Habib Bourguiba avait offert aux femmes tunisiennes sans qu'elles aient lutté pour les avoir, des droits uniques en leur genre dans les pays dits "arabo-musulmans" ! Et dire qu'il y a des femmes qui souhaitent revenir au statut peu enviable de leurs grands mères et arrières grands, qu'elles n'ont pas connu pour la plupart d'entre elles, juste par adhésion à une idéologie rétrograde d'islamistes incultes qui les exècrent par ailleurs ! Il est vrai qu'elles n'ont pas lutté pour les avoir; puisque c'est un cadeau d'un homme visionnaire qui savait qu'il ne pouvait construire un état moderne en laissant les femmes dans le statut que leur imposaient les conservateurs. Mais un jour elles se réveilleront et ce sera trop tard. C'est ce qui est arrivé aux iraniennes qui par militantisme et par rejet du Chah, ont porté le tchador; et le jour où elles ont voulu le retirer, certaines l'ont payé de leur vie.
R.B
L'essayiste et journaliste Bertrand Le Gendre livre une biographie* hors
norme de ce personnage historique clé de la Tunisie et du monde arabe. Un
travail colossal.
En 2019, Bourguiba est omniprésent. Son
image et son héritage sont abondamment utilisés. En cette période politiquement
instable, la figure du fondateur de la République
tunisienne sert de boussole à une majorité de partis
politiques. On loue « l'homme providentiel » qui a négocié
l'indépendance avec Pierre-Mendès France puis Edgar Faure, le politique qui a placé
l'éducation au cœur du projet national, l'homme qui a accordé aux femmes des
droits impensables en 1956. En 2019, son portrait trônait au-dessus du podium
installé à Monastir pour le congrès de Nidaa Tounes. Accolé à celui de Béji
Caïd Essebsi, l'actuel président de la République. Même les
islamistes d'Ennahdh avait offert aux tunisiennes sans qu'elles aient à lutter pour les avoir, des droits uniques en leur genre dans le monde dit "arabo-musulmans".a se réfèrent parfois à lui.
Une biographie qui fera
référence
L'entrée de la Tunisie en démocratie libère l'histoire, la grande et la
petite. Elle permet d'aborder frontalement, avec force sources, la statue
érigée à la gloire de Bourguiba. De faire la part entre légendes, fantasmes et
réalités historiques. Bertrand Le Gendre, ex-rédacteur en chef au Monde,
auteur d'un excellent essai consacré à Flaubert,
s'est attaqué au dossier Bourguiba. Il ne se contente pas de retracer le destin
d'un bâtisseur, d'un féroce politique, d'un visionnaire éclairé qui s'est peu à
peu transformé en président à vie avant d'être déposé par Ben Ali en 1987. Il
l'écrit entre lumières et ombres.
Le voile, un
« épouvantable chiffon »
Le nom de Bourguiba demeure singulier, atypique, au fronton des héros des
indépendances. Sitôt élu président de la République de Tunisie, la dotant d'une
Constitution flambant neuve, il fixe deux caps : l'éducation et
l'émancipation de la femme. « Personne ne lui demandait, en 1956, de
remédier au statut de la femme musulmane », précise son biographe. Prenant
de court la société, Bourguiba édicte un Code du statut personnel (CSP) :
interdiction de la polygamie, divorce, mariage n'ayant lieu qu'avec le
consentement des deux époux, maîtrise de la natalité...
Le voile est qualifié « d'épouvantable chiffon ». Il n'ira pas jusqu'à édicter une loi pour l'interdire, misant sur « son abandon progressif ». Dans les années 1970, il tentera d'imposer l'égalité successorale. Le roi Fahd d'Arabie saoudite dira à l'émissaire : « Bourguiba est maître chez lui, mais je ne l'appuierai pas… » Driss Guiga, l'émissaire en question, expliquera : « la Tunisie n'avait pas d'argent, elle avait besoin de l'aide des Saoudiens et ne voulait pas les contrarier ». En 2017, Béji Caïd Essebsi remettra à l'agenda ce projet.
