Pour les présidentielles, le terrorisme comme enjeu politique pour des socialistes à court d'idées qui plutôt que de prendre le mal à sa racine et de rompre leurs liaisons dangereuses avec les pétromonarques qui le soutiennent, préfèrent discutailler du sexe des anges, pardon de déchéance nationale des terroristes !
R.B
Nous
sommes passés en quelques semaines de la question « comment combattre le
terrorisme ? » à cette autre question : « Comment exploiter
cette situation pour se faire réélire en 2017 ? ». Édifiant.
À quelque chose malheur est bon. Cette histoire de déchéance de nationalité, pour désastreuse
qu’elle soit, a au moins un avantage. Elle jette une lumière crue sur les
vraies préoccupations de nos dirigeants. En trois jours, les critiques —
nombreuses et venues de tous les horizons de la gauche — se sont déplacées.
Comme si chacun avait enfin compris qu’il est vain d’invoquer « les
grandes valeurs », qui ne sont plus pour Manuel Valls qu’objets de
railleries [1],
ou d’argumenter sur l’absurdité d’une mesure dépourvue de toute efficacité dans
la lutte contre le terrorisme. Comme si chacun avait pris conscience qu’il est
inutile de brandir la menace d’une rupture d’égalité entre citoyens, ou
superflu de souligner le contenu colonialiste d’une disposition qui permettrait
à la France de renvoyer avec dégoût ses « terroristes » dans les pays
du Maghreb ou du Moyen-Orient. Le débat de fond a rapidement été dépassé.
Chacun a compris que pas un seul de ces arguments ne
pouvait convaincre le duo Hollande-Valls, tout simplement parce que le
Président et son Premier ministre ne parlent pas la même langue que leurs
contradicteurs. A vrai dire, ils ne parlent pas « politique », au
sens où nous voulons encore entendre ce mot. Ils parlent
« politicaillerie ». Nous sommes passés en quelques semaines de la
question « comment combattre le terrorisme ? » à cette autre
question « comment vais-je pouvoir exploiter cette situation pour me faire
réélire en 2017 ? ». Le déplacement a été si rapide et si grossier
que ça a fini par créer une certaine gêne jusque dans le proche entourage du
Président. D’autant que le calcul le plus politicien a surgi au cœur de la
tragédie. D’où une avalanche de critiques, de Julien Dray à Jean-Marc Ayrault.
Il paraît même que Jean-Marie Le Guen, ministre ordinairement préposé à
l’impopularité, a pris ses distances… Même les ombres se révoltent !
Mais rien n’y fait. Et cette affaire nous fait entrer,
comme par effraction, dans les sous-sols du pouvoir. Pour ne pas dire
« les bas-fonds ». On en comprend
très vite les méandres. Plusieurs commentateurs les ont déjà éclairés, certains
d’ailleurs avec une certaine admiration. Quelle belle ouvrage, n’est-ce pas,
que cette façon, dans un seul mouvement, de piéger la droite, de briser la
gauche, et d’offrir une victoire symbolique au Front national !
L’explication est simple. François Hollande a tiré un trait sur la gauche. Il
lui faut pour 2017 gagner des voix de droite et même d’extrême droite. Quoi de
mieux pour cela qu’une mesure empruntée au programme du FN ? On est
convaincu en haut lieu que la gauche est de toute façon captive. Elle finira
bien par aller voter Hollande au second tour face à Marine Le Pen. Certes, le
premier tour s’annonce plus délicat, mais il suffira pour le franchir d’éviter
le trop plein de candidatures à gauche. Eviter en particulier une candidature
écolo. Il y a là comme une sorte de chantage affectif. Les stratèges de
l’Elysée se disent qu’il est inutile d’avoir trop de considération pour cet
électorat de gauche qui reviendra le moment venu le doigt sur la couture du
pantalon. On s’apprête d’ailleurs à lui faire avaler de nouvelles couleuvres
dans les prochaines semaines avec la deuxième loi Macron et la réforme du code
du travail.
Toutes ces subtilités nous placent à des années-lumière
des grands principes de cette République
« une et indivisible » invoquée à tout bout de champ par Manuel
Valls. Mais le plus cocasse est tout de même l’argument du respect de la parole
donnée. François Hollande aurait maintenu la « déchéance de la
nationalité » parce qu’il s’y était engagé devant le Congrès. Comme si ce
n’était pas le reniement de tous ses engagements précédents ! Au total,
cela fait beaucoup de « paroles données ». C’est sans doute ce qu’a
finement suggéré Christiane Taubira en tentant de se sortir d’un mauvais
pas : « La parole première est celle du Président ; la
parole dernière est celle du Président. » Cela fait déjà au moins
deux paroles et on en imagine d’autres entre les deux, et auxquelles la
ministre de la Justice a eu la faiblesse de croire. Car il ne fait guère de
doute que François Hollande a pensé renoncer à cette « déchéance de
nationalité », avant de s’apercevoir que cela le priverait des voix des
parlementaires de droite au Congrès, et que c’en serait fini de sa réforme
constitutionnelle. Il est donc revenu à sa « parole première ». Ou
deuxième ou troisième, on ne sait plus. Et tant pis pour la gauche ! Et
pour Christiane Taubira !
Cette histoire, décidément en tout point édifiante, a
une nouvelle fois mis en évidence le caractère monarchique de nos institutions.
Le texte de la réforme constitutionnelle a, paraît-il, été distribué en fin de
conseil des ministres. Pas l’ombre d’une discussion alors qu’il y avait là une
mesure qui heurtait la conscience de la plupart des membres du gouvernement.
C’est sans doute ce qu’on appelle la surprise du chef.
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