lundi 21 décembre 2015

L'islamisme en Occident et la mécanique du déni chez les Occidentaux

En Occident, on salue la théocratie des Ibn Saoud comme un allié et on fait mine de ne pas voir qu’elle est le principal mécène idéologique de la culture islamiste.
Kamel Daoud



Kamel Daoud contre le « Daech blanc »

Après les attentats du 13 novembre à Paris, les écrivains ne se sont pas tus. «Quand un homme est tué par un barbare, j'ai la nationalité de la victime, pas celle du tueur. Toujours», écrivait l'écrivain algérien Kamel Daoud le 15 novembre sur sa page Facebook. Dénonçant sans univoque la «barbarie» et le «fanatisme religieux», le monde des lettres est en droit de s’interroger sur la part de responsabilité qu’est la sienne. 
Car faire face à Daech, c’est aussi lui répondre sur le terrain de l’idéologie ou plutôt, de le renvoyer à la sienne, pas seulement rétrograde mais avilissante et violente, sans espoir de relèvement ni de l’âme ni des peuples.
Dès le 20 novembre, le monde des livres publiait les réactions de quelques vingt-huit écrivains, parmi lesquels Christine Angot, Joyce Carol Oates ou encore Jérôme Ferrari. Unanimes, les auteurs condamnaient alors d’affreux assassinats, insensés et aveugles, parangon d’une pseudo-lutte contre l’Occident matérialiste.
Le même jour, Kamel Daoud publiait en français sur le site du New-York Times, un article (en français) à charge intitulé « L'Arabie saoudite, un Daech qui a réussi ».
Mais que vient faire là l’Arabie saoudite pourrions nous demander ?
Terre d’élection du wahhabisme, l’Arabie saoudite s’est construite historiquement autour d’une théocratie messianique appelant la création d’un nouveau califat. Fondé au XVIIIe siècle, ce courant diffuse une vision rigoriste de l’islam, dans lequel notamment, la femme ne peut jouir des mêmes droits que l’homme. Une doctrine qui par ailleurs, ne reconnaît aucun autre droit que celui qui serait édicté dans le Coran ou les textes saints. Ce que les salafistes nomment la charia: la seule application des préceptes religieux ayant pour eux force de loi. 
Pour Kamel Daoud, cette situation trahie un paradoxe ou plutôt la « mécanique du déni » à l’œuvre en Occident. Car si l’Arabie saoudite est considérée comme un allié et est traitée comme tel, le financement du terrorisme et pis, l’idéologie dont il a été accouché ont pris essor en son sein. Ce qui pousse l’écrivain de Meursault, contre-enquête (éd. Actes Sud, prix Goncourt du Premier Roman 2014) à écrire «qu’on salue cette théocratie comme un allié et on fait mine de ne pas voir qu’elle est le principal mécène idéologique de la culture islamiste.» En effet, parmi les productions des théologues et des juristes saoudiens - qui fleurissent à la Mecque comme les jasmins en hiver -, on retrouve les oppositions manichéennes simplistes mais malheureusement classiques de la désinformation et de la propagande. Des textes virulents, où l’Occident est décrit comme irrémédiablement incompatible avec l’Orient, charriant un fatras de faits historiques retournés et vidés de leur sens pour mieux décrire un «pays d’impies» où «les attentats» comme l’écrit Daoud, «sont la conséquence d’attaques contre l’Islam». «On y joue sur l’affect de la question palestinienne, le viol de l’Irak et le souvenir du trauma colonial» poursuit l’écrivain, appuyant un peu plus si besoin était, sur le bidouillage intellectuel et le dévoiement de faux croyants qui voudraient jeter les peuples les uns contre les autres, du Levant au couchant. La preuve chez les terroristes, où, comme chez les frères Kouachi ou Coulibaly, on ne trouve aucune trace du Coran mais à sa place, des ouvrages pseudo-théologiques à la signature wahhabite. Mais quel croyant véritable se contenterait de ne lire que les exégèses plutôt que le texte saint?
Une usine à mauvaise herbe qui trouve selon l’écrivain, un bien large et triste public pour s’en aveugler: «Il faut vivre dans le monde musulman pour comprendre l’immense pouvoir de transformation des chaines TV religieuses sur la société par le biais de ses maillons faibles: les ménages, les femmes, les milieux ruraux. La culture islamiste est aujourd’hui généralisée dans beaucoup de pays – Algérie, Maroc, Tunisie, Libye, Egypte, Mali, Mauritanie. On y retrouve des milliers de journaux et des chaines de télévisions islamistes (comme Echourouk et Iqra).»
Et face à ce laissez-faire idéologique dans lequel l’Occident s’est enfermé, le wahhabisme n’a pu que continuer à croître, bien à l’ombre des relations amicales entre occidentaux et saoudiens.

Pour Kamel Daoud, tout est là, dans la décision occidentale de faire une «soi-disant guerre» qui est «myope car elle s’attaque à l’effet plutôt qu’à la cause» et de conclure que si «Daech a une mère: l’invasion de l’Irak (…) il a aussi un père: l’Arabie saoudite et son industrie idéologique».                

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