Si les
tunisiens ne se mobilisent pas, ce sont les islamistes qui rafleront la mise,
car eux ils sont prêts et organisés pour les emporter ... à moins que la
Société Civile se mobilise !
R.B
Rim Kalaï-Jemai *
SANS FIL D'ARIANE, LE MINOTAURE EST ENCORE PLUS DANGEREUX !
Étant dans le bain de
la préparation des listes municipales depuis quelques mois, je vais me
permettre de vous montrer pourquoi notre pays n'arrive pas à redémarrer malgré
tous ses atouts.
Seulement une petite
partie du peuple est consciente des enjeux énormes de ces élections. La plupart
pense que c'est juste une affaire de propreté de rue, d'éclairage public et de
goudronnage des rues. La plupart pense aussi que ces raisons ne sont pas à la
hauteur de leur déception face aux politiques et donc ils ont décidé de
boycotter les élections pour montrer leur mécontentement. Sauf que leur vote
sanction se retournera contre eux, c'est à dire le peuple.
Il faut comprendre les
vrais enjeux derrière les municipales. Ce n'est pas juste une bataille
supplémentaire entre partis politiques. C'est plus grave que ça. Avec le code
des collectivités locales qui est en train d'être discuté actuellement à l'ARP,
un profond changement structurel va s'opérer au sein des municipalités et ça va
bouleverser les rapports de forces entre l'Etat et les collectivités. Je
reprends une partie de l'introduction du Projet du code des collectivités
locales, consultable sur internet :
" La constitution a
envisagé une nouvelle décentralisation qui doit être effective, de même qu’elle
doit rompre avec l'ancienne organisation de l’administration dite
décentralisée, qui s'était contentée de mettre en place une décentralisation de
façade qui était loin de répondre aux besoins et ambitions des habitants. Pour
garantir la décentralisation, la constitution a posé des principes
auxquels le texte législatif doit se conformer. Elle a envisagé des instruments
qui doivent concourir à rendre la décentralisation effective. Les principes
constitutionnels liés directement au pouvoir local sont les suivants :
- le principe de la
compétence exclusive de la loi en matière de création des collectivités
locales, étant donné que le découpage du territoire en collectivités
décentralisées relève, d’après la constitution, du domaine de la loi,
- le principe de la
libre administration des affaires locales,
- la reconnaissance aux
collectivités locales d'une compétence réglementaire et l’octroi à leur profit
des moyens de libre gestion,
- le principe de
l'autonomie administrative et financière,
- le principe de
solidarité,
- le principe de la
coopération décentralisée,
- le principe de la
démocratie participative et l’Open Gov,
- le principe de la
détermination des compétences des collectivités sur la base du principe de
subsidiarité,
- le principe de la
bonne gouvernance dans la gestion des affaires locales,
- le principe du
contrôle a posteriori et la suppression de toutes les formes de contrôle
administratif préalable"...
On comprends par ce
court extrait les véritables enjeux derrières ces élections : une partie du
pouvoir central de l'Etat va être légué aux collectivités.
Cette autonomie
administrative et financière va certes alléger l'Etat et mieux cibler les
besoins spécifiques de chaque collectivité qui s'autogérera plus
efficacement... dans le scénario idéal ! Le revers de la médaille est beaucoup
plus sombre. En effet, vu le niveau de corruption et d'argent sale qui circule
dans le pays (la preuve notre classification dans la dernière black-list pas
plus tard que cette semaine), les municipalités font partie des hauts lieux
potentiels de corruption étant donné leurs activités régissant notamment les
autorisations dans les domaine de l'immobilier et du social. Pour ne citer
qu'un exemple, les pots de vins des promoteurs immobiliers verveux peuvent
atteindre quelques centaines de milliers de dinars pour certains projets de
construction.
Par ailleurs, ce pouvoir
décentralisé est une aubaine pour les islamistes qui pourront tranquillement
appliquer leur vision des choses s'ils arrivent à mettre la main sur les
municipalités. Plus de problèmes pour ouvrir les écoles coraniques, bâtir les
mosquées, gérer les prêches des Imams...
Une fois ces enjeux bien
identifiés, nous pouvons maintenant comprendre pourquoi la démarche de
constitution des listes électorales pour les municipales est d'une complexité
hallucinante. N'oublions pas qui avait la main sur l'écriture de la constitution
qui a établit les règles pour les listes. Pour ceux qui ne le savent pas, les
conditions exigées pour être éligible dans une liste pour les municipales sont
plus difficiles à satisfaire que celles pour entrer dans l'hémicycle. Monter
une liste est un parcours du combattant et les critères sont parfois incongrus
avec le but recherché initialement. En effet, la parité horizontale et
verticale pour moi est une condition "farfelue" qui ne prend pas en
compte la spécificité du travail municipal. Je ne vois pas pourquoi il faudrait
qu'il y ait autant de femmes que d'hommes dans un conseil municipal. C'est un
vrai casse tête pour la constitution des listes dans les villes déjà. Que dire
dans les zones rurales ?!.
Ensuite, la condition
d'une personne aux besoins spécifiques parmi les dix premiers est maintenant
utilisée par certains citoyens de cette catégorie pour monnayer leur adhésion
aux listes. En plus, il faut montrer patte blanche concernant le paiement des impôts
locaux. Ce qui est logique. Sauf que ce qui ne l'est pas c'est que ceux qui ne
possèdent aucun bien immobilier ont beaucoup plus de mal à faire leurs papiers
que les autres. Et cerise sur le gâteau, une liste entière peut tomber à cause
d'une seule personne dans certains cas. Bref, autant dire que celui qui vit
cette étape se sent comme Thésée dans le labyrinthe mais sans le fil d'Ariane !
Face
à ces complications que tous les partis, sauf Ennahdha, n'ont pas anticipées,
il était dans l'ordre des choses qu'ils ne soient pas complètement prêts en
décembre à affronter "ce monstre". Et la tâche reste ardue même avec
le report des élections, de 5 mois. Il est devenu nécessaire pour un nombre de
partis de se réunir en coalitions afin d'être plus efficaces, ce qui me semble
une bonne stratégie, même si elle est arrivée tard.
Vu le retard
phénoménal pris par tous, personne n'a pensé à l'essentiel : le programme!
Qu'est ce que tu proposes au citoyen pour le convaincre de te choisir. Ceci
dit, les politiques ont bien compris notre peuple et son mode de raisonnement
face aux urnes : le tunisien moyen vote pour une personne, jamais pour un parti
et encore moins pour un programme. S'en suit alors la courses aux personnalités
publiques. Ces jours-ci, on se croirait aux marchés aux stars, chaque parti
essayant de voler la vedette à l'autre.
Ma conclusion? Je ne
sais pas franchement si nous sommes vraiment prêts pour cet exercice de
gouvernance locale. Même de point de vue logistique c'est pharaonique. On
aurait peut être dû commencer par les régionales comme premier essai. Mais
maintenant, ce qui est fait est fait. Tout ce que j'espère c'est que le citoyen
prenne conscience des enjeux et ne prive pas son pays de son bulletin de vote.
Après le 6 mai, tout regret sera inutile.
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