dimanche 27 décembre 2015

Peut-on continuer à maltraiter les bêtes ?


Les esclaves, les indigénes, les femmes, les enfants ont fait leur entrée dans le cercle de la compassion au cours des siècles après que les philosophes des Lumières aient mis l'église devant sa responsabilité, pour qu'elle finisse par admettre que les indigènes ainsi que les femmes avaient bien une âme !

Il reste à l'islam de faire son autocritique pour y parvenir !
Mais en attendant , même le meilleur ami de l'homme connaît un sort terrible en Tunisie depuis le passage des prédicateurs wahhabites en Tunisie, invités par les Frères musulmans !!

R.B
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Longtemps, les animaux ont été considérés comme des êtres inférieurs, indignes de notre compassion. La science ayant démontré qu'ils souffraient comme nous, ne serait-il pas temps d'instaurer un droit des bêtes ?

Nous  les traitons avec condescendance pour leur incomplétude, pour leur tragique destin d'avoir pris forme tellement loin en dessous de nous. Et en ceci nous nous trompons, et nous nous trompons grandement. Car l'homme n'est pas la mesure de l'animal. Dans un monde plus vieux et plus complet que le nôtre, ils évoluent finis et complets, dotés d'extensions des sens que nous avons perdues ou jamais atteintes, vivant par des voix que nous n'entendrons jamais. Ils ne sont pas nos frères ; ils ne sont pas nos subordonnés ; ils sont d'autres nations, prises avec nous dans le filet de la vie et du temps, compagnons de la splendeur et de la fatigue de la Terre. » C'est avec les mots, les intuitions du poète que l'écrivain et naturaliste américain Henry Beston (1888-1968) posait en 1928, dans Une maison au bout du monde (The Outermost House), les termes du débat que, près d'un siècle plus tard et de manière plus virulente que jamais, continue de susciter la relation entre l'homme et l'animal.

Ou, plus exactement, la place et le sort réservés à ce dernier dans la civilisation occidentale et humaniste, ébranlée par l'onde de choc sans fin du darwinisme et des découvertes scientifiques qui ont suivi, renforcé, prolongé la théorie de l'évolution. Fragilisant, détricotant sans cesse davantage la vieille notion de « propre de l'homme », dont il n'est plus à présent de définition à laquelle se raccrocher. Quel est-il, ce « quelque chose » qui distingue l'espèce humaine des autres ? Le rire et le langage, disait Aristote. La capacité rhétorique et la conscience de soi, affirmait Descartes (XVIIe siècle), mettant fin à l'hypothèse de l'existence de l'âme animale et inventant la notion d'« animal-machine », dénué de toute capacité à souffrir. L'homme n'est qu'un singe supérieur, rétorque désormais la science — les plus récentes études tendraient à prouver qu'humains, grands singes et chimpanzés partagent 98 à 99 % de leur ADN —, alors sur quoi fonde-t-il la certitude de son exceptionnalité ?

« L'invention, sans fin contestée par la vie même, d'une frontière absolue entre les animaux et les hommes, est directement responsable de ce qu'il y a de plus pénible dans l'humanisme, dès lors peu distinct d'un narcissisme d'espèce que l'on voit rebondir au long des âges », note l'écrivain et essayiste Jean-Christophe Bailly dans Le Parti pris des animaux. C'est ce « narcissisme d'espèce » — et sa conséquence directe : une plus ou moins relative indifférence à la souffrance infligée par l'homme à l'animal — que rejettent les tenants d'une stricte égalité des droits entre hommes et animaux, partisans des théories appelées « animalisme » ou « antispécisme », qui assimilent la discrimination entre les espèces à une forme de racisme (1) . A l'autre extrémité des opinions, les adeptes de ce qu'on nomme l'« humanisme anthropocentrique » — et qui souscrivent à l'affirmation de Heidegger estimant, ici traduit par Jean-Christophe Bailly, que « le saut de l'animal vivant à l'homme parlant est aussi grand, sinon plus, que celui de la pierre inanimée à l'être vivant »(2) .

Entre les deux se déploie une constellation d'attitudes et de convictions infiniment nuancées — et, liées à elles, la revendication, pour les animaux, d'un certain nombre de droits — que pourraient bien fédérer ces propos mesurés de la philosophe Elisabeth de Fontenay, figure majeure en France de la réflexion intellectuelle sur cette question : « Je m'élève à la fois contre ceux qui prônent la fin de l'exception humaine, les réductionnistes qui liquident les sciences sociales au profit des sciences dures, et contre ceux — les métaphysiciens, les théologiens — qui voient en l'homme une exception radicale ». C'est au nom de l'exception humaine ainsi calmement soupesée qu'Elisabeth de Fontenay en appelle à une nouvelle étape du « processus de civilisation défini par Darwin comme un élargissement du cercle de la compassion » (3) : les esclaves, les indigènes, les femmes, les enfants ont fait leur entrée dans le cercle au cours des siècles, l'heure n'est-elle pas venue d'y faire entrer l'animal ?

