vendredi 9 février 2018

Les tunisiens sont-ils prêts pour les elections municipales ?




Si les tunisiens ne se mobilisent pas, ce sont les islamistes qui rafleront la mise, car eux ils sont prêts et organisés pour les emporter ... à moins que la Société Civile se mobilise !

R.B
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Rim Kalaï-Jemai *

SANS FIL D'ARIANE, LE MINOTAURE EST ENCORE PLUS DANGEREUX !

Étant dans le bain de la préparation des listes municipales depuis quelques mois, je vais me permettre de vous montrer pourquoi notre pays n'arrive pas à redémarrer malgré tous ses atouts.

Seulement une petite partie du peuple est consciente des enjeux énormes de ces élections. La plupart pense que c'est juste une affaire de propreté de rue, d'éclairage public et de goudronnage des rues. La plupart pense aussi que ces raisons ne sont pas à la hauteur de leur déception face aux politiques et donc ils ont décidé de boycotter les élections pour montrer leur mécontentement. Sauf que leur vote sanction se retournera contre eux, c'est à dire le peuple.

Il faut comprendre les vrais enjeux derrière les municipales. Ce n'est pas juste une bataille supplémentaire entre partis politiques. C'est plus grave que ça. Avec le code des collectivités locales qui est en train d'être discuté actuellement à l'ARP, un profond changement structurel va s'opérer au sein des municipalités et ça va bouleverser les rapports de forces entre l'Etat et les collectivités. Je reprends une partie de l'introduction du Projet du code des collectivités locales, consultable sur internet :

" La constitution a envisagé une nouvelle décentralisation qui doit être effective, de même qu’elle doit rompre avec l'ancienne organisation de l’administration dite décentralisée, qui s'était contentée de mettre en place une décentralisation de façade qui était loin de répondre aux besoins et ambitions des habitants. Pour garantir la décentralisation, la constitution a posé des principes auxquels le texte législatif doit se conformer. Elle a envisagé des instruments qui doivent concourir à rendre la décentralisation effective. Les principes constitutionnels liés directement au pouvoir local sont les suivants :
- le principe de la compétence exclusive de la loi en matière de création des collectivités locales, étant donné que le découpage du territoire en collectivités décentralisées relève, d’après la constitution, du domaine de la loi, 
- le principe de la libre administration des affaires locales, 
- la reconnaissance aux collectivités locales d'une compétence réglementaire et l’octroi à leur profit des moyens de libre gestion, 
- le principe de l'autonomie administrative et financière, 
- le principe de solidarité, 
- le principe de la coopération décentralisée, 
- le principe de la démocratie participative et l’Open Gov, 
- le principe de la détermination des compétences des collectivités sur la base du principe de subsidiarité, 
- le principe de la bonne gouvernance dans la gestion des affaires locales, 
- le principe du contrôle a posteriori et la suppression de toutes les formes de contrôle administratif préalable"...

On comprends par ce court extrait les véritables enjeux derrières ces élections : une partie du pouvoir central de l'Etat va être légué aux collectivités. 

Cette autonomie administrative et financière va certes alléger l'Etat et mieux cibler les besoins spécifiques de chaque collectivité qui s'autogérera plus efficacement... dans le scénario idéal ! Le revers de la médaille est beaucoup plus sombre. En effet, vu le niveau de corruption et d'argent sale qui circule dans le pays (la preuve notre classification dans la dernière black-list pas plus tard que cette semaine), les municipalités font partie des hauts lieux potentiels de corruption étant donné leurs activités régissant notamment les autorisations dans les domaine de l'immobilier et du social. Pour ne citer qu'un exemple, les pots de vins des promoteurs immobiliers verveux peuvent atteindre quelques centaines de milliers de dinars pour certains projets de construction. 

Par ailleurs, ce pouvoir décentralisé est une aubaine pour les islamistes qui pourront tranquillement appliquer leur vision des choses s'ils arrivent à mettre la main sur les municipalités. Plus de problèmes pour ouvrir les écoles coraniques, bâtir les mosquées, gérer les prêches des Imams...
Une fois ces enjeux bien identifiés, nous pouvons maintenant comprendre pourquoi la démarche de constitution des listes électorales pour les municipales est d'une complexité hallucinante. N'oublions pas qui avait la main sur l'écriture de la constitution qui a établit les règles pour les listes. Pour ceux qui ne le savent pas, les conditions exigées pour être éligible dans une liste pour les municipales sont plus difficiles à satisfaire que celles pour entrer dans l'hémicycle. Monter une liste est un parcours du combattant et les critères sont parfois incongrus avec le but recherché initialement. En effet, la parité horizontale et verticale pour moi est une condition "farfelue" qui ne prend pas en compte la spécificité du travail municipal. Je ne vois pas pourquoi il faudrait qu'il y ait autant de femmes que d'hommes dans un conseil municipal. C'est un vrai casse tête pour la constitution des listes dans les villes déjà. Que dire dans les zones rurales ?!.

Ensuite, la condition d'une personne aux besoins spécifiques parmi les dix premiers est maintenant utilisée par certains citoyens de cette catégorie pour monnayer leur adhésion aux listes. En plus, il faut montrer patte blanche concernant le paiement des impôts locaux. Ce qui est logique. Sauf que ce qui ne l'est pas c'est que ceux qui ne possèdent aucun bien immobilier ont beaucoup plus de mal à faire leurs papiers que les autres. Et cerise sur le gâteau, une liste entière peut tomber à cause d'une seule personne dans certains cas. Bref, autant dire que celui qui vit cette étape se sent comme Thésée dans le labyrinthe mais sans le fil d'Ariane !

Face à ces complications que tous les partis, sauf Ennahdha, n'ont pas anticipées, il était dans l'ordre des choses qu'ils ne soient pas complètement prêts en décembre à affronter "ce monstre". Et la tâche reste ardue même avec le report des élections, de 5 mois. Il est devenu nécessaire pour un nombre de partis de se réunir en coalitions afin d'être plus efficaces, ce qui me semble une bonne stratégie, même si elle est arrivée tard.
Vu le retard phénoménal pris par tous, personne n'a pensé à l'essentiel : le programme! Qu'est ce que tu proposes au citoyen pour le convaincre de te choisir. Ceci dit, les politiques ont bien compris notre peuple et son mode de raisonnement face aux urnes : le tunisien moyen vote pour une personne, jamais pour un parti et encore moins pour un programme. S'en suit alors la courses aux personnalités publiques. Ces jours-ci, on se croirait aux marchés aux stars, chaque parti essayant de voler la vedette à l'autre.

Ma conclusion? Je ne sais pas franchement si nous sommes vraiment prêts pour cet exercice de gouvernance locale. Même de point de vue logistique c'est pharaonique. On aurait peut être dû commencer par les régionales comme premier essai. Mais maintenant, ce qui est fait est fait. Tout ce que j'espère c'est que le citoyen prenne conscience des enjeux et ne prive pas son pays de son bulletin de vote. Après le 6 mai, tout regret sera inutile.

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