Est-il
licite de réviser les règles de répartition de l'héritage prescrites dans le
Coran pour les adapter aux conditions de vie et aux besoins des femmes dans les
sociétés musulmanes du 21è siècle ?
L’islam fut un précurseur en matière de
libération de la femme. Dès le 7è siècle, il redéfinit son statut au sein de la
famille et de la société, et lui donna sa pleine quote-part de droits et de
responsabilités. Il procéda à un rééquilibrage des rôles respectifs des époux
au sein de la famille, dans le but de permettre à chacun d’eux d’assumer
pleinement les responsabilités qui lui étaient attribuées, et de contribuer de
manière efficace à l’épanouissement de la cellule familiale et à la
consolidation des assises de la communauté. En particulier, l’islam donna à la
femme le droit de recevoir un héritage (ce dont elle était privée jusque-là) et
de gérer librement tous ses biens.
Le Coran présente à cet effet un tableau
détaillé des nouvelles règles de répartition de l’héritage que les musulmans
doivent appliquer. Elles sont basées sur trois critères fondamentaux :
- le degré de parenté avec le défunt (plus
le lien est fort, plus la part augmente) ;
- la catégorie d’âge du bénéficiaire (un
héritier « jeune » reçoit une part plus importante qu’un héritier
d’un âge « avancé » ; ainsi, la fille du défunt hérite plus que
la mère ou le père du défunt) ; et
- la responsabilité financière qu'a l'héritier de pourvoir aux besoins de sa famille et de ses proches.
- la responsabilité financière qu'a l'héritier de pourvoir aux besoins de sa famille et de ses proches.
Sur la base de ces règles de répartition,
au sein d’une fratrie, la fille du défunt reçoit une part d’héritage, contre deux parts pour son frère. Mais, contrairement aux
apparences, ce partage inégal n’est pas fondé sur le sexe des héritiers. Il se
justifiait fondamentalement, au temps de la Révélation, selon les oulémas, du
fait que les héritiers mâles avaient la responsabilité de pourvoir à l’ensemble
des besoins de leur famille propre et de certains de leurs proches bien
définis, alors que la femme n’assumait aucune responsabilité en la matière et
pouvait disposer librement de la part qui lui revenait.
Autrement, sur plus de 30 cas répertoriés
dans les règles de partage de l’héritage, il n’existe que 4 cas dans lesquels
la femme hérite la moitié de ce qu’hérite l’homme. Dans plus de 8 cas, elle
hérite une part égale à celle de l’homme (des parts égales sont attribuées au
père et à la mère du défunt, par exemple) ; dans plus de 10 cas, la femme
hérite plus que l’homme ; dans différents autres cas, seule la femme hérite.
(Tahar Mahdi, La place de la femme dans le droit successoral musulman - 2003)
En établissant ces nouvelles règles,
l’islam visait à réparer une injustice, en accordant aux femmes leur part
appropriée d’héritage en fonction de leur degré de parenté avec le défunt. Il
signifiait ainsi à l’ensemble de la société arabe de l’époque qu’il n’y avait
pas de raison que toute la fortune du défunt aille aux mâles de la famille
seulement, alors que les femmes aussi avaient des besoins qu’il s’agissait de
satisfaire, et qui n’étaient pas nécessairement que de “loisirs”.
Cette redéfinition des droits et ce
rééquilibrage des rôles respectifs des hommes et des femmes au sein de la
famille musulmane constituaient, à l’époque de la Révélation, une percée
révolutionnaire par rapport aux habitudes et au mode de vie traditionnel des
sociétés de la région.
La critique contemporaine du partage
inégal de l’héritage
Mais, quatorze siècles plus tard, le mode
de vie des sociétés musulmanes et les données de la situation ont radicalement
changé. Ce qui était indéniablement un grand progrès pour les droits de la
femme au 7è siècle, en matière d’héritage, est jugé par de nombreuses
associations de défense des droits des femmes comme une grande injustice, quand
c’est replacé dans le contexte du 21è siècle. Ces associations réclament donc
la révision des termes de répartition de l’héritage dans les sociétés
musulmanes, pour les adapter aux conditions de vie et aux besoins des femmes
dans le cadre des sociétés contemporaines.