Le voile est qualifié « d'épouvantable chiffon ». Il n'ira pas jusqu'à édicter une loi pour l'interdire, misant sur « son abandon progressif ». Dans les années 1970, il tentera d'imposer l'égalité successorale. Le roi Fahd d'Arabie saoudite dira à l'émissaire : « Bourguiba est maître chez lui, mais je ne l'appuierai pas… » Driss Guiga, l'émissaire en question, expliquera : « la Tunisie n'avait pas d'argent, elle avait besoin de l'aide des Saoudiens et ne voulait pas les contrarier ». En 2017, Béji Caïd Essebsi remettra à l'agenda ce projet.
L'éducation, la priorité
absolue
Au lendemain de l'indépendance, « la situation dont a hérité le jeune
État est catastrophique », écrit Le Gendre, « sur 1 000
habitants, 847 ne savent ni lire ni écrire ». La scolarisation
ne concerne que 41 % des garçons et 16 % des filles. En 1958,
Bourguiba promet que d'ici dix ans 100 % seront scolarisés. Un défi faute
d'infrastructures et d'enseignants en nombre suffisant. Le budget double
de 58 à 71. Le nombre d'élèves passe de 200 000
à 800 000. Mahmoud Messadi, secrétaire d'État à l'Éducation
nationale, « désislamise » l'enseignement. Le français est conservé à
partir de la troisième année de primaire. Un choix pragmatique plus que
politique : faute de maîtres arabophones en nombre suffisant, les
enseignants français perdurent. Le Gendre n'idéalise pas les résultats de cette
politique : « si la massification est méritoire »,
« 46 % des élèves abandonnent dès le primaire dans les années
1960 ».
Un président autoritaire
puis « à vie »
Dans les années 1970, la Tunisie connaît la crise. La société ne regarde
plus son leader avec le même enthousiasme qu'au lendemain de l'indépendance. La
gauche s'épanouit, ce qui déplaît au fondateur de la République.
Le 19 mars 1975, Habib
Bourguiba devient président à vie. Les émeutes du pain, janvier
1984, ensanglanteront Tunis. Trois ans plus tard, le 7 novembre, Ben
Ali accomplit son coup d'État médical : Bourguiba est jugé inapte à
exercer ses fonctions par des médecins aux ordres du futur despote.
Les lignes de force
passées et futures
Tout autant que la figure de De Gaulle, que l'on sort rituellement pour les
élections, celle de Bourguiba demeure contemporaine. Son style, son érudition,
sa modernité (il a divorcé) en font un dirigeant à part dans le monde arabe.
Les Tunisiens ne sont pas tous bourguibistes. Mais même ses opposants lui
reconnaissent d'avoir mené le pays sur le sentier de l'éducation. En 1958,
16 % des filles étaient scolarisés. En 2019, les deux tiers des diplômés
de l'enseignement supérieur sont des jeunes femmes. Et ça, c'est à Bourguiba
qu'elles le doivent.
L'Indépendance : les ruses de Bourguiba
Ou comment Habib Bourguiba, fin francophone, se joue des usages
républicains pour parvenir à ses fins : la fin du protectorat français en
Tunisie. Passant de Pierre Mendès-France, qui a voulu instituer l'indépendance,
à Edgar Faure.
« Tout devrait rapprocher Mendès France d'Edgar Faure qui, début 1955,
prend en mains les négociations franco-tunisiennes. Le nouveau président du
Conseil est le seul homme politique que Mendès France tutoie – ils se sont
connus à la faculté de droit – et ils appartiennent tous deux au parti radical
(centre gauche). Mais dans les faits, tout oppose l'ondoyant Edgar Faure et le
raide Mendès France. Le premier excelle aux combinaisons politiques quand le
second les combat. Faure n'a presque que des amis au Parlement où Mendès compte
surtout des adversaires. Le profil d'Edgar Faure, que son prédécesseur
considère comme un « homme de droite », explique qu'il ait réussi
là où Mendès France, l'homme de gauche, a échoué. Moins menacé par sa majorité,
le nouveau président du Conseil peut faire aux Tunisiens des concessions
que, pieds et poings liés, son prédécesseur leur déniait.
Le 21 avril 1954, Edgar Faure fait un geste auquel Mendès France
s'était refusé. Il reçoit au vu et au su de tous Bourguiba à l'Hôtel de
Matignon. Le Combattant suprême relate en termes imagés son arrivée, sous les
flashes des photographes, au siège du gouvernement :
J'avais comme garde du corps Béchir Zarg El Ayoun qui boitait et portait
secrètement sur lui un revolver. Il était tout le temps sur le qui-vive, à
dévisager les journalistes pour se rendre compte si quelque énergumène, animé
de mauvaises intentions à mon égard, ne s'était pas glissé parmi eux.
