainte ou aimée, elle
est malgré tout sollicitée aussi bien par des hommes que par des femmes en
difficulté pour sa capacité à entrer en contact avec le monde invisible peuplé
d'esprits, de saints et de prophètes qui sont perçus comme des
intermédiaires entre les hommes et Dieu. Certains oulémas prennent même l'habitude de se
déplacer à son domicile le jour de l'Aïd el Kebir pour lui présenter leurs
vœux. Lorsqu'elle meurt en 1257, toute la ville de Tunis suit son cortège
funèbre jusqu'au cimetière El Gorjani où son mausolée a été sauvegardé dans la
verdure.
Mausolées
Après sa mort, elle
est inhumée sur l'une des collines de Tunis où elle a l'habitude de se retirer
pour prier. Deux zaouïas lui sont dédiées, l'une autour de sa
maison natale à La Manouba
et l'autre à Tunis, dans le quartier de la Sayida sur les hauteurs de Montfleury ; cette dernière est restaurée en 1993.
Au XIX éme et
au début du XX éme siécle, les beys lui rendent visite dans sa zaouïa de
Tunis lors de parcours rituels effectués à l'occasion de l'Aïd el Kébir.
Jusqu'au début du xxe siècle,
Lella Manoubia est considérée comme la sainte de Tunis et bénéficie de la
vénération des grandes familles de la ville. Jusqu'à la fin des années
1950, les sanctuaires de la sainte sont en effet fréquentés principalement par
des familles de beldis
(citadins). Même chez les grandes familles bourgeoises qui ont quitté le centre
pour investir de nouveaux quartiers, délaissant ainsi les sanctuaires,
l'attachement à Lella Manoubia et à ces rituels demeure tout comme la nostalgie
de ce mode de religiosité, de l'ambiance et des émotions qu'il implique. Par la
suite, d'autres endroits, en particulier au Jebel Zaghouan, font l'objet de pèlerinages.
Sa sépulture est visitée, les lundis et vendredis, par les femmes de toutes
classes et de toutes origines afin d'obtenir l'exaucement de leurs vœux ou
obtenir la guérison de malades ; les adeptes viennent aussi le dimanche
participer à la cérémonie de transe animée par des officiantes femmes.
Le tombeau, ainsi que
tout ce que contient le mausolée de La Manouba comme meubles, sont ravagés par un
incendie criminel à l'aube du 16 octobre 2012, par des salafistes, ces enfants du Frère
musulman Ghannouchi.
Héritage
Elle est patronne de Tunis,
depuis 8 siècles !
Lella Manoubia incarne
non seulement l’aspect spirituel et moral mais aussi la condition de la femme
tunisienne au XIIIe siècle et les
préoccupations et désirs de l’homme. Elle est une incarnation étonnante dans le
contexte de la société de la fin du XIIe siècle : révolte
contre l’autorité du père, rejet de l’institution du mariage et adoption de
l’état de célibat accompagné d’un militantisme omniprésent.
Cela a été perçu comme
suffisant pour susciter une aura partagée de peur et de vénération. Par
ailleurs, les histoires populaires et pratiques rituelles des saints et des
saintes de Tunis soulignent que le rapport à l’espace est déterminé selon le
sexe. Seule Lella Manoubia fait exception à la règle : la femme sainte ne
prend pas part au voyage initiatique. Néanmoins, elle quitte le domicile
paternel pour prêcher à Tunis, reçoit et partage son instruction religieuse
avec les hommes (contrairement aux autres saintes).
Les arabes, qu’ils
soient daechiens ou Frères musulmans, ont compris que la vie et les
actions de Lella Menoubia, cette berbère révolutionnaire, continue à
influencer la mentalité des femmes tunisiennes; et que son soufisme est antinomique avec le wahhabisme qui fonde leurs actions politiques. C’est pourquoi ils ont tenté à
plusieurs reprises de détruire son mausolée et son enseignement révolutionnaire
pour son époque, qui reste d’actualité aujourd’hui.
Article exceptionnel !
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