Elles observent à cet égard que, de notre
temps, dans un ménage, le mari ne dispose pas nécessairement de ressources
suffisantes pour pourvoir à tous les besoins de la famille. La femme a souvent
besoin de travailler pour contribuer de son mieux aux dépenses du foyer, qu’il
s’agisse des achats de nourriture et de vêtements, des règlements de loyer, des
dépenses de santé ou d’éducation des enfants, des frais de transport, etc. La
liste des obligations du ménage s’allonge constamment, au fur et à mesure de la
croissance des enfants, alors que le coût de la vie ne cesse d’augmenter.
Souvent, le couple procède aussi, quand il
le peut, à des investissements, généralement effectués à crédit et
remboursables sur plusieurs années (tels que l’achat d’une voiture ou d’un
logement, etc.), ce qui nécessite la mobilisation de ressources considérables.
La femme est donc appelée, quand elle dispose de ressources personnelles, à
contribuer de son mieux à la couverture de ces dépenses.
Par ailleurs, il existe de nombreuses
situations où les femmes sont appelées à prendre en charge tous les frais du
ménage : en cas de perte de travail de l’époux ; de son décès ; ou en
cas de divorce, de répudiation ou d’abandon du foyer par le mari (en lui
laissant la charge des enfants), par exemple.
De plus, le raisonnement qui sous-tend le
partage inégal ne tient pas suffisamment compte de la situation des héritières quand
il s’agit de fillettes et d’adolescentes qui sont encore à la charge de leurs
parents (et qui seront, selon les cas de figure, également à la charge de leurs
frères qui ont reçu une part double de la leur dans le cadre de l’héritage).
En effet, les frères plus âgés peuvent
avoir à subvenir en priorité aux besoins de leur propre foyer, quand ils en ont
un. Ils ne vont donc pas nécessairement subvenir à tous les besoins de ces
fillettes et adolescentes (nourriture, vêtements, santé, éducation, etc.) jusqu’au
jour où elles se marieront avec un homme qui prendra la relève. Au sein d’une
telle fratrie, une sœur sera à la merci de son frère jusqu’à son mariage,
dépendante de sa bonne foi et de sa bonne volonté, ainsi que de tous les aléas
de la vie qui peuvent survenir dans le ménage de ce frère.
Encore faudrait-il que la jeune fille
épouse éventuellement un homme riche, ayant des ressources suffisantes pour
qu’elle n’ait pas besoin de contribuer aux dépenses du ménage. Or, l’écrasante
majorité des hommes et des femmes aujourd’hui ne tombent pas dans ce cas de
figure. Un jeune couple a des besoins énormes et des ressources limitées. Une
part d’héritage, quand elle survient, est toujours la bienvenue.
D’après les associations de défense des
droits des femmes, il n’est plus possible, dans ces conditions, de justifier de
nos jours l’inégalité dans le partage par la proposition que c’est l’homme qui
prend en charge toutes les dépenses, et que les ressources qu’une femme reçoit
dans le cadre d’un héritage ne représentent que de “l’argent de poche” dont
elle disposera librement pour ses propres besoins ou ses loisirs.
Le
droit musulman, bien que décrit au niveau de certaines de ses dispositions
comme immuable, a ainsi fait preuve, dans la pratique, de beaucoup de vitalité,
de flexibilité et d’adaptabilité au fil des siècles.
Le débat sur la réforme de l’héritage
devrait normalement se concentrer sur l’analyse et l’évaluation des différents
aspects de la question, pour déterminer ce qui est juste ou injuste dans les
règles actuelles de répartition, et les modifications qu’il serait
éventuellement approprié d’y apporter.
Mais, du fait que ces règles sont
prescrites dans le Coran, toute discussion de cette question se trouve
immédiatement transposée au cadre plus général d’un débat sur la question
: Est-il licite de réviser les règles de répartition de l’héritage
qui ont été prescrites dans le Coran ? Pour pouvoir répondre à
cette question, il faut pouvoir définir très clairement ce qui est muable et ce qui est immuable en droit
musulman.