L'entretien en tête-à-tête avec Edgar Faure dura une heure et demi.
Béchir Ben Yahmed, qui a conduit en
voiture Bourguiba à Matignon, raconte que l'entrevue a failli tourner
court :
Edgar Faure ne l'a pas reçu dans son bureau mais dans celui de son
directeur de cabinet, Jacques Duhamel. Autant Bourguiba avait été impressionné
par Mendès – pas de familiarité – autant avec Edgar Faure… Il s'est mis à
hurler en feignant de quitter la pièce : « Vous savez bien que c'est
moi qui décide ! » Edgar Faure le poursuivait hors du bureau :
« Monsieur le président, monsieur le président… » Quand Bourguiba est
remonté dans la voiture pour repartir, il m'a dit : « Ça a
marché… ».
La colère feinte de Bourguiba a porté ses fruits. Quatre questions
épineuses restaient en suspens entre les négociateurs. Conciliant, Edgar Faure
proposait de couper la poire en deux. Refus catégorique de Bourguiba, convaincu
que si le chef du gouvernement a pris le risque de le recevoir publiquement, il
ne peut se permettre un échec. Bon prince, Bourguiba renonce à livrer le fond
de sa pensée aux journalistes qui l'attendent au bas du perron, à savoir
qu'Edgar Faure « a cédé sur toute la ligne ». Il préfère se faire
diplomate : « Nous avons passé en revue les points sur lesquels
l'accord n'a pu encore se faire et nous avons essayé de dominer ces points de
détail pour envisager une solution d'ensemble et songer surtout à
l'avenir et aux relations qui doivent exister entre Français et
Tunisiens. »
Bourguiba, qui bouillait de ne pas participer directement aux discussions,
peut faire la leçon aux négociateurs officiels, Ben Ammar, Slim et les autres.
Sans lui, ces négociations, qui durent depuis neuf mois, seraient toujours au
point mort. Dès le lendemain de son entrevue avec Edgar Faure, le
terrain déblayé, les deux parties trouvent enfin un accord.
Le 29 mai, ils paraphent le document qui entérine celui-ci.
Sa mission accomplie, enfin libre, le Combattant suprême peut rentrer
triomphant à Tunis où l'attend une foule éperdue de reconnaissance.
Le 3 juin, deux jours après son retour au pays, les deux
gouvernements apposent officiellement leurs signatures au bas des conventions
d'autonomie. Pour les Français : Edgar Faure et Pierre July, ministre des
Affaires marocaines et tunisiennes. Pour les Tunisiens, Tahar Ben Ammar et
Mongi Slim qui écrit son nom en arabe. Le 9 juillet, les députés
qui avaient refusé leur confiance à Mendès France cinq mois plus tôt ratifient
à une très large majorité lesdites conventions, par 538 voix
pour, 44 contre et 29 abstentions. Le 4 août, le
Conseil de la République (le Sénat) les entérine également,
par 253 voix contre 26 et 36 abstentions.
Le 27 août, Lamine Bey les « scelle » à son tour. Elles
entrent en vigueur. »
Bourguiba et l'émancipation des Femmes
En 1956, « personne ne lui demandait de remédier au statut de la femme
musulmane ». Pionnier en la matière, Bourguiba édicte un Code du statut
personnel qui accorde aux tunisiennes des droits inédits et dans le monde arabe
et dans le reste du monde.
« Personne ne lui demandait, en 1956, de remédier au statut de la
femme musulmane. Il a pris seul la décision de la décoloniser, au rebours des
attentes de la société, même si les élites modernistes, imprégnées de valeurs
occidentales, dont il s'est entouré, l'approuvent. « Sans le préalable de
l'évolution féminine, aucun progrès n'est possible », est-il persuadé.