L'entrée dans le « cercle de la compassion », c'est la prise en compte de la souffrance et de la nécessité de la faire cesser. Car la souffrance animale n'a jamais atteint, dans l'Histoire, le degré auquel elle culmine aujourd'hui. Conséquence de l'industrialisation de l'élevage et de l'abattage qui s'est généralisée à partir de la seconde moitié du XIXe siècle — dans L'Animal que donc je suis, le philosophe Jacques Derrida dénonce ainsi les « proportions sans précédent de cet assujettissement de l'animal », et même une cruauté et une violence « que certains pourraient comparer aux pires génocides ». Si l'emploi du terme « génocide » pour désigner la mort massive des animaux destinés à l'alimentation humaine continue parfois de choquer (4) , l'exacerbation de la souffrance animale à l'ère contemporaine n'est, elle, guère contestée. Non plus que le malaise grandissant, disons la mauvaise conscience, qu'elle suscite désormais chez l'homme, au nom duquel cette souffrance est infligée. Il y a aujourd'hui un « impératif moral à étendre l'altruisme à tous les êtres sensibles, sans limitation d'ordre quantitatif ni qualitatif », note le penseur bouddhiste Matthieu Ricard dans son Plaidoyer pour les animaux, best-seller l'an dernier. Faut-il manger les animaux ?, s'interrogeait pour sa part le jeune romancier américain Jonathan Safran Foer, dans une enquête argumentée qui fit grand bruit, il y a cinq ans, des deux côtés de l'Atlantique.

Le philosophe Tristan Garcia s'est penché à son tour sur la question, dans Nous, animaux et humains, l'un des essais les plus passionnants parmi la multitude d'ouvrages sur ce sujet parus ces dernières années. « Entre ce que nous appelons "nous" et ce que nous appelons "eux", il faut bien tracer une ligne, mais elle s'efface toujours avec le temps, et il est régulièrement nécessaire de la redessiner », note-t-il, pointant les fluctuations de l'empathie humaine vis-à-vis de l'animal et ajoutant que, désormais, « il y a une brèche qui a entamé la ligne infranchissable, le mur séparant l'ancien nous [...] du vieil eux, celui des bêtes. Cette brèche, c'est la reconnaissance de la souffrance. Nous ne souffrons plus de les faire souffrir comme si ces bêtes ne souffraient pas comme nous ». S'employant à retracer l'histoire de cette sensibilité nouvelle à la cruauté exercée envers les animaux, à remonter à sa source, Tristan Garcia fait resurgir la figure et les réflexions du penseur anglais Jeremy Bentham (1748-1832). En 1789 — « année de la rédaction de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen », note en passant Garcia —, il écrivait, dans son Introduction aux principes de morale et de législation : « Les Français ont déjà découvert que la noirceur de la peau n'est nullement une raison pour laquelle un être humain devrait être abandonné sans recours au caprice d'un tourmenteur. Il est possible qu'on reconnaisse un jour que le nombre de jambes, la pilosité de la peau, ou la terminaison de l'os sacrum sont des raisons tout aussi insuffisantes d'aban­donner un être sensible au même destin. Quel autre critère devrait tracer la ligne infranchissable ? Est-ce la faculté de raisonner, ou peut-être la faculté de dis­courir ? Mais un cheval ou un chien adulte est, au-delà de toute comparaison, un animal plus raisonnable, mais aussi plus susceptible de relations sociales, qu'un nourrisson d'un jour ou d'une semaine, ou même d'un mois. Mais supposons que la situation ait été différente, qu'en résulterait-il ? La question n'est pas "peuvent-ils raisonner ?", ni "peuvent-ils parler ?", mais "peuvent-ils souffrir ?". »

Est-on si loin, avec Jeremy Bentham, de « l'élargissement du cercle de la compassion » auquel appelle deux siècles et demi plus tard Elisabeth de Fontenay ? Laquelle aime aussi à raconter ce moment saisissant où Franz Kafka (1883-1924), végétarien convaincu, visitant un jour l'aquarium de Berlin, adressa aux poissons cet aveu soulagé : « Maintenant je peux vous regarder en face, je ne vous mangerai plus. »



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