Il existe, de fait, deux réponses
dominantes à cette question, l’une basée sur la théorie du droit musulman,
l’autre sur l’analyse de la pratique des autorités politiques et religieuses en
la matière, au cours des 14 siècles écoulés.
Première réponse : L’écrasante
majorité des oulémas et des musulmans estime que les règles coraniques sont
immuables
Cette réponse repose sur le postulat que
les règles de droit énoncées dans le Coran n’étaient pas destinées à
s’appliquer seulement en Arabie au temps de la Révélation, mais sont valables en
tous temps et en tous lieux. A ce titre, elles doivent être appliquées à la
lettre. Elles ne peuvent ni ne doivent subir aucune modification.
Sur le plan
de la
théorie pure du droit musulman, l’argument se défend, dans
la mesure où les chefs politiques et religieux de la communauté musulmane ont
eu recours à cet argument pendant 14 siècles, pour justifier le maintien du
statu quo dans les domaines les plus divers et dans les sociétés les plus
diverses.
Les
défenseurs de cette proposition ajoutent : “Si le Coran n’a attribué à la femme qu’une seule
part d’héritage contre une double part pour l’homme, il
faut respecter la sagesse des prescriptions divines”.
Cependant,
cet argument repose sur une méconnaissance regrettable (bien que courante) des
règles de partage de l’héritage qui figurent au Coran. Comme l’expliquent les
oulémas, ce n’est pas le sexe du bénéficiaire qui constitue le critère de
décision dans la répartition (puisque des parts égales d’héritage sont
attribuées au père et à la mère du défunt, par exemple).
Les trois critères de
base sont le degré de parenté de l’héritier avec le défunt, son âge (un
héritier “jeune” recevant une part plus importante qu’un héritier d’un âge
avancé), et les obligations financières que l’héritier mâle doit assumer,
puisqu’il doit pourvoir aux besoins de sa famille et de ses proches, alors que,
selon les oulémas, une héritière n’assume aucune responsabilité à cet égard et
peut disposer librement de la part qui lui revient.
Deuxième réponse : Une
minorité d’oulémas et de chefs politiques estime qu’il existe certaines règles
coraniques qui ne doivent pas être considérées comme immuables.
Ceux qui
ont étudié le droit musulman de près savent, en effet, que les autorités
politiques et religieuses des différents pays musulmans ont procédé, au fil des
siècles, à l’ajustement et à l’adaptation de règles fondamentales de droit
musulman, y compris les règles prescrites dans le Coran,
pour mieux répondre aux conditions de vie et aux besoins changeants de la
communauté musulmane à travers le monde. De ce fait, on a cessé d’appliquer
certaines règles coraniques et on a profondément modifié la teneur de certaines
autres, au fil du temps.
En
conséquence, ce qui était considéré comme étant licite dans une communauté
musulmane donnée, à une époque donnée (par exemple l’esclavage qui a existé
dans tous les pays musulmans pendant 13 siècles), est devenu illicite à une
autre époque (interdiction de l’esclavage dans les temps modernes dans tous les
Etats musulmans, même en Arabie Saoudite), reflétant les changements
fondamentaux intervenus dans l’interprétation et l’application du droit
musulman, au cours du temps.
La liste
indicative suivante de règles coraniques qui ne sont plus
appliquées de nos jours, témoigne de cette évolution. Ces
changements se sont faits dans les différents Etats musulmans, au fil du temps,
souvent sous l’impulsion de puissances étrangères occupantes, mais avec
l’assentiment des autorités politiques et religieuses et de l’ensemble de la
communauté nationale. Ainsi, aucune de ces communautés n’a remis en cause les
règles en question, une fois obtenue son indépendance.
Voici quelques exemples représentatifs de cette tendance :
- On ne lapide plus jusqu’à la mort le couple adultère (sauf dans quelques pays où des groupes extrémistes accèdent parfois au pouvoir et où c’est toujours la femme qui est mise à mort, mais jamais l’homme) ;
- La sanction du meurtre ne se négocie plus entre les parties concernées, jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé, mais fait l’objet de poursuites pénales dans le cadre du système judiciaire moderne des Etats musulmans (sauf dans un seul pays) ;
- Le droit commercial moderne, inspiré des codes occidentaux, s’est substitué aux règles de commerce énoncées dans le Coran et développées par les oulémas au cours des siècles ;
- Le droit de la banque et de la finance modernes, inspiré des codes occidentaux, s’est substitué dans la majorité des Etats musulmans aux règles relatives à ces domaines énoncées dans le Coran.