Le 28 décembre 1956 paraît au Journal officiel
tunisien, sous la signature de Habib Bourguiba, le décret
du 13 août 1956 « portant promulgation du statut
personnel ». Ses cent soixante-dix articles sont précédés de la formule
rituelle qui n'aura bientôt plus cours : « Louange à Dieu ! Nous
Mohamed Lamine Pacha Bey, possesseur du royaume de Tunisie […], sur la
proposition de notre Premier ministre, président du Conseil, avons pris le
décret suivant… »
À écouter Bourguiba, le bâtisseur de la Tunisie moderne, ce code est l'une des œuvres les plus importantes et l'une des réformes les plus considérables qu'a connues le pays ». « Dans cent ans, dans mille ans, ajoute-t-il, l'histoire dira ce que l'édification de l'État tunisien […] et la promotion de notre vie nationale auront dû à cette œuvre ». Il a raison. Le nom de Bourguiba reste attaché à ce coup d'audace qui, au XXIe siècle, bénéficie encore à son pays.
À écouter Bourguiba, le bâtisseur de la Tunisie moderne, ce code est l'une des œuvres les plus importantes et l'une des réformes les plus considérables qu'a connues le pays ». « Dans cent ans, dans mille ans, ajoute-t-il, l'histoire dira ce que l'édification de l'État tunisien […] et la promotion de notre vie nationale auront dû à cette œuvre ». Il a raison. Le nom de Bourguiba reste attaché à ce coup d'audace qui, au XXIe siècle, bénéficie encore à son pays.
Un groupe de juristes autour d'Ahmed Mestiri, le secrétaire d'État à la
Justice, a rédigé cette déclaration des droits de la femme tunisienne. Trois de
ses articles sont révolutionnaires. L'article 3 : « Le mariage n'est
formé que par le consentement des deux époux » et donc aussi, ce qui est
nouveau, de la future épousée. L'article 18 : « La polygamie est
interdite. » Et l'article 30 qui proscrit la répudiation :
« Le divorce ne peut avoir lieu que par devant le tribunal. »
Soucieux de ménager la sensibilité des Tunisiens les plus traditionnalistes,
Mestiri était d'avis d'autoriser la polygamie si la première épouse y
consentait. Refus de Bourguiba. Il « tenait à l'interdiction
absolue », témoigne l'ancien ministre.
Dans les faits, la polygamie est rare en Tunisie dans les
années 1950 car elle coûte cher. Imprégné de valeurs occidentales, le
bourgeois des villes, qui pourrait entretenir plusieurs épouses, ne la pratique
pas non plus. Pour justifier cette interdiction à laquelle il tient, Bourguiba
recourt à un procédé qui lui est devenu familier : il en appelle au Coran
contre le Coran, en l'occurrence à un verset qui en apparence justifie la
polygamie : « Épousez comme il vous plaira, deux, trois ou quatre
femmes », mais qui, en pratique, la condamne : « Si vous
craignez de n'être pas équitables, prenez une seule femme ». Bourguiba ne
cessera de critiquer la polygamie qui, bien que minoritaire en Tunisie,
a eu cours bien au-delà de 1956. « À Ksar Hellal […] quarante enfants de
quatre mères différentes dans le foyer d'un père ! » s'indigne-t-il
en 1974.
Le coût de la polygamie limite son usage mais il pousse les maris
désargentés à répudier l'épouse qui a cessé de plaire. Bourguiba n'a pas eu à
chercher loin pour condamner cette déplorable habitude : « Ma
grand-mère a été répudiée après avoir mis au monde ma mère. Un caprice de mon
grand-père… »
Entré en vigueur le 1er janvier 1957 sans effet rétroactif, le
code du statut personnel ne remet que partiellement en cause la prééminence de
l'homme tunisien. Ainsi son article 23 : « La femme doit respecter
les prérogatives du mari en tant que chef de famille et, dans cette mesure, lui
doit obéissance. » Le code du statut personnel ne modifie pas non plus la
règle qui, pour l'héritage, attribue à une fille la moitié de la part qui
revient à un fils.
Au fil des années,
Bourguiba fera évoluer ce code, veillant à améliorer l'égalité entre
hommes et femmes. Cependant, il n'a pas touché à l'inégalité
successorale que le Coran prescrit en ces termes : « Quant à vos
enfants, Dieu vous ordonne d'attribuer au garçon une part égale à celle de deux
filles. »
* Bourguiba, de Bertrand Le Gendre. Éditions Fayard. 444 pages, 24 euros.
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