Kamel Daoud
Par Arthur Montagnon
Kamel Daoud contre le « Daech blanc »
Après les attentats du 13
novembre à Paris, les écrivains ne se sont pas tus. «Quand un homme est tué par
un barbare, j'ai la nationalité de la victime, pas celle du tueur. Toujours»,
écrivait l'écrivain algérien Kamel Daoud le 15 novembre sur sa page Facebook.
Dénonçant sans univoque la «barbarie» et le «fanatisme religieux», le monde des
lettres est en droit de s’interroger sur la part de responsabilité qu’est la
sienne.
Car faire face à Daech, c’est
aussi lui répondre sur le terrain de l’idéologie ou plutôt, de le renvoyer à la
sienne, pas seulement rétrograde mais avilissante et violente, sans espoir de
relèvement ni de l’âme ni des peuples.
Dès le 20 novembre, le monde des livres publiait les réactions de quelques
vingt-huit écrivains, parmi lesquels Christine Angot, Joyce Carol Oates ou
encore Jérôme Ferrari. Unanimes, les auteurs condamnaient alors d’affreux
assassinats, insensés et aveugles, parangon d’une pseudo-lutte contre
l’Occident matérialiste.
Le même jour, Kamel Daoud
publiait en français sur le site du New-York Times, un article (en
français) à charge intitulé « L'Arabie saoudite, un Daech qui a réussi ».
Mais que vient faire là l’Arabie saoudite pourrions nous demander ?
Mais que vient faire là l’Arabie saoudite pourrions nous demander ?
Terre d’élection du wahhabisme, l’Arabie saoudite s’est construite
historiquement autour d’une théocratie messianique appelant la création d’un
nouveau califat. Fondé au XVIIIe siècle, ce courant diffuse une vision
rigoriste de l’islam, dans lequel notamment, la femme ne peut jouir des
mêmes droits que l’homme. Une doctrine qui par ailleurs, ne reconnaît aucun
autre droit que celui qui serait édicté dans le Coran ou les textes saints. Ce
que les salafistes nomment la charia: la seule application des préceptes
religieux ayant pour eux force de loi.
Pour Kamel Daoud, cette
situation trahie un paradoxe ou plutôt la « mécanique du déni » à l’œuvre en
Occident. Car si l’Arabie saoudite est considérée comme un allié et est traitée
comme tel, le financement du terrorisme et pis, l’idéologie dont il a été
accouché ont pris essor en son sein. Ce qui pousse l’écrivain de Meursault,
contre-enquête (éd. Actes Sud, prix Goncourt du Premier Roman 2014) à
écrire «qu’on salue cette théocratie comme un allié et on fait mine de ne
pas voir qu’elle est le principal mécène idéologique de la culture islamiste.»
En effet, parmi les productions des théologues et des juristes saoudiens - qui
fleurissent à la Mecque comme les jasmins en hiver -, on retrouve les
oppositions manichéennes simplistes mais malheureusement classiques de la
désinformation et de la propagande. Des textes virulents, où l’Occident est
décrit comme irrémédiablement incompatible avec l’Orient, charriant un fatras
de faits historiques retournés et vidés de leur sens pour mieux décrire un
«pays d’impies» où «les attentats» comme l’écrit Daoud, «sont la conséquence
d’attaques contre l’Islam». «On y joue sur l’affect de la question
palestinienne, le viol de l’Irak et le souvenir du trauma colonial» poursuit
l’écrivain, appuyant un peu plus si besoin était, sur le bidouillage
intellectuel et le dévoiement de faux croyants qui voudraient jeter les peuples
les uns contre les autres, du Levant au couchant. La preuve chez les
terroristes, où, comme chez les frères Kouachi ou Coulibaly, on ne trouve
aucune trace du Coran mais à sa place, des ouvrages pseudo-théologiques à la
signature wahhabite. Mais quel croyant véritable se contenterait de ne lire que
les exégèses plutôt que le texte saint?
Une usine à mauvaise herbe qui
trouve selon l’écrivain, un bien large et triste public pour s’en aveugler: «Il
faut vivre dans le monde musulman pour comprendre l’immense pouvoir de
transformation des chaines TV religieuses sur la société par le biais de ses
maillons faibles: les ménages, les femmes, les milieux ruraux. La culture
islamiste est aujourd’hui généralisée dans beaucoup de pays – Algérie, Maroc,
Tunisie, Libye, Egypte, Mali, Mauritanie. On y retrouve des milliers de
journaux et des chaines de télévisions islamistes (comme Echourouk et Iqra).»
Et face à ce laissez-faire idéologique dans lequel l’Occident s’est enfermé, le wahhabisme n’a pu que continuer à croître, bien à l’ombre des relations amicales entre occidentaux et saoudiens.
Et face à ce laissez-faire idéologique dans lequel l’Occident s’est enfermé, le wahhabisme n’a pu que continuer à croître, bien à l’ombre des relations amicales entre occidentaux et saoudiens.
Pour Kamel Daoud, tout est là,
dans la décision occidentale de faire une «soi-disant guerre» qui est «myope
car elle s’attaque à l’effet plutôt qu’à la cause» et de conclure que si «Daech
a une mère: l’invasion de l’Irak (…) il a aussi un père: l’Arabie saoudite et
son industrie
idéologique».
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