Voici quelques exemples représentatifs de cette tendance :
- De nos jours, nul n’a le droit de posséder des esclaves ;
- On ne coupe plus la main du voleur (sauf, à titre épisodique, chez les Ibn Saoud) ;
- On n’applique plus nulle part la loi du talion (œil pour œil, dent pour dent – puisque tu as tué mon fils, je vais tuer ton fils à mon tour) ;
De la même
manière, il existe des cas innombrables de règles de droit coraniques qui ont été
reformulées et associées à des conditions d’application tellement complexes
qu’il devient extrêmement difficile pour un homme de s’en prévaloir,
alors que le texte coranique ne pose aucune condition. C’est le cas du régime de
la polygamie,
par exemple, dans les sociétés musulmanes contemporaines.
Comme il
ressort de cette longue liste de règles coraniques qui ne sont plus appliquées,
les Etats musulmans ont toujours trouvé moyen d’adapter les dispositions de ces
règles aux conditions de vie, aux besoins et aux exigences des communautés
musulmanes et du monde dans lequel elles évoluent. Les oulémas ont traité les
versets coraniques au cas par cas, en fonction des spécificités de chaque
situation, sans à priori au sujet de ce qui est muable et de ce qui ne l’est
pas.
Le droit
musulman, bien que décrit au niveau de certaines de ses dispositions comme
immuable, a ainsi fait preuve, dans la pratique, de beaucoup de vitalité, de
flexibilité et d’adaptabilité au fil des siècles, des qualités qu’il continue
de manifester de nos jours.
Ne
serait-il pas approprié, dans ces conditions, de tenir compte de ces différents
éléments pour revoir les règles de partage de l’héritage en droit musulman ?
Compte tenu du nombre important de règles
coraniques que les États musulmans, dans leur écrasante majorité, ont cessé
d’appliquer, les questions suivantes s’imposent : “Dans quelles circonstances
les autorités politiques et religieuses des pays musulmans décident-elles qu’il
est licite de cesser d’appliquer certaines règles coraniques ? et sur quels principes juridiques se basent-elles
pour ce faire ?”
L’histoire du droit musulman nous fournit
quelques “cas d’école” pertinents qui nous renseignent sur l’approche des
autorités politiques et religieuses des États musulmans à ces questions. Les
exemples suivants illustrent clairement la démarche des juristes musulmans,
lesquels prennent en considération à la fois la lettre et l’esprit de la loi avant
de trancher sur une question de droit.
Cas n°1 - Omar ibn al-Khattab :
faut-il continuer de verser une part de la zakat aux “sympathisants” (“ceux
dont les cœurs sont à gagner”) ?
Le verset 60 de Sourate “al-tawba” liste
huit catégories de personnes qui sont éligibles à bénéficier de la zakat. Les
“sympathisants” y figurent en bonne place.
Il s’agit d’individus non musulmans qui avaient apporté leur appui et leur
assistance à la communauté musulmane, quand elle était encore faible, aux
débuts de l’islam. Le verset coranique les récompensait pour leur soutien en
leur attribuant une part dans la zakat.
Sous le califat d’Abu Bakr Seddik, la
question s’est posée de savoir si les individus relevant de cette catégorie
devaient continuer de bénéficier de la zakat, puisque la communauté musulmane
était devenue forte et n’avait plus besoin d’eux. Omar ibn al-Khattab, chargé
par le calife Abu Bakr de statuer sur cette question, conclut par la négative,
avec l’assentiment d’Abu Bakr.
Il expliqua que les “sympathisants” n’étaient plus éligibles, parce que le motif qui justifiait leur présence dans la liste avait cessé
d’exister. Etant donné que la communauté musulmane n’avait plus
besoin de leur appui, il n’y avait plus de raison de leur attribuer une partie
de la zakat, même s’ils étaient spécifiquement identifiés dans le verset
coranique comme attributaires.
Il ajouta, pour plus de clarté sur la
question, que si jamais la communauté musulmane redevenait faible et avait de
nouveau besoin du soutien des “sympathisants”, alors ces derniers seraient de
nouveau éligibles à bénéficier d’une part de la zakat.
Les califes Abu Bakr Seddik et Omar ibn
al-Khattab estimaient donc que, “lorsque le motif qui justifie l’existence
d’une règle de droit a cessé d’exister, la règle cesse de s’appliquer (même
s’agissant d’une règle coranique).”
Cas n° 2 - Le mufti égyptien Ahmad
Muhammad Shakir : est-il licite d’utiliser le calcul astronomique pour
connaître le début des mois lunaires ?
Le mufti Shakir (qui occupa en fin de
carrière les fonctions de président de la Cour suprême de la charia d’Egypte)
fut chargé par son père (qui était président de la Cour Suprême de la charia du
Soudan) de répondre à la question suivante, qui lui avait été adressée dans le
cadre de son travail : “Est-il licite pour les musulmans d’utiliser le calcul
astronomique pour connaître le début des mois lunaires, dont le début et la fin
du mois de ramadan ?”
Jusque-là, seule la procédure
d’observation visuelle de la nouvelle lune était acceptée par les oulémas. Elle
se basait sur un verset coranique et un célèbre hadith du Prophète sur cette
question, et avait été appliquée pendant plus de 13 siècles dans le monde
musulman, sans être remise en cause.
Shakir étudia la question dans le plus
grand détail dans sa célèbre fatwa de 1939 sur cette question. Il conclut qu’il
était effectivement licite d’utiliser le calcul pour déterminer le début des
mois lunaires, même si le hadith du Prophète semblait indiquer qu’il fallait se
baser sur une observation visuelle de la nouvelle lune.
Shakir expliqua que le hadith s’adressait,
au temps de la Révélation, à “une communauté illettrée, qui ne savait ni écrire
ni compter” (et qui n’avait évidemment aucun accès au calcul astronomique).
Mais, les circonstances des Arabes avaient changé au fil des siècles. Ils
avaient appris à écrire et à compter. Certains membres de la communauté étaient
même devenus des astronomes réputés, dont les travaux servaient de référence
dans les pays occidentaux.
Le facteur qui justifiait le recours à
l’observation visuelle de la nouvelle lune, c’est à dire “l’illetrisme” de la
communauté, avait cessé d’exister. Or, souligne Shakir, “Une règle ne s’applique plus, si le facteur qui la justifie a
cessé d’exister”. C’est un principe bien connu du droit
musulman.
Shakir s’est donc basé sur ce principe
pour justifier l’adoption du calcul astronomique pour la détermination du début
des mois lunaires, en substitution à la méthode d’observation visuelle de la
nouvelle lune.
Aujourd’hui, et se basant sur les
raisonnements du mufti Shakir et d’autres oulémas éminents (comme Yusuf
al-Qaradawi) qui ont apporté leur appui à sa thèse, de très nombreux États et
communautés musulmanes à travers le monde utilisent le calcul astronomique pour
déterminer le début des mois lunaires, en considérant que cette procédure est
tout à fait licite, dans le cadre de la charia, alors que pendant 13 siècles,
elle avait été considérée comme illicite.
Cependant, il faut noter que l’écrasante
majorité des États musulmans hésite encore aujourd’hui à franchir le pas et
continue de se baser, par pur respect des traditions dans la majorité des cas,
sur l’observation visuelle de la nouvelle lune pour déterminer le début et la
fin du mois de ramadan.
Nous retiendrons de cet exemple le
principe bien connu de droit musulman invoqué par le mufti Shakir selon
lequel : “Une règle ne s’applique plus, si le facteur
qui la justifie a cessé d’exister”.
Les fondements juridiques de la réforme de
l’héritage : résumé
Nous avons vu, dans un premier volet de
cette étude, que le Coran attribue, au sein d’une fratrie, une part double à un
héritier mâle comparé à une part simple attribuée à une héritière parce que,
comme l’expliquent les oulémas, l’héritier mâle a l’obligation de pourvoir aux
besoins de sa famille et de proches déterminés, alors que l’héritière n’a
aucune responsabilité de ce genre et peut disposer librement de la part qui lui
revient.
Mais, comme nous l’avons noté, les
conditions de vie des femmes dans le monde musulman contemporain et leurs
besoins ont radicalement changé par rapport à ce qu’ils ont pu être au temps de
la Révélation. Les associations féminines expliquent qu’aujourd’hui, les femmes
assument des responsabilités financières importantes, parfois vitales, au sein
de leur foyer, pour que le couple puisse faire face à toutes les dépenses
requises. Elles peuvent même être chefs de foyer, comme cela arrive de plus en
plus souvent, avec toutes les responsabilités financières que cela implique.
Sur la base de ces nouvelles données, les
associations réclament la révision des règles de partage de l’héritage pour
faire preuve de plus de justice envers les sœurs, dans une fratrie par exemple.
Nous avons vu, dans le deuxième volet de
cette étude, que le droit musulman, bien que décrit au niveau de certaines de
ses dispositions comme immuable, a fait preuve, dans la pratique, de beaucoup
de vitalité, de flexibilité et d’adaptabilité au fil des siècles.
Un nombre
considérable de règles coraniques ont cessé de s’appliquer (portant sur l’esclavage,
la sanction de l’adultère, la punition du voleur et du meurtrier, les règles du
commerce et de la banque, etc.) pour être remplacées par de nouvelles
dispositions juridiques plus conformes aux conditions de vie, aux besoins et
aux exigences des sociétés musulmanes modernes.
Cette évolution du droit musulman démontre
que les autorités politiques et religieuses des pays musulmans considèrent
qu’il est licite d’adapter les règles coraniques pour les conformer, quand
c’est nécessaire, aux besoins des sociétés musulmanes au fil des siècles, pour
tenir compte des nouvelles circonstances.
Nous avons enfin analysé deux “cas
d’école” du droit musulman où deux califes et un juriste musulman parmi les
plus éminents ont expliqué sur quelles bases juridiques il était licite de
cesser d’appliquer certaines règles coraniques et certains hadiths et de leur
substituer de nouvelles règles plus adaptées aux spécificités des situations
traitées.
Or il existe des similitudes frappantes
entre les deux exemples susmentionnés, et l’argumentaire présenté par les
associations féminines pour justifier leur demande de révision des règles de
partage de l’héritage.
D’après les associations féminines, le
facteur qui justifiait de donner une part double au frère par rapport à une
part simple à la sœur a clairement cessé d’exister.
Or, comme on l’a vu, les califes Abu Bakr
Seddik et Omar ibn al-Khattab estimaient que, “lorsque le motif qui justifie
l’existence d’une règle de droit a cessé d’exister, la règle cesse de
s’appliquer (même s’agissant d’une règle coranique)”.
Ou, comme l’observe le mufti égyptien
Ahmad Muhammad Shakir : “Une règle ne s’applique plus,
si le facteur qui la justifie a cessé d’exister”.
Ne serait-il pas approprié, dans ces
conditions, de tenir compte de ces différents éléments pour revoir les règles
de partage de l’héritage en droit musulman, ne serait-ce qu’au sein de la
fratrie, afin de permettre à tous les héritiers concernés de disposer de
ressources égales, pour faire face chacun à ses propres besoins ?
C’est ce qu’il appartient aux autorités
politiques et aux oulémas de chacun des pays musulmans de trancher, en dernier
ressort.
Conclusion
Les juristes musulmans s’enorgueillissent
de la flexibilité de la charia, qu’ils considèrent comme une bénédiction du
ciel, et une preuve de sa vitalité et de sa capacité de s'adapter aux besoins de
tous les musulmans, en tout temps et en tous lieux.
Les associations féminines musulmanes
devraient également se réjouir de cette flexibilité, grâce à laquelle elles
peuvent espérer continuer d’accomplir des progrès en matière de protection des
droits des femmes (y compris la réforme des règles d’héritage dans les pays
musulmans,) dans le respect aussi bien de la lettre que de l’esprit de la
charia.
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